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Lire la partie 1 : Les Arabes d’Iran : histoire et distinction culturelle (1/2)
Les violences séparatistes existent depuis la prise militaire du Khūzestān Ouest, alors indépendante et baptisée « Arabistan », par les troupes pahlavis du gouvernement de Reza Khan. La fin de l’autonomie de l’Arabistan est arrivée dans un contexte de volonté de centralisation de la part du régime Pahlavi ; ce dernier combattait déjà des groupes de résistance séparatistes du Khūzestān qui tentait de « libérer » la partie Est de la région de l’occupation et du gouvernement des Bakhtiari. Les révoltes se poursuivent, et des mouvements de violence se manifestent en 1925, puis en 1928 et en 1940 (1). Comme le précise Philippe Rondot dans un article daté de 1980, « à la différence des Kurdes, partagés par les frontières et soumis à des pouvoirs centraux différents, et de ce fait très vulnérables, les habitants de l’Arabistan pouvaient être tentés de trouver, chez les États arabes proches et indépendants du Golfe, un appui aux revendications autonomistes qu’ils ne manquèrent jamais de manifester » (2). Un mémorandum est adressé à la Ligue Arabe en 1945, mais personne n’en tient compte. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, le parti Al-Saada, fondé à Mohammar, réclame auprès du régime iranien l’indépendance du Khūzestān. La présence du parti communiste (Tudeh) dans la région permit au régime de justifier de violentes attaques sur le territoire arabophone, ce qui étouffa les revendications séparatistes. La plupart des partis indépendantistes ou autonomistes voient le jour à partir de la deuxième moitié des années 1950 : le Front de Libération de l’Arabistan (1956, devenu en 1967 le Front de Libération d’Al-Ahvaz) proclame que seule « une révolution totale » par « la lutte armée » peut permettre la libération de la région ; le Front National de Libération de l’Arabistan et du Golfe arabe demande, pour sa part, un rattachement à l’Irak (3). Laissés en reste de la Révolution de 1979, les activistes du groupe sécessionniste « les Arabes Ahvazis » ont rapidement mené des actions : par-delà la révolte de 1979 au Khūzestān, étouffée par les forces de sécurité gouvernementale et qui fit plus d’une centaine de morts dans les deux camps, ils menèrent des actions contre le pouvoir iranien, tout en choisissant de rester pleinement indépendants.
En avril-mai 1980, un groupe de six hommes armés appartenant au Front Démocratique Révolutionnaire pour la Libération de l’Arabistan (FDRLA) attaquèrent l’ambassade d’Iran à Londres et prirent en otages vingt-six personnes. Il s’agit de l’opération Nimrod, qui fut désamorcée par la police britannique mais qui marqua dans les esprits les revendications indépendantistes des minorités arabes d’Iran.
À partir du mois de septembre de la même année, la région fut d’ailleurs le théâtre où se jouaient les principaux enjeux de la guerre entre l’Iran et l’Irak, qui dura de 1980 à 1988. En effet, la frontière qui séparait à cet endroit les deux États était naturelle : elle était délimitée par le Chatt el-Arab, ou « rivière des Arabes », fleuve formé par la réunion du Tigre et de l’Euphrate et qui se jette dans le golfe Persique, suivant sur 90km la frontière Iran-Irak. Comme le note à nouveau, dans un autre article, l’historien Philippe Rondot, le Chatt el-Arab est depuis toujours une frontière culturelle et politique entre deux puissances impériales (ottomane et perse), mais aussi entre deux monde (l’un arabe, l’autre aryen) et deux légitimités de l’islam (sunnisme et chiisme). De nouvelles frontières furent déterminées en 1975 à Alger à l’initiative de l’Iran, décidant la division du Chatt el-Arab le long de la ligne fluviale médiane. La contestation de cet accord par l’Irak enclencha le conflit Iran-Irak qui se poursuivit jusqu’en 1988 (4). Au vu des velléités indépendantistes de cette aire géographique, les Irakiens crurent que la bataille du Khūzestān serait perçue par les populations comme une « guerre de libération » (5) ; l’accueil des troupes irakiennes ne fut toutefois pas unanime. La riposte du régime iranien se fit de surcroît plus radicale que prévue et le territoire arabophone demeura sous domination de l’Iran. Le cessez-le-feu et le retrait des troupes irakiennes d’Iran marquèrent, pour un temps, la fin des rêves nationalistes des arabes d’Al-Ahvaz.
Au milieu des années 2000 cependant, des vagues de révolte surgirent à nouveau, en réponse à une lettre d’un conseiller du président de la République iranienne préconisant le déplacement des populations arabes et le remplacement des noms arabes par des noms persans. Selon Amnesty International, « les tensions sont de plus en plus vives au sein de la population arabe d’Iran depuis avril 2005, mois pendant lequel de très nombreuses personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées au cours de manifestations » (6) : en effet, des attaques revendiquées ont repris en 2005, dans la continuité des émeutes rigoureusement réprimées (cinq morts en avril 2005, quatre explosions à Ahvaz en juin 2005, six bombes tuant six personnes en octobre 2005, etc.). La réaction des forces du régime face à ces grandes manifestations fut condamnée par la communauté internationale, notamment après l’exécution de trente-sept Arabes après des procès jugés « inéquitables » par Amnesty International (7). Les attaques, perpétrées pour la plupart avant les élections présidentielles de 2005, étaient alors revendiquées par les Brigades des martyrs révolutionnaires Ahwazi, mais la résistance fut rapidement suivie plus largement : en mars 2006, une station de radiotélévision clandestine, Al-Ahwaz TV (8), appelle les Arabes de Khūzestān à la révolte.
En 2011, suivant les mouvements de révolte enclenchés dans de nombreux pays arabes, de fortes mobilisations arabophones sont réprimées par le régime iranien dans la ville d’Ahvaz. Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix en 2003, écrivait au Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme à l’ONU Navi Pillay, que « le 16 avril 2011, un groupe d’Iraniens sunnites arabophones, de la ville d’Ahvaz, province de Khuzestan, située dans le sud de l’Iran, ont manifesté leur détresse à travers des manifestations pacifiques. Malheureusement, ils ont été violemment réprimés par le gouvernement » (9). Devant ces événements, Amnesty International expliquait alors que « les manifestations portent sur des griefs de longue date, à savoir la discrimination institutionnalisée et le refus de droits économiques et culturels » (10).
En 2015, en prévision du dixième anniversaire des grandes manifestations contre Téhéran, au moins soixante-dix-huit personnes furent arrêtées. Plutôt que de les étouffer, ceci alimenta au contraire les manifestations anti-régime : en février, les Ahvazi descendaient à nouveau dans la rue pour faire valoir leurs droits.
Très récemment, un nouveau groupe indépendantiste né en 2015, « les Faucons d’Ahvaz », a revendiqué l’attaque d’une usine pétrochimique dans le complexe de Bou-Ali-Sina, survenue à Bandar-E-Mahshahr au Khūzestān début juin 2016 (11). Dans le communiqué qui justifiait l’attaque, le groupe appelait à nouveau à la résistance contre l’« occupation », prétendant que « la jeunesse arabe d’Ahvaz vit avec les constantes arrestations, expulsions et exécutions. Ces atteintes de l’ennemi perse (…) ne nous ont laissé d’autre choix que de lancer une riposte pénible et cataclysmique » (12).
En cette période de crise régionale, à l’heure où la République islamique garde les yeux rivés à la fois sur les États-Unis et sur la Syrie, il semble que la question arabe en Iran est loin d’être réglée et que la résistance n’est pas prête à s’apaiser.
Notes :
(1) Gilles Munier, “La ‘libération’ de l’Arabistan”, AFI-Flash, n°59, 11/06/2006, disponible en ligne : http://www.france-irak-actualite.com/page-2512744.html
(2) Philippe Rondot, « La guerre du Chatt al-Arab : les raisons de l’Irak », Politique étrangère, n°4, 1984, pp.867-879, disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1980_num_45_4_3004
(3) Voir Paul Balta (dir.), Le Conflit Iran-Irak, Notes et études documentaires, n°4889, 1989.
(4) Philippe Rondot, « Iran-Irak (Guerre) », Encyclopedia Universalis, disponible en ligne : http://www.universalis.fr/encyclopedie/irak-iran-guerre/
(5) Philippe Rondot, « La guerre du Chatt al-Arab : les raisons de l’Irak », op. cit.
(6) Amnesty International, « Plein feux sur les Actions Urgentes : La minorité arabe d’Iran », mai 2006, en ligne, op. cit.
(7) Voir Middle East Eye, « Les séparatistes arabes revendiquent une attaque contre des installations pétrolières en Iran », Middle East Eye, 11/07/2016, http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/des-s-paratistes-arabes-revendiquent-une-attaque-contre-des-installations-p-troli-res-en
(8) Voir le site du média en ligne : http://www.ahwazmedia.tv
(9) Propos repris dans Armin Arefi, « Soulèvements arabes en Iran », Blog de Le Monde, 20/04/2011, http://iran.blog.lemonde.fr/2011/04/20/soulevements-arabes-en-iran/
(10) Cité par Armin Arefi, op. cit.
(11) Michael Segali, « Le renforcement de l’opposition ethnique en Iran », Centre des affaires publiques et de l’Etat, http://jcpa-lecape.org/le-renforcement-de-lopposition-ethnique-en-iran/
(12) Rapporté par Middle East Eye, « Les séparatistes arabes revendiquent une attaque contre des installations pétrolières en Iran », Middle East Eye, 11/07/2016, http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/des-s-paratistes-arabes-revendiquent-une-attaque-contre-des-installations-p-troli-res-en
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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