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Crédits photos : Ines Gil
L’élection de Joseph Aoun à la présidence libanaise et la nomination de Nawaf Salam comme Premier ministre pour succéder à Najib Mikati ouvrent un nouveau chapitre au Liban, sous forme de revers pour le Hezbollah. Ce bouleversement politique est à la fois le résultat de l’échec militaire du groupe chiite dans la guerre contre Israël, et le fruit d’efforts diplomatiques pour impulser un changement à la tête de l’Etat libanais.
« Une ère nouvelle au Liban ». C’est ainsi que les soutiens de Joseph Aoun et de Nawaf Salam décrivent la nouvelle page qui s’ouvre à Beyrouth. Après plus de deux années de vacances présidentielles, Joseph Aoun, qui était depuis 2017 à la tête de l’armée libanaise, une des rares institutions publiques aconfessionnelles, a été choisi pour devenir le chef d’Etat du Liban le 9 janvier dernier. Certes, depuis les accords de Taëf, le rôle du président est réduit à une fonction de symbole et de gardien des institutions, mais la nomination de Joseph Aoun permet au Liban « d’être à nouveau incarné » [1] selon Anthony Samrani, dans un article écrit pour L’Orient-Le-Jour, « en promettant de restaurer l’État, en annonçant le retour de l’ordre, en appelant sans ambages à la fin de l’anomalie milicienne, Joseph Aoun a dit tout ce que la majorité silencieuse avait envie d’entendre (…) [Joseph Aoun] assume clairement l’héritage du concept de ‘présidence forte’ qui a longtemps été un pilier du maronitisme politique, avant de devenir la grande bataille du aounisme après Taëf » poursuit le journaliste.
Quatre jours plus tard, Nawaf Salam est nommé Président du Conseil des ministres du Liban. Issu d’une famille sunnite intellectuelle, il a tout d’un réformateur. Marqué dans sa jeunesse par la gauche pro palestinienne, il a enseigné comme professeur à la Sorbonne et à l’université Harvard. Également ancien diplomate, il a représenté le Liban au siège de l’ONU pendant dix ans (2007-2017). Juge, devenu membre de la Cour internationale de justice (CIJ) à partir de 2018, il en prend la présidence en 2024. A la tête de l’institution internationale, il conduit une procédure largement médiatisée sur l’occupation israélienne des Territoires palestiniens. Un nouveau venu en politique décrit comme incorruptible, qui ambitionne de changer la face du Liban englué dans la crise financière depuis 2019, et dont les institutions nationales sont largement fragilisées.
Le Hezbollah et ses alliés dominaient jusqu’alors la vie politique locale, mais au lendemain de la guerre contre Israël débutée le 8 octobre 2023 et dont l’escalade a eu lieu le 23 septembre dernier, le « Parti de Dieu » est affaibli. Ni le Hezbollah ni son allié Amal, qui ont l’exclusivité de la représentation chiite au Parlement, n’ont adoubé Joseph Aoun ou Nawaf Salam. Le nouveau président libanais avait d’ailleurs assuré, durant son discours d’investiture le 9 janvier, qu’il allait « défendre le droit de l’État à détenir le monopole des armes », faisant une critique à peine masquée du Hezbollah. Et tout juste nommé président du conseil, Nawaf Salam a affirmé la nécessité de « mettre en œuvre la résolution 1701 des Nations unies », qui préconise notamment le désarmement de tous les groupes armés du Liban, Hezbollah inclus. L’arrivée de Joseph Aoun et de Nawaf Salam témoigne ainsi de l’affaiblissement du Hezbollah sur la scène politique libanaise, elle a été saluée par le président français Emmanuel Macron, en visite au Liban le vendredi 17 janvier.
Rencontres avec la Croix-Rouge, avec des associations locales et des acteurs éducatifs [2] sous une pluie d’applaudissements. Ce 17 janvier, le président Emmanuel Macron s’est offert un bain de foule le long de la rue Gouraud, à Gemmayzé, dans les quartiers nords de Beyrouth. Comme s’il voulait remonter le temps, quatre années plus tôt, lorsqu’il s’était rendu au Liban après l’explosion du port de Beyrouth (4 août 2020) dans ce même quartier, dévasté à l’époque. Il a ensuite été accueilli en fin de journée à la Résidence des Pins par le président Aoun. Avec cette visite, Emmanuel Macron est le premier chef d’Etat étranger à se rendre à Beyrouth depuis les nominations de Joseph Aoun et Nawaf Salam.
Avant son départ pour le Liban, l’Elysée avait indiqué qu’il s’agissait pour la France de « participer à ce qui peut être un nouveau Liban ». A la Résidence des Pins, Emmanuel Macron a prononcé un discours aux côtés du président Aoun, qu’il a présenté comme « signe d’espoir » incarnant la « possibilité d’un nouveau chemin » pour le Liban. Il a assuré que « la France, qui a été du côté du Liban pendant ces années difficiles, s’engagera de nouveau à votre [Joseph Aoun] côté pour vous aider à réussir ce chemin », ajoutant que la France a participé à la mobilisation « de la communauté internationale quand la guerre est revenue dans le pays à l’automne et au début de l’hiver », et que pour préserver le cessez-le-feu au Liban, « il faut un retrait total des forces israéliennes [et] un monopole de l’armée libanaise sur les armes ». Il a par ailleurs annoncé une nouvelle levée de fonds pour venir en aide au pays sur le plan humanitaire, et la formation par la France des forces armées nationales.
Membre du quintette aux côtés des États-Unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et du Qatar, la France se veut ainsi défenseuse d’un renouveau au Liban, et de sa stabilité. Pour Paris, critiqué au Liban, accusé de suivre la diplomatie très pro-israélienne de Washington, l’enjeu est de faire entendre une voix française de plus en plus inaudible dans la région.
Si les efforts diplomatiques de la France dans le respect du cessez-le-feu sont notables, le rôle de l’élection de Donald Trump dans la conclusion d’un accord de trêve au Liban est indéniable. La fin des combats entre le Hezbollah et Israël est entrée en vigueur fin novembre, soit trois semaines après l’élection du candidat républicain à la présidence. Donald Trump avait promis, pendant sa campagne, la « fin des guerres ». Son élection a un effet radical dans la région, comme le montre également l’entrée en vigueur de la trêve à Gaza, la veille de son investiture, le 19 janvier.
Si le président Trump semble avoir un effet positif pour stopper les conflits, ses ambitions au Moyen-Orient interrogent. Sur la question palestinienne, bien qu’ayant fait pression pour une trêve à Gaza, le président américain montre d’ores et déjà une ligne politique alignée sur la droite israélienne. Immédiatement après son investiture, il a signé, par décret, la levée des sanctions sur les colons violents de Cisjordanie. Il est par ailleurs entouré de personnalités proches de la vision défendue par la droite israélienne, comme Mike Huckabee, fervent défenseur de la colonisation dans les Territoires palestiniens occupés, qu’il a nommé ambassadeur américain en Israël.
Sur le dossier libanais, Donald Trump se pose en garant de la paix et de la stabilité. Dans une lettre adressée aux libano-américains avant son élection, il affirmait, fin octobre, « je veux voir le Moyen-Orient revenir à la vraie paix, à la prospérité, à l’harmonie entre voisins. Ceci ne pourra arriver qu’avec la paix dans la région », sans pour autant détailler sa vision pour le Liban de demain.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Notes
[2] Les écoles françaises au Liban sont un des piliers de l’influence française dans le Liban.
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