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Le gouvernorat irakien de Diyala : un point d’appui historique et récurrent pour les groupes terroristes. Partie 1 : la province irakienne de Diyala, un repaire historique de groupes insurgés djihadistes

Par Emile Bouvier
Publié le 31/01/2020 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Au cœur de la problématique du vide sécuritaire des « territoires disputés » entre Bagdad et Erbil et bénéficiant de caractéristiques sociales et géographiques hautement favorables à la guérilla, la province de Diyala apparaît, de fait, comme un terrain particulièrement propice à la résilience de Daech et, de plus en plus, à sa résurgence. La Coalition internationale mise en place pour lutter contre l’Etat islamique, tout comme les forces de sécurité irakiennes et les milices chiites, en font de fait l’un de leurs principaux points d’attention.

Le présent article va s’attacher à présenter dans un premier temps l’histoire insurrectionnelle de cette province et les caractéristiques sociogéographiques qui en font un terreau favorable à l’insurrection (I), avant d’exposer la teneur actuelle de l’activité terroriste dans le gouvernorat et les raisons pour lesquelles, malgré tous ces facteurs favorables à l’implantation de groupes djihadistes, les grandes villes de la province de Diyala n’ont jamais été prises par l’Etat islamique, comme ce dernier a pu le faire dans la province de Nineveh ou de l’Anbar, par exemple en 2014 (II).

1. Diyala, une tête-de-pont des insurgés djihadistes en Irak depuis l’invasion américaine en 2003

Le gouvernorat de Diyala est nommé d’après le fleuve éponyme, s’écoulant de l’est de Bagdad à la frontière iranienne. Majoritairement sunnite, cette province comptait plus d’un million cinq cents soixante mille habitants en 2010 (2) et relie Bagdad à l’Iran.

Depuis 2003, la province de Diyala a servi de zone de repli pour les prédécesseurs djihadistes de l’Etat islamique - l’Etat islamique d’Irak (EII) et, avant encore, Al Qaeda en Irak (AQI). Un officier du renseignement militaire américain basé à Diyala, Richard Buchanan, notait en 2014 que « la zone de résurgence et de régénération de l’insurrection sunnite en Irak s’est toujours avérée être la province de Diyala. Les combattants y abritaient leurs familles et les blessés y sont fréquemment soignés » (3). De fait, à titre d’exemple, lorsqu’en 2007 les forces américaines ont lancé de vastes opérations de ratissage du désert de l’Anbar, l’Etat islamique en Irak s’est aussitôt replié à Diyala et, peu de temps après, s’est emparé de la quasi-totalité de la province. A la fin du premier semestre 2007, la province était frappée en moyenne chaque mois par 418 attaques (4), essentiellement contre des cibles chiites. A Baqubah, capitale provinciale de Diyala, l’EII contrôlait même une partie du centre-ville, contraignant les forces américaines à mener des opérations urbaines de contre-insurrection.

L’attractivité de Diyala pour les groupes militants djihadistes est en partie géographique. Le gouvernorat est en effet situé au centre d’une toile routière et naturelle la connectant à de nombreuses zones d’opérations militantes. Le désert de Jallam et la chaîne des monts Hamrin se trouvent au nord, fournissant un accès direct et couvert aux provinces du nord de l’Irak et, ainsi, indirectement, à la Syrie ; les melting-pots de Tuz Khurmatu et de Kirkuk se trouvent également au nord et sont desservis depuis Bagdad par l’autoroute M2, qui parcourt la province de Diyala sur environ 80 kilomètres ; au sud, Diyala s’étend à l’est de la zone métropolitaine de Bagdad, où se trouvent notamment Sadr City, une métropole chiite de deux millions de personnes particulièrement visée par les groupes terroristes ; enfin, courant le long de la vallée du fleuve Diyala se trouve l’autoroute M5 qu’empruntent les pèlerins chiites se rendant d’Iran en Irak tout au long de l’année.

L’occupation des sols de Diyala fait aussi de cette province une localisation idéale pour les insurgés cherchant à échapper aux forces de sécurité. Dans la plupart des zones rurales de Diyala, il est, de manière générale, impossible de conduire plus de deux kilomètres sans rencontrer un canal ou une tranchée d’irrigation, en raison de la forte densité d’exploitations agricoles bénéficiant de la présence du fleuve Diyala et du lac Hamrin au sein du gouvernorat. Cette donnée géophysique complique fortement la réalisation de raids contre-insurrectionnels par les forces de sécurité ou la Coalition internationale, ralenties par les obstacles naturels que représentent ces ouvrages agricoles.

De fait, le delta du fleuve Diyala, long de 90 km, est parcouru par de denses palmeraies qui s’étendent d’un à trois kilomètres de part et d’autre des rives du fleuve. D’un point de vue militaire, cette caractéristique fait de la vallée du fleuve Diyala l’un des couloirs fluviaux les plus difficiles à sécuriser d’Irak : les palmeraies du gouvernorat s’avèrent en effet près de deux fois plus étendues que les palmeraies s’étirant de Ramadi et de Fallujah et qui, en raison de la forte présence de djihadistes en leur sein (5), s’avèrent déjà notoirement difficiles à contrôler pour les forces de sécurité (6).

Seuls deux ponts sont encore opérationnels et permettent de franchir le fleuve (7), présentant ainsi un sérieux obstacle aux forces de sécurité motorisées, mais se montre aisément traversable par des embarcations de petites tailles en une douzaine de points, comme Daech a désormais l’expérience de le faire (8), faisant de la surveillance et du contrôle de ce fleuve une tâche particulièrement ardue pour les forces de sécurité locales. Pour ces raisons, l’Etat islamique et ses prédécesseurs se sont régulièrement employés à établir des points d’appui pour leurs combattants et leur famille au nord de cette rivière, dans les palmeraies reculées du gouvernorat. Les zones rurales de la province de Diyala se sont ainsi imposées, historiquement, comme de véritables cantonnements et têtes-de-pont des groupes djihadistes en Irak.

2. Des facteurs humains propices à l’implantation de groupes insurgés

Tout aussi importante, la géographie humaine de la province de Diyala se montre particulièrement attractive pour les groupes militants djihadistes. Environ 60% des habitants du gouvernorat sont des Arabes et des Turkmènes sunnites, le reste étant réparti entre les Arabes et Turkmènes chiites (25%), et, enfin, les Kurdes (15%) (9). Les Arabes sunnites vivent en majorité dans la ville de Baqubah (environ 627 000 habitants lors du dernier recensement en 2007) et les districts agricoles de la vallée du Diyala près de Muqdadiyah (population de 248 000). Les majorités chiites se trouvent du côté de Khalis (319 000 habitants) et Balad Ruz (population de 135 000).

Malgré le fait que la population globale du gouvernorat soit majoritairement sunnite, les partis politiques chiites soutenus par l’Iran comme le parti Badr sont parvenus à prendre le pouvoir dans la plupart des conseils municipaux, s’employant dès 2003 à exercer une influence disproportionnée sur la majorité sunnite, en s’alliant notamment avec les Kurdes afin de dominer le conseil provincial, le gouvernorat et les forces de police (10). En plus de cette situation de déséquilibre politique, les sunnites craignent que l’équilibre démographique ne soit en train de basculer progressivement à leur détriment, et donc au profit des chiites, en raison des déplacements réguliers de population. Ces départs sont en grande partie dus aux conditions sécuritaires instables, aux actions de harcèlement menées par les milices chiites et la sécheresse croissante. En 2017, le principal bloc politique sunnite de Diyala a ainsi mené sa campagne électorale provinciale sur le thème de la menace « existentielle » que représentaient les milices chiites, déterminées à « exterminer le peuple de Diyala » (sic) (11).

Une autre source d’inquiétudes pour les sunnites est celle représentée par les Kurdes. Dès l’arrivée des troupes américaines en 2003, ces derniers ont en effet affirmé avoir le droit d’exproprier les sunnites installés dans le nord de Diyala par le régime de Saddam Hussein au détriment des Kurdes (12), à l’instar des zones de Jalula, Saadiyah, Qara Tapa et Mandali.

Les tensions ethniques et confessionnelles dans le gouvernorat de Diyala ont inévitablement contribué à entretenir un certain flux de recrues au profit des groupes insurgés à l’instar d’AQI et l’EEI précédemment évoqués, mais aussi l’Armée islamique d’Irak, les « Brigades de la révolution de 1920 », le Hamas en Irak, Ansar al-Sunna, Jaysh Rijal al-Tariqa al-Naqshbandia (JRTN) et le parti néobaasiste Al-Awda (Le Retour).

Les facteurs humains non-identitaires, notamment économiques, ont également favorisé la présence de groupes insurgés à Diyala. Les portions orientales de la province, à l’instar des régions de Muqdadiyah et Balad Ruz, s’avèrent particulièrement pauvres, avec respectivement 51% et 48% des foyers qui se situent sous le quintile le plus pauvre en Irak (comparé à une moyenne nationale de 21,7%) (13). Les tribus sunnites, régulièrement encouragées - ou forcées - par le régime baasiste à s’installer dans la province afin de travailler au sein des fermes nouvellement créées, sont plus fragmentaires et éparpillées que dans la province de l’Anbar, de Kirkouk, Salah al-Din ou Nineveh. La plupart des familles rurales sont hautement dépendantes des systèmes d’irrigation et des générateurs qui leur fournissent l’énergie nécessaire à leur fonctionnement, un facteur que les insurgés ont fréquemment exploité en ciblant spécifiquement ces installations. Les cycles de récolte à Diyala ont aussi rendu très facile pour les étrangers d’aller et venir sans être remarqués, se fondant dans la masse des travailleurs agricoles saisonniers. Toutes ces conditions socio-économiques ont rendu relativement aisé pour les insurgés de s’infiltrer, puis s’imposer, au sein des populations du gouvernorat de Diyala.

Lire la partie 2

Notes :
(1) https://www.terrorism-info.org.il/en/spotlight-global-jihad-october-24-30-2019/
(2) Selon des chiffres de l’ONU en date de novembre 2010
https://www.terrorism-info.org.il/en/spotlight-global-jihad-october-24-30-2019/
(3) WING Joel, How Iraq’s Civil War Broke Out In Diyala Province Interview With Former Interrogator Richard Buchanan
https://www.academia.edu/13154113/How_Iraq_s_Civil_War_Broke_Out_In_Diyala_Province_Interview_With_Former_Interrogator_Richard_Buchanan
(4) Selon des chiffres de l’Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED) : https://www.acleddata.com/
(5) https://www.terrorism-info.org.il/en/spotlight-global-jihad-january-9-15-2020/
(6) https://www.middleeasteye.net/news/fallujah-and-ramadi-where-liberation-comes-price
(7) http://blogs.worldbank.org/fr/arabvoices/iraq-emergency-project-rebuilding-bridgesv
(8) https://www.crisisgroup.org/trigger-list/iran-us-trigger-list/flashpoints/middle-euphrates-river-valley
(9) Selon des chiffres de l’ONG suisse IMPACT en date de 2018 https://reliefweb.int/report/iraq/rapid-overview-areas-return-roar-villages-south-baquba-city-diyala-governorate-iraq
(10) KNIGHTS, Michael et MELLO, Alexander. Losing Mosul, regenerating in Diyala : How the Islamic state could exploit Iraq’s sectarian tinderbox. CTC
(11) https://blogs.lse.ac.uk/mec/2018/11/14/security-and-governance-in-the-disputed-territories-under-a-fractured-goi-the-case-of-northern-diyala/
(12) ROGG, Inga et RIMSCHA, Hans. The Kurds as parties to and victims of conflicts in Iraq. International Review of the Red Cross, 2007, vol. 89, no 868, p. 823-842.
(13) Selon des chiffres en date de 2016
https://www.ncciraq.org/images/infobygov/NCCI_Diyala_Governorate_Profile.pdf

Publié le 31/01/2020


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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