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Le groupe d’Aix ou les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens

Par Mélodie Le Hay
Publié le 15/10/2013 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 10 minutes

source : http://www.aixgroup.org/

Ce rassemblement informel est devenu ce qu’on appelle aujourd’hui le « groupe d’Aix », formé en France sous les auspices de l’Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III, en coordination avec le Centre Peres pour la paix en Israël et DATA (Centre d’études et de recherches) en Palestine. Il regroupe des économistes palestiniens, israéliens et internationaux qui cherchent à promouvoir des solutions économiques « gagnant-gagnant » pour les Israéliens et les Palestiniens. Leurs travaux nous éclairent sur la situation économique actuellement critique des Territoires palestiniens soumis aux restrictions israéliennes. Ils nous offrent aussi l’espoir d’un redressement rapide si les deux camps venaient à accepter de s’attaquer aux questions de fond qui font perdurer un statuquo aux effets destructeurs.

Qu’est-ce que le groupe d’Aix ?

« Au départ, nous ne savions pas ce que nous ferions », se souvient Gilbert Benhayoun, mais très vite « nous sommes entrés dans le vif du sujet. Un échec économique peut remettre en cause tout accord politique. Nous avons donc travaillé pour échafauder un accord économique entre Palestiniens et Israéliens ». En 2002, les discussions s’avèrent fructueuses et la décision est prise de se constituer en groupe permanent, original s’il en est puisque, sous la présidence de G. Benhayoun, il rassemble des personnalités aussi diverses qu’Arie Arnon, professeur d’économie à l’Université Ben Gourion, Saeb Bamya, ancien vice-ministre de l’Economie de l’Autorité Palestinienne, Ron Pundak, ancien directeur du Centre Peres pour la paix et négociateur des accords d’Oslo ou encore Samir Hazboun, professeur d’économie à l’Université Al-Quds (Jérusalem).

Leurs travaux font autorité dès leur publication. En 2004, leur feuille de route économique, destinée à accompagner la Feuille de route du Quartet du Président Bush, est présentée à Bruxelles et à Washington, puis soumise au gouvernement israélien et à l’Autorité palestinienne. « Un diplomate français m’a confié que nous avions réussi notre mission car nous avons respecté quatre conditions essentielles » confie G. Benhayoun : « nous n’avons pas cherché la publicité, nous n’avons travaillé qu’avec des experts, nous avons respecté notre calendrier indépendamment des événements sur le terrain, et enfin, nous avions réussi à créer un climat de confiance dans le groupe, si bien qu’un membre palestinien du groupe a admis que lorsque les participants s’exprimaient, il en arrivait à oublier sa nationalité ». Et c’est là un point essentiel. Ils ne négocient pas, ils préparent les éléments de la négociation, des documents de travail pouvant servir de base à un accord de paix final.

Le Groupe a aussi travaillé sur le désengagement de Gaza opéré par Israël en 2005. Ses membres se sont ensuite attaqués aux questions plus sensibles, à savoir les réfugiés, Jérusalem et les frontières. « Au début, c’était très mouvementé » reconnait G. Benhayoun, mais le travail en valait la peine car « en abordant la question sous l’angle économique, nous avons ouvert une brèche intéressante ». Après deux ans de réflexions, leur document est présenté dans la discrétion à Paris en 2007 en présence de ministres français, israéliens et palestiniens. Depuis, le Groupe se penche sur l’initiative de paix de la Ligue arabe présentée en 2002 à l’initiative de l’Arabie saoudite et reformulée à plusieurs reprises. Si les négociations lancées récemment par John Kerry avancent et qu’une coopération économique se met en place, leurs travaux seront sûrement entre les mains des négociateurs.

Quel développement pour les territoires palestiniens sous occupation israélienne ?

Depuis la guerre des Six Jours en 1967, Israël occupe et contrôle la Palestine en lui imposant le régime économique de l’Union douanière, se traduisant par des droits de douane inexistants entre les deux communautés. La circulation des hommes, des biens et des marchandises est contrôlée par Israël, qui fixe également de manière unilatérale les droits de douane appliqués aux pays tiers par Israël et par les Territoires palestiniens. En d’autres termes, les Palestiniens n’ont aucune souveraineté économique. C’est Israël qui fixe le taux d’imposition et remet à l’Autorité palestinienne le montant de la TVA et des droits de douane perçus sur les marchandises destinées à la Cisjordanie et à Gaza. Les Palestiniens ne contrôlent ainsi ni leur politique fiscale, ni leur politique monétaire, soit aucun des moyens qui pourraient leur permettre de lutter contre la crise économique.

Car la Palestine est dans une situation économique difficile. C’est un des pays les plus pauvres du monde arabe avec un niveau de vie à peine égal à 10% de celui des Israéliens, soit un PIB/habitant proche de celui du Yémen et du Soudan. Sans l’aide internationale, qui constitue sa principale source de revenus avec le numéraire apporté par la diaspora et le recours aux banques, la situation serait catastrophique. Au lieu d’être investi dans le secteur privé pour encourager l’investissement et la création d’entreprises, tout le budget du secteur public sert à payer les salaires des Palestiniens dans le but d’éviter les manifestations, explique l’ancien vice-ministre de l’Economie de l’Autorité Palestinienne Saeb Bamya. La Palestine ne dispose pas d’assez de revenus et de marge de manœuvre pour « construire » quelque chose, soutenir le secteur privé et diversifier sa production. Les revenus des Palestiniens proviennent presque exclusivement des activités exercées en Israël, et de l’aide internationale. Cette dernière se concentre d’ailleurs aujourd’hui sur les volets « humanitaire » et « budgétaire », délaissant le « développement économique ».

Le problème ne réside pas seulement dans l’écart économique entre Israël et Palestine mais aussi dans les inégalités régionales. Le fossé économique entre Cisjordanie et Gaza se creuse durablement, d’autant plus que l’aide mondiale se concentre presque exclusivement sur la seule Cisjordanie. On pourrait faire le même constat pour l’économie israélienne, une partie seulement du pays étant marquée par l’innovation et les start-up. La société tend à se polariser, se fragmenter, voir à s’ignorer. Il y a donc un problème de convergence tant dans le pays qu’entre les économies israélienne et palestinienne.

Pourtant, les Territoires palestiniens détiennent un indiscutable potentiel économique. Ils disposent, toujours d’après Saeb Bamya, des meilleurs accords de libre-échange possibles : les mêmes qu’Israël avec les Etats-Unis et le Canada. Ils sont aussi membres de la zone arabe de libre-échange et le seul pays du Proche-Orient à avoir obtenu un accord de « duty-free, quota-free » avec l’Union européenne, sur la base de l’Accord d’Association Intérimaire sur le Commerce et la Coopération signé en 1997, lui permettant d’y exporter une partie de ses produits sans aucunes restrictions.

Son potentiel réside en outre dans son agriculture, du fait d’un climat favorable et d’un sol fertile, mais l’occupation israélienne freine toute possibilité de l’exploiter. Le territoire palestinien a ainsi été amputé depuis 1948 d’une partie de ses terres côtières, phénomène aggravée par la colonisation qui vient morceler encore davantage le territoire, la construction du mur qui désorganise les cultures, les routes de contournement réservées aux Israéliens, et le zonage institué par les accords d’Oslo. Trois zones sont alors distinguées en Cisjordanie : la zone A comprenant essentiellement les grandes villes sous administration de l’Autorité palestinienne ; les zones B et C comprenant surtout les territoires ruraux sous administration mixte ou exclusivement israélienne. En tout et pour tout, Il ne reste donc plus que 10 à 15% du territoire de la Palestine historique alors que l’agriculture emploie plus de 10% de la population active et participe pour plus de 5% au PIB du pays. La culture horticole, de l’olivier, des fruits, des légumes et des agrumes est aussi limitée par les restrictions en eau pour les Palestiniens contrairement aux colons israéliens qui jouissent du monopole de Tel-Aviv sur la ressource hydrique. Avant 1967, l’agriculture était pourtant la première activité productive et exportatrice de la Palestine (près de la moitié du PIB) mais les obstacles à la mobilité restreignent aujourd’hui leur marché à une dimension locale.

Ce qui est vrai pour l’agriculture l’est aussi pour l’économie palestinienne dans son ensemble, soit une dépendance extrême à l’égard du marché israélien pour le commerce extérieur. La balance du commerce extérieur palestinien reste ainsi largement déficitaire puisque, privés d’exportations, les Palestiniens ont en revanche massivement recours à l’importation, encouragée par l’aide internationale. En 2010, le volume des exportations palestiniennes de biens et services était ainsi inférieur au milliard de dollars.

Aucun dossier, même sensible, n’est intraitable

L’économie palestinienne pourrait croitre de plus d’un tiers si Israel levait ses restrictions au développement dans les 60% de la Cisjordanie sous son contrôle total, estime la Banque mondiale [1]. Il y a donc de l’espoir pour le développement économique du pays. La priorité pour le groupe d’Aix est qu’il se sépare de l’économie israélienne, et donc qu’il retrouve sa souverainenté économique en transformant l’union douanière en zone de libre-échange. Or, la seule manière d’y parvenir est de définir une frontière. En effet, une zone de libre-échange impliquerait que chacun gère ses relations commerciales avec les pays tiers, l’un pouvant par exemple imposer une taxe douanière de 10% et l’autre 30% pour le même produit. Cependant, comme les droits de douane sont inexistants entre Israël et les Territoires palestiniens, les entreprises ne manqueraient pas d’importer leurs produits là où la taxe est la moins élevée pour les faire passer ensuite gratuitement là où la taxe est plus élevée. Ainsi, la création d’une zone de libre-échange implique de vérifier la provenance du produit, ce qu’on appelle la règle d’origine, pour se prémunir de l’importation déguisée. Or, pour vérifier la provenance, il faut une barrière douanière et donc, une frontière. Voilà pourquoi, au protocole d’Oslo, et son volet économique, le protocole de Paris en 1994, les Israéliens ont refusé cette option réclamée par les Palestiniens, en les menaçant de fermer la frontière aux circulations humaines alors que, à cette époque, 36% de la main-d’œuvre palestinienne travaillait en Israël. Autrement dit, entre la zone de libre-échange et le chômage, Yasser Arafat n’a pas vraiment eu le choix. Le Protocole de Paris a eu pour effet de transformer l’union douanière de facto en une union douanière de jure.

Aujourd’hui pourtant, il devient urgent, pour le groupe d’Aix, de restaurer la souveraineté économique des territoires occupés, ce même si la Palestine n’est pas encore en mesure de devenir un Etat indépendant, car la pauvreté alimente l’extrémisme et l’extrémisme ne peut que nuire aux différents protagonistes. Créer des conditions économiques meilleures favoriserait un contexte plus adéquat pour un accord de paix final.

La continuité territoriale est également essentielle au développement d’un Etat politiquement et économiquement viable. Israéliens et Palestiniens se sont déjà mis d’accord sur le principe d’un corridor entre Gaza et la Cisjordanie [2]. Le groupe d’Aix a travaillé sur sa mise en œuvre. Après avoir étudié plusieurs itinéraires possibles, il a recommandé la construction d’une autoroute et d’une voie ferrée reliant Karni à Gaza à Al Maged en Cisjordanie (road 33), projet estimé à près d’un milliard de dollars pouvant être financé par la Banque mondiale sous la forme d’un prêt à long terme accordée à la Palestine. Le passage proposé présente l’avantage d’être un lieu presque vide d’hommes, donc facilement aménageable. La question serait, à terme, de savoir sous quelle souveraineté serait placé ce corridor. Les Israéliens n’accepteraient probablement pas que leur territoire soit coupé en deux. Mais une solution comprenant une totale administration palestinienne des infrastructures, qui resteraient cependant sous souveraineté israélienne, est envisageable.

La question des réfugiés palestiniens constitue elle aussi un problème aux enjeux politiques et économiques complexes. C’est aussi un des principaux points d’achoppement dans les négociations de paix. Les positions des uns et des autres sont simples à comprendre. L’Autorité palestinienne revendique le droit à tous les réfugiés palestiniens, soit près de 5 millions d’individus répartis aux quatre coins du monde, de revenir vivre sur les terres desquelles ils auraient été expulsés à partir de 1948 (et la création de l’Etat d’Israël) et surtout depuis la guerre des Six Jours de 1967.
Pour les Israéliens, cette option n’est pas envisageable car le retour des réfugiés palestiniens mettrait la population juive en minorité en Israël. Complexe, ce problème n’est pas pour autant insoluble. Le plan du groupe d’Aix repose sur un accord où chaque camp devrait faire des concessions.

S’il était adopté, les réfugiés seraient invités à choisir un lieu de résidence permanent, voire si possible plusieurs alternatives classées par ordre de préférence. Le Groupe propose de créer une Agence internationale pour les réfugiés palestiniens qui sera chargée de veiller à ce que les décisions finales répondent aux souhaits des réfugiés et soient en conformité avec les accords globaux signés entre les représentants des deux parties, voire avec les pays hôtes concernés. En fonction du nombre de réfugiés qui choisirait de quitter leur pays de résidence actuel, le Groupe estime le coût des déplacements de 8 à 19 milliards de dollars. Les réfugiés qui seraient réhabilités dans leur emplacement actuel recevraient quant à eux une compensation « en nature ou en argent » d’un montant total plus ou moins proche de 10 milliards de dollars. L’Agence devrait également déterminer ce qui constituerait une « juste et pleine » compensation pour les revendications de propriété, d’un montant total estimé entre 15 à 30 milliards de dollars. En outre, le Groupe préconise la création d’un quatrième fonds, nécessitant environ 22 milliards de dollars, pour des compensations non liées à des revendications de propriété. Tous les réfugiés enregistrés recevraient un montant uniforme d’environ 5000 dollars chacun. Au total, le coût d’une telle opération serait de l’ordre de 55 à 85 milliards de dollars, réparti entre l’ONU et les gouvernements israélien et palestinien.

Il est donc entendu que tous les réfugiés ne pourront pas rentrer en Palestine mais qu’une solution négociée permettrait à certains de rentrer, aux autres d’être indemnisés. D’ailleurs, si l’on suit une étude menée par le sondeur palestinien Khalil Shikaki en 2003, les réfugiés pourraient bien s’accommoder de cette solution. Pour cette enquête, il a demandé aux réfugiés de Cisjordanie, de Gaza, de Jordanie et du Liban, si le choix leur était donné, ce qu’ils choisiraient entre vivre dans l’Etat d’Israël, vivre dans l’Etat palestinien, ou encore si ils préféreraient prendre une autre citoyenneté, étant entendu que ceux qui ne reviendraient pas en Israël recevraient une compensation financière. En tout, 10% seulement des sondés ont dit vouloir rentrer en Israël [3].

Mais encore faut-il pouvoir les reloger. Ils ne pourront certainement pas s’installer à Gaza qui connait une des densités les plus élevées au monde. La Cisjordanie pourra en absorber une partie seulement. Une des possibilités, qui ne fait cependant pas consensus, serait qu’ils s’installent dans la zone C définie par les accords d’Oslo, qui représente plus de la moitié de la Palestine originelle et qui comprend notamment la vallée du Jourdain, une des zones vouées à être l’une des plus dynamiques de la région dans le futur, mais contrôlée actuellement pour près de 90% par les Israéliens. A l’heure actuelle, la plus grande partie de la zone C est interdite de construction pour les Palestiniens et souvent interdite aux activités agricoles, restreignant d’autant plus le territoire disponible pour accueillir l’augmentation démographique et entrainant à court terme une pression foncière faisant flamber les prix de la terre.

Ainsi, à l’heure actuelle, les conditions sont telles qu’elles ne permettent pas aux Palestiniens de profiter pleinement de leur potentiel économique, le secteur public n’ayant pas suffisamment de marge de manœuvre et le secteur privé n’étant pas libre de bénéficier des règles du marché. Mais le groupe d’Aix entend prouver qu’il existe des solutions raisonnables aptes à apaiser presque tous les points de tension. L’Union douanière, la continuité territoriale de la future Palestine et le problème des réfugiés palestiniens ne représentent qu’une infime partie des questions traitées par ce groupe d’experts et qui réclameront, dans les mois ou les années à venir, l’attention des différents protagonistes.

Bibliographie indicative :

 Table ronde présentant les travaux du groupe d’Aix organisée par JCALL au centre communataire laic juif de Bruxelles le 7 octobre 2013. Sont présents Arie Arnon, coordinateur israélien du groupe d’Aix ; Saeb Bamya, coordinateur palestinien du groupe d’Aix ; Gilbert Benhayoun, président du groupe d’Aix ; et Willy Wolsztajn, modérateur.

 L’ensemble des publications du Groupe d’Aix, téléchargeable sur leur site interne www.aixgroup.org : 
La feuille de Route économique (2004) qui examine les options permettant d’établir des relations économiques durables entre Palestiniens et Israéliens.
Israël et la Palestine : entre le désengagement et la feuille de route économique (2005) qui analyse les risques et les bénéfices du plan de désengagement unilatéral de Gaza.
Les dimensions économiques d’un accord entre Israël et la Palestine (2006-2007). le groupe étudie quatre questions : Jérusalem ; la question des réfugiés palestiniens ; la coopération dans le domaine des infrastructures ; l’examen des problèmes économiques actuels.
Les dimensions économiques d’un accord entre Israël et la Palestine, 2e partie (2010). Le groupe étudie cinq nouvelles questions : la viabilité économique et politique comparée d’une solution à un et deux Etats ; le lien territorial entre Gaza et Cisjordanie ; le développement économique de la vallée du Jourdain ; l’Union pour la Méditerranée.
L’initiative de paix arabe et la paix israélo-palestinienne : la politique économique d’une nouvelle ère (2012).

Publié le 15/10/2013


Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.


 


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