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La France, entre autres puissances occidentales, a directement contribué à asseoir la souveraineté nationale et la légitimité internationale de la dynastie saoudienne (1). De fait, elle a reconnu l’Etat saoudien en mars 1926, soit dès la conquête de la péninsule arabique par Abdulaziz ibn Saoud, et avant même que le royaume ne se déclare lui-même souverain en septembre 1932 (2). La France avait, sans aucun doute, déjà remarqué l’importance géostratégique et commerciale de cette terre liant l’Europe à l’Asie. Toutefois, elle ne pouvait encore imaginer les ressources pétrolières extraordinaires qui y seraient découvertes quelques années plus tard (3), et les relations restèrent dans un premier temps essentiellement formelles et limitées. C’est au début de la Ve République que les relations entre Paris et Riyad prirent un tournant beaucoup plus ambitieux et concret.
Le début de la relation franco-saoudienne est communément renvoyé à la rencontre, à Paris, le 2 juin 1967, du roi Fayçal Abdelaziz al-Saoud (1964-1975) et du président Charles de Gaulle (1958-1969). A l’époque, l’Arabie saoudite entend contrecarrer l’influence nassérienne dans la région (4) et consacrer son indépendance et sa propre autorité. Elle croise l’ambition française de s’ériger comme un acteur incontournable dans la gestion des crises du Moyen-Orient, et l’ambition plus proprement gaullienne, de se distancer de la tutelle américaine. La première visite du roi d’Arabie saoudite en France en 1967 au président de Gaulle était ainsi directement motivée par la question israélo-palestinienne dans laquelle, contrairement aux Etats-Unis, la France prit plus singulièrement partie pour la cause palestinienne. En effet, l’interprétation française de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, votée le 22 novembre 1967 à la suite de la Guerre des Six jours, appelait au retrait d’Israël de « tous les territoires occupés » contrairement à l’interprétation américaine qui ne spécifiait pas l’identité des territoires en question. La déclaration controversée du président français lors d’une conférence de presse, le même mois de novembre 1967, qui présentait le peuple juif comme "un peuple d’élite, sûr de lui, fier et dominateur" actait également d’une certaine ligne de conduite pro-palestinienne qui a été appréciée par les pays arabes dont l’Arabie saoudite.
De Gaulle posa par ailleurs les fondements d’une relation franco-saoudienne intéressée et centralisée autour du deal « pétrole contre armement » qui devait assurer les besoins énergétiques de la France après la nationalisation du pétrole algérien (5). Une politique payante puisque dans les années 1970, les exportations de pétrole vers la France initièrent une croissance exponentielle (6). A la fin de l’année 1975, l’Arabie saoudite couvrait jusqu’à 36% du total des importations françaises. Par ailleurs, le choc pétrolier de 1973 finit de mettre en évidence l’importance de l’entretien d’une bonne relation avec l’Arabie saoudite. En tant que pétromonarchie détentrice du quart des réserves pétrolières mondiales, celle-ci se révélait véritablement, à la faveur de cette crise, comme la principale puissance régionale du fait de son potentiel de nuisance économique par l’instrumentalisation politique du pétrole. Dans le contexte d’embargo imposé par l’Arabie saoudite aux alliés d’Israël, les bonnes relations nouées et les positions françaises sur le dossier palestinien se révélèrent alors un atout considérable qui permit de négocier une paix séparée.
Au-delà du pétrole, la relation franco-saoudienne prit une ampleur nouvelle pendant le règne du roi Khaled ben Abdel Aziz (1975-1982) et la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) avec le début de la coopération militaire, économique et nucléaire entre les deux Etats. Les années 1976-1979 ont aussi marqué le début d’une coopération dans le domaine du renseignement et de la sécurité. Signe de cette coopération étroite : le 20 novembre 1979, le GIGN français est directement sollicité par le roi pour collaborer avec les forces de sécurité saoudiennes lors de la prise de la Kaaba par des islamistes extrémistes. Cet événement permit, par la suite, un renforcement de la coopération militaire et l’ouverture d’importants contrats militaires, d’autant que le début de la guerre Iran-Irak (1980-88) suscitait un regain des besoins saoudiens en armements. En mars 1980, la France signait notamment son premier gros contrat d’armement et d’entrainement de la marine saoudienne pour une durée de 10 ans (SAWARI 1). A cette époque, une première contestation publique et politique, portée par les rivaux de Valéry Giscard d’Estaing, fit émerger des critiques sur les orientations économiques du gouvernement, réalisées aux dépens des valeurs françaises (7).
L’arrivée du président socialiste François Mitterrand en 1981 ne remit en cause ni la politique d’augmentation des ventes d’armement à l’Arabie saoudite, ni l’approvisionnement en pétrole de la France. L’Arabie saoudite pu par ailleurs toujours compter sur le soutien français dans les crises régionales de l’époque. La guerre Iran - Irak jusqu’en 1988 fut l’occasion pour cette dernière de prouver son engagement auprès des pays du Golfe. Jacques Chirac, alors Premier ministre (1986 à 1988), exprima d’abord, par sa proximité avec Saddam Hussein, le soutien politique de la France à l’Irak, puis, aux pays du Golfe, face à l’Iran. Quelques années plus tard, la participation française aux bombardements contre l’Irak après l’invasion du Koweït, et ce malgré la proximité franco-iraquienne, fut un gage de soutien plus particulier pour l’Arabie saoudite qui en avait appelé à la communauté internationale pour assurer la stabilité régionale. En somme, comme le souligne l’ancien diplomate saoudien Faysal Almejfel, dans les années 1990, « la guerre a constitué un nerf de la relation franco-saoudienne et même une variable positive » (8). C’est à la même époque que s’instaure parallèlement un système de « récompenses » à Paris à travers des contrats d’armements pour son soutien et sa coopération.
Le discours du président Chirac sur le « choc des ignorances » devant le Conseil national consultatif à Riyad le 5 mars 2006 (9), confère une grande popularité à la France dans le royaume et même dans l’ensemble du monde arabo-musulman. Cependant, les troubles internes auxquels doit faire face la monarchie saoudienne à partir des années 1990, c’est-à-dire l’éveil d’une certaine contestation islamique critique de la présence des puissances occidentales sur leurs terres - et surtout de l’alliance avec les Etats-Unis qui s’exprime dans des premiers actes terroristes sur le sol saoudien - n’est pas propice au développement de la relation avec la France. De plus, la stabilité du pouvoir est contestée au moment même où le roi Fahd, malade, doit octroyer la régence à son prince héritier Abdallah (1995-2015).
A ces préoccupations intérieures saoudiennes, s’ajoute enfin l’effet dévastateur du 11 septembre 2001 sur les relations américano-saoudiennes. La stupeur est immense lorsque l’on découvre que 15 Saoudiens figurent parmi les 19 kamikazes responsables des attaques et que le commanditaire n’est autre que le riche Saoudien Oussama Ben Laden. Alors que des tensions inédites apparaissent entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, et que le néo-conservatisme américain est à son comble, la France est le premier Etat à rétablir le contact avec l’« ennemi public n°1 » du moment. Après le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine (1997-2002), c’est le président Jacques Chirac qui se rend à Riyad en personne. La ligne de conduite est claire : la France doit s’ériger comme le médiateur de cette crise pour prévenir toute instabilité régionale ; l’objectif aussi : l’Arabie saoudite doit s’engager sérieusement dans la lutte contre le terrorisme et le radicalisme islamiste. La France réussit ainsi à ouvrir l’Arabie saoudite au dialogue sur le dossier afghan comme preuve de bonne foi envers les Etats-Unis. L’initiative est appréciée, tout comme en 2003 son opposition à la guerre en Irak, mais l’Arabie saoudite n’entend nullement sacrifier son alliance historique avec les Etats-Unis (10) pour l’Irak, ni la reconsidérer au profit de la France. Celle-ci doit donc se contenter de son statut d’allié de substitution.
Lire les parties suivantes :
– Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de Nicolas Sarkozy : une amitié intacte mais concurrencée par le Qatar (2/3)
– Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de François Hollande : vers un approfondissement et une diversification des liens bilatéraux (3/3)article
Notes :
(1) Faysal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, 2014.
(2) L’Arabie saoudite est fondée officiellement le 22 septembre 1932. L’Etat résulte de la fusion des provinces du Nejd et du Hedjaz.
(3) La découverte des premières sources pétrolières en Arabie saoudite remonte à mars 1938.
(4) Le président de la République d’Egypte, Gamal Abdel Nasser Hussein (1956-1970), est le chef de fil d’une politique socialiste, anticoloniale et panarabe qui lui vaut des les années 1950-1960 une grande popularité dans le monde arabe. Il est un concurrent direct pour Riyad qui voit la légitimité de son autorité sur la région concurrencé par le nassérisme. L’Egypte et l’Arabie saoudite se livreront une guerre par procuration au Yémen entre 1962 et 1970.
(5) Le 24 février 1971, le président Boumediène annonçait la nationalisation complète des gisements de gaz naturel et des pipelines, mais aussi la prise de la majorité, soit 51%, au sein des sociétés pétrolières françaises opérant sur le sol algérien. Cf. Nicole Grimaud, « Le conflit pétrolier franco-algérien », Revue française de science politique, 1972, Volume 22 Numéro 6 pp. 1276-1307.
(6) En 1970, les exportations de pétrole vers la France étaient de 9,4 millions de tonnes, de 24 millions en 1971, et de 31 millions en 1972. In : Faysal Almejfel, Les relations entre la France et l’Arabie Saoudite de 1967 à 2012, L’Harmattan, 2014.
(7) Ibid.
(8) Ibid.
(9) URL : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/2006/mars/fi000826.html
(10) Rencontre à bord du Quincy, au large de l’Egypte, le 14 Février 1945, entre le président américain Roosevelt et le roi saoudien Abdel Aziz Ibn Saoud. Il est décidé du monopole américain sur l’exploitation du pétrole saoudien dans l’est de l’Arabie saoudite contre une prise en charge de la sécurité du royaume face aux menaces extérieures. Il est également décidé de la non-ingérence des Etats-Unis dans les affaires intérieures saoudiennes.
Aglaé Watrin-Herpin
Aglaé Watrin-Herpin est diplômée d’une licence d’Histoire de la Sorbonne et d’un master de Sciences politiques – Relations internationales de l’Université Panthéon-Assas. Après une année d’étude aux Emirats arabes unis, elle a mené plusieurs travaux de recherche sur la région du Golfe. Son premier mémoire s’est intéressé aux relations franco-saoudiennes depuis 2011. Le second, soutenu dans le cadre de ses études de journalisme au CELSA, était consacré à la couverture médiatique de la guerre au Yémen.
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