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Le règne de Mohammad Reza Shah : l’Iran de la Seconde Guerre mondiale à la révolution islamique

Par Ainhoa Tapia
Publié le 01/05/2012 • modifié le 04/05/2017 • Durée de lecture : 7 minutes

Mohammad Reza Shah et son épouse, l’impératrice Farah Diba

STF/AFP

Reza Shah est ainsi déposé à l’été 1941 et son fils aîné, Mohammad Reza Shah, âgé de vingt et un ans, lui succède. Commence alors une nouvelle période durant laquelle le jeune monarque va en parallèle poursuivre la démarche de son père de tenter de se défaire de la tutelle anglo-russe ; chercher dans les Etats-Unis le nouvel allié providentiel dont son pays a besoin ; poursuivre la modernisation de son pays avec l’aide de quelques personnalités essentielles, telle le docteur Mossadegh. Cependant, la puissante volonté de contrôle du nouveau shah et le charisme trop important de certains de ses collaborateurs finissent par amener une ère de plus en plus tyrannique, durant laquelle le shah finit par perdre tous ses appuis traditionnels et ne répond plus aux attentes de son peuple, laissant la voie libre à la révolution islamique portée par le mécontentement populaire.

Se libérer de l’influence anglo-russe : l’« affaire d’Azerbaïdjan » et la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company

Dès janvier 1942, l’Iran devient un allié des puissances de l’Alliance. Le pays sert de lieu de rencontre pour la première conférence tripartite de Téhéran en 1943. Cependant, la volonté de se libérer de l’influence anglo-russe est loin d’avoir disparue et le pays se rapproche des Etats-Unis qui l’aident à moderniser son armée, heureux de l’opportunité d’établir des liens avec un pays démocratique et non arabe dans la région.

En politique interieure, suivant les principes de la constitution de 1906, le shah lève les mesures de censure permettant à de nombreuses revues de se créer, ainsi qu’à d’anciennes personnalités en exil de revenir au pays (M. Mossadegh, Seyyed Zia), entamant une période de pluralisme politique. Les chefs tribaux se repositionnent au niveau local et le clergé, écarté sous le règne de Reza Shah, retrouve une place importante dans la vie du pays. En 1941 est aussi créé un nouveau parti communiste iranien sous le patronage des Soviétiques, le parti Toudeh (Masse). Il prend rapidement de l’ampleur et joue un rôle essentiel dans la première crise que traverse le pays dès la fin de la guerre. En effet, si en décembre 1945 les Américains quittent le sol iranien suivis par les Britanniques quatre mois plus tard, les Soviétiques - malgré l’accord de 1942 - semblent bien décidés à rester et à créer des remous dans le nord du pays. Ils appuient pour ce faire sur le chef local du Toudeh, Jafar Pisheri, qui en septembre 1945 a déclaré l’autonomie de la province d’Azerbaïdjan sous le contrôle du comité central du Parti démocratique d’Azerbaïdjan, ancienne cellule locale du Toudeh. Parallèlement, au Kurdistan, le 22 janvier 1946, Mohammad Qazi, chef du Parti démocratique du Kurdistan iranien (ancien parti Komala) déclare, avec l’appui des Soviétiques, l’indépendance de la République du Kurdistan plus connue sous le nom de « République de Mahabad » (du nom de la région sous son contrôle). Téhéran se tourne alors vers le conseil de sécurité de l’ONU nouvellement créé, qui lui recommande le 30 janvier 1946 de mener des négociations avec Moscou. Dans ce cadre, l’URSS exige la reconnaissance de l’indépendance de l’Azerbaïdjan et la création d’une société pétrolière mixte dont 51% des actions appartiendraient à l’Union soviétique. Le 4 avril, un accord est trouvé, mais la création de la société mixte doit être soumise au vote du parlement. Or le 11 mars, les Majles (Parlement iranien) sont arrivés à terme et selon une loi votée pendant la guerre, aucune élection ne peut être tenue tant que des troupes étrangères sont encore stationnées dans le pays. Les troupes soviétiques finissent par quitter le pays le 9 mai, et le 14 décembre les troupes de Téhéran rentrent en Azerbaïdjan où elles reprennent sans difficulté le contrôle de la province. Pisheri fuit en URSS. Mohammad Qazi est moins chanceux car lorsque les troupes iraniennes entrent sans résistance à Mahabad le 17 décembre, il est arrêté et exécuté. La création de la société mixte est refusée par tous les membres du parlement à l’exclusion des deux voix communistes.

L’influence soviétique semble donc contrée en 1946. L’influence britannique quant à elle est plus difficile à supprimer car elle n’est pas tant territoriale qu’économique à travers le conseil d’administration de l’Anglo-Iranian Oil Company. Dans les années 1950, le pouvoir iranien a besoin d’argent pour moderniser le pays, or les redevances financière sont très faibles car la livre sterling est au plus bas. L’idée de nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company s’impose alors. Dans ce contexte, le docteur Mossadegh crée en 1951 le Front National, une alliance pour la nationalisation de l’industrie pétrolière et début mars 1951, sous la pression de l’opinion publique, le shah accepte la proposition de la commission dirigée par Mossadegh concernant la nationalisation. La loi est promulguée le 1er mai, quant à Mossadegh il est nommé Premier ministre le 28 avril. Les Britanniques s’opposent à cette nationalisation et la compagnie demande un arbitrage international. Suite à l’implication de la Cour Internationale de Justice, les installations sont immédiatement occupées par les travailleurs iraniens. Les Britanniques ripostent par un embargo maritime sur les produits iraniens passant par le golfe Persique. Ils proposent ensuite un partage égal des profits mais ils se heurtent à un refus iranien. Ce sera la nationalisation ou rien.

Le shah prend le pouvoir : l’entrée dans les alliances de guerre froide et la fin du pluralisme politique

La prolongation de la crise prive le pays des revenus pétroliers et l’économie s’en ressent. Au printemps 1952, la Banque mondiale propose la reprise des exportations avec retenue d’une partie des profits mais Mossadegh, craignant de paraître faible devant l’opinion, refuse. A l’été 1952, il exige d’être nommé à la tête du ministère de la Guerre jusqu’alors privilège du Shah. Ce dernier refuse et Mossadegh démissionne. Des manifestations éclatent dans tout le pays et le shah le rappelle en lui offrant, en plus de son poste de Premier ministre, le ministère de la Guerre. Mossadegh le purge, allant même jusqu’à exiler certains membres de la famille impériale, s’aliénant ainsi le clergé toujours attaché à cette dernière. Paradoxalement, il se rapproche du Toudeh, très actif bien qu’interdit depuis une tentative d’assassinat du shah en 1949, obtenant ainsi un soutien populaire. Ce soutien inquiète les Américains et ils seront obligés, selon lui, d’augmenter leur aide. Cependant Eisenhower, récemment élu en 1953, refuse de donner cette aide car il ne pense pas que Mossadegh soit un rempart suffisant contre le communiste. La CIA cherche même à le renverser au profit de son ancien ministre de l’Intérieur passé à l’opposition, le général Fazlollah Zahedi. Mossadegh est révoqué le 15 août et Zahedi lui succède à la fonction de Premier ministre.

Avec le renversement de Mossadegh débute une période durant laquelle le pouvoir personnel du shah augmente au détriment du pluralisme politique. Le gouvernement Zahedi stabilise la situation politique et règle le contentieux pétrolier avec la création le 19 septembre 1954 de la National Iranian Oil Company, dont la production est confiée à un consortium international dominé par la British Petroleum Company qui possède 40% des parts. Parallèlement, en politique intérieure, les élections de 1954 sont contrôlées, le Front National interdit et le Toudeh pourchassé. En 1957 est créée une nouvelle agence de renseignement et de sécurité, la Savak (Sazman-e amniat va etelaat-e keshvar), qui dépend officiellement du Premier ministre mais ne répond dans les faits qu’au shah. Elle fut un des instruments principaux de la répression des personnalités trop influentes dans les années qui suivirent. Quant à la place de l’Iran sur le plan international, le choix d’une alliance avec les Etats-Unis est démontré lors de la signature du pacte de Bagdad en octobre 1955. Cependant en 1962, avec le contexte international de la détente, l’Iran s’engage à ne pas avoir de rampes de lancement américaines sur son sol et à ne pas agresser l’URSS.

D’une révolution à l’autre : l’échec de la « révolution du Shah et du peuple »

Le 5 juin 1963, le shah lance un référendum pour connaître l’avis de la population concernant sa « révolution blanche », plus connue sous le nom de « révolution du Shah et du peuple ». Il s’agit d’une réforme en profondeur de la société dont les six principes fondamentaux sont les suivants : la nationalisation des forêts et des pâturages, l’octroi du droit de vote aux femmes, la privatisation des entreprises étatiques pour financer la réforme agraire, la participation des travailleurs aux bénéfices de leur entreprise, la création d’une « armée du savoir » dans laquelle les conscrits diplômés contribuent aux campagnes d’alphabétisation. Cependant, ces changements nuisent aux appuis traditionnels du shah : les grands propriétaires terriens, les chefs tribaux et le clergé, qui s’estiment lésés par la réforme agraire. De plus, cette réforme provoque un fort exode rural sans obtenir en retour le soutien des populations agricoles. Au sein du clergé, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, peu connu à l’époque, lance une agitation contre le référendum dans les écoles religieuses, agitation rapidement suivie par les populations urbaines gonflées par l’exode rural, les bazaris et même les étudiants. Il est arrêté le 5 juin, ce qui provoque des heurts violents dans plusieurs villes. La loi martiale est décrétée mais Khomeiny n’est qu’assigné à résidence avec interdiction de faire des déclarations politiques. Il est finalement expulsé en 1964 et se rend dans la ville sainte chiite de Najaf en Irak. En outre, la nouvelle classe moyenne née de la révolution blanche et des revenus du pétrole est mécontente de ne pas avoir accès aux sphères politiques.

Les années 1960 voient ainsi une triple opposition au pouvoir se mettre en place (nationaliste, islamiste et marxiste), avec parfois de véritables actions de guérilla. En effet, le bipartisme de façade avec la création en 1957 des partis Melliyoun (Nationaliste) et Mardom (Peuple) dirigés par deux amis personnels du shah, Manoutchehr Eqbal et Asadollah Alam, est loin de satisfaire le peuple.

Le début des années 1970 est marqué cependant par des succès de l’Iran en politique extérieure et en économie avec la « doctrine Nixon » (les puissances régionales sont amenées à prendre davantage la sécurité de la zone en main) et avec le choc pétrolier de 1973. Cependant, à partir de 1975, la baisse du dollar et les politiques de réduction des dépenses énergétiques des pays occidentaux se ressentent sur les exportations iraniennes. De plus, Riyad remplace Téhéran comme allié stratégique des Etats-Unis, et l’élection du démocrate Carter en 1977 et son intérêt pour le respect des droits de l’homme inquiète, les intellectuels de gauche en Iran en profitant pour demander une plus grande démocratisation.

Le 7 janvier 1978, le quotidien Etelaat publie un article contre Khomeyni, article considéré comme insultant par le clergé. Le lendemain, des émeutes éclatent dans la ville sainte de Qom. Elles sont violemment réprimées et les victimes sont considérées comme des martyrs par le clergé chiite. La radicalisation se poursuit début septembre lors du « vendredi noir », place Jaleh à Téhéran, qui fait une centaine de morts. Les relations entre le shah et ses opposants sont désormais coupées. Ainsi, le 26 décembre, une grève de l’industrie pétrolière paralyse le pays, et le 16 janvier 1979, le shah part en exil. Quant à Khomeiny, il rentre triomphalement le 1er février.

Bibliographie :
 Jean-Pierre Digard, Bernard Hourcade et Yann Richard, L’Iran au XXème siècle, Paris, Fayard, 1996.
 Thierry Kellner et Mohammed-Reza Djalili, Histoire de l’Iran contemporain, Paris, La Découverte, 2010.
 Jean-Paul Roux, Histoire de l’Iran et des Iraniens, Paris, Fayard, 2006.

Publié le 01/05/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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