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Lire l’introduction : La poésie dans la chronique des Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr d’Ibn Iyās (introduction générale)
Ibn Iyās note dans l’annonce du contenu de son ouvrage : « j’y ai évoqué les nobles versets concernant l’Egypte figurant dans l’illustre Coran de manière explicite ou par allusion, de même les éminents hadiths, les vertus particulières de l’Egypte (al-faḍāʼil), les beautés (al-maḥāsin) propres au pays et ne se trouvant nulle part ailleurs, les choses étonnantes (ʽaǧāʼib) et étranges (ġarāʼib), des événements survenus (waqāʼiʽ), des descendants d’Adam et de Noé qui s’y sont établis, les prophètes qui s’y sont rendus, les souverains qui l’ont gouverné depuis le début des temps : des géants, des Amaliques, des Grecs, des Pharaons et des Coptes et d’autres. Puis ceux des compagnons et suivants qui l’ont gouverné aux débuts de l’islam, puis ceux du groupe des Ikhshidides, des Fatimides Oubaydites, des Ayyoubides qui sont des Kurdes, ceux des sultans turcs et circassiens jusqu’à notre époque, au début de l’année 901/1496 ». Ibn Iyās note aussi qu’il y traitera des notices nécrologiques des savants, religieux, spécialistes du hadith, qurrāʼ, poètes, notables (1).
Ibn Iyās adopte donc le choix d’écrire une histoire régionale. Il traite de celle de l’Egypte depuis la création du monde (2) jusqu’à l’année 928/1522 et même après, c’est-à-dire jusqu’à une date qui précède sans doute de peu celle de sa mort si l’on inclut la 12ème section (3).
L’organisation de l’ouvrage repose fondamentalement sur un exposé chronologique des faits. Mais il repose aussi sur d’autres principes, celui de la succession de 7 dynasties, les Ottomans constituant une huitième non désignée en tant que telle. A l’intérieur de chacune des dynasties sont mis en évidence la succession de règnes. Les faits sont donc présentés dans de grandes parties basées sur les dynasties, puis à l’intérieur de celles-ci sur les règnes des souverains (4). L’histoire préislamique repose quant à elle sur un principe tout à fait différent, celui de propos ou thèmes, non datés donc situés hors du temps, le temps compté débutant avec l’introduction de l’Islam en Egypte (5). C’est donc à partir de l’année 21/641 que débute l’organisation sur la base d’annales « puis débuta l’année vingt et un après l’hégire (6) ». La précision chronologique s’affine à partir de l’année 762/1361 avec une datation qui se fait aussi selon le mois, puis selon le jour. Les années, pour l’essentiel celles contemporaines de l’auteur, sont encadrées de préambules et de synthèses de longueur variable. Les préambules établissent des listes de fonctions et de leurs titulaires, probablement à partir de documents officiels, alors qu’à travers les synthèses finales l’auteur laisse libre cours à des commentaires très concis et souligne ce qui lui parait marquant (7).
Les différents principes organisateurs des faits dans al-Badāʼiʽ : dynastie, règne et système des annales ont été repris d’une tradition bien établie. L’écriture de l’histoire en suivant la succession des dynasties et des règnes et l’écriture selon le principe des annales étaient les deux méthodes les plus importantes de l’écriture de l’histoire dans le monde musulman.
Ibn Iyās, comme il devait le faire, a sélectionné la matière qui convient pour son livre. Il a choisi ce qu’il a jugé bon à être mentionné et digne d’être noté. Mais quels étaient ses critères pour atteindre cet équilibre ? Nous savons que l’analyse des événements de tout historien est étroitement liée à ses propres concepts et part de son environnement et du type de sa culture, qui à leur tour forment son humeur qui va le stimuler à citer un événement historique et à négliger un autre. Ce processus va, également, se refléter dans une longue exposition de certains faits et une courte description de certains autres.
A cette fin, nous allons analyser le livre minutieusement de manière à mettre en évidence son contenu et sa valeur. En vue de rendre cette étude plus accessible, nous allons classifier les événements selon des périodes.
La période pré-mamelouke
Ibn Iyās n’a pas accordé beaucoup d’importance à l’époque pré-mamelouke. Ce qui comptait pour lui était la période des Mamelouks, puis celle des Ottomans, ce qui ressort aussi bien au niveau des événements politiques, économiques, sociaux qu’au niveau des notices nécrologiques. A titre de comparaison, l’époque pré-mamelouke dans al-Badāʼiʽ ne dépasse pas 285 pages alors que cette même période est traitée en sept tomes dans l’ouvrage al-Nujūm al-zāhira d’Ibn Taġrī Birdī.
Nous notons que le récit d’Ibn Iyās dans cette partie n’était pas de grande utilité pour les chercheurs en histoire. Il était court et bref.
Par contre, nous pouvons dire que la méthode de reproduire qui a été adoptée par les historiens égyptiens au IXème siècle après l’hégire était d’une grande utilité. Grâce à elle, des ouvrages, dont les originaux ont disparu, ont été conservés.
Ce jugement s’applique à certains de ces historiens et non à d’autres dont Ibn Iyās fait partie. Les annales et les sources sur lesquelles Ibn Iyās s’est basé sont à notre portée aujourd’hui et la plupart d’entre elles ont été publiées après avoir été minutieusement lues et corrigées.
Ainsi, le chercheur spécialiste de l’histoire de l’Egypte islamique peut, de nos jours, se référer aux ouvrages qui suivent :
« Fūtūḥ Miṣr » d’Ibn ʽAbd al-Ḥakam, « Wulāt Miṣr Wa Quḍātuhā » d’al-Kindī, « al-Muntaẓam » d’Ibn al-Ǧawzī, « Mirʼāt az-zamān » d’Ibn Qazuġlī, « aḏ-ḏayl ʽalā l-Mirʼā » d’al-Yūnīnī, « Tārīḫ al-Islām » d’al-ḏahabī, « Sīrat ṣalāḥ ad-Dīn » d’Ibn Šaddād, « Ar-rawḍatayn » d’Abī Šāma, ainsi qu’à d’autres sources à partir desquelles Ibn Iyās a reproduit son récit, en plus d’autres livres d’histoire générale comme ceux écrits respectivement par Ṭabarī, al-Masʽūdī, Ibn al-Aṯīr et d’autres (s’il est vrai qu’Ibn Iyās s’est effectivement basé sur ces sources et sur celles des historiens de l’ère Mamelouk, qui pour leur part se sont référées à ces premiers historiens).
En ce qui concerne certaines sources historiques toutes aussi importantes et dont on a perdu partiellement ou entièrement les originaux, citons par exemple celles d’ : al-Musabbiḥī, Ibn Maysar, Ibn al-Maʼmūn, Ibn Aṭ-Ṭuwayr, al-Qaysarānī, ou celles spécialisées dans al-Ḵiṭaṭ, notamment d’al-Kindī, al-Quḍāʽī, al-Ǧuwānī, Ibn Zūlāq, Ibn ʽAbd aẓ-Ẓāhir et Ibn al-Mutawwaǧ, nous affirmons que c’est surtout grâce au doyen (šayḫ) des historiens égyptiens Taqī ad-Dīn al-Maqrīzī et à certains historiens et écrivains comme al-Qalqašandī, An-Nuwayrī et al-Suyūṭī qu’une grande partie de ces sources a pu être sauvée.
Notes :
(1) Ibn Iyās, 1982, Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr, éd. Muḥammad Muṣṭafā, Le Caire : al-Hayʼa al-miṣriyya al-ʽāmma li-l-kitāb, t. 1, vol.1, p. 29.
(2) Si on suppose qu’il a écrit les trois premiers tomes perdus de Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr.
(3) al-Ḫālidī, 1974, p. 27. A propos de cette 12ème section, voir aussi : Lellouch, 1998.
(4) AL AMER, Ahmad, L’historiographie à l’époque mamelouke à travers l’exemple de l’ouvrage Badāʼiʽ al-zuhūr d’Ibn Iyās : analyse de la méthode et du contenu, thèse de doctorat sous la direction de Michel Tuchscherer, Aix-Marseille Université, 13 octobre 2014, p. 46.
(5) AL AMER, Ahmad, L’historiographie à l’époque mamelouke à travers l’exemple de l’ouvrage Badāʼiʽ al-zuhūr d’Ibn Iyās : analyse de la méthode et du contenu, thèse de doctorat sous la direction de Michel Tuchscherer, Aix-Marseille Université, 13 octobre 2014, p. 49. Voir aussi : AL AMER, Ahmad, « Iṭlāla ʽalā ẓāhirat al-faʼl fī Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr li-Ibn Iyās », Maǧallat al-Muqtaṭaf al-miṣrī at-tārīḫiyya, 2015.
(6) (ṯumma daḫalat sanat ʼiḥdā wa ʽišrīn min al-hiǧrā) [al-Badāʼiʽ, t. 1, vol. 1, p. 107]
(7) Ibn Iyās, 1982, Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr, éd. Muḥammad Muṣṭafā, le Caire : al-Hayʼa al-miṣriyya al-ʽāmma li-l-kitāb, t. 1, vol. 1, p. 82.
Ahmad Al Amer
Ahmad Al Amer est docteur en Histoire de l’Orient médiéval et chercheur associé à l’IREMAM. Il travaille notamment sur l’analyse et la réédition des chroniques d’histoire mamelouke. Ses recherches portent également sur l’historiographie arabe, l’élaboration du récit historique ainsi que sur la poésie mamelouke et la place de l’adab dans les chroniques d’histoire.
Il est l’auteur de nombreuses publications en arabe et en français dont le dernier ouvrage, publié en 2016 et préfacé par Jean-Claude Garcin, s’intitule Matériaux, mentalités et usage des sources chez Ibn Iyās. Mise au point du discours historique dans les Badāʼiʽ al-zuhūr fī waqāʼiʽ al-duhūr (Éditions Universitaires Européennes, Allemagne, 528 p).
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