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Les implantations israéliennes en Cisjordanie (1) : histoire de la présence juive en Palestine avant 1967

Par Hervé Amiot
Publié le 18/09/2013 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

I - Représentations bibliques et historiques de la présence juive en Judée-Samarie

Les lieux de la Torah

Dans la Genèse (XII), Abraham, dans sa marche vers le pays de Canaan (territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain) s’arrête à Sichem (Naplouse). Yahvé lui concède les territoires alentour pour y implanter son peuple. A sa mort, Abraham est enseveli en compagnie de sa femme Sarah à Hébron. Sur la carte 1, on peut voir les grands lieux bibliques situés en Cisjordanie. Le premier d’entre eux, Jérusalem, est aux portes de la « Judée-Samarie », terme employé par de nombreux Israéliens pour désigner la Cisjordanie.

Carte 1 : Les représentations bibliques d’Israël

Les royaumes juifs

On peut dater de Saül (XIe siècle av. J.-C.) la constitution d’un premier royaume juif. Au début du Xe siècle s’ouvre le règne de David qui agrandit Israël et fait de Jérusalem sa capitale, avant de laisser le trône à son fils Salomon (971 – 931 av J.-C.). On voit sur la carte 1 que la Judée et la Samarie, c’est-à-dire la Cisjordanie actuelle, sont au cœur du royaume.

La diaspora

Dans les derniers siècles avant notre ère, la présence juive se délite, du fait des persécutions et surtout de la diaspora. Jusqu’au XIXème siècle, les Juifs émigrent d’une part dans les pays du Moyen-Orient, du Maghreb ou en Espagne, prenant le nom de Séfarades, et d’autre part en Europe du Nord et centrale, prenant le nom d’Ashkénazes.

II- Le retour en Palestine : une localisation autre qu’à l’origine

Les premières vagues d’immigration en Palestine

En 1880, on compte environ 24 000 Juifs en Palestine, soit 4,4% de la population (tandis que 10 millions vivent éparpillés à travers le monde), et 460 000 Arabes. Mais, alors que l’immigration était jusque-là très faible et essentiellement due à des motifs religieux, la décennie 1880 voit apparaître une nouvelle forme d’aliyah (immigration en Palestine) : celle guidée par des motifs politiques et nationalistes. En effet, le mouvement sioniste se développe en Europe, sous l’effet des persécutions et pogroms que subissent les populations juives d’Europe de l’Est et de Russie. En 1881, le mouvement des « Amants de Sion » est fondé. Il a pour but de préparer l’implantation de colonies agricoles juives en Palestine.

La première aliyah, de 1882 à 1903, amène 20 à 30 000 migrants russes, polonais ou roumains. Ils ne reçoivent pas un accueil favorable de la part de l’ancienne communauté juive séfarade, formée de Juifs très religieux, rejetant les motivations politiques du sionisme. L’Empire ottoman, déjà affaibli à l’époque, s’inquiète des troubles que pourrait provoquer cette immigration, et tente de réduire fortement les implantations. Cependant, au niveau local, les autorités sont très accommodantes et laissent les Juifs s’installer (D. Perrin, 2000). Cette installation des premiers sionistes se conjugue avec une réapparition de l’hébreu, qui avait cessé depuis longtemps d’être la langue courante des Juifs.

En 1903 débute la seconde aliyah, amenant 35 à 40 000 migrants supplémentaires. Ces nouveaux venus sont déçus par le comportement des Juifs de la première alihah. Ils estiment qu’ils ont perdu l’esprit pionnier, et qu’ils sont devenus des gestionnaires agricoles, employant de la main-d’œuvre arabe. Ces nouveaux arrivants, comme David Ben Gourion, militent pour le travail manuel, exclusivement juif, censé conduire à la renaissance nationale. Ils s’orientent vers la constitution d’une société juive bien distincte, alors que les premiers pionniers se mêlaient davantage au reste de la population.

La localisation des colons

La dorsale montagneuse centrale, regroupant les villes de Naplouse, Jérusalem et Hébron, étant densément peuplée par les Arabes, les immigrants achètent des terres dans la plaine côtière, les vallées de Galilée (vallée de Jezréel par exemple) ou du Jourdain. Il existe une présence juive en Cisjordanie (comme par exemple à Hébron), mais celle-ci est sporadique. Les immigrés fondent principalement des exploitations agricoles, prenant la forme de mochav (villages coopératifs) ou de kibboutz (exploitation agricole collective fondée sur les idéaux socialistes).

Carte 2 : La présence juive en Palestine de 1881 à 1948

Pour l’acquisition de terres, les colons juifs bénéficient de l’apport du Fonds national juif, géré par l’Organisation sioniste mondiale. Les terres sont achetées à des Syriens ou Libanais qui ont vu la frontière palestinienne, issue du mandat de 1919, morceler leurs domaines, ou à des propriétaires palestiniens. Après l’acquisition, les terres sont décrétées « propriété inaliénable du peuple juif » et ne peuvent être rétrocédées ou louées à des Arabes.

Des relations avec les Arabes qui se tendent dans l’entre-deux-guerres

Les relations entre Juifs et Arabes se dégradent fortement sous le mandat britannique, après la Première Guerre mondiale, du fait des promesses contradictoires faites par les Anglais aux deux peuples : satisfaire la population juive en lui permettant de poursuivre la colonisation, et de l’autre côté, ménager la population arabe en fixant des limites à l’entreprise sioniste. La situation tourne au drame avec le massacre de Juifs à Hébron en 1929 ou la grande révolte arabe de 1936.
Durant cette période, l’immigration juive s’est poursuivie à un rythme irrégulier. Les persécutions en Pologne en 1924-1925 entrainent l’arrivée de plus de 30 000 Juifs en 1925, tandis que l’installation du régime nazi en Allemagne provoque un pic d’immigration en 1935 (60 000 arrivants). Entre ces pics, les arrivées sont de l’ordre de 5 000 à 10 000 par an.
Les dirigeants sionistes essaient d’orienter l’implantation des colons sur le territoire. Selon D. Perrin (2000), il s’agit de concentrer les implantations dans les régions les moins peuplées, pour « transformer le patchwork que représentent les colonies juives en une seule toile, en se préoccupant de relier les diverses régions colonisées ». Sur la carte 2, l’on constate ce mouvement de comblement des espaces blancs réalisé par le biais des acquisitions de terres depuis 1914.

III - Plan de partage et guerre de 1948-49 : déplacements de population et premières exigences sécuritaires

Les conséquences de la guerre de 1948-1949 sur la répartition des populations en Palestine

Le plan de partage de l’ONU de 1947 sépare la Palestine en une partie arabe et une partie juive, la Cisjordanie étant située dans l’Etat arabe. Mais la guerre de 1948-49, consécutive à la déclaration d’indépendance d’Israël, modifie la donne : comme on peut le voir sur la carte 3, Israël conquiert de nombreux territoires palestiniens, et ce qui n’a pas été conquis passe sous le contrôle des Etats arabes voisins : Gaza passe sous l’administration de l’Egypte, et la Cisjordanie est occupée puis annexée par le roi Abdallah de Jordanie en 1950. En conséquence, 750 000 Palestiniens quittent les territoires conquis par Israël et prennent les routes de l’exil vers les pays arabes alentour. Il reste en Israël 156 000 « Arabes israéliens », soit 18% de la population (ils seront 16% en 1998). Il subsiste toujours des polémiques sur la nature de ces déplacements : certains estiment qu’Israël a déplacé de force les Palestiniens, d’autres pensent que ceux-ci sont partis sous l’appel des pays arabes alentours. D. Perrin se refuse à privilégier une thèse en particulier, mais pense que l’exode est d’abord la réaction naturelle des populations civiles qui fuient les lieux de combat.

Carte 3 : Recompositions territoriales et démographiques après la première guerre israélo-arabe (1948-1949)

Les premiers programmes d’Etat pour les colonies

Dans les années 1930, les instances du Yishouv (la communauté juive de Palestine, avant l’Etat d’Israël) entrevoient déjà le rôle stratégique des implantations. La politique « Tour et Enceinte » visait à édifier des implantations le long des frontières de la Palestine mandataire. 188 villages furent ainsi fondés de 1936 à 1948. Ceux-ci jouent un grand rôle dans la défense du territoire lors de la guerre de 1948-49. Les autorités israéliennes sont alors convaincues que les colonies de peuplement sont un maillon essentiel dans la défense nationale face aux Etats arabes voisins. Il s’agit donc de créer des implantations aux frontières pour sécuriser celles-ci et affirmer la présence israélienne.

Le programme Nahal, lancé en 1948, consiste en la création de colonies agricoles où les jeunes gens appelés sous les drapeaux viendront travailler et, en même temps, accomplir leur devoir militaire. Ces avant-postes ont pour vocation de se transformer par la suite en implantations permanentes et civiles. Selon Alain Dieckhoff (1989), entre 1948 et 1967, une trentaine d’implantations ont essaimé, dans le cadre de ce programme, sur la frontière avec la Cisjordanie et avec Gaza (carte 3). Le rôle des colonies, bien armées, est fondamental, d’une part dans la défense du territoire, et d’autre part dans la cristallisation d’un sentiment national israélien.

Enfin, il faut noter que la Loi du Retour, adoptée en juillet 1950, accorde à tout Juif qui le souhaite un visa d’immigration. Puis une loi de 1952 attribue automatiquement la nationalité israélienne à tout immigrant juif. En 1949 et 1951, ce sont, en moyenne, 200 000 Juifs par an qui viennent s’installer en Israël. Les chiffres oscilleront ensuite entre 10 000 et 65 000 par an, et il faudra attendre 1990-1991 pour retrouver une immigration de près de 200 000 Juifs par an.

A partir de 1967, la colonisation israélienne en Cisjordanie va se développer fortement, avec l’appui de l’Etat.

Lire la partie 2 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (2) : histoire d’une colonisation depuis 1967

Bibliographie :
 DIECKHOFF Alain, Les Espaces d’Israël. Essai sur la stratégie territoriale israélienne, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1989, 218 p.
 ENCEL Frédéric, Atlas géopolitique d’Israël. Les défis d’une démocratie en guerre, Autrement, 2012, 96 p.
 LAURENS Henry, Le Grand jeu. Orient arabe et rivalités internationales depuis 1945, Armand Colin, 1991, 448 p.
 PERRIN Dominique, Palestine. Une terre, deux peuples, Presses universitaires du septentrion, 2000, 346 p.
 Israël. De Moïse aux accords d’Oslo, Seuil, « L’Histoire », 1998, 578 p. Ouvrage établi à partir de la revue L’Histoire, n°212 (juillet-août 1997). Chapitres consultés :
ABITBOL Michel, « La Palestine sans les Juifs », p. 211-221
BOTTÉRO Jean, « La Terre promise ou le récit des origines », p. 21-33.
COURBAGE Youssef, « Quels sont les peuples d’Israël ? », p. 487-495
DIECKHOFF Alain, « Le sionisme est-il le dernier projet colonial ? », p. 309-316
LEMAIRE André, « Géopolitique du Proche-Orient, du roi David à Alexandre le Grand », p. 55-67.

Publié le 18/09/2013


Hervé Amiot est Docteur en géographie, agrégé et ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). Après s’être intéressé aux dynamiques politiques du Moyen-Orient au cours de sa formation initiale, il s’est ensuite spécialisé sur l’espace postsoviétique, et en particulier l’Ukraine, sujet de ses recherches doctorales.


 


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