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Les élections israéliennes du 17 mars 2015 et la formation du nouveau gouvernement

Par Amicie Duplaquet
Publié le 22/05/2015 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

AHU V. LEFAI/I. VERICOURT /AFP

L’enjeu de ces élections anticipées

En décembre dernier, Benjamin Netanyahou a limogé en direct à la télévision deux ministres centristes de sa coalition gouvernementale, Tzipi Livni (justice) et Yaïr Lapid (finances). Ces derniers, opposés à une partie de la politique gouvernementale, étaient accusés par le Premier ministre d’être responsables de l’ensemble du dysfonctionnement de sa coalition. « Les ministres Lapid et Livni ont durement attaqué le gouvernement que je dirige. Je ne tolérerai plus une opposition de l’intérieur du gouvernement » avait précisé Benjamin Netanyahou dans un communiqué [1]. Quelques jours plus tard, le Parlement fut dissout et des élections anticipées prévues pour le début de l’année 2015.

Pour nombre d’observateurs, il est apparu clair que l’enjeu de ces élections anticipées pour le Premier ministre sortant était avant tout de retrouver une majorité suffisamment confortable à la Knesset, lui permettant de former un gouvernement moins turbulent en son centre et plus offensif à sa droite. Il faut ici préciser que le précédent gouvernement, formé suite aux élections de janvier 2013, comptait comme deuxième homme fort Yaïr Lapid, à la tête du jeune parti de centre-droit Yesh Atid, qui avait été créé suite aux mobilisations de l’été 2011 à Tel Aviv. Ce parti a construit l’ensemble de son programme sur la « fracture sociale » en Israël, résultant notamment du coût des politiques de sécurité et d’occupation favorisées par le parti de Benjamin Netanyahou. La discorde entre Yaïr Lapid et Benjamin Netanyahou s’était amplifiée depuis quelques mois, après que le Likoud ait mis fin à son alliance avec Avigdor Liebermann, à la tête du parti Yisrael Beitenu. Yesh Atid était alors devenu le premier parti à la Knesset avec 19 députés, devançant le Likoud d’un siège. Cette forte présence du centre limitait les perspectives d’action des partis de droite. En faisant organiser des élections anticipées à un moment où il était sûr de se succéder à lui-même pour la quatrième fois, Benjamin Netanyahou fit donc le pari de retrouver une nouvelle coalition gouvernementale plus ancrée à droite.

Afin de pouvoir peser électoralement contre le Likoud, les partis de gauche se sont réunis début janvier dans une nouvelle coalition appelée Union sioniste, regroupant le parti travailliste d’Yithzak Herzog et la formation Hatenoua de Tzipi Livni. Leur programme était avant tout axé sur la fracture sociale avec l’objectif affiché d’enrayer la hausse du coût de la vie en Israël. Sur le plan extérieur, et bien que la question palestinienne ait été entièrement absente de la campagne, la coalition menée par Herzog et Livni s’est timidement affichée pour la création d’un Etat palestinien démilitarisé assorti du « maintien des grands blocs de colonisation sous autorité israélienne (…) et du statut de Jérusalem comme capitale éternelle du peuple juif » [2]. Sans en préciser les moyens qui les sous-tendent, ces positions restent assez vagues et paradoxalement très proches de ce que le chef du Likoud avait pu affirmer dans ses meilleurs jours. Une fois n’est pas coutume en Israël, la campagne électorale ne s’est donc pas jouée autour de la question palestinienne ou de la reprise des négociations.

Une campagne tourmentée

Par ailleurs, ces élections se sont tenues dans un contexte international particulièrement délicat pour la droite israélienne. D’un côté, l’Autorité palestinienne poursuit son offensive diplomatique à la Cour pénale international, auprès de laquelle son adhésion est devenue effective le 1er avril 2015, tandis que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU effectue une enquête sur les accusations de violations du droit international humanitaire attribuées à Israël lors du dernier conflit à Gaza. D’un autre côté, les relations entre Benjamin Netanyahou et l’administration américaine ne cessent de se refroidir, risquant d’isoler un peu Israël sur la scène diplomatique. Malgré des tensions croissantes, et alors qu’il était en campagne, le Premier ministre sortant s’est invité au Congrès américain, le 3 mars, pour y tenir un discours sur la dangerosité du nucléaire iranien au moment même où Washington négociait les termes d’un accord à Genève. Cette visite, organisée dans le dos de l’administration Obama par le républicain John Boehner, a ajouté à l’agacement de la Maison blanche à l’égard de Benjamin Netanyahou au point que Susan Rice qualifie ce geste de « destructeur pour les bases mêmes des relations américano-israéliennes » [3]. Le président américain n’aura d’ailleurs pas rencontré le chef du Likoud durant sa visite de quarante-huit heures, alléguant qu’il lui était impossible de recevoir un chef de gouvernement en campagne.

A moins de deux semaines des élections, un document de campagne du Likoud portant sur le processus de paix fut à la base d’une nouvelle polémique. Ce document faisait référence à un discours [4] prononcé par Benjamin Netanyahou en 2009 à l’université de Bar Ilan, dans lequel il s’était avancé pour la première fois en faveur de la création d’un « Etat palestinien », en l’assortissant de nombreuses conditions (Etat démilitarisé, refus du droit au retour et unité de Jérusalem). Ce texte, attribué au Premier ministre sortant, revenait sur les timides avancées du discours de Bar Ilan en affirmant que la création d’un Etat palestinien n’était « plus pertinente dans la réalité actuelle du Moyen-Orient » [5]. Toutefois, le bureau de Benjamin Netanyahou a démenti ces informations le soir même dans un communiqué [6]. En revanche, la veille des élections, soit le lundi 16 mars, le Premier ministre sortant a assumé des déclarations encore plus pessimistes quant à la reprise du processus de paix dans un entretien donné au site d’information israélien RNG [7]. Dans cet entretien d’à peine cinq minutes, Benjamin Netanyahou confirme l’impossibilité de la création d’un Etat palestinien tant qu’il sera Premier ministre et se pose en gardien de Jérusalem et des colonies, affirmant qu’il préservera avec ses amis du Likoud « l’unité de Jérusalem dans son intégralité » et exprimant son intention de « continuer à construire des milliers de nouveaux logements (…) malgré toutes les pressions exercées ».

Le lendemain, jour des élections, Benjamin Netanyahou a posté une vidéo [8] sur sa page facebook, quelques heures avant la fermeture des bureaux de votes. Assit derrière son bureau, il y affirme que « la droite est en danger » et que « les électeurs arabes se rendent en masse vers les bureaux de vote », pointant le rôle des groupes de gauche qui « les amènent en bus ».

Nul doute qu’avec ces déclarations controversées le Premier ministre sortant cherchait une résonnance électorale parmi les franges les plus radicalisées de la société israélienne, tout en tentant d’inverser la position d’outsider du Likoud, qui s’était vu devancé dans les sondages durant toute la campagne par l’Union sioniste. Le week-end précédant le scrutin, les chaines de télévision israélienne Channel 10 et Channel 2 prévoyaient toutes deux une victoire de la liste commune à Herzog et Livni, quatre sièges devant le parti de Benjamin Netanyahou [9]. Contre toute attente, le Likoud obtint finalement trente sièges, soit dix sièges supplémentaires par rapport à la Knesset sortante, devançant l’Union sioniste de six sièges.

Malgré cette poussée à droite, ces élections ont aussi été témoin de la percée de la Liste arabe unie, qui réunissait les partis Raam, Ta’al, Balad et Hadash ; ce dernier ayant la particularité d’être composé à la fois de juifs et d’arabes. La liste a obtenu 14 sièges, devenant de facto la troisième force politique du pays.

Réactions internationales

Au lendemain des élections, la timidité des réactions internationales fit apparaitre les réserves liées à l’absence de perspectives sur le processus de paix qu’offrirait un nouveau gouvernement de droite dirigé par Benjamin Netanyahou. Beaucoup des félicitations officielles ont mis en avant la nécessité de la reprise des négociations et l’arrêt de la colonisation pour parvenir à une solution à deux Etats. La France a par exemple déclaré qu’elle « attendra du nouveau gouvernement qu’il fasse preuve de responsabilité à cet égard et prenne rapidement les mesures nécessaires pour permettre à l’Autorité palestinienne de fonctionner normalement et relancer les négociations en vue d’un accord de paix global et définitif » [10].

Certaines déclarations sont même allées jusqu’à mettre en avant le potentiel rôle du Conseil de sécurité des Nations unies, qui pourrait faire passer une résolution fixant les paramètres de la solution à deux Etats sur les frontières de 1967. Ainsi, un responsable de la maison Blanche a déclaré au New York Times avoir pris conscience d’une « réalité où le gouvernement israélien ne prend plus en charge les négociations directes », ajoutant qu’ils allaient désormais « en tenir compte dans nos décisions à l’avenir » et qu’Obama « ne perdrait plus son temps avec Benjamin Netanyahou » [11]. Un autre levier pour réévaluer le soutien américain à Israël pourrait être la levée de leur véto à l’ONU en cas de nouvelle résolution contre Israël. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU devant rendre son rapport sur le dernier conflit à Gaza d’ici quelques mois, cette option serait lourde de conséquence pour l’Etat hébreu si elle venait à être appliquée. Face à ces menaces, le Premier ministre israélien a tenté de nuancer ses propos en affirmant, quelques jours après les élections, qu’il n’était jamais revenu sur le discours de Bar Ilan appelant à la création d’un Etat palestinien mais qu’« aujourd’hui, les conditions pour cela ne sont pas réunies » [12].

Enfin, le président américain s’est dit préoccupé par la stigmatisation des électeurs arabes, le jour des élections, par le Premier ministre israélien sortant qui avait évoqué le « danger » de leur mobilisation. Là aussi, Benjamin Netanyahou est revenu ses déclarations en s’excusant. « Je sais que mes déclarations la semaine dernière ont offensé certains citoyens israéliens et des membres de la communauté des Arabes israéliens. Cela n’a jamais été mon intention. Je présente mes excuses pour cela » [13], a-t-il déclaré à la télévision. Pourtant, et ce malgré ces diverses excuses et tentatives d’apaisement, les élections de mars dernier, et la campagne qui les ont précédées, ont ajouté à l’agacement déjà patent de Washington et des démocraties européennes.

Après de longues tractations, la Knesset a approuvé le 14 mai 2015, avec une très courte majorité, la formation du nouveau gouvernement de Benjamin Netanyahou. Les vingt-sept ministres qui le composent proviennent à la fois des partis ultra-orthodoxes Shass et Judaïsme unifié de la Torah et du parti nationaliste religieux Foyer Juif, mais aussi du parti de centre droit Kulanu. La présence de cette dernière formation dans le nouveau gouvernement révèle la fragilité politique de ce gouvernement, que Benjamin Netanyahou espérait moins dépendant du centre. Par ailleurs, la présence de Foyer Juif, parti qui soutient ouvertement la colonisation des territoires et qui s’oppose à la création d’un Etat palestinien, rend très minces les espoirs de reprise des pourparlers sur le processus de paix.

Publié le 22/05/2015


Amicie Duplaquet est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, en Master Coopération et développement au Maghreb et Moyen-Orient. Après avoir suivi des cours de sciences politiques à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, elle a réalisé un mémoire sur les conséquences du printemps arabe sur la stratégie israélienne et prépare une thèse sur le même sujet à l’Institut Français de Géopolitique. 


 


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