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« Lumières de la sagesse, Ecoles médiévales d’Orient et d’Occident », Exposition-dossier à l’Institut du monde arabe du 25 septembre 2013 au 5 janvier 2014.

Par Sixtine de Thé
Publié le 26/11/2013 • modifié le 30/01/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

De grandes reproductions de scènes d’enseignements ornent les murs. Les premières explications posent d’emblée la problématique de ce sujet et rappellent que le titre commence par une expression somme toute atemporelle et universelle, fascinante aussi, « Lumières de la sagesse », et montrant bien ce parti pris de considérer avant tout la beauté du savoir, pour se faire ensuite plus précis et parler des « écoles médiévales d’Orient et d’Occident ». L’exposition tourne ainsi autour de ces concepts, désignations mouvantes que sont ces termes d’« école », « Orient » et « Occident ».

L’école

« Avant d’être un lieu ou bâtiment, l’école (du grec « scholé ») a longtemps désigné la façon dont les sociétés ont organisé la formation et la transmission collective des connaissances, de l’enfance à l’entrée de l’âge adulte [1]. » Voici comment l’exposition définit l’école, avant d’en explorer les diverses formes et transformations. On constate en effet au gré de ces différentes versions de l’école une grande circulation des savoirs entre les différents espaces (à la fois géographiquement et temporellement) : écoles monastiques, yeshiva, halqa, didaskalon, madrasas et universités. Toutes ces institutions, dans leurs formations, ont contribué à la formation de la « Méditerranée des savoirs », phénomène qui ne peut se comprendre qu’au regard des défis communs que durent affronter, à l’âge des manuscrits, ces jeunes « sociétés de la connaissance ».
Quelle fut la place de l’enseignement dans les différentes sociétés étudiées ? Selon quelles modalités, quelles valeurs s’organisait-il ? Quels furent les acteurs de cette transmission des savoirs : maître puis livres ? Quelles purent être alors les interactions entre ces deux acteurs cruciaux ?

Les objets présentés dans cette section ont pour caractéristique commune de présenter des assemblées d’élèves attentifs face à un maître dont la figure d’autorité se détache d’emblée, qu’il s’agisse d’une sculpture en bois peint, sculpté et doré d’un « Maître et sa classe » datant du premier quart du XVIe siècle (conservé au musée de Cluny, Paris) ou d’un dessin représentant « Ibn Butlân enseignant » provenant du Taqwîm al-sihha d’Ibn Butlân datant du XVe siècle (conservé à la BNF, Paris). De provenance géographique et temporelle assez diverses, ces mises en scène d’école - à grand renfort de détails architecturaux ou vestimentaires - distinguent toutes clairement le personnage du maître, signifié souvent avec emphase sur une chaise surélevée ou un peu à l’écart du groupe des élèves, dénotant néanmoins un dialogue privilégié avec ces derniers. Le maître ainsi constitue l’école, plutôt que le contraire, et il rassemble autour de lui des jeunes gens désireux d’apprendre, dans des lieux le plus souvent non-exclusivement dédié à l’enseignement. Ces professeurs (et non ceux qui enseignent la lecture et l’écriture, peu considérés) sont distingués par des titres honorifiques tels que « maître universel » (grec, katholikas didaskalos), cheikh très savant (arabe, al-shaykh al-allâma) ou docteur vénérable (latin venerabilis doctor). Concernant les objets, on a accès cette fois à des manuscrits datant du Xe au XVIe siècle, d’Iran, de Belgique ou d’Italie, dans lesquels des croquis ou des enluminures mettant en scène cette transmission des savoirs (allégorie de la grammaire enseignant le latin à des élèves, un maître et son disciples, un croquis fait par un étudiant durant un cours qui représente le professeur enseignant la Logique d’Artistote). On perçoit en effet une similarité et une cohérence étonnante dans la diffusion de l’imagerie scolaire.
D’un point de vue chronologique, l’école a subit des transformations décisives, liés à ses lieux d’apparition.

De l’école aux écoles (Ve-XIe siècles)

Durant la période de l’Antiquité tardive, une métropole domine largement les autres en termes de transmission et circulation des savoirs. Alexandrie est en effet héritière du système d’enseignement gréco-romain mais est aussi un des principaux lieux où les savoirs antiques sont progressivement revus par la doctrine chrétienne. De plus, au début du IXe siècle, on constate un certain nombre de « renaissance » au sein de l’Islam, des mondes carolingien et byzantin, ce qui aida à la mise en place de nombreux centres d’enseignements ou écoles, et dont les règles rompaient largement avec le système éducatif de l’Antiquité. « La puissance publique s’efface ici devant de nouvelles forces disparates : hommes d’Eglise et fondateurs de monastères, rabbins membres de yeshiva et premières oulémas, élites urbaines avides de savoirs pratiques (droit, médecin ou astronomie). » [2]

Le temps des madrasas et des universités (XIe-XVIe siècles)

Dans la deuxième moitié du XIe siècle, le vizir Nizâm al-Mulk établit dans plusieurs villes d’Iraq et d’Iran de nouveaux établissements - « madrasas » - lieux d’enseignement richement dotés, susceptibles d’assurer une rétribution permanente aux maîtres et d’aider les étudiants. Ainsi le système s’organise-t-il de manière économique et stabilisé par une puissance politique. Et en effet, à la fin du Moyen Age, de Fès à Delhi, il n’est pas une grande ville musulmane qui n’ait son complexe de madrasas. Mais le savoir s’accompagne aussi d’une grande diffusion auprès de publics nouveaux, des savoirs forgés au cours des premiers siècles de l’Islam. A partir du XIIe siècle, l’Occident latin connaît une grande mutation à son tour dans l’organisation son système éducatif, entendu au sens large : la création de l’université. Ce grand changement provient du fait de la renaissance intellectuelle qui a marqué le XIIe siècle, une grande partie grâce à la redécouverte du corpus Juris Civilis de l’empereur Justinien et sur celle de l’ensemble de l’œuvre d’Aristote. D’un point de vue social, on se trouve confronté à la définition d’un nouveau groupe d’« intellectuels » (pour reprendre l’expression de Jacques Le Goff), conscients de leur originalité dans la société féodale par des pratiques et des références communes. Ce phénomène a surtout pour vertu d’unifier l’espace culturel européen.

On trouve un phénomène de circulation et d’unification aussi dans l’espace méditerranéen, ainsi que le montrent des certificats d’auditions délivrés à la mosquée des Omeyades à Damas – manuscrits recopiés au Maghreb ou en Andalousie, preuve de la transmission bien au-delà de la terre d’origine. « Les philosophes d’autrefois ne se contentaient pas des écoles de leur patrie, ils allaient d’un pays à l’autre et rien ne les arrêtait ; on allait ici pour la rhétorique, là pour la géométrie, en Egypte pour philosopher, en Chaldée pour l’astronomie, en Sicile pour observer les phénomènes volcaniques et en Egypte pour la crue du Nil. » Michel Isellos (1018, 1078)

L’autorité du livre

Depuis la haute Antiquité, l’enseignement scolaire est lié à l’usage du livre. Dans l’ère chrétienne, c’est le « codex » qui domine, assemblage de cahiers qui lui donne la forme de livre qui nous est aujourd’hui familière. On constate ensuite (au IXe siècle pour l’empire abbasside et au XIIe siècle pour le monde latin) une véritable « révolution du livre » - ce n’est plus le parchemin ou le papyrus qui est utilisé mais le papier, matière plus pratique et moins coûteuse. Cette nouvelle donne économique met ainsi en place de nouvelles données : le développement d’un marché du livre savant dans les grandes capitales d’Orient et d’Occident, de nouvelles techniques de copies (avant l’invention de l’imprimerie). Les ouvrages de base de l’enseignement se voient donc recopiés selon plusieurs méthodes, comme par exemple la pecia. Les vitrines montrent plusieurs exemples de supports et d’instruments d’écriture.

Des traductions en quête d’autorité

Ces nouvelles méthodes contribuent bien entendu à un mélange plus grand du corpus étudiés dans les grands centres d’études d’Orient et d’Occident, et ont fait surgir un phénomène : celui de la traduction. C’est particulièrement à Alexandrie, entre le IVe et le VIIe siècle, que l’enseignement s’organise autour de quelques textes de référence qui structurent les principaux champs du savoir profane : Aristote pour la logique et la philosophie, Hippocrate et Galien pour la médecine, Ptolémée pour l’astronomie Euclide pour les mathématiques. Dès le Ve siècle, on trouve un important mouvement de traduction de ce corpus alexandrin vers le syriaque et le moyen perse. A partir du VIIIe siècle, c’est vers l’arabe qu’il est traduit. C’est cet ordre livresque, enrichi de nouvelles productions en langue arabe que parcourt au XIIIe siècle à Tolède le traducteur Gérard de Crémone « voyant l’abondance des livres écrits en arabe dans chaque discipline et déplorant la pénurie des latins dont il connaissait l’étendue. » Au-delà de la curiosité que pouvait provoquer la découverte ou non de ces corpus étrangers, les translations scientifiques médiévales résultent d’une volonté affirmée de mettre en place un corpus livresque vaste et solide pour une connaissance méthodique et ordonnée.

Du commentaire à la dispute

Mais il ne s’agirait pas de penser que la mise en place d’un corpus livresque et l’autorité qui en découle ont bloqué l’interaction et l’indépendance intellectuelle qui caractérisait ces enseignements d’avant cette ère du livre. Le recours à des autorités livresques reconnues ne signifie pas l’acceptation aveugle et bornée de ce qu’elles professent. Quand on regarde les objets présentés – livres et manuscrits pour la plupart – tous ou presque sont annotés en marge, trahissant un exercice de questionnement. L’activité de commentaire vise ainsi non seulement à explicité un texte, à en vérifier l’exactitude, mais aussi à en cerner les difficultés. Elle est une tâche essentielle du maître, dont l’habileté se mesure à sa capacité dialectique de poser et de résoudre les problèmes que recèlent les plus grands textes. « Issus directement de cette culture du commentaire, la pratique du jadal (art de la controverse reposant sur al dialectique) reste longtemps un élément structurant du champ académique dans le monde islamique, de plus en plus contesté par l’orthodoxie sunnite à partir du XIe siècle. Dans le monde latin, c’est à partir du XIIIe siècle que la disputatio, forme de recherche collective de la vérité par la confrontation raisonnée de points de vue contradictoires, s’impose comme un exercice à part entière. »

L’essor des bibliothèques d’école

De cette atmosphère d’étude, il nous reste aujourd’hui de nombreux témoignages tangibles. En effet, comme le montrent de nombreux catalogues de libraires ou bibliothèques (catalogue d’Ibn al-Nadîm, Bagdad, XIIIe siècle, conservé à la Bibliothèque Nationale de France, Paris ; catalogue de la bibliothèque du collège de la Sorbonne, Paris, XIVe siècle ; BNF, Paris…), cet essor livresque a aidé à la constitution d’un vrai matériau de travail pour professeurs et étudiants au sein des structures éducatives (qu’il s’agisse de la madrasa Nizâmiyya à Bagdad, ou du monastère Saint-Jean-Prodome à Constantinople ou les collèges de l’Occident).

Ecoles sans frontières

Ce qu’il est intéressant de noter surtout, c’est cette espèce de conscience qui sous-tend l’exposition, conscience d’un patrimoine commun ou du moins d’une forte notion d’héritage, d’histoire commune. Ainsi la dernière partie est consacrée à cette idée de transnationalité : « présent dès l’Antiquité le thème de la translatio studii (« le déplacement des centres d’études) reprend l’idée que le flambeau de la science se transmet à travers l’histoire de peuple en peuple, de l’Orient à l’Occident. » C’est ainsi que le califat abbasside au IXe siècle promeut cette idée en présentant les Arabes comme restaurateurs et continuateurs des études des Grecs anciens. Cette idée apparaît de nouveau dans l’Occident latin des XIIe et XIIIe siècles, comme on le voit dans certaines planches d’iconographie savante qui présentent des dialogues entre des savants de contrées et d’époques très diverses.

Pour clore l’exposition, est posée la question de la possibilité de tracer une carte des principaux lieux d’enseignements dans l’espace méditerranéen au Moyen Age. Mais la diversité des institutions encadrant l’enseignement rend la tâche trop difficile. L’exposition propose donc de terminer par une manifestation de la valeur et la préciosité du savoir : la magnificence de l’architecture des écoles, les objets qui y sont liés à l’apprentissage ou à la réflexion, témoins de la richesse et de la diversité des enseignements.

Bibliographie :
_ Catalogue de l’exposition, Lumières de la sagesse. Ecoles médiévales d’Orient et d’Occident, sous la direction d’Eric Vallet, Sandra Aube et Thierry Kouamé, Publications de la Sorbonne, Institut du Monde Arabe.

Conférences :
_ En marge de l’exposition se tiendra une série de conférences sur les enjeux de la politique éducative en Orient et en Occident, à l’Institut du Monde Arabe. Le colloque Europe-Arabis s’intéressera à la circulation des savoirs entre l’Europe et l’Arabie, les 27 et 28 novembre 2013 (Université Panthéon-Sorbonne, IMA).

Publié le 26/11/2013


Normalienne, Sixtine de Thé étudie l’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et à l’Ecole du Louvre. Elle s’intéresse particulièrement aux interactions entre l’Orient et l’Occident et leurs conséquences sur la création artistique.


 


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