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Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de Nicolas Sarkozy : une amitié intacte mais concurrencée par le Qatar (2/3)

Par Aglaé Watrin-Herpin
Publié le 11/10/2017 • modifié le 09/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

French President Nicolas Sarkozy (L) is awarded by Saudi Arabia’s King Abdullah bin Abd Al Aziz Al Saud with King Abdelaziz medal at the King’s residence in Riyadh, 13 January 2008. Sarkozy is on a two-day official visit to Saudi Arabia.

PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

C’est la création d’une base militaire française permanente à Abu Dhabi, près du détroit stratégique d’Ormuz, dans le cadre d’un « accord de présence » conclu en 2008 avec les autorités émiraties, qui manifeste l’intérêt nouveau du président Sarkozy pour la région du Golfe (1). Il s’agit de la première ouverture d’une base militaire française depuis 50 ans mais surtout d’une première implantation dans la région. Cette action du nouveau président français n’est pas pour déplaire aux monarchies sunnites qui cherchent à relativiser leur dépendance sécuritaire vis-à-vis des Etats-Unis.

Si la diplomatie française semble moins soucieuse de respecter une certaine hiérarchie dans ses rapports avec les pays du Golfe, des relations se mettant en place avec d’autres Etats en particulier avec le Qatar, et pouvant laisser penser à une distanciation symbolique avec le royaume des al-Saoud, l’amitié est au final préservée dans ses fondements.

Paris et Doha

Très vite, Doha apparaît comme le nouvel interlocuteur privilégié de la France. L’émir Hamad ben Khalifa Al Thani est ainsi le premier chef d’Etat arabe à être reçu par Nicolas Sarkozy à l’Elysée le 30 mai 2007, peu après son élection. Tandis que le Qatar s’illustre de manière inédite dans de nombreuses crises en tant que médiateur (comme au Darfour ou lors de la crise libanaise en 2008), c’est vers lui que se tourne également Nicolas Sarkozy en juillet 2007 pour le financement de la libération des infirmières bulgares emprisonnées par le régime libyen, et qu’il conclut son premier contrat commercial (un contrat de 16 milliards d’euros pour 80 Airbus A350).
Or, le Qatar est aussi le seul contestataire du leadership saoudien dans le Golfe. Depuis son indépendance en 1971, Doha tente de mener une politique indépendante et veut se ménager une place à part sur la scène internationale notamment via son bras médiatique Al-Jazeera (créé en 1996) ou encore via son soutien aux Frères musulmans, les deux bêtes noires de Riyad. A cet égard, le rapprochement franco-qatari a pu apparaître comme une remise en cause du leadership saoudien dans la région.

Sans doute est-il plus aisé pour Nicolas Sarkozy d’exploiter son amitié de longue date avec le cheikh Hamad ben Khalifa du Qatar que d’établir un lien de confiance avec le roi Abdallah après la relation personnelle étroite qui liait ce dernier à Jacques Chirac. En 2010, alors que le roi doit effectuer une visite officielle en France et participer à la fête nationale, la rencontre est finalement annulée (2). N. Sarkozy avait par ailleurs suscité l’exaspération des Saoudiens en bousculant plusieurs fois le protocole diplomatique lors de ses visites (3). La relation entre les deux chefs d’Etat semble moins personnelle que sous la présidence de Jacques Chirac, et a pu contribuer à pousser le président français un peu plus vers le Qatar. A contrario, c’est la grande proximité et les liens personnels qui unissaient Nicolas Sarkozy aux cheikhs qataris qui ont permis au petit émirat de devenir le nouveau partenaire privilégié de la France dans la région. Lorsqu’il était Premier ministre, Nicolas Sarkozy entretenait déjà des liens personnels avec la famille Al-Thani (4). Ces liens ont pu être interprétés comme de la connivence par l’opinion publique française et par les médias, qui ont qualifié Nicolas Sarkozy d’« homme du Qatar ».

Une relation d’amitié préservée dans ses fondements

Les relations franco-saoudiennes évoluent néanmoins positivement durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Comme ce dernier l’exprimera publiquement : « l’Arabie saoudite est un vrai partenaire de la France » (5). D’abord, car après la crise économique de 2008, l’opulence affichée des monarchies du Golfe, dont la croissance continue de progresser, a placé la coopération économique avec ces Etats encore plus au cœur des préoccupations françaises. Plus précisément, alors que la France voit sa croissance chuter à 0,2% en 2008, l’Arabie saoudite enregistre un pic à 8,4% (6). Des accords ont ainsi été signés dans le domaine commercial avec le ministre saoudien Abdallah Zaynel Ali Reda. Toutefois, les échanges commerciaux (hors armement et pétrole) entre la France et l’Arabie saoudite restent limités entre 2007 et 2012 et largement concurrencés par ceux du royaume avec les pays émergents tels que la Chine et la Corée du Sud. D’autre part, les négociations entreprises dans les domaines militaire, pétrolier et nucléaire n’ont pas abouti non plus (7).

La réussite du quinquennat de Nicolas Sarkozy à Riyad réside plutôt du côté des avancées en termes de coopération culturelle. La position modérée affichée par le président français sur la question de l’Islam et son plaidoyer pour le dialogue des religions et des civilisations, tenu devant le Conseil saoudien de la Choura (8), le 14 janvier 2008, rassure un royaume qui subit un important « saudi bashing » de la part des médias français depuis les attentats du 11 septembre (9). C’est également sous le mandat de N. Sarkozy que des accords de coopération culturelle sont conclus. Le ministre de l’Enseignement supérieur Khaled Al-Anqari se rend ainsi à Paris, accompagné des présidents d’universités saoudiens, pour signer des accords avec les universités françaises (10).

La relation américano-saoudienne, éternelle variable d’ajustement de la relation entre Paris et Riyad

La première année au pouvoir de Nicolas Sarkozy coïncide avec la fin du mandat de George W. Bush et le président français tente alors de faire oublier l’inimitié qui a opposé Jacques Chirac aux Etats-Unis, notamment autour de la question irakienne et de l’OTAN (11). Ce regain d’atlantisme laisse peu de temps à Nicolas Sarkozy pour se préoccuper de la relation franco-saoudienne. Il faut attendre l’année 2008 pour que le président porte son intérêt vers Riyad et décide de se rendre pour la première fois sur place. Il y signe alors de premiers accords commerciaux (12). Encore une fois, cette évolution coïncide avec une période de refroidissement des relations entre les Etats-Unis et le royaume qui a débutée avec l’arrivée au pouvoir de Barack Obama (13).

Par ailleurs, le contexte régional dans lequel Nicolas Sarkozy effectue une nouvelle visite à Riyad en novembre 2009 est propice à l’entente. Alors que les attaques des rebelles houthis se multiplient au Yémen et que l’Arabie saoudite renforce ses moyens sécuritaires, le président français affiche un soutien explicite à l’intervention saoudienne sur le territoire yéménite, contrairement à Washington. Nicolas Sarkozy entend même pallier le manque de soutien américain au royaume en proposant l’aide technique des satellites français et en assurant l’entraînement des forces spéciales saoudiennes (14).

L’impact du « printemps arabe »

En 2011, de nouveaux événements régionaux vont favoriser un rapprochement franco-saoudien. La France doit alors redéfinir sa politique au Maghreb face aux bouleversements du « printemps arabe », mais entend aussi rassurer ses alliés de la région dont les régimes autoritaires sont parvenus à se maintenir en place, et notamment en Arabie saoudite où elle entend protéger ses intérêts. Contrairement aux Etats-Unis qui n’ont pas hésité à lâcher Hosni Moubarak, Nicolas Sarkozy s’engage ainsi dans une défense active et unilatérale pour que ce dernier soit traité avec clémence lors de la transition (15). Cette initiative est symbolique pour l’Arabie saoudite qui souhaitait son maintien au pouvoir.

Riyad est plus largement engagé à l’échelle régionale, dans une contre-révolution pour préserver le statut-quo autoritaire. Sa Garde nationale intervient à Bahreïn le 14 mars 2011 pour soutenir la dynastie sunnite Al-Khalifa face à une révolte populaire à majorité chiite. Alors que le 27 février 2011, Nicolas Sarkozy prononçait un discours qui avait pour but de lever l’ambiguïté de la position française concernant son soutien tardif aux révolutions (« Nous devons n’avoir qu’un seul but : accompagner, soutenir, aider les peuples qui ont choisi d’être libres » (16)), l’intervention saoudienne ne suscite pas de condamnation de principe de la France. Dans la lignée de la coopération sécuritaire initiée au Yémen en 2009, le président français entend pérenniser les relations avec l’Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe.

Conclusion

A la fin de son mandat, et malgré la concurrence inattendue du Qatar et des relations plus distendues avec le roi Abdallah, Nicolas Sarkozy a su préserver l’amitié franco-saoudienne dans ses fondements. La relation entre Paris et Riyad a profité d’une nouvelle crise de confiance américano-saoudienne mais aussi du « printemps arabe » qui a poussé à une redirection des intérêts français vers les Etats du Golfe, derniers États jugés comme stables au sein du monde arabo-musulman. Nicolas Sarkozy a également posé les bases d’une politique étrangère commerciale et sécuritaire dans le Golfe dont ne se départira pas son successeur François Hollande. Ce dernier sera toutefois à l’origine d’une réaffirmation du leadership régional de l’Arabie saoudite et d’un rééquilibrage des relations avec son concurrent le Qatar.

Lire également :
 Les relations franco-saoudiennes de 1967 à 2007 (1/3)
 Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de François Hollande : vers un approfondissement et une diversification des liens bilatéraux (3/3)

Notes :
(1) Philippe Leymarie, « La France, puissance du Golfe, in Manière de voir, Le monde diplomatique, n°147 Juin-Juillet 2016.
(2) Faisal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, Paris, 2014, p. 361-362.
(3) Dans un message adressé au Département d’Etat et révélé par Wikileaks, l’ambassadeur américain à Riyad évoque une accumulation d’erreurs protocolaires par Nicolas Sarkozy lors de sa première visite en 2008. Le message évoque également un « rôle beaucoup plus représentant de commerce que de chef d’Etat ». Ibid.
(4) Du temps de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s’était constitué un réseau de relations au Qatar et entretenait notamment des relations proches avec Hamad Ben Jassem Al-Thani, dit « HBJ », le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari. « Notre ami l’émir du Qatar », Le Monde, 22 mars 2012. URL : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/03/22/notre-ami-l-emir-du-qatar_1673325_823448.html#5VUpeZymdMwLl19O.99
(5) Interview du président français, Al-Sharq Al-Awsat, 29/11/2008.
(6) Source : Banque mondiale de données.
(7) Faisal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, Paris, 2014.
(8) « Discours de Nicolas Sarkozy à Riyad le 14 janvier 2008 », Le Monde.fr, 24.04.2008 URL : http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/04/24/discours-de-nicolas-sarkozy-a-riyad-le-14-janvier-2008_1038207_823448.html
(9) L’enquête sur les attentats du 11 septembre a conclu que 15 citoyens saoudiens étaient impliqués dans les attaques simultanées contre les Etats-Unis, ce qui dégrada considérablement l’image de l’Arabie saoudite.
(10) Faisal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, Paris, 2014, p. 377.
(11) Hervé de Charrette, « Nicolas Sarkozy et la politique étrangère de la France : entre changement et continuité », Revue internationale et stratégique, 2008/2 (N° 70).
(12) Faisal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, Paris, 2014, p.376.
(13) Laurent Muraviec, analyste français proche des néo-conservateurs et auteur de La guerre d’après, est à l’origine d’un rapport qui a été présenté en 2003 au ministère de la Défense américain et préconisant une « désaoudisation » de la politique américaine. Il est emblématique d’un courant politique plus critique à l’égard de l’Arabie saoudite après les attentats du 11 septembre et dont l’influence a pu avoir un écho auprès de la nouvelle administration Obama.
(14) Xavier Panon, Dans les coulisses de la diplomatie française, 2015. p. 420.
(15) Ibid. p.403-404.
(16) Ibid.

Publié le 11/10/2017


Aglaé Watrin-Herpin est diplômée d’une licence d’Histoire de la Sorbonne et d’un master de Sciences politiques – Relations internationales de l’Université Panthéon-Assas. Après une année d’étude aux Emirats arabes unis, elle a mené plusieurs travaux de recherche sur la région du Golfe. Son premier mémoire s’est intéressé aux relations franco-saoudiennes depuis 2011. Le second, soutenu dans le cadre de ses études de journalisme au CELSA, était consacré à la couverture médiatique de la guerre au Yémen.


 


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