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Durant les grandes manifestations de la place Tahrir au Caire en 2011, des pilleurs sont entrés par effraction dans le Musée National du Caire durant la soirée du 28 janvier, volant au moins 54 objets. Des œuvres inestimables ont ainsi disparu : une plaque représentant Nefertiti, deux statues en bois doré issues du trésor de Toutankhamon, une statuette en stéatite d’un scribe assis, des dizaines de divinités en bronze, d’amulettes en faïence, de bijoux (1). Une partie des objets pillés a été retrouvée sur le marché.
Fermé pour restauration, le musée a rouvert ses portes en 2014. Une partie de ses collections sera, au terme des chantiers du Grand Musée du Caire à Gizeh et du Musée des civilisations à Fustat, déplacée, sans dépouiller toutefois ce musée historique, bâti en 1902 par un architecte français, et symbole, du fait de son emplacement, de la nouvelle ère post-Moubarak.
Le musée national du Caire est composé à l’origine des collections que le Français Auguste Mariette avait rassemblées dans le musée d’antiquités qu’il avait créé à Bulaq. Transférées une première fois dans le palais du khédive Ismail Pacha à Guizeh en 1890 pour échapper à une inondation, elles se virent enrichies par les grandes découvertes de la fin du XIXe siècle. L’ampleur des collections amena les autorités à faire construire au Caire un bâtiment destiné à exposer ces collections.
Aujourd’hui, Al-Mathaf (« le musée ») réunit quelque 120 000 pièces exposées aux regards d’un public venant du monde entier pour les contempler (sans compter le même nombre de pièces archéologiques conservées dans les réserves). Il présente le trésor de Toutankhâmon, des momies du Nouvel Empire, des bijoux des tombes royales de Tanis, une partie du mobilier funéraire de la tombe de Sennedjem à Deir el-Medina (le reste étant encore conservé au Metropolitan Museum of Art de New York et à l’Ägyptische Museum de Berlin). Il est le seul musée du monde capable d’embrasser en une visite la production de toute la chronologie historique d’une telle civilisation. Au sein d’une muséographie que la directrice des Antiquités Egyptiennes au ministère des Antiquité qualifiait elle-même de désuète (Cf compte-rendu de la conférence sur les Grands Musées du Caire), souvent mal éclairée et offrant une présentation parfois touffue des pièces retrouvées, les collections du musée du Caire offrent cependant aux égyptophiles une matière incroyable pour continuer à rêver cette civilisation impressionnante.
Les collections, présentées chronologiquement, s’étendent sur deux niveaux. Le rez-de-chaussée expose la sculpture ; l’étage présente tout le mobilier funéraire, de l’Ancien Empire à l’époque gréco-romaine. Un parcours stylistique chronologique suivi étage par étage qui permet de découvrir la richesse de ce musée légendaire.
Le hall du musée ouvre la visite sur une série de statues royales de l’Ancien Empire. La statuaire royale était destinée à représenter pour le peuple la nature divine du roi. Contrairement à la statuaire privée, des codes esthétiques très stricts déterminent la statuaire officielle, comme en témoigne la statue du roi Djéser, considérée comme la plus ancienne sculpture égyptienne en grandeur réelle. Découverte à Saqqara, cette statue montre le roi Djéser (IIIe dynastie) assis sur son trône, coiffé d’un nemès (coiffe royale) et pourvu d’une barbe postiche, la main gauche sur le genou et le bras droit croisé sur la poitrine. Une robe de cérémonie et une attitude sérieuse, caractéristique de ce souverain, permet aisément de l’identifier.
Les raideurs du style archaïque de l’époque de Djéser s’estompent durant la IVe dynastie, comme en témoigne la délicate statue de Khéphren en gneiss anorthositique – pierre qui a pour particularité de refléter la lumière, donnant à la pièce un caractère divin. Le modelé du corps et la sérénité du personnage annoncent l’avènement d’un nouvel art. La présence du faucon Horus, à l’arrière du némès de Khéphren, renforce la divinité du roi. L’exposition propose également quelques exemples de statuaire privée de cette époque, généralement destinée aux tombes : l’exemple le plus remarquable est le couple Rahotep et Nefret, dont les visages sont finement travaillés et individualisés, malgré une stature encore un peu schématique.
Témoin - rare - de la statuaire royale de la Ve dynastie, la remarquable exécution de la tête d’Ouserkaf montre les qualités de sculpteurs des artistes de l’époque. Les pièces issues de cette période exposées au Caire offrent un plus large panel d’exemple de statues privées ; l’ensemble témoigne d’une recherche de réalisme sans précédent. Les statues de Ranefer, la statue du noble Ti, ou, plus impressionnante encore, la statue du Cheikh el-Beled sont saisissantes de réalisme : les stigmates de vieillesse, le modelé des corps permettent d’individualiser chacun.
La VIe dynastie fut maniériste. La statue en feuille de cuivre de Pépi Ier, avec ses grands yeux et son corps souple, qui déroge aux modèles athlétiques traditionnels, apparaît comme représentative de ce style éphémère.
Des bas-reliefs, issus de l’architecture funéraire, rythment l’exposition de ces statues. Les conventions en sont bien connues - œil et épaule de face, visage de profil. Le pharaon est toujours le point où convergent toutes les scènes. Il est de taille supérieure, dominant des scènes de la vie quotidienne du défunt inhumé.
Peu de sources nous sont parvenues de la première période intermédiaire (2190 env. – 2022), soit des VIIe aux XIe dynasties. Les modelés de ces dynasties sont à nouveau beaucoup plus massifs, et marquent ainsi une vraie rupture stylistique avec les modèles plus fins de l’Ancien Empire.
L’unique statue intacte de la XIe dynastie est celle de Mentouhotep II, qui rassemble toutes les conventions esthétiques caractéristiques de cette période : la stature toujours massive, il a les yeux écartés et de larges sourcils horizontaux. Il porte la couronne de la Basse-Egypte.
La XIIe dynastie est celle de la production artistique à la chaîne, que révèle la réunion des dix statues assises de Sésostris Ier. La statuaire de cette époque atteste d’une nette démarcation stylistique par rapport à la période précédente, recherchant davantage le naturel et revenant à un réalisme plus évident. A partir de Sénostris III, dont le règne marque l’apogée du Moyen Empire, les spécialistes ont noté un changement notable dans l’iconographie du pharaon. Le visage vieilli, sévère et marqué dégage une impression d’humanité, bien loin des représentations juvéniles des rois qu’on pouvait voir jusque-là (2).
La deuxième période intermédiaire (1786 env. – 1552 env., XIIIe-XVIIe dynasties) est, elle aussi, mal renseignée.
La XIIIe dynastie fut celle des rois-enfants - donc, de fait, celle des reines. En matière d’iconographie, elle fut particulièrement marquée par le règne d’Hatchepsout, qui impose un style plus « féminin » à l’art de la statuaire comme dans les reliefs et les peintures de cette période. Bien que de facture classique, l’art de cette époque trouve ainsi son expression propre, présentant des visages dessinés et des traits découpés. La statue de la reine présentée au musée du Caire en est représentative. L’art des reliefs et de la peinture s’empare par ailleurs des tombes privées.
La XIIIe dynastie est aussi celle de Thoutmosis III, le roi-guerrier. Malgré cette réputation, il est toujours représenté avec un visage doux, comme la tête de Thoutmosis III en calcaire cristallin que l’on peut observer.
Le style change sous Amenophis III, qui, avec ses prémices de déformations physiques, annonce l’art amarnien, imposé par Aménophis IV - autrement nommé Akhénaton - qui avait installé sa capitale à Tell el-Amarna.
Une pièce entière est d’ailleurs consacrée à l’art d’Akhénaton, qui proposait dans sa facture le style le moins réaliste qu’ait connu l’Egypte antique. Deux grandes statues osiriaques montrent ainsi que malgré une attitude traditionnelle, le pharaon n’est plus présenté de façon momiforme. Il apparaît nu ou vêtu d’un pagne - autrement dit, vivant. Cet art, quasi expressionniste et en accord avec la révolution philosophique (3) d’Akhétanon, rompt avec tout le classicisme qui l’a précédé ; asexué, les hanches larges, la bouche charnue et le menton long, sa divinité apparaît sous des formes jusque-là inédites et jamais égalées.
La stèle de la famille royale témoigne également d’une nouvelle conception de l’art : la famille y siège dans son espace privé, lorsque l’intimité royale n’avait jusque-là jamais été représentée. La tendresse qui s’en dégage, et que l’on retrouve sur de nombreuses stèles, est elle aussi caractéristique de la nouvelle religion royale.
La XIXe dynastie hérite de l’influence amarnienne. Le buste de Ramsès II est marqué par la douceur du visage et l’élégance des traits, tout en portant, par son habit, deux caractéristiques de son époque : une perruque ronde et une tunique aux manches évasées et aux plis multiples.
La statue de la reine Méritamon, de la même dynastie, conserve une polychromie presque intacte. Cette représentation séduisante en fait un chef d’œuvre majeur de l’art ramseside. Parée de bijoux, son attitude de piété et son doux visage soutenu par sa coiffe au disque solaire a conduit ceux qui l’ont découvert à la surnommer, outre « la dame blanche », « celle dont la face est splendide » (4).
La Basse époque est déterminée par un classicisme influencé par la multiplicité des styles qui l’ont précédé et par les apports extérieurs au royaume. La statue en schiste vert de la déesse Thouéris, réalisée durant l’époque saïte de la XXVIe dynastie, atteste, par la qualité de son poli et le sourire qui anime les visages de la statuaire de cette période, d’un art épanoui – à tel point que l’on parla encore pour décrire les bustes d’empereurs romains de « sourire saïte ».
Les exemples de statuaire se poursuivent jusqu’à la période gréco-romaine, attestant de l’influence des peuples hellènes et romains dans l’iconographie égyptienne après les conquêtes d’Alexandre le Grand.
Les collections du premier étage sont classées par types. On y trouve notamment le trésor de Tanis, une collection de bijoux, une collection de portraits du Fayoum, une collection de momies animales, de nombreux sarcophages. On peut y découvrir également le mobilier de certaines tombes remarquables, notamment de la tombe de Youya et Thouya, dont les masques superbes ornés de pierres semi-précieuses côtoient une large collection de mobilier de luxe, de la tombe de Sennedjem au sarcophage sculpté, ou de la tombe du général Mesheti, qui témoigne de l’apparition, à partir de la première période intermédiaire, de figurines dites « animées ».
On peut également admirer une copie du Livre des morts et un moulage de la Pierre de Rosette.
Les collections de l’étage sont particulièrement connues par quelques pièces demeurées incontournables pour les égyptologues. Elles comprennent notamment les onze momies du Nouvel Empire, autrefois regroupées dans le secret des prêtres de la XXIe dynastie dans la tombe de la reine Inhapi, afin de les protéger des pilleurs. La collection comprend notamment la momie de Ramsès II.
La salle avait été fermée au public par Sadate en 1981, celui-ci jugeant infâmante une telle exposition des corps. Elle fut rouverte au public en 1995.
C’est également à ce niveau que l’on peut découvrir le trésor de Toutankhamon (XVIIIe dynastie), découvert intact en 1922 par l’égyptologue anglais Howard Carter. L’inventaire des 2099 pièces retrouvées dans cette tombe exceptionnelle ont demandé dix ans d’inventaire. La cuve funéraire, son sarcophage extérieur et sa momie sont encore à Louxor. Parmi ces pièces d’une valeur inestimable, le masque d’or, qui fait tout son succès, est sans conteste le plus beau du genre que l’on ait à ce jour retrouvé. Réalisé en grandeur réelle, il pèse onze kilos d’or, de cornaline, de lapis-lazuli, de turquoise, de verre, d’obsidienne et de quartz. Il porte les attributs de la royauté – le nemès et la barbe postiche – ainsi que la marque du vautour de la déesse Nekhbet. Le sarcophage intérieur momiforme qui contenait la momie recouverte du masque est lui aussi intégralement fait d’or, lorsque le sarcophage intermédiaire, en bois recouvert de feuille d’or et de pierres précieuses, interpelle par le caractère expressionniste du visage représenté.
Les bijoux royaux sont d’une finesse époustouflante ; le pectoral au scarabée, notamment, témoigne du grand talent des artisans de cette période.
Dans le naos de la tombe se trouvaient trente-deux statuettes représentant le roi. Deux statues en bois bitumé et doré à taille humaines et placées à l’orée de la chapelle funéraire incarnent Toutankhamon. Un grand Anubis noir en bois verni obstruait quant à lui le passage entre les chapelles funéraires et le trésor.
Les chapelles funéraires en bois stuqué doré, qui s’emboîtaient les unes dans les autres autour de la cuve funéraire restée en place dans le tombeau, étaient meublées notamment par trois lits funéraires décorés d’animaux sauvages, par une chaise cérémonielle remarquable d’un point de vue de l’ébénisterie, et par l’éblouissant trône plaqué d’or incrusté de pierres semi-précieuses, de verres polychromes et de feuille d’argent.
Le musée national du Caire mérite donc toute notre attention ; sa restauration et sa modernisation permettront, à terme, de remettre en valeur les plus belles pièces de ces collections, à l’image de la salle dédiée à Toutankhamon, refaite plus récemment que les autres salles du musée.
Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
Compte-rendu de la conférence « Les Grands musées du Caire », tenue à l’Institut français du Caire, Egypte, le 6 décembre 2015
Notes :
(1) Bernadette Arnaud, « Pillage du musée du Caire : la liste des objets volés », Sciences et Avenir, 18 mars 2011 http://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/20110318.OBS9921/exclusif-pillage-du-musee-du-caire-la-liste-des-objets-voles.html (consulté le 9 janvier 2016).
(2) Voir à ce sujet l’ouvrage de Pierre Tallet, Sésostris III et la fin de la XIIe dynastie, Pygmalion, coll. « Les grands pharaons », 2005.
(3) Voir l’article de l’Encyclopédie Universalis au sujet de « l’hérésie amarnienne » : « Très tôt après son avènement, Aménophis IV change son nom en Akhenaton et met en œuvre une révolution religieuse. En Moyenne-Égypte, dans un lieu vierge, il fonde une nouvelle capitale, Akhetaton (aujourd’hui Tell el-Amarna). Le nouveau culte exalte Aton, le disque solaire, et exclut les autres dieux, en particulier Amon, le « roi des dieux » devenu le dieu dynastique au Nouvel Empire, dont le nom est martelé sur les monuments. Déjà célébré dans les Textes des pyramides, Aton est en fait lié à la fonction royale dès Thoutmosis IV, pour contribuer à affirmer la nature divine du pharaon. Avec Akhenaton, la personne royale devient l’unique intermédiaire entre les hommes et la divinité. »
(4) Voir Christian Leblanc, Reines du Nil au Nouvel Empire, Bibliothèque des Introuvables,2010.
Pour aller plus loin :
– Marie-Ange Bonhême, L’art Égyptien, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1996.
– Christiane Ziegler & Jean-Luc Bovot, Art et Archéologie : l’Égypte ancienne, Manuels de l’École du Louvre, 2001.
– Pascal Vernus, Jean Yoyotte, Dictionnaire des Pharaons, Pempus Perrin, 2004.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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