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L’Iran est un pays composé de nombreuses minorités. Sur une population de 70 millions d’habitants, près de la moitié appartiennent à des groupes religieux ou ethniques différents. Ayant connu depuis ses origines de nombreuses invasions (grecques, arabes, turques, mongoles), l’ancien territoire perse est encore à ce jour le carrefour de nombreuses influences (1). Parmi ces groupes ethniques demeure une minorité arabe, présente sur le territoire depuis plus de douze siècles (2).
La plupart des communautés arabes d’Iran, qui composent entre 3 et 8% de la population générale du pays, résident le long des côtes du Golfe Persique, ou bien près de la frontière irakienne, au Sud de l’Iran. Cette dernière région est celle du Khūzestān, connue et désignée comme Ahvaz par les communautés arabes, présentée historiquement comme « Arabistan » par les populations locales (3). Cette région, située entre le Golfe persique, le Chatt al-Arab, les montagnes du Kurdistan iranien et les monts Bakhtiar de la chaîne du Zagros, est majoritairement peuplée d’Arabes chiites, issus de tribus venues de la péninsule arabique dès l’époque akkadienne, mais compte aussi des minorités sunnites et chrétiennes. Cette région est riche en ressources pétrolières, et se trouve très contrôlée par le pays (4).
Ces derniers mois, les groupes séparatistes ont renforcé leurs actions : le « Faucon d’Ahvaz », créé en 2015, a notamment mené en juin 2016 de violentes opérations contre le régime iranien, s’ancrant dans une longue tradition de résistance indépendantiste. Un retour sur l’histoire et la situation de ces minorités arabes d’Iran permet de comprendre et d’interroger leurs revendications.
Selon Gilles Munier, « dans l’antiquité la région appelée plus tard Arabistan fait partie de l’Elam et correspond à peu près à la Suziane. (…) Puissant royaume, l’Elam conquiert la Mésopotamie : la Babylonie et le royaume de Mari (Syrie). Il en est refoulé par Hammourabbi. Il s’effondre vers 613 avant JC, quand Assourbanipal prend Suze et l’annexe dans l’empire assyrien. Il est ensuite occupé par les Chaldéens, les Séleucides et les Parthes, puis englobé dans l’empire perse achéménide (550 à 331 avant J.C), puis perse sassanide (226-652 après J.C) » (5).
Suivant toujours Gilles Munier, la défaite perse à la bataille d’al-Qadissiyah face aux troupes musulmanes de Saab Ben Abi Waqass en 635 marque l’islamisation de la région d’Hormuzd Ardashir, rebaptisée Souk al-Ahwaz. Par la suite, ce qui fut l’Arabistan appartint aux empires omeyyade et abbasside. À cette période, les migrations arabes d’Irak sont massives et de nouvelles familles viennent sans cesse peupler la région méridionale du Golfe persique. Selon certains, le califat abbasside aurait permis l’établissement de dynasties chiites locales en Iran, qui auraient induit ce mouvement d’immigration des Arabes chiites réfugiés (6). Après la chute des Abbassides, le flux se fait ainsi moins soutenu, mais ne s’arrête pas ; la région demeure plus ou moins indépendante des shahs safavides, « notamment au XVe et XVIIe siècle avec l’Émirat arabe de Musha’sha, dont la capitale était Howayisa au nord-ouest de la région » (7).
Le XVIIe siècle est marqué par l’arrivée massive de nouvelles tribus venues du désert du Nedj d’Arabie. Cheikh Salman, chef de la tribu des Banu Ka’b installée au sud-ouest du fleuve Karoun, conquiert peu à peu les provinces jusqu’à Bassora en créant une flotte puissante, qui oblige le Pacha Ottoman de Bagdad à recourir à l’aide de la Compagnie des Indes Orientales, en vain. La création du port de Mohammara (« la rouge ») à l’embouchure du Karoun par la tribu des Banu Ka’b attise les convoitises. En 1856, durant la guerre anglo-persane, le Khūzestān fut un enjeu de poids. Les forces navales entrèrent dans la ville d’Herat par la rivière du Karoun en direction d’Ahvaz. Elles furent néanmoins repoussées par les Perses.
Bien que la région ait toujours appartenu au territoire perse, la partie ouest du Khūzestān fonctionna durant les deux décennies qui précédèrent 1925 de façon autonome sous le nom d’Arabistan. La partie est était dirigée par les khans Bakhtiari (perses). En 1922 naquit à l’ouest le mouvement des séparatistes arabes du Khūzestān, destiné à défendre et à libérer l’est de la région de l’« occupation perse ». Cette révolte, menée par le Cheikh Khaz’al de Mohammara, fut réprimée en 1924 par le régime Pahlavi, arrivé récemment au pouvoir. L’émirat d’Arabistan fut dissout par le gouvernement de Reza Khan, qui centralisa l’État perse en 1925. L’Arabistan devient le Khūzestān en 1936 (8). Proche de l’Allemagne nazie, Reza Khan fut remplacé en août 1941 par son fils Mohamed. De nouvelles révoltes éclatèrent au Khūzestān entre 1943 et 1945, qui furent réprimées dans le sang (9).
Le Khūzestān fut par ailleurs l’enjeu principal de Saddam Hussein dans la guerre Iran-Irak. Longeant la frontière avec l’Irak, la région s’est trouvée particulièrement ciblée et centralisait les tensions entre les deux pays. L’Iran a conservé le contrôle du territoire arabophone et l’armée irakienne se retira en 1988.
Aujourd’hui, le Khūzestān compte plus de quatre millions d’habitants. Plus de 70% de la population arabe d’Iran est urbanisée, mais il existe encore une population rurale et une population nomade au Khūzestān.
Il existe, dans le Khūzestān, un dialecte arabe parlé par sa population. Cet « arabe Khūzestāni », proche des dialectes arabes iraquiens parlés le long de la frontière qui sépare l’Iran de l’Irak, est très influencé par la langue perse, ce qui le rend difficile de compréhension pour les Arabes issus d’autres régions.
L’enseignement de l’arabe Khūzestāni est interdit par le gouvernement iranien. Les classes proposent, pour une bonne compréhension du Coran, l’enseignement de l’arabe classique et de l’arabe moderne standard, utilisé pour la presse et constitutionnellement imposé dans les classes de secondaire. En n’autorisant aucun enseignement en arabe Khūzestāni, le régime iranien laisse une grande part des populations arabes d’Iran à l’écart de l’instruction : l’on note une corrélation entre ce fait et le très faible taux d’alphabétisation de la région, notamment en ce qui concerne les femmes vivant en zone rurale (10).
En conséquence, cet usage d’un dialecte distinct du persan exclut cette minorité, qui se regroupe, par-delà les différences de conversion (musulmans sunnites, chiites, chrétiens…) pour présenter une unité ethnique, « arabe », contre les discriminations dont elle est victime. Amnesty International note en effet que bien que le « total respect » envers les minorités sunnites d’Iran soit garanti par la constitution, les sunnites iraniens souffrent manifestement de « persécutions ethniques et religieuses » (11).
Cette répression n’est pas seulement culturelle, elle est aussi conjoncturelle, et s’applique à l’ensemble des Khūzestāni : au sein de la société iranienne, bien que la région soit l’une des plus riches en ressources de tout le territoire iranien, les Arabes d’Iran sont de loin les populations les plus confrontées au chômage. En juin 2016, le ministre iranien de l’Intérieur Abdolreza Rahmani Fazli a été lui-même forcé de reconnaître qu’un « taux de plus de 50 ou 60% de chômage peut causer des dommages sociaux irréparables » (12) ; en outre, une absence d’amélioration de la situation générale de la région est une menace pour la sécurité du régime lui-même. Les conditions sanitaires sont par ailleurs les plus dangereuses d’Iran, l’air se trouvant fortement pollué par les usines pétrochimiques qui dominent l’ensemble du territoire.
Lire la partie 2 : Les Arabes d’Iran, une minorité opprimée et révoltée : historique des soulèvements des populations arabes séparatistes d’Iran (2/2)
A lire également : Nation et minorités en Iran : face au fait minoritaire, quelle réponse institutionnelle ?
Notes :
(1) Voir Mohammed-Reza Djalili, Géopolitique de l’Iran, éditions Complexe, 2005.
(2) Minorities at Risk, « Assessment for Arab in Iran », disponible en ligne : http://www.mar.umd.edu/assessment.asp?groupId=63009
(3) Jean Calmard, article “Khouzistan”, Encyclopedia Universalis, disponible en ligne : http://www.universalis.fr/encyclopedie/khouzistan/
(4) Voir le rapport d’Amnesty International du 17 Mai 2006, « Defending Minority Rights : The Ahwazi Arabs », archive téléchargeable : https://www.amnesty.org/en/documents/document/?indexNumber=mde13/056/2006&language=en
(5) Gilles Munier, “La ‘libération’ de l’Arabistan”, AFI-Flash, n°59, 11/06/2006, disponible en ligne : http://www.france-irak-actualite.com/page-2512744.html
(6) Helâli, Nâser, « Ghowm-e bozorg-e arab dar Irân » (La grande ethnie arabe en Iran), cité par Hamideh Haghighatmanesh, « Les Arabes d’Iran », La Revue de Téhéran, n°104, juillet 2014, disponible en ligne : http://www.teheran.ir/spip.php?article1929#nb1
(7) Ibid.
(8) Journal of Middle Eastern studies, Vol. 25, n°3 (Août 1993), pp. 541-543.
(9) Gilles Munier, op. cit.
(10) Amnesty International, “Iran : Defending Minority Rights : The Ahwazi Arabs”, op. cit.
(11) Middle East Eye, « Les séparatistes arabes revendiquent une attaque contre des installations pétrolières en Iran », Middle East Eye, 11/07/2016, http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/des-s-paratistes-arabes-revendiquent-une-attaque-contre-des-installations-p-troli-res-en
(12) Propos cité dans l’article de Middle East Eye, « Les séparatistes arabes revendiquent une attaque contre des installations pétrolières en Iran », op. cit.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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