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Féministes et arabes. Féministes et musulmanes. Féministes et voilées. Traiter de la femme et de son statut en islam est le fruit d’une élaboration historique, et l’on a longtemps imputé à l’islam une influence fondamentale sur les conditions de vie et sur les moyens d’expression et d’action des femmes.
C’est en partie contre ce tropisme occidental que les études se multiplient aujourd’hui sur l’existence d’un féminisme islamique, qui s’incarne dans une réinterprétation d’un islam jugé trop influencé par le modèle patriarcal.
Le mouvement du féminisme islamique ne naît pas ex-nihilo, et trouve ses racines dans un féminisme oriental déjà ancré dans les sociétés. Dès les années 1920 se développe un féminisme lié au nationalisme et aux revendications anti-coloniales qui avait pour objectif l’ouverture de l’espace public aux femmes, et ainsi de leur donner une possibilité de participer à une vie sociale et politique qui les sorte de leurs habitus. Non importé, il naît au contraire dans le même temps que les féminismes occidentaux d’Europe et d’Amérique, et cela constituera un fait important pour le développement et l’épanouissement d’un féminisme endogène, fait de codes et de discours qui lui sont propres. Durant les années 1970, de nouvelles pratiques et nouveaux discours se développent, plaçant le référentiel religieux au premier plan dans la défense d’une identité féminine musulmane. Ce discours renouvelé va de pair avec l’élévation du degré d’instruction des femmes, ainsi que de la démocratisation progressive de tout ce qui touche à l’islam. Les femmes, musulmanes et éduquées, ne se satisfont désormais plus du discours traditionnel de l’islamisme et posent des questions à l’orthodoxie religieuse.
La notion de féminisme islamique n’apparaît néanmoins qu’il y’a deux décennies, au début des années 1990. Ce courant féministe à part entière naît en Iran, en 1989. Dix ans après la Révolution, suivant les tendances réformatrices dans le pays, de nombreuses femmes musulmanes de la classe moyenne iranienne s’engagent dans un courant féminin pour contrer les lois discriminantes mises en place par le nouveau régime qui avait pourtant proclamé sa volonté de « rendre aux femmes leur statut ‘vrai’ en islam ». En effet, l’établissement du régime islamique et d’un modèle sociétal basé sur une lecture traditionnaliste de l’islam provoque un retour en arrière en matière de droits des femmes et de droit de la famille : le divorce est limité, un retour à un âge minimum pour le mariage est opéré, ainsi que pour la responsabilité pénale des jeunes filles (portée à 9ans), la polygamie est légalisée, etc. Cette régression sur le plan juridique ainsi que l’aggravation de la condition féminine au sein de la société ont fait émerger une solidarité intra-sexe : « Les droits des femmes ont subi une régression. Les autorités n’avaient besoin de nous que pour manifester dans la rue, mais, une fois la Révolution achevée, elles voulaient nous voir rentrer au foyer. J’ai compris alors que l’activité sociale révolutionnaire perdait son sens quand les femmes perdaient leurs droits. C’est ainsi que j’ai commencé à défendre les droits des femmes [1] ». Ainsi s’exprimait une revendication nouvelle, celle d’une émancipation qui passera par la réinterprétation d’un islam jugé trop biaisé par les schémas ancestraux.
« A mon sens, le féminisme islamique est au cœur d’une transformation qui cherche à se faire jour à l’intérieur de l’islam. Transformation et non réforme, car il s’agit […] d’aller chercher dans les profondeurs du Coran son message d’égalité des genres et de justice sociale, de ramener ce message à la lumière de la conscience et de l’expression et d’y conformer, par un bouleversement radical, ce qu’on nous a si longtemps fait prendre pour de l’islam [2] » Le principe du féminisme islamique est le suivant : assurer une réinterprétation du Coran et élaborer une réflexion sur la jurisprudence islamique. Ce courant revendique donc comme premier fondement un droit à l’interprétation (« ijtihad »), qui puisse permettre de promouvoir l’égalité des sexes, ainsi que des changements dans le droit familial et pénal. Cette réinterprétation prend la forme d’un discours innovant sur l’égalité homme-femme issu d’une synthèse entre connaissance de la condition féminine dans le milieu musulman et relecture du Coran. La notion centrale que l’on trouve dans cette réinterprétation est l’égalité absolue (al-musawa) comme principe religieux : l’égalité doit être le principe de base mais également la condition sine qua non d’une certaine justice sociale. Il apparaît nécessaire à ces femmes que cette égalité puisse se réaliser à la fois dans l’espace public et dans l’espace privé, à travers un panel d’actions et de discours.
Le problème qui s’est posé à ces féministes à été que dans le processus de sécularisation des sociétés musulmanes, l’unique domaine du droit laissé aux autorités religieuses à été celui de la famille ; domaine qui est resté enfermé dans des discours, représentations et pratiques dictés par la religion, provoquant l’intériorisation d’un modèle de famille patriarcal, et laissant de côté toute idée de complémentarité et d’égalité des genres. En relisant et reprenant le Coran dans ses bases les plus pures, le féminisme islamique a donc tenté de défaire ce lien apparemment indéfectible entre islam et patriarcat, entre religion et inégalité de conditions. Leur démarche détraditionnalise un islam parental et introduit une nouvelle conception du religieux, à la fois plus moderne et plus intransigeante (la religion n’est plus vécue comme coutume importée, mais comme droit personnel) ; démarche qui va s’incarner dans des pratiques et des actions particulières.
Le féminisme islamique s’institue dans des pratiques liées à l’immersion dans les fonctions religieuses jusqu’alors réservées aux hommes, à des organisations liées à l’islam politique, ou bien encore à une pratique religieuse du quotidien renouvelée.
En Jordanie par exemple, aux préoccupations qui étaient jusqu’alors tournées sur la citoyenneté de la femme, s’est adjointe une volonté de s’enquérir des questions quotidiennes, sociales et personnelles, avec la mise en place de programmes orientés sur les relations familiales. Ce type de programmes a permis non seulement de reformer une partie du système juridique, mais aussi de transformer en profondeur la vision du couple et de la famille en général, tant au niveau privé que public. Un autre aspect est important pour l’affirmation de ce féminisme particulier : l’entrée des femmes dans le secteur religieux à proprement parler. Ainsi, au Maroc, l’émergence des murchidât dans l’espace religieux constitue lui aussi une nouvelle pratique de ce féminisme islamique, dans la mesure où il incarne l’immersion des femmes dans les cercles religieux, et constitue la reconnaissance du rôle que peuvent jouer les femmes marocaines en tant que préceptrices. Présentées et mises en valeur par l’Etat marocain, elles apparaissent comme un vecteur important de la diffusion d’un islam marocain refondé, plus moderne, et plus féministe. En 2005, la presse marocaine présente en effet les première murchidât comme le « nouveau visage de l’islam marocain, modéré, tolérant et moderne ». Ces femmes, éduquées et titulaires de diplômes universitaires, sont affectées dans différentes mosquées pour transmettre les valeurs religieuses à des femmes et des enfants dans des lieux publics, comme les prisons, ou les hôpitaux. Ces figures féminines rassurent car elles contribuent à maintenir un certain ordre social, dans le respect des valeurs de l’islam. Bien que représentant plus les nouvelles valeurs d’un Etat qu’un féminisme en tant que tel, la présence des murchidât au cœur de la société marocaine devrait à terme permettre une plus grande marge de manœuvre des femmes dans les champs religieux et politique. Et c’est bien cela à quoi aspire en premier lieu le féminisme islamique : faire de la femme musulmane un des piliers de la société au Moyen-Orient.
Le féminisme islamique soulève depuis sa fondation de nombreux questionnements, tant au niveau de l’islam et de ses représentants, qu’à celui de la recherche en sciences sociales. Mais ce qui pourrait apparaître à certains comme un oxymore, le féminisme n’étant a priori pas compatible avec la théologie, est peut-être finalement aujourd’hui l’expression la plus aboutie des revendications des femmes au Moyen-Orient, dans sa volonté de faire coïncider élévation spirituelle et reconnaissance des femmes en tant que sujets politiques et religieux.
Bibliographie :
– ALI, Zahra, Féminismes islamiques, Paris, La Fabrique Ed., 2012.
– BADRAN, Margot, « Où en est le féminisme islamique ? », Critique Internationale, n°46, janvier 2010, pp. 25-44.
– LATTE ABDALLAH, Stéphanie, « Féminismes islamiques et postcolonialité au début du XXIe siècle », Revue Tiers Monde, n°209, janvier 2012, pp.53-70.
– KIAN-THIEBAUT, Azadeh, « Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ? », Critique Internationale, n°46, janvier 2010, pp.45-66.
– « Que veut dire être féministe islamique ? », Conférence Les Jeudis de l’IMA : http://www.imarabe.org/jeudi-ima/que-veut-dire-etre-feministe-islamique
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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