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La Russie, lors de la guerre de Crimée, a été vaincue par la France et la Grande-Bretagne, alors alliées à l’Empire ottoman. Cette guerre, qui marquerait le passage pour l’Empire ottoman d’une tutelle russe à une tutelle européenne, a plusieurs conséquences. Tout d’abord, les ambitions territoriales de la Russie sont pour un temps arrêtées, avant la crise majeure de 1875-1878, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle ne cherche pas à reconquérir certains des avantages qu’elle avait acquis, puis perdus au cours des différents traités de paix. Ensuite, la Russie est désormais constamment freinée par le concert des grandes puissances européennes, qui cherchent à maintenir un équilibre en Europe. Au final, les relations russo-ottomanes vont se cristalliser et s’articuler autour de la question des Balkans qui, dans la deuxième partie du XIXème siècle, devient une problématique majeure. C’est en effet des Balkans, devenus la « Poudrière de l’Europe », que partent les principaux conflits de la fin du siècle, qui opposent ou unissent Russie et Empire ottoman.
La paix instaurée par le traité de Paris mettant fin à la guerre de Crimée ne dure pas. En effet, cette paix reposait sur la capacité des grandes puissances européennes à agir de concert et à préserver l’intégrité de l’Empire ottoman. Cependant, leurs ambitions personnelles s’expriment à nouveau, notamment en politique extérieure, obligeant l’Empire ottoman à faire face à d’importantes crises qui menacent son intégrité. Ainsi, en 1859, Alexandre Couza est élu à la fois chef du gouvernement moldave et chef du gouvernement valaque : c’est le premier pas vers l’unité Roumaine, qui échappe alors un peu plus à la tutelle ottomane. De la même façon, une révolte éclate en Crète en 1856 : elle désire être rattachée à la Grèce et s’émanciper de l’Empire ottoman. Cette révolte n’est cependant soutenue par aucune des puissances européennes et est réprimée par l’Empire ottoman. La Russie, en effet, depuis la guerre de Crimée, a renoncé à son rôle de protectrice des orthodoxes de l’Empire ottoman et son attention est désormais tournée vers les Balkans.
Le mouvement panslaviste est alors très présent en Russie, et le ministre des Affaires étrangères, Gortchakov, instrumentalise celui-ci pour mener une politique impérialiste, tournée à la fois vers l’Europe et les Balkans, et vers l’Asie. L’Autriche, devenue l’Empire d’Autriche-Hongrie, fragilisée par la défaite de Sadowa (1866), ne peut plus jouer le rôle qu’elle occupait jusqu’alors dans les Balkans, laissant à la Russie le champ libre. Les panslavistes encouragent alors les populations à se révolter contre l’Empire ottoman, le fragilisant davantage. Cette stratégie s’avère payante en 1875, lorsque débute une grande révolte dans les Balkans contre l’Empire ottoman. Profitant de la chute du Second Empire français et de la situation difficile en Autriche-Hongrie, Gortchakov annonce en 1871 que la Russie revient sur le Statut des Détroits qui avait été réaffirmé par le traité de Paris de 1856, et prend la décision de réarmer sa flotte en mer Noire. Une convention, signée à Londres le 13 mars 1871, prend acte de cette annonce. Dans le même temps, la Russie se rapproche de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, formant en 1872 la « ligue des trois empereurs ».
S’ouvre alors en 1875 une crise qui dure jusqu’en 1878 et ébranle fortement l’Empire ottoman. Partie d’Herzégovine, la révolte s’étend rapidement à plusieurs territoires des Balkans, décidant les grandes puissances européennes à intervenir. La Russie voit là l’occasion de partager les Balkans avec l’Autriche, en cas de défaite de l’Empire ottoman, et entre en guerre contre celui-ci le 19 avril 1877. L’armée russe menace rapidement Constantinople, et une première conférence de paix s’ouvre à San Stefano en février 1878. La Russie obtient alors de l’Empire ottoman des avantages considérables, ce que ne peuvent admettre les puissances européennes et une seconde conférence est organisée à Berlin en juillet. Un accord signé le 13 juillet 1878 accorde à la Roumanie, à la Serbie et au Monténégro leur indépendance, mais met fin à l’idée d’une grande Bulgarie voulue par les Russes et les Serbes. En d’autres termes, il met fin aux velléités panslavistes des deux pays. Avec le traité de San Stefano de 1878, la Russie n’a jamais été aussi proche d’atteindre ses objectifs concernant l’Empire ottoman. Cependant, l’intervention des grandes puissances européennes brise cet élan, et la Russie connaît pour un temps un déclin dans les affaires de l’Empire ottoman.
Le congrès de Berlin modifie donc la donne du jeu des grandes puissances dans les Balkans, et notamment de l’Autriche-Hongrie et de la Russie. Jusque-là, ces deux puissances cherchaient à étendre leur influence dans les Balkans et envisageaient d’éventuels plans de partage de cette partie européenne de l’Empire ottoman. Les Etats nouvellement créés par les puissances européennes modifient les volontés russes et autrichiens : les nouveaux Etats n’agissent pas comme des glacis face à l’Empire ottoman, mais se présentent au contraire comme des Etats aux minorités multiples, tenaillés entre différentes aspirations nationales. C’est notamment visible lors de la crise Bulgare. La grande Bulgarie, instaurée par le traité de San Stefano, est aussitôt défaite par celui de Berlin et son territoire divisé en trois principautés. En 1885, la province de la Roumélie se soulève et déclare l’union avec la Bulgarie. Si le sultan ottoman accepte le fait accompli, les Russes et les Serbes, qui voient là le jeu de l’Autriche-Hongrie, s’y opposent. La Serbie envahit la Bulgarie mais est rapidement vaincue, et n’échappe que de peu à un désastre militaire. Le tsar russe Alexandre III tente de retourner la situation à son avantage en plaçant à la tête du pays des alliés ; cependant ceux-ci rompent les relations avec lui et la situation reste inchangée. Ce n’est qu’avec l’avènement de Ferdinand de Saxe Cobourg à la tête de la Bulgarie, la mort du tsar Alexandre III et la montée sur le trône de Nicolas II en 1894, que la situation change : un rapprochement s’effectue entre les deux pays, et la Russie accepte alors de reconnaître l’union entre la Bulgarie et la Roumélie.
Dans le même temps, les alliances entre les puissances européennes évoluent : en 1882, la Triple-Alliance est formée par l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche-Hongrie tandis que la Russie se rapproche de la France, jusque-là isolée par la politique de Bismarck. Cette alliance entre la France et la Russie est notamment due aux ambitions autrichiennes dans les Balkans, qui freinent les ambitions russes concurrentes. Cependant, la Russie ne s’éloigne pas pour autant de l’Allemagne. Guillaume II, le kaiser allemand, possède une influence considérable sur le tsar et l’enjoint à diriger ses ambitions impérialistes vers l’Asie, cherchant ainsi à détourner la politique extérieure russe des Balkans et de l’Empire ottoman. La Russie voit donc son influence diminuer dans les affaires de l’Empire ottoman, dont elle n’est plus le principal interlocuteur : en effet, l’Allemagne s’est considérablement rapprochée des Ottomans, tandis que l’Autriche-Hongrie a la mainmise sur les Balkans.
Lorsqu’éclate la première guerre balkanique en 1912, la situation dans les Balkans est explosive depuis plusieurs années. Le conflit se déroule entre plusieurs Etats des Balkans, alliés pour l’occasion, et l’Empire ottoman. Plusieurs alliances sont signée : en mars 1912 entre la Serbie et la Bulgarie ; en mai entre la Bulgarie et la Grèce ; en octobre entre le Monténégro et la Serbie. Devant la réalité de cette alliance balkanique, toutes les puissances européennes, dont la Russie, cherchent à maintenir le statu quo, afin de préserver l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman. De leur côté, les Etats balkaniques ont des vues sur la Macédoine, et veulent tirer profit des troubles qui agitent la région pour battre militairement l’Empire ottoman, ce qui leur laisserait le champ libre.
Les pays balkaniques envoient tout d’abord à la Porte un ultimatum, lui demandant de régler la question macédonienne et de mettre en œuvre des réformes. Devant son refus, la guerre est déclarée le 17 octobre 1912. L’armée ottomane est rapidement acculée aux portes de Constantinople, et il revient aux puissances européennes de statuer sur son sort. Une conférence s’ouvre alors à Londres en décembre 1912, qui est un échec : l’Empire ottoman ne peut se résoudre à accepter toutes les exigences des pays balkaniques, et les combats reprennent. De nouveau, l’armée ottomane est battue et une deuxième conférence s’ouvre en mai 1913 à Londres. L’Empire ottoman est privé de tous ses territoires européens, à l’exception de Constantinople. C’est la fin de l’Empire ottoman en Europe : il ne participe pas à la seconde guerre balkanique, où les anciens alliés se déchirent désormais sur la question de leurs frontières.
Alors que les relations russo-ottomanes ont joué un rôle prépondérant dans les relations internationales dans la première moitié du XIXème siècle, elles connaissent un long déclin tout au long de la seconde moitié. Après les décisions des puissances européennes lors du traité de San Stefano et la signature, à sa place, du traité de Berlin, la Russie disparaît en partie de la scène ottomane. Elle se tourne en effet vers les Balkans, et tente de conserver son influence dans cette zone, là où l’Empire ottoman semble conscient qu’il ne pourra conserver ses territoires européens bien longtemps. La Première Guerre mondiale sonne la fin définitive des deux empires : ce n’est pas la Russie, mais la France et la Grande-Bretagne qui ont tenté jusque-là de conserver l’intégrité de l’Empire ottoman, qui profitent de son démembrement.
Lire également :
– Les relations russo-ottomanes au XIXème siècle (1/2) : du début du siècle à la guerre de Crimée
– Crise de 1875-1878
Bibliographie :
– Sous la direction de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1994, 810 p.
– Jean-Claude Caron et Michel Vernus, L’Europe au XIXème siècle : des nations aux nationalismes, Paris, Armand Colin, 2011, 493 p.
– Yves Ternon, L’Empire ottoman : le déclin, la chute, l’effacement, Editions le Félin, 2002, 575 p.
Clémentine Kruse
Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.
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