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Le plateau du Golan, un territoire historiquement disputé devenu le théâtre d’affrontements depuis le début du conflit syrien

Par Ines Gil
Publié le 01/06/2017 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Source : University of Texas libraries, University of texas and Austin.
http://www.lib.utexas.edu/

Un territoire stratégique convoité

Large territoire surélevé, le Golan devient syrien dès l’indépendance du pays en 1946. Au nord, le Mont Hermon fait office de séparation avec le Liban, au sud, il partage une frontière avec la Jordanie au niveau de la Vallée de Yarmouk. Côté ouest, un dénivelé qui surplombe la vallée du Jourdain et la Galilée israéliennes le sépare de l’Etat d’Israël (1), et à l’est, seuls 30 kilomètres séparent les pieds du plateau de Damas. S’élevant de 500 à 1000 mètres d’altitude, le plateau du Golan s’étend entre 12 et 25 km en largeur et sur 67 km en longueur (2). Le territoire est intégré à la Syrie à son indépendance en 1946, suivant les tracés établis entre Français et Britanniques dès 1923 (3). Avec la guerre israélo-arabe de 1948-1949, les Syriens prennent conscience des atouts considérables de ce territoire comme outil défensif et offensif. Après avoir été repoussée par la Haganah (4), l’armée syrienne se replie sur le plateau. Suite à la guerre, elle attaque les installations israéliennes militaires et civiles depuis les hauteurs du plateau, sans risquer de représailles.

http://www.lib.utexas.edu/maps/middle_east_and_asia/golan_heights_rel89.jpg

La guerre des six jours constitue un tournant pour l’avenir du Golan. En deux jours, les 8 et 9 juin 1967, la majeure partie du plateau tombe aux mains de l’armée israélienne, puis débute une phase d’occupation du territoire. Beaucoup d’habitants prennent la fuite vers la Syrie et ceux qui restent sont en majorité Druzes ; leur nombre s’élèverait aujourd’hui à 22 000. En novembre 1967, l’ONU condamne la présence israélienne dans le Golan par la résolution 242, qui demande le retrait d’Israël de l’ensemble des territoires occupés. Dès 1967, des colonies sont implantées dans le Golan. Les colons seraient aujourd’hui environ 30 000. Durant la guerre du Kippour en 1973, la Syrie et l’Egypte attaquent Israël principalement pour récupérer respectivement le Golan et le Sinaï conquis en 1967. Suite à cette guerre, Israël rend le Sinaï à l’Egypte et les deux pays signent un traité de paix quatre ans plus tard. Mais le Golan reste israélien sur la base de la conquête de 1967. L’Etat Hébreu prend d’autant plus conscience des atouts stratégiques du plateau en période de guerre. L’année suivante, en 1974, devant le risque d’un nouveau conflit entre Syriens et Israéliens, l’ONU met en place les Forces des Nations unies chargées d’observer le désengagement (FNUOD), constituant une zone tampon entre les deux armées ennemies. Conformément à la résolution 350 de l’ONU, elles surveillent « le respect du cessez-le-feu entre Israël et la Syrie », les « zones de séparation et de limitation des armements » (5).

Les années 1980 sont une décennie de durcissement. Israël souhaite conserver le Golan, ce que la Syrie ne peut accepter, alors que la droite nationaliste israélienne, peu ouverte à la négociation, s’affirme dans la vie politique du pays (6). En 1981, la Knesset vote l’annexion du plateau. Une décision condamnée par les Nations unies en décembre de la même année, avec la résolution 497.

La guerre du Golfe adoucit les relations israélo-syriennes, la Syrie faisant partie de la coalition contre l’Irak. Durant la Conférence de Madrid en 1991, les négociations s’ouvrent entre les deux pays sur la question du Golan. « Normalisation des relations, calendrier d’application, question de l’eau, retrait israélien du Golan, arrangements de sécurité » (7) sont les points clés abordés par les deux pays. Suite au retour d’un gouvernement israélien travailliste en 1992, de réelles négociations débutent avec Yitshak Rabin, sous l’égide de Washington. En 1995, le Premier ministre Rabin affirme la nécessité pour Israël de garder le contrôle de l’eau, et pose comme condition à un retrait du Golan la normalisation des relations avec la Syrie. Les relations n’étant pas normalisées, il justifierait ainsi un retrait seulement partiel du plateau. Après l’assassinat de Rabin, le Likoud arrive au pouvoir, mettant un coup d’arrêt aux négociations. Le 26 janvier 1999, une loi sans précédent est votée ; tout gouvernement décidant de compromis sur le plateau devra dorénavant réunir une majorité qualifiée de 70 députés à la Knesset ou de 65 % des suffrages lors d’un référendum. A l’été 1999, les travaillistes israéliens sont de nouveau au pouvoir avec Ehud Barak. Les négociations reprennent entre Syriens et Israéliens, sans succès. A la fin des années 2000, les exigences des deux parties se durcissent, rendant la possibilité d’un accord plus lointaine. La Knesset vote une loi imposant l’organisation d’un référendum pour tout retrait d’un territoire annexé en 2009. Une nouvelle législation qui vient limiter la possibilité d’un retrait israélien ; parmi la population israélienne, un retrait du Golan serait peu accepté (8).

Les Israéliens sont dans leur grande majorité favorables à l’annexion du Golan. Contrairement à la Cisjordanie et Gaza, les divisions politiques israéliennes sont presque inexistantes sur la question du Golan. De la gauche radicale avec Meretz jusque la droite du Likoud, les Israéliens refusent de rendre le plateau aux Syriens (9). Lorsque que les Premiers ministres Yitshak Rabin puis Shimon Pérès et plus tard Ehud Barak tentent de négocier le Golan avec la Syrie, la société israélienne se montre fortement hostile. Une position qui s’explique par une forte hostilité à l’Etat syrien et à son allié l’Iran, mais aussi par la situation géographique du Golan ; s’il était syrien, il constituerait un trop grand atout pour la Syrie, sur le plan offensif. Par ailleurs, contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie, les Druzes du Golan ne sont pas considérés comme farouchement hostiles à la présence israélienne ; la dimension morale avec l’image d’un Etat oppresseur est donc bien moins présente dans l’imaginaire collectif israélien, notamment à l’extrême gauche.

Pour Israël, le Golan constitue un territoire éminemment stratégique. Sur le plan de la défense, le plateau n’empêche pas aux ennemis de pénétrer dans le territoire, mais sa géographie retarde les potentielles attaques et en fait un point d’observation essentiel. Une aubaine pour l’Etat Hébreu qui est officiellement en guerre avec l’Etat syrien, et qui a été l’acteur de confrontations violentes avec son ennemi libanais, le Hezbollah. Sur le plan des ressources, le plateau fournit 250 millions de m3 d’eau par an, soit 22% de sa production annuelle. Sa dimension constitue aussi une protection pour le lac de Tibériade et le Jourdain israéliens.

Malgré quelques incidents, la ligne de cessez-le-feu est restée relativement calme depuis la guerre du Kippour. La Syrie sait qu’elle n’a pas les moyens de récupérer le plateau par la force. Cependant, le début de la guerre syrienne vient troubler cette tranquillité relative.

Le plateau du Golan affecté par la guerre syrienne

La violence de la guerre syrienne s’est étendue le long du plateau du Golan, rendant la zone frontalière entre la Syrie et le Golan annexé par Israël instable. Le long de cette zone, divers acteurs de la guerre syrienne étendent leur influence. Les 80 kilomètres qui longent le Golan annexé sont divisés en trois zones. Le nord est contrôlé par l’armée syrienne avec ses alliés du Hezbollah et des conseillers iraniens. Le centre est à 70% contrôlé par le Front Al-Nosra - ancienne branche locale d’Al Qaida - et des petits groupes rebelles parfois affiliés à l’Armée Syrienne Libre. Au sud, est apparu un nouvel acteur, la Brigade des Martyrs du Yarmouk, un groupe rallié à Daesh et composé de 700 combattants répartis sur 15 kilomètres (10).

Depuis le plateau du Golan, Israël observe aisément les évolutions du conflit syrien et reste relativement épargné par la guerre. Une place stratégique qui lui permet d’anticiper les déplacements et combats réguliers entre la multitude d’acteurs cités ci-dessus. L’Etat hébreu renforce aussi sa connaissance du conflit grâce aux rebelles syriens à proximité. Le pays se dit officiellement neutre dans le conflit syrien. Cependant, Israël entretient des liens avec certains rebelles, à la frontière avec le Golan. Les dernières années, plus de 2000 blessés rebelles auraient été transférés depuis la Syrie, en passant par le Golan, vers des hôpitaux israéliens. Des combattants qui représentent une source d’information importante pour les Israéliens. L’Etat hébreu est ainsi relativement épargné par le conflit syrien. Il doit beaucoup cette situation à sa position privilégiée dans le Golan. Divers incidents montrent cependant que le Golan est aussi affecté par ce conflit.

Les combats avec l’armée syrienne ont entrainé de violents incidents sur le plateau. A plusieurs reprises, des tirs de mortiers syriens à destination des groupes rebelles ont atterri dans la partie nord du Golan annexé par Israël. Des incidents qui ont mené à des ripostes israéliennes sur des installations ou engins militaires du régime syrien, comme en novembre 2012 (11), en août 2013 (12), en juillet 2016 (13), ou encore en avril dernier (14).

En 2014, face aux violences liées au conflit syrien, les observateurs de l’ONU quittent la zone démilitarisée définie en 1974. A la fin du mois d’août 2014, 45 casques bleus fidjiens sont pris en otage par le front Al-Nosra, qui réclame une aide humanitaire et de ne plus être classé comme organisation terroriste. Suite à ces incidents, les observateurs se replient sur la partie du Golan annexée par Israël (15). Un retrait qui témoigne de l’impossibilité à créer une zone démilitarisée le long du Golan à l’heure actuelle. Depuis 2014, les rebelles et groupes djihadistes ont gagné du terrain le long du Golan.

L’Etat d’Israël craint particulièrement la présence du Hezbollah, milice chiite libanaise alliée du régime syrien et ennemi historique de l’Etat hébreu, mais aussi l’influence iranienne à sa frontière. En janvier 2015, suite à des roquettes lancées du nord du Golan syrien vers le Golan israélien et la Galilée, Israël lance un raid qui se solde par 7 morts, 6 membres du Hezbollah et un conseiller iranien (16). Un raid qui fait à l’époque craindre une nouvelle escalade entre le Hezbollah et Israël, 9 ans après la guerre qui les a opposés au Liban. Une nouvelle guerre n’a finalement pas eu lieu, suite aux appels au calme de la Russie – allié respectif d’Israël et du Hezbollah – mais surtout parce qu’Israël, comme le Hezbollah, n’avait pas d’intérêts à entrer dans un nouveau conflit.

La guerre en Syrie a aussi eu un impact sur la population du Golan. En 2015, suite à l’assassinat de 20 Druzes syrien par le front Jabat Al-Nosra, des Druzes syriens du Golan s’en prennent à une ambulance israélienne transportant des rebelles blessés syriens dans le Golan. Ils tuent l’un d’eux et laissent l’autre dans un état critique. La communauté druze du Golan fait pression sur le gouvernement israélien pour qu’il cesse de soigner les blessés rebelles et se range du côté syrien pour défendre les minorités syriennes telles que les Druzes. Ces pressions inquiètent les autorités israéliennes, qui doivent ménager leurs alliés druzes israéliens, mais elles ne font pas changer la position israélienne vis-à-vis du régime syrien.

Limités avant la guerre, les liens entre les Syriens et les Druzes syriens du Golan annexé sont aujourd’hui inexistants. Avec les combats, les déplacements de populations pour rendre visites aux familles de l’autre côté de la frontière ou pour l’organisation de mariages ne sont plus possibles. De même, il existait entre les Druzes du Golan et Damas des échanges commerciaux avec la vente de pommes en direction de la Syrie. Un commerce aujourd’hui stoppé par la guerre. Depuis le début du conflit, la perspective d’un avenir en Syrie s’assombrit pour les Druzes du Golan, qui craignent particulièrement la violence des combats et les groupes islamistes. Ainsi, ils envisagent de plus en plus leur avenir en Israël ; depuis 2011, le nombre de demandes d’acquisition de la nationalité israélienne a augmenté chez les Druzes du Golan.

Conclusion

Le Golan représente par sa géographie un fort atout pour Israël sur les plans défensif et offensif. Les négociations avec la Syrie ont toujours été longues et houleuses du fait de l’importance de ce territoire pour Israël. La guerre syrienne débutée en 2011 a confirmé cette réalité pour l’Etat hébreu, amenuisant ainsi la perspective d’un retour de l’ensemble du Golan vers la Syrie. En 2016, Netanyahou a déclaré que le Golan restera « pour toujours » (17) israélien alors que la Syrie revendique encore la totalité du plateau.

Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :

Le Golan, théâtre de l’investissement grandissant d’Israël dans la guerre syrienne et de la force croissante du régime syrien et de ses alliés

Notes :

(1) MARIN Cécile, « Un plateau stratégique » Le Monde Diplomatique, octobre 2016, le 17 mai 2017 (en ligne), URL : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/golan
(2) ENCEL Frédéric, « Le Golan au cœur de la géopolitique d’Israël », La revue pour l’histoire du CNRS, consulté le 17 mai 2017 (en ligne), URL : https://histoire-cnrs.revues.org/8242
(3) MARIN Cécile, Idem.
(4) Organisation paramilitaire sioniste créée en 1920, elle est intégrée à l’armée israélienne en 1948. Haganah signifie « défense » en hébreu.
(5) « Forces des Nations unies chargées d’observer le désengagement », Nations unis, consulté le 17 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/undof/mandate.shtml
(6) BERTHELOT Pierre, « Le Golan, statut quo ou restitution ? », Politique étrangère, Institut Français des Relations Internationales, 2010, p. 228.
Idem.
(9) ENCEL Frédéric, Idem.
(10) D’ALANCON François, « Sur le Golan, l’armée israélienne face à Al-Qaida, La croix, Le 13 juin 2016, consulté le 17 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Sur-Golan-armee-israelienne-face-Al-Qaida-2016-06-13-1200768204
(11) « Israël réplique une nouvelle fois à un tir d’obus syrien », France 24, le 13 novembre 2012, consulté le 18 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.france24.com/fr/20121112-syrie-israel-nouveaux-tirs-sommation-golan-obus-bachar-al-assad
(12) « Israël réplique après des tirs d’obus syriens sur le Golan », Le Monde, le 17 août 2013, consulté le 18 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/17/israel-replique-apres-des-tirs-d-obus-syriens-sur-le-golan_3462903_3218.html
(13) « Israël réplique à un tir de mortier en provenance de Syrie », Le Figaro, le 25 juillet 2016, consulté le 18 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/07/25/97001-20160725FILWWW00293-israel-replique-a-un-tir-au-mortier-en-provenance-de-syrie.php
(14) « Syria war : Israel patriot missile downs ‘target’ over Golan », BBC, 27 avril 2017, consulté le 18 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-39739787
(15) « Retrait de membres de l’ONU sur le Golan », Le Monde, Le 15 septembre 2014, consulté le 17 mai 2017 (en ligne) URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/15/retrait-de-membres-de-l-onu-sur-le-golan_4487714_3218.html
(16) « Top iranian general and six Hezbollah fighters killed in israeli Attack in Syria », The Guardian, le 19 janvier 2015, consulté le 17 mai 2017 (en ligne), URL : https://www.theguardian.com/world/2015/jan/19/top-iranian-general-hezbollah-fighters-killed-israel-attack-syria
(17) RAVID Barak, « Netanyahu : It’s time the world recognize israeli sovereignty over Golan Heights », Haaretz, le 17 avril 2016, consulté le 18 mai 2017 (en ligne), URL : http://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.714813

Publié le 01/06/2017


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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