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À la suite de l’adoption par le Conseil de Sécurité des Nations unies le 17 mars 2011 de la résolution 1973 disposant du « droit de protéger » les civils libyens, avec 10 voix en faveur et 5 abstentions, l’opération Harmattan est déclenchée par la France, sous mandat de l’ONU. Du soutien au printemps arabe à « l’affaire libyenne » de Nicolas Sarkozy, quels ressorts humanitaires, diplomatiques, politiques et économiques animent cette décision ?
Le 26 février 2011, le Conseil de Sécurité des Nations unies avait adopté la résolution 1970 imposant un nouvel embargo (1) sur toute vente d’arme à destination de la Jamahiriya arabe libyenne. Face à l’insuffisance de ces mesures à enrayer le cycle de violence qui commence à s’engager à travers la répression du gouvernement de Mouammar Kadhafi contre ses nombreux opposants dans les rues des principales villes du pays, plusieurs membres du Conseil de Sécurité s’engagent dans un processus de lobbying diplomatique fort pour légitimer une intervention étrangère en Libye. L’enjeu est complexe puisque ces membres du Conseil de Sécurité sont les diplomates français et britanniques, voulant éviter un veto chinois ou russe qui ne manquerait pas d’être posé à l’encontre d’un projet de résolution explicitement trop coercitif, ceux-ci ne souhaitant pas une intervention de puissances étrangères menant à la destitution de Mouammar Kadhafi.
Paris et Londres, avec l’appui de Washington, vont alors s’employer à New York à obtenir l’accord de Moscou et Pékin, en axant leur projet de résolution sur le « r2p » (Responsibility to Protect), l’obligation pour le Conseil de Sécurité de l’ONU d’assurer la protection des civils au regard du Droit international et plus particulièrement du préambule de la charte des Nations unies.
Cette résolution est à l’époque acceptée par la Russie et la Chine qui s’abstiennent lors du vote de la résolution alors qu’ils auraient pu poser leur véto, insistant toutefois implicitement sur le fait qu’ils ne souhaitent pas d’intervention militaire conduisant à un changement de régime mais soutenant la protection de la population pour éviter le bain de sang alors craint. Le 17 mars 2011, la résolution 1973 est adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations unies.
Cette résolution contient des éléments paradoxaux ; elle exclut l’occupation de tout ou partie du territoire libyen par une puissance étrangère, mais donne une latitude très importante à toute intervention non terrestre et aux moyens pouvant être utilisés à travers l’expression « prendre toutes les mesures nécessaires » (« take all necessary measures ») pour protéger les populations civiles, une expression ouverte à une large interprétation (2).
Deux jours plus tard, un sommet international se tient à Paris, à l’issue duquel Nicolas Sarkozy, à la fois en sa qualité de président de la république et de chef des armées françaises, annonce le déclenchement d’une intervention coalisée de l’OTAN en Libye. Le chef de l’Etat français peut également en profiter pour renforcer sa côte de popularité dans les sondages, 66% de la population française étant favorable à cette intervention militaire française en Libye (3).
L’opération Harmattan, en référence au vent éponyme qui s’exerce sur l’ensemble du Sahara, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, est déclenchée le jour même, samedi 19 mars. Cette intervention militaire ainsi que celles de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et du Canada seront ensuite placées sous la houlette de l’opération Unified Protector qui assure la conduite des opérations de l’ensemble des membres de la coalition à partir du 31 mars.
L’opération mobilise deux dispositifs de l’armée française. D’une part, un dispositif aérien composé d’une vingtaine de Mirages et de Rafales opérant depuis des bases installées en Crête et en Sicile, soutenus par différents aéronefs de ravitaillement et de surveillance. D’autre part, un dispositif aéro-maritime, la Task Force 473, qui emmène avec elle 8 Rafales, 6 Super étendards 6 hélicoptères et deux avions de surveillance. Dès le 20 mars, la Task Force 473 également composée du porte-avions Charles de Gaulle, d’un bâtiment de commandement (doté d’hélicoptères de l’armée de terre et de l’armée de l’air), de deux frégates et d’un bateau ravitailleur, ainsi que d’un sous-marin nucléaire d’attaque, appareille et arrive sur zone deux jours plus tard.
Les Mirage et les Rafale français enchainent les missions d’interdiction d’accès au ciel libyen et les frappes au sol. Les sorties opérées par l’armée de l’air française auront tôt fait de neutraliser les forces militaires vétustes du gouvernement libyen (4). L’engagement militaire français est prédominant et ne s’arrête pas à des missions de suprématie aérienne puisque les différents bâtiments de la marine nationale tireront en direction du sol libyen durant l’opération Harmattan un peu plus de 3000 obus, soit 95% des tirs engagés par la coalition (5).
En quelques chiffres, on peut mesurer l’implication de la France ; elle effectue « 25% des sorties aériennes de la coalition, 35% des missions offensives et 20% des attaques au sol » (6) en engageant jusqu’à 4200 militaires simultanément. L’engagement français ne se limite toutefois pas à des opérations d’attaque, puisque l’opération contient également un volet de défense face aux « raids nautiques », aux « opérations de minage » et surtout de SEAD (Suppression of Ennemy Air Defense), impliquant un grand nombre de frappes au sol pour détruire l’arsenal de défense anti-aérienne libyen, particulièrement développé (7).
Dans l’optique de soutenir les vagues de démocratisation à laquelle aspirent les printemps arabes et en suivant les grands principes de respect des Droits de l’Homme énoncés par le préambule de la charte des Nations unies, les objectifs affichés par Paris sont de « protéger la population libyenne contre les attaques des forces du Colonel Kadhafi » en faisant respecter la NFZ (No Flying Zone) imposée par la résolution 1973. Par extension, les moyens militaires aériens français « doivent réduire les capacités de défense (…) des forces de Kadhafi » (8) et « conduisent des frappes sur des objectifs militaires qui peuvent menacer la population libyenne » (9). Il est à noter que si une opération quasi exclusivement aérienne (pour faire respecter une zone d’exclusion aérienne notamment) laisse imaginer un engagement relativement limité des forces pour un « retour sur investissement » très rentable en termes d’efficacité, en réalité ce type d’intervention nécessite une lourde empreinte au sol (10), ce qui a été le cas ici.
L’armée française a eu également pour objectif la protection du corridor humanitaire maritime passant par la ville côtière de Misrata, à 200 km à l’est de la capitale Tripoli.
La menace d’un massacre massif de civil à la suite de soulèvements populaires était un risque réel, dont étaient notamment conscients Pékin et Moscou qui ont, en connaissance de cause et malgré l’inéluctable renversement de Mouammar Kadhafi, accepté le passage de la résolution 1973 au Conseil de Sécurité et l’intervention française, rapidement complétée par celles des forces armées américaines et britanniques.
En dehors de l’aspect humanitaire, l’intérêt économique, et plus spécifiquement énergétique, semble ne pas avoir été absent des calculs ayant poussé à l’intervention (11).
La question des hydrocarbures libyens pour la France n’était en effet pas négligeable. Si les entreprises d’hydrocarbures françaises représentaient une part marginale de la production libyenne à l’instar de Total qui ne produisait que 2,6% du pétrole raffiné en Libye à l’époque, la France était en 2010 le deuxième importateur mondial de pétrole libyen (10%) derrière l’Italie (28%) (12). Par ailleurs, il est également à noter que 80% des réserves libyennes de pétrole se trouvaient alors sur des territoires contrôlés par les rebelles répondant du Conseil National de Transition (13). Ceux-ci s’étaient dits disposés à exporter ce pétrole, tandis que le porte-parole de la ligue libyenne des Droits de l’Homme de l’époque, Ali Zeidane, avait déclaré que « le futur pouvoir prendrait en considération les nations qui nous ont aidés » (14). Avant le déclenchement d’une intervention militaire, dès le 17 mars 2011, la France avait par ailleurs reconnu le Conseil National de Transition libyen autoproclamé depuis Benghazi et composé de rebelles.
Le 15 septembre 2015, ce dernier est à Benghazi, un mois après la chute de la capitale, tandis que les forces du Conseil National de Transition entrent dans Syrte et alors que Kadhafi est en fuite. Le président français prononcera les mots suivants : « Jeunes de Benghazi, jeunes de Libye, jeunes Arabes, la France peut vous dire son amitié et son soutien. Vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté. Vous voulez le progrès économique. La France, la Grande-Bretagne et l’Europe seront toujours à vos côtés. (…) Nous vous demandons une chose : nous croyons dans la Libye unie, pas divisée. Vive Benghazi, vive la Libye, vive l’amitié entre la France et la Libye ».
A ses côtés se tient alors le Premier ministre britannique David Cameron, rappelant l’engagement soutenu de la Grande Bretagne dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de Sécurité en Libye, par le biais de l’opération Elamy.
Lire également :
– De l’engagement aux critiques, la position britannique sur la guerre en Libye
– « Leading from behind » : la stratégie de Barack Obama derrière la France et le Royaume Uni dans l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011
Notes :
(1) Après celui qui avait été décidé près de 20 ans plus tôt par le même organe suite à l’implication du gouvernement libyen dans le terrorisme internationale et qui avait été levé en 2003 après le retour en grâce de la Jamahiriya arabe libyenne sur la scène internationale. (Voir les autres articles du même auteur sur ce sujet)
(2) GOULTER Christina, et al., editors. “The British Experience : Operation Ellamy.” In Precision and Purpose : Airpower in the Libyan Civil War, 2015, pp. 153–182.
(3) Sondage IFOP cité par le New York Times. A noter que 79% des adhérents à l’UMP étaient alors favorables à l’intervention, au même titre que 73% des adhérents du PS. VINOCUR John, « Libyan war not a sure thing to save Sarkozy », New York Times du 11 Avril 2011 https://www.nytimes.com/2011/04/12/world/europe/12iht-politicus12.html?_r=1
(4) ENCEL Frédéric, « Géopolitique du Printemps arabe », p. 132.
(5) GROIZELEAU Vincent, « L’Etat Major des Armées dresse un bilan final de l’opération Harmattan en Libye », Mer et Marine, 5 Novembre 2011 https://www.meretmarine.com/fr/content/lema-dresse-un-bilan-final-de-loperation-harmattan-en-libye
(6) Ibid.
(7) https://www.globalresearch.ca/the-libyan-air-defense-system-libya-s-surface-to-air-missile-sam-network/23841
(8) https://www.defense.gouv.fr/actualites/operations/l-operation-harmattan
(9) Ibid.
(10) « Airpower is an unusually seductive form of military strength, in part because, like modern courtship, it appears to offer gratification without commitment ». E. A. Cohen, « The Mystique of U.S. Air Power », Foreign Affairs, vol. 73, n° 1, 1994, pp. 109-124.
(11) On retrouve là une logique similaire à la politique de réhabilitation engagée dans les années 2000 par les pays occidentaux, et particulièrement la France de Nicolas Sarkozy, qui espérait à l’époque en retirer des bénéfices importants en termes de contrats d’armement, de vente d’aéronefs et de sécurité énergétique. Cette fois, l’intérêt économique renforce la volonté de rompre les relations et d’intervenir, une volonté déjà motivée par des risques humanitaires précédemment évoqués. Voir l’article du même auteur à ce sujet : https://www.lesclesdumoyenorient.com/De-la-normalisation-de-la-politique-etrangere-libyenne-a-la-revolution-et-l-2888.html
(12) Ameur, N. (2011). La Libye entre les intérêts de l’Occident et la résistance de Kadhafi. Outre-Terre, 29(3), 299-308. doi:10.3917/oute.029.0299.
(13) Le 29 mars 2011, le sommet de l’OTAN à Londres fait reconnaitre par l’ensemble des Etats présents la possibilité de « faciliter » la vente de pétrole libyen pour « soutenir le peuple libyen en utilisant ces procédés pour soutenir leurs besoins humanitaires en accord avec le Droit International et les résolution 1970 et 1973 », une motion proposée par le Qatar. Dans cette optique est créée la Libyan Oil Corporation « garantissa[n]t tout de suite aux compagnies pétrolières occidentales, en particulier françaises et britanniques, un partenariat beaucoup plus souple et des contrats nettement plus favorables que ce n’était le cas avec la NOC pour la période post-Kadhafi ». Ameur, N, Op. Cit.
(14) Ibid.
(15) Slogan calqué sur le célèbre « One two three viva l’Algérie » des supporters de l’équipe d’Algérie de football. Cette adaptation est scandée par la foule lors du discours de Nicolas Sarkozy à Benghazi, le 15 septembre 2011.
Bibliographie
– AMEUR, N. (2011). La Libye entre les intérêts de l’Occident et la résistance de Kadhafi. Outre-Terre, 29(3), 299-308. doi:10.3917/oute.029.0299.
– AREFIN Armin, « Kadhafi a-t-il été exécuté par la France ? » Le Point du 1er Octobre 2012 https://www.lepoint.fr/monde/kadhafi-execute-par-la-france-01-10-2012-1512271_24.php
– COHEN, E.A, « The Mystique of U.S. Air Power », Foreign Affairs, vol. 73, n° 1, 1994, pp. 109-124.
– DIFFALAH Sarah, « Pourquoi Sarkozy est intervenu en Libye ? La notion de guerre privée traverse l’esprit », L’Obs, édition du 30 mars 2018.
– ENCEL Frédéric, « Géopolitique du Printemps arabe ».
– GROIZELEAU Vincent, « L’Etat Major des Armées dresse un bilan final de l’opération Harmattan en Libye », Mer et Marine, 5 Novembre 2011 https://www.meretmarine.com/fr/content/lema-dresse-un-bilan-final-de-loperation-harmattan-en-libye
– GOULTER Christina, et al., editors. “The British Experience : Operation Ellamy.” In Precision and Purpose : Airpower in the Libyan Civil War, édité par MUELLER Karl, RAND Corporation, 2015, pp. 153–182. JSTOR, www.jstor.org/stable/10.7249/j.ctt16f8d7x.12.
– VINOCUR John, « Libyan war not a sure thing to save Sarkozy », New York Times du 11 Avril 2011 https://www.nytimes.com/2011/04/12/world/europe/12iht-politicus12.html?_r=1
Nicolas Klingelschmitt
Nicolas Klingelschmitt est doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses domaines de recherche portent sur les Relations Internationales, en particulier la paix et la coopération sur le continent africain.
Titulaire d’un master en Droit public mention Relations Internationales - Gestion de Programmes Internationaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, il est également consultant en géopolitique et a réalisé à ce titre plusieurs études auprès de l’Institut Afrique Monde (Paris) dont il est membre depuis 2016.
Il a ainsi étudié les migrations de l’Afrique vers l’Europe, le dialogue interreligieux et la gouvernance. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent politiquement, culturellement, économiquement et historiquement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient.
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