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Le protectorat d’Aden pendant l’entre-deux-guerres

Par Ainhoa Tapia
Publié le 25/06/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Rivalité constante avec l’imam Yahya

Dans un premier temps, après le retrait des troupes turques de l’arrière-pays d’Aden, aucune présence britannique n’est envoyée sur place. Les Anglais restent à l’intérieur d’Aden et le Colonial Office (ministère des Affaires coloniales) ainsi que le colonel H. E. Jacob qui dirige les troupes britanniques débarquées à Hudaydah en 1919, envisagent de reconnaître la souveraineté de Yahya au-delà des frontières du Lahij. Cependant, la volonté de Yahya de contrôler de nouveaux territoires change la donne. En effet, Yahya attaque des zones n’ayant pas connu de domination zaydite - Yahya est de confession zaydite - depuis plus de 3000 ans, exigeant des territoires sur lesquels il n’a aucun droit légitime : par exemple, la montagne de Shu’ayb, sanctuaire sacré de la tribu des Yafi au nord du Lahij. Afin de lutter contre Yahya, les Britanniques décident d’armer les tribus locales pour que celles-ci se battent contre l’imam. Les Britanniques utilisent également en 1922 leur aviation et expulsent les troupes de l’imam de la ville d’Hawshabi, au nord du Lahij et au sud de l’ancienne frontière anglo-turque. Les volontés de conquête de Yahya ne s’arrêtent pas pour autant et les combats se poursuivent jusqu’en 1926, année pendant laquelle des négociations sont entamées. Mais elles échouent. Londres choisit alors une approche plus offensive : ne plus seulement se défendre lorsque Yahya attaque mais traverser l’ancienne frontière anglo-turque pour attaquer l’imam sur son propre territoire. Ainsi, dès 1927, Qa’tabah, capitale de la région d’al-Dali au nord du Lahij et première grande ville au-delà de l’ancienne frontière, est mitraillée et bombardée pendant cinq jours jusqu’à ce qu’elle tombe. Les forces britanniques poursuivent leur progression vers le nord sur les territoires contrôlés par l’imam et parviennent à Ibb, à cent kilomètres au nord que Qa’tabah, également bombardée. Puis Ta’izz, deuxième plus grande ville de l’imamat après la capitale Sanaa et siège de la cour du fils aîné de Yahya, Ahmad, est aussi bombardée.
Malgré la supériorité militaire des Britanniques, Yahya refuse de se rendre et les combats se poursuivent jusqu’en février 1934. En effet, convoitant également la région de l’Asir à la frontière avec l’Arabie saoudite, il comprend qu’il ne peut mener deux guerres en même temps. Par ailleurs, les Britanniques ont réussi à lever des armées tribales dans le Bas Yémen sous contrôle de l’imam, et celles-ci se dirigent vers Sanaa. C’est ainsi qu’un traité de paix est signé en février 1934 à Sanaa, fixant la frontière entre le Yémen de l’imam et le protectorat britannique d’Aden sur l’ancienne frontière anglo-turque.

Les ambitions de Yahya se poursuivent néanmoins, et en 1938 il envoie Ali Nasir al-Qardai, cheik d’une zone frontalière qui a accepté la domination de l’imam en 1927, prendre la ville de Shabwah, point de jonction entre les deux Etats. Les Britanniques réussissent néanmoins à garder la ville, avec leur aviation et avec l’aide des tribus locales. Ils montrent ainsi que le sud de la région de l’Hadramawt fait partie du protectorat et que la frontière définie en 1934 sépare des Etats indépendants et souverains.

Le protectorat de l’Est

Hormis le conflit avec Yahya, l’autre enjeu pour les Britanniques est d’obtenir la loyauté des tribus locales. Pour ce faire, les Britanniques n’envoient pas de troupes anglo-indiennes, mais enrôlent des hommes sur place. Sont ainsi créées en 1927 les Levées Adénites ; en 1934 les Gardes tribales ; en 1937 les Gardes gouvernementales, nouvelle force armée de 200 hommes dont la mission est d’escorter le political officer (fonctionnaire indigène travaillant pour les Britanniques qui a pris ses fonctions en 1934). En 1937, un conseiller politique est désigné pour le protectorat de l’Ouest (les neufs tribus originales et leurs voisins) et un pour le protectorat de l’Est (les domaines des tribus Qu’ayti et Khatiri dans l’Hadramawt et la région de Mahrah). Entre 1937 et 1941, leur nombre passe de deux à douze.
Cette forward policy ou politique directe est l’œuvre de Bernard Reilly, Résident d’Aden dans les années 1920 et 1930 (il négocie notamment le traité de paix de 1934 avec Yahya), gouverneur de 1937 à 1940. Il continue à diriger les affaires yéménites depuis Londres à son retour en Grande-Bretagne dans les années 1950. Pour lui, il est nécessaire de maintenir l’imam à distance et que la Grande-Bretagne administre elle-même son protectorat, sans déléguer le pouvoir aux chefs tribaux.
Pour mettre en œuvre sa politique, Reilly envoie dès 1934 un de ses hommes, Harold Ingrams, explorer l’Hadramawt - des discussions étaient en cours avec Ibn Saoud, roi d’Arabie, concernant les limites précises du protectorat. En 1936, lors d’un de ses voyages, Ingrams obtient des principaux chefs Qu’ayti et Khatiri que des trêves soient mises en place. En effet, l’organisation politique de la région est très complexe car chaque sultan dirige un domaine aux frontières souvent mal définies. S’ajoute à cela les nombreuses hawtah ou zones sacrées où la violence est interdite et où personne, ni les sultans, ni le dahlah, c’est-à-dire l’Etat, n’a de réelle autorité. Par conséquent, les conflits territoriaux sont très fréquents et les vendettas nombreuses. La mission d’Ingrams consiste avant tout à ramener l’ordre dans la région afin de pouvoir ensuite l’administrer correctement. Ainsi, un peace bord ou comité pour la paix est nommé avec les deux sultans Quu’ayti et Khatiri à sa tête. En réalité, il est financé et organisé par les sayyeds de la région, dont les plus importants sont la famille des al-Kaf. Finalement, au bout de trois mois, un accord d’une durée de trois ans est trouvé pour l’ensemble de la région. Selon les termes de cet accord, seuls les Qu’aytis et les Khatiri sont reconnus par Londres comme des souverains légitimes.

Le protectorat de l’Ouest

La situation est plus difficile dans le protectorat de l’Ouest. Tout d’abord, le terrain est plus accidenté ce qui rend son contrôle malaisé. Ensuite, les gouvernements reconnus par les Britanniques sont plus nombreux (neufs tribus initialement reconnues lors de l’installation des Britanniques au XIXème siècle). Enfin, les relations entre ces tribus sont extrêmement complexes. Ainsi, la région de Yafi (au nord-est du protectorat de l’Ouest) est divisée entre Haut et Bas Yafi, chaque zone possédant son propre sultan qui se considère comme la dawlah (autorité souveraine). Il existe en outre des cheiks secondaires, aucun n’obéissant aux autres et chacun ayant signé des traités indépendants avec les Britanniques. Cependant, le problème majeur est d’ordre sécuritaire : tandis que les marchands circulent sans crainte dans les territoires de l’imam Yahya au nord de la frontière anglo-yéménite, ils sont victimes d’extorsions et de vols sur les routes britanniques, et ce malgré la tentative de contrôle aérien des routes commerciales. Or, pour les Britanniques, l’absence de routes commerciales sûres n’est pas envisageable. Malgré quelques bombardements en 1936 pour tenter de rappeler à l’ordre les tribus rebelles, aucune trêve générale n’est signée et le protectorat de l’Ouest reste une zone dangereuse, rebelle à toute réelle administration.

Bibliographie :
 « Yémen », Encyclopedia Universalis.
 Victoria Clark, Yemen : dancing on the heads of snakes, Yale, 2010.
 Paul Dresh, A history of modern Yemen, Cambridge, 2000
 R.J. Gavin, Aden under British Rule : 1839-1967, Londres, 1975.

Publié le 25/06/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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