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Mathieu Guidère, l’Etat islamique en 100 questions

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 13/04/2016 • modifié le 27/04/2020 • Durée de lecture : 13 minutes

« Nature et origines »

Mathieu Guidère se penche dans un premier temps sur la signification de Daech (ou Daesh), acronyme arabe de Etat islamique en Irak et en Syrie (al-Dawla al-islâmiyya fi al-irâq wa al-shâm), shâm signifiant « grande Syrie » sous l’Empire ottoman, composée du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et des Territoires palestiniens actuels. L’auteur explique ainsi que « par cet acronyme, il existe donc une remise en cause implicite des Etats institués et un retour aux désignations anciennes des entités territoriales qui prévalaient avant la Première Guerre mondiale » (page 13). Cependant, l’acronyme Daech n’est pas utilisé par l’organisation mais par ses « ennemis et détracteurs ». Elle utilise pour sa part le nom Etat islamique en Irak (EIL) de 2006 à 2013, le nom Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) de 2013 à juin 2014, puis le nom Etat islamique depuis juin 2014.

L’auteur revient ensuite sur l’intervention américaine en Irak, de 2003 à 2011, et la guerre civile irakienne qui s’en est suivie, qui ont été les ferments de la mise en place de l’EI. Il cite alors l’organisation créée en 2004 par le Jordanien Abou Moussab al-Zarqawi, « Unicité et Djihad », qui prend ensuite le nom de « al-Qaïda en Mésopotamie ». En 2006, à la mort de Abou Moussab al-Zarqawi, plusieurs chefs djihadistes décident de créer l’Etat islamique en Irak (EII), qui est d’abord dirigé par Abou Omar al-Baghdadi, puis en 2010 par Abou Bakr al-Baghdadi. A partir de 2011, date du départ des troupes américaines et du début de la guerre civile en Syrie, l’EII prend une nouvelle dimension, « beaucoup de ses membres s’engagent très tôt aux côtés de l’opposition armée au régime syrien et combattent les troupes loyalistes. A l’époque, ils bénéficient – comme toutes les autres composantes de l’opposition armée – du soutien actif à la fois des pays arabes sunnites (pays du Golfe) et des pays occidentaux (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis), tous farouchement opposés au maintien au pouvoir de Bachar al-Assad » (page 17). Mathieu Guidère explique ainsi la monté en puissance des combattants de l’EII au sein de l’Armée syrienne libre, puis l’opposition entre son organisation et celle du Front al-Nosra, et enfin la décision de Abou Bakr al-Baghdadi de créer l’EIIL en 2013 et de réunir les forces djihadistes d’Irak et de Syrie sous sa férule (le Front al-Nosra refuse et devient une filiale d’al-Qaïda). Commence alors la prise des territoires du centre et du nord irakien par l’EIIL, auquel se rallie des djihadistes d’al-Nosra, des combattants venus de l’étranger et des anciens généraux baathistes de l’armée de Saddam Hussein. Le 29 juin 2014, suite à la prise de Mossoul, Abou Bakr al-Baghdadi proclame le Califat.

La question des frontières est évoquée, héritées des accords Sykes-Picot de mai 1916 : « la remise en cause des frontières issues de l’accord Sykes-Picot a été clairement annoncée dans le discours d’investiture d’al-Baghdadi comme ‘calife’ » (page 20), puis l’auteur revient sur le personnage Abou Bakr al-Baghdadi : sa formation (doctorat en études coraniques), son parcours en tant qu’iman et son engagement dans la résistance à la suite de l’intervention militaire américaine de 2003, son emprisonnement par les Américains de janvier à décembre 2014 à la prison de Camp Bucca, son implication, ses actions et sa montée en puissance dans les rangs d’al-Qaïda en Irak qu’il rejoint à sa sortie de prison, la mise en place de l’EIIL, puis celle de l’EI en juin 2014, avec la prise de Mossoul et l’annonce de la restauration du Califat le 29 juin : « c’est la première fois qu’il apparaît en public et à la grande mosquée de Mossoul. Là il reçoit l’allégeance des chefs de l’organisation et du public et se fait introniser nouveau ‘calife Ibrahim’ » (page 26).

Le califat est au centre de l’analyse suivante de Mathieu Guidère : « même si cette proclamation n’a été reconnue par aucun Etat, elle remet sur le devant de la scène un concept qui avait quasiment disparu, celui du Califat » (page 27). Ainsi, le but du califat (qui signifie « succession » en arabe) est l’unification de l’oumma, c’est-à-dire de la communauté musulmane. Historiquement, le califat a été mis en place à la suite de la mort de Mahomet (632), avec la désignation d’Abou Bakr comme successeur du Prophète. Suit le temps des premiers califes (632-661), puis le califat omeyyade de Damas (661-750), le califat abbasside de Bagdad (750-1258), un « simulacre » de califat sous les Mamelouks du Caire (1261-1517), le califat ottoman établi à Constantinople (1517-1924) : « c’est donc théoriquement sans discontinuer depuis la mort de Mahomet en 632 que les musulmans ont vécu sous l’autorité d’un calife malgré la présence de dynasties et de souverains locaux. Plus que l’exercice direct du pouvoir, il s’agit d’un symbole fort d’unité, de continuité et de légitimité de la ‘communauté musulmane’ (oumma) » (page 29).

Pour les musulmans sunnites, le calife est élu parmi les hommes de la communauté des fidèles. « Il représente un symbole d’unité de l’oumma et un garant du bon gouvernement islamique » (page 32). Pour les chiites, la communauté doit être dirigée par un descendant de la famille du prophète, l’imam. « Celui-ci, incarnant à la fois le pouvoir temporel et spirituel est considéré chez les chiites comme la continuation du cycle de la prophétie à la suite de Mahomet » (page 32). Le calife (qui signifie successeur en arabe) pour les sunnites est « le souverain en tant que chef politique et commandant militaire », et l’iman pour les chiites « désigne (le souverain) en sa qualité de chef religieux et spirituel de la communauté musulmane » (page 34). Ainsi, concernant le titre d’Abou Bakr al-Baghdadi, outre celui de calife, il porte également celui de commandeur des croyants, qui « à l’instar des anciens califes abbassides, (…) lui assure en théorie la direction politique et spirituelle des musulmans » (page 44). L’auteur explique en effet que depuis l’époque médiévale, l’imamat est une fonction également portée par le calife, qui peut ainsi diriger la prière plénière et « décider de l’orientation doctrinale de la communauté (oumma) ». S’ajoutent également les titres de vizir, c’est-à-dire de ministre (économie, défense, éducation…), et d’émir, c’est-à-dire de chef politique.

La notion d’Etat islamique est ensuite évoquée. L’auteur souligne que « l’idée d’un ‘Etat islamique’ a toujours été au cœur des revendications islamistes, mais la définition exacte de ce type d’Etat et ses modes de gouvernance ont rarement été explicités de façon claire et argumentée. Le seul point commun dans la conception islamiste est que l’Etat islamique se distingue par son refus de séparer le politique et le religieux dans l’exercice du pouvoir, en arguant du fait que l’islam est ‘une religion et un régime’ (dîn wa dawla) » (page 40). L’auteur revient alors sur « cette conception théocratique du pouvoir », en Iran chiite et en Arabie saoudite sunnite.

Pour conclure cette première partie Mathieu Guidère évoque la stratégie de conquête territoriale de l’EI, qui répond à une symbolique historique : Irak et Levant en lien avec le territoire des premiers califes ; les autres pays du Proche-Orient ainsi que l’Egypte et la péninsule arabique en lien avec le califat omeyyade de Damas ; le Maghreb et les pays musulmans d’Asie, c’est-à-dire les wilâyas du califat abbasside de Bagdad.

« Organisation et fonctionnement »

La notion d’Etat est posée, et Mathieu Guidère évoque à cet égard les quatre critères de la convention internationale de Montevideo de 1933 (« population permanente, territoire délimité, forme minimale de gouvernement, capacité à entrer en relation avec d’autres Etats » page 53), qui font que l’EI répond aux critères d’un Etat. Cependant, plusieurs raisons politiques font qu’une reconnaissance ne peut être établie : le territoire évolue en raison des conquêtes et reflux de l’EI ; pas de principe d’autodétermination des populations vivant sur le territoire conquis par l’EI ; régime théocratique et autoritaire ; les autres Etats n’ont pas émis le souhait de reconnaître l’EI. Concernant le gouvernement de l’EI, celui-ci s’articule autour du calife qui nomme le gouvernement, du vice-calife responsable de l’administration, du cabinet du gouvernement formé de 7 vizirs (c’est-à-dire ministres), du secrétariat à la Guerre constitué de 3 généraux. Sur le plan judiciaire, une fois une conquête effectuée (ville ou localité), des « juges islamiques » sont nommés, mais l’organisation locale n’est pas modifiée. Ce qui est nouveau et apprécié de la population, est la rapidité avec laquelle les affaires sont jugées. Enfin, la charia a remplacé les anciens codes en vigueur, « appliquée à tous les aspects de la vie, suivant une jurisprudence issue des écoles juridiques médiévales et charriant une tradition judiciaire de près de quinze siècles » (page 62). Ainsi, l’EI applique la charia, c’est-à-dire la loi islamique, mais, alors que dans les autres pays sont rattachés à une école de pensée (chez les sunnites : hanafisme, malékisme, chaféisme, hanbalisme ; chez les chiites : jafarisme, zaydisme, ismaélisme), l’EI, dont les juges proviennent de plusieurs pays et de ce fait de plusieurs écoles, a décidé « d’imposer » une version primitive de la charia datant de l’époque des premiers musulmans nommés « pieux prédécesseurs » (salafs). Mathieu Guidère analyse ensuite le fonctionnement de la police de l’EI, revient sur les papiers délivrés par l’organisation (documents d’état civil notamment) et sur le système éducatif mis en place par l’EI, axé sur « l’éducation islamique » : apprendre par cœur le Coran dès le plus jeune âge de l’enfant. S’y ajoute le sport et l’apprentissage du tir.

« Propagande et recrutement »

L’EI utilise, pour sa propagande à l’international, Internet et les réseaux sociaux. Son magazine en ligne Dabiq, en anglais, « fait référence à un lieu près d’Alep en Syrie, où, selon la tradition musulmane héritée du Moyen Âge, aura lieu la bataille cruciale de la fin des temps » (page 79). Les thèmes en lien avec l’apocalypse sont ainsi largement évoqués, « pour inciter (les) partisans à s’engager dans le combat final, censé délivrer les musulmans et assurer le règne de Dieu » (page 80). L’auteur explique également que l’EI utilise dans ses supports écrits et audiovisuels la « symbolique islamique » : « ainsi la propagande officielle s’appuie sur l’eschatologie islamique pour légitimer son pouvoir et mobiliser ses partisans » (page 81). D’autres symboles, qui encrent l’EI dans une légitimité historique, sont utilisés : le drapeau noir « emprunté à l’âge d’or du califat » (page 81) ; la descendance, al-Baghdadi disant descendre du petit fils du Prophète ; les pratiques du Moyen Âge. Les autres symboliques utilisées sont celles des Lieux saints : La Mecque, Médine, Jérusalem ; des capitales des anciens califats : Bagdad et Damas ; le nom de Bilâd al-Shâm, nom de l’ancienne province du califat abbasside, sur lequel l’EI s’est installé. Internet est ainsi utilisé comme moyen de propagande, mais également de recrutement. Les nouveaux membres s’entrainent alors dans des camps de l’EI en Syrie et en Irak, mais également de chez eux via des jeux de guerre vidéo. Les nouveaux membres doivent également apprendre par eux même à manier les armes, via internet. Quant aux motivations des membres, si elles répondent à plusieurs raisons, l’une essentielle est la géopolitique, en particulier l’opposition aux politiques occidentales menées dans les pays musulmans.

« Idéologie et théologie interne »

L’auteur évoque la hijra, c’est-à-dire « l’émigration », qui n’est pas nouvelle, mais à laquelle l’EI « donne (…) une dimension résolument confessionnelle et militante » (page 105) : la hijra est ainsi proposée aux musulmans qui s’estiment « persécutés » en Occident. Est également évoquée la question des noms de guerre des membres de l’EI, qui leur permettent de s’inscrire dans une légitimité historique, celle des premiers temps de l’islam. Mathieu Guidère revient également sur le fait que l’EI prône l’unicité (tawhîd) et que seule la voie des anciens est légitime, « ancrant ainsi l’idée de l’existence d’une seule et unique vérité sacrée » (page 109). De ce fait, les musulmans qui ont d’autres rites, qu’ils soient sunnites ou chiites, sont considérés comme des « mécréants » et combattus. Les juifs et les chrétiens pour leur part, sont considérés comme des dhimmis. Enfin, les croyants d’autres religions sont obligés de fuir ou de se convertir, sous peine d’être tués ou de devenir esclave. A cet égard, l’exemple des Yézidis est notamment cité. Mathieu Guidère rappelle ensuite que l’EI exhorte au djihad, en ayant effectué une différence entre le grand djihad (ennemis de l’extérieur non musulmans) et le petit (ennemis de l’intérieur qui sont les chiites). Est enfin évoquée la manière dont l’EI considère et traite les femmes, musulmanes et non musulmanes (esclavage sexuel, femmes captives, mariages forcés).

« Forces et modes opératoires »

Estimés à environ 50 000 combattants en juin 2014, ils seraient 20 000 fin 2015, en raison des bombardements de la coalition. L’armée de l’EI est composée de Syriens et d’Irakiens, ainsi que de combattants en provenance de 80 pays. Concernant son arsenal, ne possédant pas d’usine pour la production d’armes et de munitions, l’EI utilise les armes récupérées des armées syrienne et irakienne, ainsi que de l’armée américaine présente de 2003 à 2011. Il attaque également les dépôts d’armes et de munitions des armées syrienne et irakienne, ainsi que leurs installations militaires (casernes, bases). Sur le plan tactique, l’EI utilise plusieurs modes opératoires : guérilla, armée classique, actions kamikazes de groupes clandestins. Sur le terrain, en Irak, les « ennemis » de l’EI sont l’armée irakienne, composée en majorité de chiites, les milices chiites, les Kurdes qui espèrent créer un Etat kurde, et qui ont profité de la prise de contrôle par l’EI pour faire avancer leur projet en se plaçant du côté des Occidentaux et du gouvernement irakien ; en Syrie, les « ennemis » sont les forces hostiles au régime syrien, les Pasdarans iraniens, le Hezbollah sur la frontière syro-libanaise. Quant aux « ennemis » de l’EI dans le ciel, il s’agit de la coalition internationale et de la Russie. En outre, l’EI est en lutte contre al-Qaïda, pourtant également sunnite comme lui, et qui « historiquement peut être considéré comme le continuateur d’al-Qaïda, puisqu’il est né en 2006 de la coalition formée par les combattants d’al-Qaïda en Mésopotamie avec les insurgés d’autres groupes islamistes et nationalistes irakiens » (page 148). Mathieu Guidère évoque pour clore cette partie les « loups solitaires », c’est-à-dire les sympathisants de l’EI qui commettent seuls des actes terroristes, sans que la structure entière ne soit impliquée en cas d’échec, mais dont l’EI peut tirer bénéfice en termes de propagande en cas de succès. L’auteur évoque alors le « terrorisme urbain » tel que pratiqué lors des derniers attentats à Paris, ce qui l’amène à poser la question de l’existence de cellules dormantes en Occident.

« Affiliations et connexions »

Mathieu Guidère explique comment les anciens baathistes irakiens du temps de Saddam Hussein, qui ont été marginalisés par les Américains en raison de leurs liens avec lui, ont rejoint les organisations islamistes, dont l’EI. Il revient ensuite sur les groupes qui se sont ralliés à l’EI, à la suite de la remise en place du califat le 29 juin 2014 : il s’agit de Boko Haram, d’AQMI en Algérie, des djihadistes de Libye, du Sinaï, ainsi que d’autres groupes du Maghreb, du Pakistan, d’Afghanistan et d’Asie du Sud-Est. Dans ce contexte, les liens entre l’EI et al-Qaïda, AQPA, AQMI et Boko Haram sont analysée, ainsi que ceux avec les Frères musulmans.

« Ressources et financements »

La question du financement est ensuite abordée. Si « le circuit financier de l’EI est relativement opaque et clandestin, il est possible de s’en faire une idée à travers les publications externes de l’organisation » (page 187). Il existe ainsi un « ministère » en charge de l’administration fiscale, et en parallèle un « ministère du Budget » (dépenses courantes) et un « ministère de la Guerre » (dépenses liées au matériel et aux troupes). A cette administration centrale s’ajoute une administration fiscale par provinces. Quant aux sources de revenu de l’EI, il s’agit tout d’abord des impôts, des revenus du butin, de l’aumône obligatoire et des « biens des apostats », des trafics (en particuliers d’antiquités), rançons, otages et dons de « sympathisants ». Il s’agit ensuite du pétrole et du gaz naturel, qui « constituent l’essentiel des revenus » de l’EI, à hauteur de 40%. Les bombardements de la coalition sur les puits et les moyens d’acheminement ont cependant permis de réduire ses ressources. Enfin, le financement provient du contrôle des banques, celles-ci « occup(ant) une place centrale dans le dispositif » (page 192). Mathieu Guidère donne notamment en exemple la prise de contrôle de la Banque centrale irakienne lors de la prise de Mossoul, permettant ainsi à l’EI de mettre la mains sur un demi milliard de dollars, ainsi que sur les outils permettant de frapper la monnaie. Ainsi, en 2015, les ressources de l’EI sont évaluées à 2 milliards de dollars, « cela en fait l’organisation terroriste la plus riche du monde » (page 195).

« L’EI et le reste du monde », « l’EI et la France »

Mathieu Guidère s’attache à analyser dans cette partie les relations entre l’EI et certains des Etats de la région et occidentaux. Il rappelle en préalable qu’« à ce jour, aucun Etat n’a officiellement reconnu l’EI et aucun gouvernement ne le soutient, tous condamnant à la fois ses exactions à l’intérieur et ses attentats à l’extérieur » (page 211). Il évoque ensuite les relations de l’EI avec la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, pays considérés comme des soutiens à l’EI, mais dont l’auteur rappelle qu’ils ont également été l’objet d’attaques de la part de l’EI. Concernant la Turquie, lui sont reprochés par l’Occident son ambiguïté, la porosité de ses frontières, sa position par rapport aux Kurdes. La même ambiguïté est relevée pour l’EI vis-à-vis de la Turquie : bien que tous deux soient sunnites, le régime turc est dominé par un courant frériste de l’AKP, et l’EI par un courant de tendance salafiste et wahhabite. L’Arabie saoudite pour sa part est accusée par l’Occident d’avoir promu le salafisme wahhabite, duquel s’inspirent les mouvements djihadistes tels que al-Qaïda et l’EI. Cependant, « l’EI n’a cessé de menacer l’Arabie saoudite et perpétré plusieurs attentats meurtriers sur son sol, poussant le régime à s’engager massivement aux côtés de la coalition internationale, d’abord en menant des bombardements sur les positions de l’organisation en 2014, puis en prenant la tête d’une ‘coalition islamique’ de 34 pays en 2015 » (page 217). En outre, l’EI espère reprendre les territoires saoudiens « de la terre du Prophète et le berceau des califes ‘bien guidés’ » (page 218). Le Qatar enfin est suspecté de financer l’EI.

L’Iran est considéré par l’EI « comme l’incarnation même du diable » (page 221), étant une théocratie et est chiite, et soutenant les régimes chiites de Syrie et d’Irak contre les populations sunnites. L’auteur relève ainsi le paradoxe dans lequel se trouve l’Iran : « en luttant contre l’EI, elle devient de fait l’alliée objective des Occidentaux et en particuliers des Américains (…) (et) comme un allié objectif d’Israël » (page 222). Concernant Israël, Mathieu Guidère souligne qu’il est une cible, « mais qu’aucune action n’est envisagée contre lui » (page 224). L’auteur s’intéresse également au Yémen, à la Libye et à la Tunisie, expliquant en quoi ces Etats sont des « terrains favorables », ou des « bases arrières » possibles pour l’EI, en raison de leur vulnérabilité et instabilité.

Concernant la Russie, Mathieu Guidère évoque son entrée tardive sur la scène syrienne, « mais elle a fait une entrée fracassante en procédant à des bombardements massifs et en déployant des moyens considérables sur le terrain » (page 235). Selon l’auteur, l’objectif de Poutine était de soutenir le régime de Bachar al-Assad et éliminer l’opposition syrienne. La Russie a cependant commencé à détruire des positions de l’EI à la suite de l’attentat contre un avion russe en novembre 2015 dans le Sinaï, revendiqué par l’EI. Mathieu Guidère revient ensuite sur la politique de désengagement sous la présidence Obama, avec le retrait d’Irak et d’Afghanistan, qui ne signifie cependant pas pour l’auteur « un isolationnisme ni une inaction totale face aux divers conflits » (page 242). En lien avec les attentats, la situation de la France face à l’EI fait aussi l’objet d’une analyse de l’auteur.

Mathieu Guidère, l’Etat islamique en 100 questions, Paris, Taillandier, mars 2016, 283 pages.

Publié le 13/04/2016


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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