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Le nucléaire iranien (1957-2012)

Par Clément Guillemot
Publié le 03/09/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

Carte de localisation des sites nucléaires iraniens

AFP INFOGRAPHIE BERLIN/TLG

Pour autant, les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, accusent l’Iran de développer un programme militaire par la fabrication d’une arme nucléaire sous couvert de ce programme civil et pressent l’Iran de cesser le développement de son industrie électronucléaire. En effet, cette industrie nucléaire visant à l’usage civil (énergétique) passe par la voie de l’uranium faiblement enrichi. Or, cette voie constitue également la base d’un programme militaire dès lors que l’on a un enrichissement supérieur à 20 %. La question des intentions iraniennes se pose donc, si l’on considère également la faible transparence des informations. A la date du 5 mars 1970, l’Iran a signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP [2]) ; il s’est donc interdit toute activité dans le domaine du nucléaire militaire. Le pays, qui clame la nature civile de son programme nucléaire, est donc parfaitement dans la légalité selon le cadre du traité TNP. Pourtant, les pays occidentaux et les Etats-Unis disposent, avec l’Agence internationale de l’énergie Atomique (AIEA), mais sans preuve formelle, d’indices qui laissent supposer la vocation militaire de cette industrie électronucléaire iranienne. Parmi ces indices, la dissimulation par l’Iran de ses installations et activités nucléaires entre 1987 et 2002 ; les déclarations du docteur Abdul Qadeer Khan, père de la bombe atomique pakistanaise, qui a reconnu avoir apporté son aide à l’Iran en lui transmettant des informations et des technologies ; la découverte par les inspecteurs de l’AIEA de traces suspectes d’uranium fortement enrichi et de matériaux utiles dans l’industrie militaire. Toutefois, la volonté des Etats occidentaux et surtout celle des Etats-Unis d’interdire à l’Iran le développement de son nucléaire apparait avoir une raison essentiellement politique. Pour François Géré, la capacité du développement nucléaire iranien peut « déboucher sur le problème absolument fondamental de la remise en cause de l’ordre mondial et des principes issus de la Seconde Guerre mondiale [3] ». Cela signifie, qu’outre la remise en cause hégémonique des Etats occidentaux, la détention éventuelle par l’Iran de la bombe nucléaire porte en elle la possible prolifération des armes nucléaires dans les pays en développement, ce que les Etats occidentaux considèrent comme contraire aux grands principes internationaux.

Les moments clés du développement du nucléaire iranien

L’industrie nucléaire iranienne fait ses débuts dès 1957, avec le soutien américain, par le biais de l’organisation de l’énergie atomique d’Iran (AEOI). Divers contrats s’ensuivent, traités avec les Allemands et les Français, qui prennent brutalement fin avec l’instauration de la république islamique d’Iran en 1979, alors même, signale François Heisbourg, que les avancées iraniennes sont spectaculaires : « jusqu’au moment où la poussée révolutionnaire islamique commence à perturber les travaux dans la seconde moitié de 1978, l’Iran était ainsi bien parti pour mettre sur pied un programme électronucléaire d’une ampleur voisine à celle de l’Allemagne [4] ». La nouvelle république islamique dénonce en effet ce programme comme symbole de la dépendance à l’étranger et comme moyen illégitime de dépenser les richesses du pays. Cependant, l’isolement iranien, notamment lors de l’embargo américain pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), pousse les autorités à relancer le choix du nucléaire, officiellement civil, en évoquant le nécessaire développement d’une autosuffisance énergétique. C’est alors que le doute nait chez certains experts étrangers qui considèrent que le déploiement des armes chimiques irakiennes a poussé les Iraniens au développement d’une industrie nucléaire essentiellement militaire, dans l’intérêt de leur sécurité territoriale. La décision du gouvernement iranien de poursuivre un programme d’enrichissement d’uranium – dont on rappelle qu’il est aussi bien nécessaire au programme nucléaire civil qu’au programme nucléaire militaire – se concrétise en 1987 par un accord secret signé avec le Pakistan tandis que d’autres accords sont signés en 1995 avec la Russie pour l’installation d’une centrale nucléaire, en 1997 avec la Chine pour la fourniture de technologie nucléaire. Or, le 14 août 2002, au moment même où les pays signataires du Traité de non-prolifération s’accordent à reconnaitre la régularité du programme nucléaire iranien, le Conseil national de la résistance iranienne, organisation clandestine d’opposition, révèle l’existence de travaux d’enrichissement et de retraitement, autorisés par le TNP, mais qui peuvent facilement être détournés à des fins militaires. Sommés de s’expliquer sur les particularités de leurs actions, installations et recherches cachées (accord de 1987 avec le Pakistan, expérimentations laser, sites de Natanz et d’Arak), les Iraniens rétorquent que leur pays fait l’objet d’une discrimination de la part de ceux disposant des meilleures technologies nucléaires et que, sous la pression américaine, ils ont été exclus de tous les accords officiels, ce qui a par exemple mené à l’annulation de leur accord de 1995 avec les Argentins et à la réduction de leur coopération avec la Chine. Ils expliquent que cette exclusion les a, dès lors, poussé à acquérir de façon clandestine la technologie nucléaire.

Mais en février 2003, l’Iran accepte une première inspection de l’AIEA et, dans un premier temps, négocie avec la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Le 18 décembre 2003, l’Iran s’engage à respecter un moratoire sur l’arrêt de ses activités susceptibles de parvenir au nucléaire militaire – notamment l’enrichissement et le retraitement – et, par un protocole additionnel, accepte les contrôles renforcés [5] de l’AIEA dits « anywhere-anytime ». La crise survient en 2005 lorsque le président iranien Mahmoud Ahmadinejad décide que l’Iran a accordé un délai suffisant à l’AIEA pour ses inspections renforcées, alors que l’agence internationale n’a découvert, durant la période, aucune activité nucléaire militaire (bien que certains éléments puissent prêter à confusion [6]). L’incertitude se renforce alors : l’Iran reprend ses activités d’enrichissement et de retraitement de l’uranium en dépit des multiples négociations sur la poursuite du moratoire de 2003, ce qui mène l’AIEA à saisir le Conseil de sécurité des Nations unies le 4 février 2006. C’est alors que l’Iran cesse de tolérer les inspections renforcées (qui sont autres que les inspections simples [7]) et décide de ne pas ratifier le protocole additionnel envisagé, déclarant que « l’additif est une immixtion dans ses affaires intérieures [8] », estimant en outre qu’il n’est pas normal que les autres membres signataires du TNP ne soient pas l’objet de contrôles tout aussi approfondis. Depuis, le porte-parole de la commission parlementaire pour la politique extérieure et la sécurité iranienne, Kazem Jalali, précise la revendication de son pays : « la ratification du protocole additionnel n’est possible que sous réserve de la reconnaissance du droit officiel de l’Iran aux recherches nucléaires pacifiques dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et de la réalisation de ce droit par notre pays [9] ». L’Iran réclame la reconnaissance du droit à la poursuite immédiate de ses travaux d’enrichissement et de retraitement, sans parvenir à convaincre les pays européens et les Etats-Unis de ses intentions. S’enchainent alors les résolutions du conseil de sécurité des Nations unies (la résolution 1737 en 2006, 1747 en 2007, 1803 en 2008, 1929 en 2010), qui exhortent l’Iran à ratifier le protocole additionnel et donc à accepter les contrôles approfondis et à stopper toute activité d’enrichissement et de retraitement de l’uranium tant que subsiste le doute.

Le rapport de l’AIEA du 25 mai 2012, qui appelle l’Iran à accepter les contrôles approfondis, fait état d’un manque de plus en plus flagrant de coopération et de transparence de la part de l’Iran et de la subsistance d’éléments renforçant le doute sur les objectifs finaux poursuivis par le pays. Le rapport ne peut cependant affirmer pleinement le développement d’un nucléaire à vocation militaire [10]. De même, l’AIEA indique le 27 août 2012 que le nombre des centrifugeuses du site souterrain de Fordo a doublé entre mai et août, étant actuellement de 2 000. L’Agence précise cependant que 700 sont en activité. L’AIEA regrette en outre que l’Iran ne lui permette pas de mener à bien ses vérifications sur la base militaire de Parchin.

Les aspects légaux du dossier

Le 25 mars 2008, le guide suprême iranien, l’ayatollah Khameini, annonce que « l’Iran dispose de quantités substantielles de matières fissiles de qualité militaire, personne ne pouvant désormais menacer les intérêts vitaux du peuple iranien [11] », laissant entendre que le développement du programme nucléaire civil permet à l’Iran de maitriser tous les maillons du cycle du combustible, et donc de pouvoir, s’il le désire, fabriquer une bombe nucléaire. Ce « programme nucléaire de précaution [12] » qu’annonce Khameini permet à l’Iran de considérer qu’il n’a pas formellement enfreint le traité de non-prolifération. Ni dans le traité TNP, ni dans aucun autre traité international, n’existe une interdiction de se positionner comme « un pays de seuil [13] » qui, selon Catherine Grandperrier, permet de frôler la limite du nucléaire militaire. C’est ainsi l’ambiguïté et les interprétations possibles du traité de non-prolifération qui limite pour une part la possibilité pour l’AIEA de déclarer qu’un Etat ne respecte pas ce traité. Dans le cas présent, l’argumentation iranienne se fonde sur l’existence d’un « droit inaliénable au développement de la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques », précisé dans l’article IV du TNP. Or, ce « droit inaliénable » n’est qu’imparfaitement défini dans cet article, étant donc sujet à de multiples interprétations. Quant à l’article III du TNP, qui évoque les garanties stipulées entre la partie prenante et l’AIEA obligeant l’Iran à établir et maintenir un système de vérification et de contrôle de tout son matériel nucléaire pour en vérifier la conformité, il n’a pas réussi à mener au consensus : les Occidentaux font état d’une violation des accords de garanties en ce que les activités nucléaires iraniennes n’ont pas été déclarées à l’AIEA en bonne et due forme or, le secrétariat de l’AIEA n’a jamais déclaré que les agissements de l’Iran forment une violation du TNP. C’est ainsi qu’au titre du droit international, l’Iran n’est pas condamnable. L’Iran soutient être dans la légalité dès lors qu’il n’est pas démontré que son programme a des visées militaires, que ce sont en conséquence les résolutions du conseil de sécurité de l’ONU qui sont hors légalité. En vérité, selon Ali Rastbeen, opposant iranien et directeur de la revue Géostratégiques, « la question de (la liberté d’accès) des pays en voie de développement à l’énergie nucléaire se pose désormais de moins en moins et (est) remplacée par la préoccupation de prévenir ce qui pourrait devenir des armes de destruction massive [14] ». C’est en cela que les négociations butent.

Les enjeux politiques

La volonté occidentale et américaine à obtenir l’arrêt du programme nucléaire iranien s’oppose à la volonté iranienne sur un plan politique. Côté iranien, dit Nader Barzin, le souhait est de développer une industrie électronucléaire civile permettant d’accéder rapidement à la fabrication et à la mise en œuvre opérationnelle d’un nombre limité d’armes nucléaire, tout en faisant apparaitre, ce qui n’est pas le moindre intérêt, d’une manière résolument incertaine mais suffisamment assurée, que le pays se trouve dans cette position du possible [15]. L’Iran serait en mesure d’influer sur la géopolitique mondiale, réduisant l’effet du potentiel de l’arsenal nucléaire américain ainsi que la position de force régionale d’Israël, pièce maîtresse de la position américaine au Moyen-Orient. L’Iran pourrait par là-même affirmer une hégémonie régionale par le renforcement d’un « arc chiite » au détriment de l’Arabie saoudite puis, mieux négocier les prix du pétrole et renforcer sa sécurité territoriale dans un environnement déstabilisé. Par hypothèse, l’Iran gagnerait en force par rapport aux Etats-Unis, qui y perdraient leur facile accès au pétrole du Moyen-Orient. D’un autre côté, ce développement pourrait entraîner une tentation de prolifération nucléaire dans les pays en développement et ainsi perturber l’efficacité du système international multilatéral, et le traité de non-prolifération en particulier. Enfin, le rôle de gendarme du monde des Américains pourrait s’en trouver affaibli. C’est bien là l’origine de la crise dite du nucléaire iranien.

Bibliographie :
 Nader Barzin, L’Iran nucléaire, Paris, L’Harmattan, 2005, 302 pages.
 Faustine Boccas, « Le programme nucléaire iranien au regard du système international de non-prolifération », Mémoire de séminaire, droit international public, Science Po Lyon, 104 pages, http://doc.sciencespolyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/Memoires/Cyberdocs/MFE2010/boccas_f/pdf/boccas_f.pdf
 François Géré, L’Iran et le nucléaire : les tourments perses, Editions Lignes de repères, 2006, 172 pages.
 Catherine Grandperrier, Regards croisés sur un Iran nucléaire, Paris, L’Harmattan, 2011, 52 pages.
 François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, Paris, Stock, 2007, 174 pages.
 Bruno Tertrais, Iran, la prochaine guerre, Paris, Le cherche midi, Collection actu dirigée par Jérôme Bellay, 2007, 136 pages.

Publié le 03/09/2012


Clément Guillemot est titulaire d’un master 2 de l’Institut Maghreb Europe de Paris VIII. Son mémoire a porté sur « Le modèle de l’AKP turc à l’épreuve du parti Ennahdha Tunisien ». Il apprend le turc et l’arabe. Il a auparavant étudié à Marmara University à Istanbul.
Après plusieurs expériences à la Commission européenne, à l’Institut européen des relations internationales et au Parlement européen, il est actuellement chargé de mission à Entreprise et Progrès.


 


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