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Au nord de Beyrouth, quelques milliers de réfugiés palestiniens chrétiens vivent dans un camp exigu, dans des conditions de vie difficiles. Ne pouvant s’intégrer ni à la société libanaise, ni à la diaspora palestinienne, ils sont les grands oubliés de ceux qui viennent en aide aux réfugiés.
A partir de 1948, 150 000 réfugiés palestiniens s’installent au Liban. Ils habitent alors dans des camps provisoires en attendant de pouvoir rentrer chez eux. Leur exil se prolongeant, les camps s’agrandissent progressivement et les abris en béton remplacent les tentes. Parmi eux, beaucoup de Palestiniens chrétiens. Ils se sont installés au Liban, connu pour sa relative tolérance religieuse et où vit une importante minorité chrétienne, essentiellement maronite. Au début ils y ont été très bien accueillis. Sous le mandat de Camille Chamoun (1952-158), les chrétiens peuvent facilement obtenir la nationalité libanaise. Parmi les réfugiés de 1948 et 1967, nombres d’entre eux ont acquis une nouvelle nationalité pour ne pas demeurer réfugiés toute leur vie et surtout pour ne pas transmettre ce statut d’apatride à leurs enfants. De plus, les unions matrimoniales avec les familles maronites libanaises sont nombreuses, car les différences culturelles sont relativement faibles. Cette attitude favorable des maronites envers les chrétiens de Palestine favorise leur intégration et les incite à s’installer au Liban. Mais la guerre civile qui frappe le Liban à partir de 1975 va mettre un terme à cette bonne entente.
Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’obtenir la nationalité libanaise sans se marier avec un Libanais. Seules les Palestiniennes épousant un Libanais peuvent obtenir la nationalité libanaise, de même que leurs enfants. Les réfugiés palestiniens sont les seuls réfugiés au monde à ne pas avoir de nationalité. Ils sont régis par un statut spécial et possèdent une carte d’identification délivrée par l’UNRWA [1]. Les réfugiés n’ont pas accès à la protection sociale et aux droits inhérents à la nationalité libanaise (comme celui de pouvoir exercer une profession libérale, par exemple). Tous les Palestiniens réfugiés au Liban en sont pourtant des citoyens de fait, mais ils demeurent une entité à part pour le droit et la société libanaise.
Les réfugiés chrétiens souffrent particulièrement de cette situation car la plupart d’entre eux se sont bien intégrés dans la société libanaise, ils ont pu retrouver une vie professionnelle et sociale sans trop de difficultés. En revanche, les plus démunis ont dû, comme la majorité de leurs compatriotes, vivre dans des camps de réfugiés où ils sont toujours.
Il y avait à l’origine trois camps de réfugiés chrétiens dont celui de Dbayeh, les deux autres ont disparu pendant la guerre civile. 8 000 réfugiés palestiniens chrétiens sont aujourd’hui recensés par l’UNRWA en tant que réfugiés au Liban, et environ 4 000 personnes (mais il y aurait aujourd’hui plus de 5 000 réfugiés) vivent dans le camp de Dbayeh. Situé à une dizaine de kilomètres au nord de Beyrouth, Dbayeh est le seul camp de réfugiés palestiniens chrétiens encore existant dans le monde.
Le camp n’est pas desservi en eau potable, il faut se rendre dans la ville avoisinante pour s’approvisionner. Les coupures d’électricité sont encore plus fréquentes que dans le reste du pays. Les abris sont exigus, mal isolés du froid et de l’humidité et le système d’évacuation des eaux usées est défectueux.
Si les logements sont si précaires, c’est en raison de la pauvreté des réfugiés, mais aussi de la volonté de l’UNRWA et de l’Etat libanais de maintenir le caractère temporaire des camps. En effet, le fameux « droit au retour » en Palestine est toujours ardemment revendiqué, alors même qu’il semble aujourd’hui irréalisable.
Les habitants de Dbayeh se sentent délaissés par les partis politiques, les organisations internationales, et les associations religieuses, qui privilégient les autres réfugiés palestiniens.
Sur le plan éducatif, par exemple, l’école du camp détruite pendant la guerre n’a jamais été reconstruite. Dbayeh est le seul camp à ne pas accueillir d’école gérée par l’UNRWA, et ouverte à tous. Les élèves doivent se rendre à une autre école de l’UNRWA ou bien dans les écoles publiques, toutes situées à plusieurs kilomètres du camp. Le niveau y est faible et les élèves sont très peu accompagnés dans leur parcours scolaire, l’échec scolaire est ainsi banalisé. Des associations, comme l’association JCC, offre des cours de soutien scolaires en petits groupes. L’association est très présente dans la vie du camp, elle encadre et accompagne les enfants en difficulté pour qu’ils envisagent un avenir meilleur. Mais les éducateurs ne peuvent rien faire quand, chaque année, plusieurs familles renoncent à scolariser leurs enfants par manque de moyens. Le manque de formation des jeunes explique le taux chômage extrêmement élevé à Dbayeh. Des familles entières ne touchent parfois qu’un ou deux salaires, ce qui compromet l’éducation de la nouvelle génération et engendre donc du chômage.
Concernant la santé, la situation n’est guère plus favorable. En règle générale, chaque camp dispose d’un centre de santé et d’une ambulance. A Dbayeh, le dispensaire géré par l’UNRWA ne propose quasiment aucun des médicaments qui manquent aux patients du camp et le médecin, mandaté par l’agence onusienne, refuse de se déplacer jusqu’au camp. Les aides privées sont ainsi les seules à parvenir jusqu’aux réfugiés chrétiens de Dbayeh. La congrégation des petites sœurs de Nazareth ainsi que l’ONG Caritas assistent les réfugiés au quotidien et tentent de leur apporter une aide d’urgence, mais les moyens leur manquent. Ce manque de moyen ainsi que les conditions d’hygiène et de vie à l’intérieur du camp, les difficultés d’hospitalisation, l’absence de protection sociale, multiplient les problèmes de santé en tout genre. Les soins se cantonnent donc à l’urgence, alors que les patients souffrant de diabète ou de maladies chroniques sont très nombreux. Quant aux troubles psychologiques et sociaux, récurrents à Dbayeh, ils ne sont pas pris en charge.
Camp de Dbayeh. Crédits photo : Olivier de Trogoff
Qu’en est-il du soutien de l’église maronite libanaise ? Tout comme la majorité des chrétiens de Palestine, les réfugiés de Dbayeh sont Melkites catholique de rite byzantin, originaires des environs de Haïfa. Les Libanais sont eux essentiellement maronites. Ces deux obédiences sont bien distinctes, bien que toutes deux rattachés à l’église catholique, notamment concernant les rites et la langue de culte. Mais la distance entre les deux communautés s’est réellement créée lors de la guerre civile. Le camp a alors été occupé par les milices chrétiennes qui ont complètement éliminé la présence de l’OLP du camp. Les conditions de vie ont été alors très dures pour les habitants. Aujourd’hui les relations entre communautés restent distantes, voire parfois hostiles. Les Libanais estiment que les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou non, sont responsables de la guerre civile, ce qui a considérablement tendu leurs relations. D’autre part, le terrain sur lequel le camp s’est construit appartient à un monastère maronite voisin qui reçoit en contrepartie un loyer dérisoire de la part de l’UNRWA. Cette situation cause des tensions entre le monastère et les habitants du camp. Les moines souhaitent en effet récupérer tout ou partie des terrains occupés par le camp. Ils s’opposent donc systématiquement à l’extension du camp mais aussi des habitations existantes. Ainsi, lorsqu’un réfugié agrandit sa maison ou construit un étage supplémentaire, la police intervient le plus souvent pour mettre un terme aux travaux.
Cet isolement au sein de la société libanaise et parmi les réfugiés palestiniens s’explique pour plusieurs raisons. Il s’explique en partie par le fait que les chrétiens ont toujours refusé de participer aux mouvements armés qui sont apparus dans les camps palestiniens afin de libérer la Palestine depuis le Liban. En retour, beaucoup de Palestiniens critiquent cette position de retrait adoptée par les chrétiens, et tendent à les écarter de la cause palestinienne. A Dbayeh en particulier, on considère que la lutte armée depuis le Liban était une erreur, que cela n’a servi qu’à détruire le pays et à décrédibiliser la population réfugiée aux yeux des Libanais. Les habitants regrettent pourtant la prédominance de l’islam au sein des mouvements politiques palestiniens et se sentent exclus des revendications portées par les réfugiés. Ainsi, ne représentant pas un danger pour la sécurité du pays, le sort des chrétiens n’est pas la priorité des autorités ni de l’UNRWA qui a déjà beaucoup de difficultés à assurer sa mission dans les autres camps de réfugiés.
Aujourd’hui, les réfugiés palestiniens partagent leur camp avec d’autres. Ces dernières années en effet, de nombreux Libanais s’y sont installés, en raison de l’augmentation des loyers à Beyrouth. En outre, depuis 2011, le camp accueille un nombre grandissant de réfugiés syriens qui fuient leur pays pour s’installer au Liban. Des chambres sont louées aux réfugiés et peuvent accueillir parfois des familles de huit personnes. La population du camp a donc considérablement augmenté et ses besoins aussi. Or, les ressources allouées aux quelques associations qui interviennent dans le camp ont plutôt tendance à diminuer. La cohabitation entre chrétiens et réfugiés syriens se passe bien au sein du camp, mais elle a pour conséquence pour les réfugiés palestiniens une diminution de l’aide qui leur était apportée jusqu’alors. De plus, face aux arrivées massives de migrants, il est encore plus difficile pour les réfugiés de trouver un emploi correctement payé. Les conditions de vie au quotidien se détériorent donc rapidement depuis quelques années. La situation d’une communauté en pleine crise identitaire s’aggrave un peu plus chaque année.
Lire également
– La diaspora chrétienne de Palestine dans le monde
– Le statut des réfugiés palestiniens
– Les réfugiés syriens au Liban
– Le mandat du président Camille Chamoun (1952-1958) : Le Liban dans la tourmente des relations internationales (1/2)
– Le mandat du président Camille Chamoun (1952-1958) : Le Liban dans la tourmente des relations internationales (2/2)
Bibliographie :
– Nathalie Duplan, Valérie Raulin, Le camp oublié de Dbayeh : Palestiniens chrétiens, réfugiés à perpétuité.
– « Papal visit reminds Palestinian Christians of vulnerability in Lebanon », Martin Armsrtong, The Daily Star, 13 Septembre 2012.
– Dir Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar, Le droit au retour. Le problème des réfugiés palestiniens, Paris, Actes Sud, 2002, 401p.
Note :
Olivier de Trogoff
Olivier de Trogoff est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde arabe.
Notes
[1] L’UNRWA (The United Nations Relief and Works Agency) est l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
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