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A relire, en lien avec l’actualité : Les relations israélo-iraniennes (1948-2012)

Par Clément Guillemot
Publié le 15/04/2024 • modifié le 15/04/2024 • Durée de lecture : 9 minutes

Iranian President Mahmoud Ahmadinejad (L) speaks with head of Iran ’s Atomic Energy Organisation, Gholamreza Aghazadeh, in Tehran, 16 April 2006.

Mehr News/AFP

La coopération israélo-iranienne sous le régime du Shah

Peu après la création de l’Etat d’Israël, le Shah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi met en place, malgré la publication de nombreux ouvrages antisémites dans la société, une liaison discrète avec ce nouvel Etat. Le Shah reconnait de façon informelle la légitimité de l’Etat israélien. S’ouvre à Téhéran un bureau économique de représentation israélien, au statut équivalent à celui d’une ambassade. Pour David Ben Gourion, Premier ministre israélien de 1948 à 1954, une alliance avec l’Iran a l’avantage de contrer les menaces sécuritaires des pays arabes qui l’entourent, en créant l’image d’un Moyen-Orient multi-religieux et multi-ethnique qui ne serait pas spécifiquement arabe ou islamique. Pour le régime du Shah, une relation privilégiée avec Israël permet à l’Iran de peser face aux nouveaux régimes radicaux de la région : l’Egypte, l’Irak, la Syrie et le Yémen. En outre, se lier avec les Etats-Unis, le fidèle soutien à Israël, a pour avantage de freiner les ambitions soviétiques sur l’Iran. Cette collaboration entre Israël et l’Iran se met donc en place dans de nombreux champs d’action tels l’agriculture et le domaine énergétique. La coopération militaire est toutefois la plus conséquente. Une étroite association entre les services secrets israéliens, le Mossad, et les services de la sécurité intérieure iranienne, la Savak, est organisée. Dans les années 1970 également, les deux pays s’attellent secrètement à un programme commun de fabrication de missiles à moyenne portée, projet qui n’aboutit finalement pas en raison de la révolution islamique. Reste que le Shah, conscient de la très faible adhésion de la population iranienne à cette assistance mutuelle, critique à plusieurs reprises la politique israélienne. L’Iran va même jusqu’à s’aligner sur la position des nations arabes pour exiger le retrait immédiat et inconditionnel d’Israël des territoires occupés en juin 1967. Similairement, en 1975, l’Iran vote la résolution 3379 de l’assemblée générale des Nations unies, assimilant le sionisme au racisme [6].

La rupture des relations diplomatiques sous la république islamique d’Iran

Durant les premiers jours de la Révolution, Israël s’attache à maintenir la coopération engagée. Néanmoins, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, personnalité la plus importante du nouveau régime, qualifie Israël de « petit Satan [7] » dès son retour d’exil. Le guide de la révolution insuffle alors une idéologie révolutionnaire antisioniste, affirmant [8] ». Dans ce contexte, le Premier ministre d’alors, Medhi Bazargan (5 février 1979-5 novembre 1979), bloque tout engagement avec Israël, y compris en ce qui concerne les ventes pétrolières. Cependant, indirectement et subrepticement, certains contrats sont progressivement rétablis. Israël fournissant par exemple des armes à l’Iran pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), tandis que Téhéran accepte en 1989 de vendre pour 36 millions de dollars de pétrole à Israël pour aider son économie terrassée par cette guerre.

Mais au début des années 1990, l’Iran, jusqu’alors pays « ennemi », devint pour Israël une véritable « menace existentielle ». L’origine en est la relance du programme nucléaire civil iranien autorisé par le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 [9]. Israël comprend les recherches nucléaires iraniennes comme un moyen caché de fabriquer la bombe nucléaire, quand bien même l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) n’en apporte pas la preuve [10]. Rappelons ici qu’une fois la chaine du nucléaire civil maitrisée, il devient « aisé » de poursuivre des recherches à visée militaire [11], or c’est précisément ce que redoutent les Israéliens, dès lors que l’Iran fait preuve d’un manque de transparence et d’ambiguïté sur le sujet.

La doctrine Begin, du nom de Menahem Begin, Premier ministre en Israël de 1977 à 1983, renforce la position israélienne, affirmant que le pays ne s’accommodera jamais de l’émergence à ses côtés d’une puissance nucléaire susceptible de menacer son existence. Israël applique donc cette doctrine à l’Iran, notamment à la suite des propos radicaux tenus par le président Mahmoud Ahmadinejad, au pouvoir depuis 2005. Il s’agit pour Israël de déclarations tangibles des aspirations politiques de l’Iran à son encontre. Patrick Anidjar avance en outre : « le fait qu’Ahmadinejad se présente comme le héraut de la cause palestinienne, qu’il apporte son soutien au Hamas, au Hezbollah et aux chiites irakiens, constitue à leurs yeux (Israéliens) une preuve supplémentaire de ses intentions maléfiques à l’encontre de l’entité sioniste [12] ». Mais, au-delà de la crainte sous-jacente d’une attaque possible de l’Iran sur Israël, la maitrise totale du cycle de production de la technologie nucléaire civile par l’Iran (ce que l’Iran a, le 5 décembre 2012, affirmé contrôler [13]), fut-elle légale, affaiblit la sécurité territoriale et l’hégémonie militaire, sinon politique, d’Israël. Selon Patrick Anidjar, Israël a compris « qu’il n’est pas nécessaire de détenir cette arme de destruction massive et de l’activer pour qu’elle produise un effet. Israël le sait bien, qui n’a jamais reconnu la posséder [14], mais sait y faire allusion, le moment opportun, à des fins dissuasives [15] ».

Ainsi, alors qu’est évoquée depuis 1994 une attaque par Israël contre les installations nucléaires iraniennes, cette option est véritablement étudiée depuis 2002 à la suite de la révélation de l’existence en Iran de travaux cachés d’enrichissement d’uranium (nécessaires aussi bien pour un programme nucléaire civil que militaire). Depuis 2005, cette option militaire est officiellement évoquée au détriment de l’option diplomatique. S’appuyant sur le rapport du 26 août 2012 [16] de l’AIEA qui affirme que l’Iran a doublé ses capacités d’enrichissement d’uranium (de manière non transparente mais en toute légalité), l’actuel Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a, le 2 septembre 2012, déploré « l’absence de ligne rouge claire [17] » de la part de la communauté internationale, au regard du programme nucléaire iranien. Benyamin Netanyahou argue du fait que les six résolutions [18] du Conseil de sécurité de l’ONU, dont quatre font référence à des sanctions effectives, « pèsent peut-être lourdement sur l’économie iranienne mais elles n’empêchent pas le programme nucléaire de l’Iran de progresser. Les Iraniens utilisent les discussions avec les puissances internationales pour faire avancer leur programme nucléaire ». C’est ainsi que depuis moins d’un an, Israël annonce fréquemment une attaque « imminente » préventive contre les sites nucléaires iraniens. Benyamin Netanyahou avertit notamment le 11 septembre 2012 que « la communauté internationale ne peut pas demander à Israël d’attendre avant d’agir vis-à-vis de l’Iran si elle n’impose pas à Téhéran de « lignes rouges » sur son programme nucléaire [19] ». Est-ce l’annonce d’une intervention militaire imminente ?

Vers une guerre préventive imminente ?

Tout d’abord, les autorités israéliennes sont partagées sur la question d’une attaque préventive israélienne, en vue de la destruction des sites nucléaires iraniens. Au mois d’octobre 2011, un débat public débute en Israël. Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Ehud Barak, partisans d’une attaque prochaine, s’opposent aux tenants d’une approche diplomatique comme Shimon Peres, président de l’Etat d’Israël. Ces derniers sont en faveur du prolongement des négociations, estimant que des frappes israéliennes sur les installations nucléaires iraniennes auraient une efficacité réduite du fait de la dispersion des sites et de la protection dont ils bénéficient (certains sont 90 mètres sous le niveau du sol). Au mieux, selon certains experts, Israël ne parviendrait qu’à entraver temporairement le programme iranien alors même que l’Iran a déclaré pouvoir riposter violemment (les missiles iraniens Shahab 3, d’une portée de 1 300 km, peuvent atteindre le territoire israélien). D’autre part, il est nécessaire d’évoquer l’aide, que certains estiment plausible, des pays arabes à l’Iran. Ces pays arabes font par ailleurs remarquer que l’Iran n’est pas une menace existentielle et considèrent, comme le rapporte Sammy Cohen, que l’Iran ne prendra pas le risque d’attaquer Israël, du fait du risque « d’une attaque nucléaire de « seconde frappe » qu’Israël a les moyens de lancer [20] ». Pour les autorités israéliennes, « le doute s’installe », en conclut Sammy Cohen.

Il faut noter en second lieu qu’une attaque israélienne nécessite le soutien américain, or cet appui ne semble pas à l’ordre du jour. Barack Obama a déclaré le 4 mars 2012 devant l’American Israël Affairs Committee (AIPAC) que les Etats-Unis « étaient prêts à une attaque si les choses empiraient «  [21] », mais, même si les Etats-Unis souhaitent la chute de la république islamique (pour avoir accès aux ressources énergétiques iraniennes et aux voies commerciales régionales), l’administration américaine s’est néanmoins positionnée contre une attaque américaine directe contre l’Iran (de même que l’ensemble de la communauté internationale), et même contre un appui politique à Israël. De surcroit, en pleine campagne présidentielle, le président Obama peut d’autant moins apporter son soutien à Israël que cela porterait un rude coup à la politique étrangère du pays alors même que les Etats-Unis soignent leur image au Moyen-Orient. Qui plus est, les Etats-Unis ne peuvent se permettre une explosion des prix mondiaux de pétrole, conséquence probable d’une intervention, assure Ardavan Amir-Aslani [22]. Ainsi, comme le rapporte le journaliste israélien Yossi Melman, Israël ne peut donc, en attaquant l’Iran, mettre en danger sa coopération approfondie avec les Etats-Unis : « l’impératif suprême de la politique de défense israélienne est de s’abstenir de toute initiative qui nuirait aux intérêts les plus évidents des Etats-Unis [23] ». Mitt Romney, candidat républicain aux élections présidentielles américaines du 6 novembre 2012, a quant à lui certifié qu’il soutiendrait Israël.

Enfin, alors que la Russie et la Chine ont toujours voté pour l’application de sanctions au sein du Conseil de sécurité des Nations unies envers l’Iran - tout comme ils l’ont fait pour la Syrie - leur veto à une attaque contre l’Iran empêcherait toute intervention internationale onusienne. En effet, la Russie et la Chine ont des liens extrêmement établis avec l’Iran, surtout au niveau énergétique. Ces deux Etats ne souhaitent pas perdre un allié dans la région, d’autant plus que le renversement du régime de Khadafi en Libye leur a fait perdre de nombreux contrats. En outre, leur soutien au régime de Téhéran leur permet de contrer l’influence américaine dans la région.

Pour autant, une guerre secrète menée par l’axe israélo-américain contre l’Iran est déjà à l’œuvre. Courant 2009, les Etats-Unis et Israël auraient lancé le virus informatique appelé « Stuxnet », lequel a infecté plus de 30 000 ordinateurs iraniens. Selon Jean-Baptiste Beauchard, chercheur à l’institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), ce virus aurait « permis de prendre le contrôle des oléoducs, des plates-formes pétrolières, des centrales électriques et diverses installations industrielles [24] » dans le but de freiner le programme nucléaire iranien. De plus, les autorités iraniennes attestent régulièrement de l’arrestation d’espions étrangers en Iran, et accusent le Mossad d’avoir « liquidé » des physiciens iraniens, comme Massoud Ali Mohammadi le 12 janvier 2010 à Téhéran [25]. Comme autre action de cette guerre cachée, les Américains, en soutien aux Israéliens, en plus de l’aggravement de sanctions unilatérales, accentuent fortement la pression sur l’Iran afin de l’amener à négocier sur une issue de crise. Signe possible, alors même que des bases américaines entourent déjà le territoire iranien, les Etats-Unis ont avec plus de 25 autres pays décidé de participer au mois de septembre 2012 à un exercice naval de déminage dans le Golfe persique [26] susceptible de prévenir les autorités iraniennes qu’ils ne laisseront pas l’Iran agir à sa guise dans la région.

Bibliographie :
 Patrick Anidjar, La bombe iranienne. Israël face à la menace nucléaire, Paris, Editions du Seuil, janvier 2008, 265 pages.
 Sammy Cohen, Israël et l’Iran : la bombe ou le bombardement ?, IFRI, 20 octobre 2009. http://www.ifri.org/downloads/pe201001cohen.pdf
 Alain Dieckhoff, Israël et le dossier nucléaire iranien : les limites de l’option militaire, CERI, novembre 2011. http://www.ceri-sciences-po.org/archive/2011/novembre/art_ad.pdf
 Jeremiah Gertler, Steven A.Hildreth, Kenneth Katzman, Jim Zanotti, Israel : Possible Military Strike against Iran’s Nuclear Facilities, Congressional research service, 28 mars 2012. http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/R42443.pdf
 Sarah Oliai, The past, the present, and future of Iranian-Israeli relations, Michigan State university, 2011. http://www.anselm.edu/Documents/NHIOP/Global%20Topics/2011/By%20Sarah%20Oliai,%20Michigan%20State%20University.pdf

Publié le 15/04/2024


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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