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En août 2014, l’Egypte annonçait son méga-projet pour le canal de Suez. Les travaux étaient estimés à trois ans mais ce n’est qu’un an plus tard qu’Abdel Fattah al-Sissi inaugurait le nouveau canal de Suez, en présence de nombreux chefs d’Etat, parmi eux, le président français François Hollande, le roi Abdallah II de Jordanie et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Les buts de ce projet pharaonique sont tout autant économiques que politiques. Trois ans et demi après l’annonce de ce projet, quels ont été les travaux effectués ? Quelles en ont été les conséquences sur le court terme ? Ce projet participera-t-il d’un vrai développement économique pour le pays ou s’agit-il d’une « opération de communication » (Evanno, 2014) ?
Ce méga-projet, tel qu’il a été annoncé en août 2014, comportait plusieurs volets : l’élargissement et l’approfondissement du canal sur 37 km, la construction d’une voie parallèle de 317 m de largeur sur 35 km de longueur (cf. carte). Il s’agissait de résoudre les problèmes de circulation sur le canal de Suez : le lit du canal était ensablé à certains endroits, sa largeur ne permettait pas à deux navires de se croiser dans les deux sens, les porte-conteneurs les plus volumineux devaient passer par le cap de Bonne Espérance au Sud de l’Afrique (Kenawy, 2016). Le temps d’attente devrait être ainsi réduit passant de 18h à 11h, 97 navires par jour devraient emprunter le canal d’ici 2023 contre 49 en 2014. Ce projet devait également pallier l’absence de centres de maintenance et de réparation de navires, d’entrepôts commerciaux par la création de zones d’activités logistiques et industrielles autour des villes de Suez et Port-Saïd. Le projet ne vise pas uniquement des améliorations de la circulation maritime mais également le renforcement d’un territoire de services pour le commerce international et d’innovation technologique notamment autour d’Ismaïlia, permettant de créer 1 million d’emplois (cf. carte). Il s’agissait également de construire d’autres tunnels et d’autres ponts exigés par les forces armées égyptiennes.
Lors de l’inauguration en août 2015, seul le volet concernant l’élargissement, l’approfondissement du canal de Suez et la construction d’une voie parallèle est terminé. Les travaux devaient durer trois ans, mais il n’a fallu qu’une seule année avec la mobilisation de plus de 100 000 ouvriers. Le projet a coûté 8 milliards de dollars, deux fois plus que ce qui était prévu en 2014. L’Etat a financé ce projet en émettant des certificats d’investissement destinés aux citoyens égyptiens à travers des banques publiques égyptiennes : 82% de ces certificats sont détenus par des particuliers et 18% par des corporations et des sociétés juridiques (Kenawy, 2016).
La mise en place des zones d’activités industrielles, logistiques et technologiques constitue donc une deuxième étape qui n’est pas encore aboutie et qui sera probablement financée par des investisseurs étrangers, notamment russes (Lavergne, 2016) mais aussi chinois ou italiens (1). Pour Marc Lavergne (2016), l’Egypte cherche des sources de « financement libre de conditions en matière des droits de l’homme et de démocratisation, mais aussi de contrôle des institutions financières internationales ».
Ce projet devrait permettre une hausse des recettes annuelles passant de 5 milliards de dollars en 2015 à 13 milliards d’ici 2023. Le canal de Suez est la troisième source du revenu national égyptien après les transferts de fonds des travailleurs à l’étranger et le tourisme qui a fortement souffert du terrorisme notamment dans la région du Sinaï et de l’instabilité consécutive à la révolution de 2011 (Kenawy, 2016). Les revenus du canal de Suez représentent 5% du PNB et 10% du PIB en 2014. Ce projet devrait également permettre de lutter contre le chômage par la création d’emplois dans les secteurs industriels et d’innovation technologique.
D’autres conséquences sur le développement économique sont prévues par les autorités égyptiennes : améliorer la sécurité alimentaire égyptienne par la récupération de terres pour l’agriculture et la pisciculture, décongestionner les zones surpeuplées de la vallée du Nil en attirant des populations vers le territoire du canal de Suez et donc redessiner la carte de la population à l’échelle de l’Egypte (Kenawy, 2016). Il s’agit donc de consolider la domination maritime et le rayonnement international du canal de Suez mais également de développer le pays dans son ensemble. Le canal de Suez est alors considéré par les autorités égyptiennes comme le moteur de la croissance économique de la « nouvelle Egypte » voulue par Abdel Fattah al-Sissi.
Il s’agit de renforcer le rôle maritime et commercial mais également géopolitique du canal de Suez. La rapidité des travaux s’explique en partie parce que l’Egypte cherche à concurrencer le canal de Panama dont les travaux pour doubler et approfondir le canal devaient s’achever en 2016 (Evanno, 2014). Le président al-Sissi affirme également une réappropriation de ce territoire soumis au risque terroriste. En effet, le développement économique est considéré comme un moyen pour lutter contre le terrorisme et sécuriser la région du Sinaï.
Pour Séverine Evanno (2014), ce projet est également une « opération de communication » politique. Le président égyptien, par une rhétorique paternaliste, cherche à provoquer l’adhésion des citoyens égyptiens et ainsi à légitimer sa position en tant que chef d’Etat. L’inauguration qui a eu lieu à Ismaïlia témoigne du « recyclage d’un symbole national » (Evanno, 2014). Al-Sissi s’approprie un lieu qui est un symbole de la lutte pour l’indépendance politique et économique notamment depuis sa nationalisation en 1956. Il met l’accent sur le financement égyptien du projet alors que seul le volet concernant le canal est financé par les Egyptiens, le reste étant financé par des investisseurs étrangers. Le discours affiché par les autorités égyptiennes n’est pas qu’à destination des citoyens égyptiens mais également à destination des autres pays. Ainsi, al-Sissi affirme que ce projet est « un cadeau de l’Egypte au monde ».
Les travaux d’élargissement et d’approfondissement ont déjà posé des problèmes, notamment par l’expulsion d’habitants qui n’ont pas reçu de compensations et par la mort de trois ouvriers dès le début du chantier (Evanno, 2014). Peu d’études sérieuses semblent avoir été menées sur l’utilité de ce projet et sur les besoins de l’économie mondiale en termes de trafic maritime (Evanno, 2014 ; Lavergne, 2016), et l’augmentation du nombre de navires pourrait provoquer une hausse des accidents (Evanno, 2014).
Certains chercheurs évoquent également les incertitudes quant aux retombées économiques de ce projet : la croissance des revenus du canal de Suez ne dépend pas uniquement de l’augmentation de la circulation maritime mais également du prix du carburant, de la croissance mondiale et de la sécurité internationale (Evanno, 2014 ; Lavergne, 2016). Si l’élargissement et l’approfondissement du canal ont été réalisés, la mise en place de zone d’activités et d’innovation reste fortement incertaine, dépendante des dirigeants égyptiens et russes au pouvoir. Un changement de dirigeants pourrait remettre en cause ce projet (Lavergne, 2016). L’effet d’entraînement sur toute l’économie égyptienne et sur le développement social du pays pourrait également s’avérer irréaliste si des réformes sociales et des programmes d’aide pour les populations les plus pauvres n’étaient pas mis en place.
Quelles sont les conséquences de ces travaux depuis 2015 ? D’une part, la baisse du prix du carburant diminue l’avantage compétitif de la traversée du canal de Suez par rapport au contournement de l’Afrique par le Cap de Bonne Espérance (2). D’autre part, le nombre de navires traversant le canal de Suez a augmenté de 4,25% entre 2016 et 2017, permettant une hausse de près de 90% des revenus en livre égyptienne. Cependant, cette hausse s’explique avant tout par la dévaluation de la livre égyptienne. La hausse en dollars n’est que de 5,4%, les revenus sont passés de 5 milliards de dollars en 2016 à 5,3 milliards en 2017 (3).
Les effets à court terme semblent avant tout politiques, plus qu’économiques.
Lire la partie 2 : Le Canal de Suez (2/2) : perspectives historiques
Notes :
(1) Les délais seront plus longs pour cette phase, certaines sources annonçant par exemple la création d’une zone industrielle autour de Port-Saïd par des entreprises russes qui sera opérationnelle en 2031 : https://www.agenceecofin.com/investissements-publics/2601-53848-egypte-un-accord-final-bientot-conclu-pour-la-construction-d-une-zone-industrielle-russe-pres-du-canal-de-suez-pour-7-milliards (consulté le 7 avril 2018).
(2) Selon une étude de SeaIntel, 115 navires entre octobre 2015 et février 2016 auraient préféré passer par le Cap de Bonne Espérance du fait de la baisse des prix du carburant : https://www.forbesafrique.com/Sale-temps-pour-le-canal-de-Suez_a1650.html (consulté le 7 avril 2018).
(3) http://afrique.le360.ma/autres-pays/economie/2018/01/08/17892-egypte-les-recettes-du-canal-de-suez-en-hausse-en-2017-17892 (consulté le 7 avril 2018).
Bibliographie :
EVANNO S., 2014, « Egypte : canal de Suez, encore un projet pharaonique…et contesté », Orient XXI [en ligne], https://orientxxi.info/magazine/egypte-canal-de-suez-encore-un-projet-pharaonique-et-conteste,0727 (consulté le 7 avril 2018).
KENAWY E., 2016, « Les impacts économiques du nouveau canal de Suez », Annuaire IEMED, p. 304-311.
LAVERGNE M., 2016, « Egypte : le retour des militaires, un rempart contre Daesh ? », Notes de la Fondation Jean Jaurès, n°292, p. 1-6.
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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