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La ville de Lusail, portrait d’un Qatar en mutation

Par Chloé Domat
Publié le 26/09/2011 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Lusail, une vision

Lusail est une vision du Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, qui en parle pour une première fois en 2004. Le projet est ensuite lancé en décembre 2005. L’idée est de créer un grand centre urbain qui fonctionnerait de manière indépendante mais que l’on peut aussi voir comme une extension de Doha, la capitale, puisque les deux villes se tiennent à seulement 15 km de distance et seront reliées par des infrastructures de transport très performantes, métros et lignes de train dernier cri.
Avec 38 km2 de chantier, 28 km de front de mer et 5 îles, le tout divisé en 19 districts indépendants, Lusail sera à terme capable d’offrir toutes les infrastructures les plus modernes pour le bien vivre de ses habitants, travailleurs et visiteurs. Selon Mohammad Ben Ali Al Hedfa, PDG de Lusail Real Estate Development Company (compagnie en charge de la coordination du projet), « Lusail is designed to be a fully functioning city and is based on a vision of how communities and families should live, work and interact in Qatar ». Les futurs « Lusailiotes » seront donc entourés de la marina la plus grande du Golfe, de plusieurs quartiers résidentiels de hauts standing, de nouvelles tours, centres commerciaux, quartiers d’affaires, golfs, îles et parc d’attraction, le tout respectant, selon le communiqué de presse « les traditions et l’héritage arabo musulman » dans un grand souci de l’environnement, car même si l’air conditionné sera de mise, il respectera les normes écologiques les plus strictes.
Le projet, qui fait rêver, s’est vendu très vite et se construit quartier par quartier. Commencé dès 2006, le travail d’excavation est en cours, l’infrastructure de base se met en place comme la Lusail City Visitor’s Road ou le système d’égouts. Pour ce qui est des districts, la marina en est à sa deuxième étape de fabrication tandis que le quartier résidentiel de Fox Hills ainsi que Entertainment City et Energy City sortent lentement du sable.

Les raisons de ce projet

La construction de ce projet répond à un objectif concret, porté par une capacité financière remarquable.
Construire la ville de Lusail permet en premier au lieu de créer de nouveaux logements pour anticiper les attentes d’une population en mutations. En effet selon une étude réalisée en 2010, le Qatar a enregistré, entre 2004 et 2010, une augmentation de population s’élevant à 128%. Cette croissance démographique exponentielle est due, comme chez ses voisins les Emirats arabes unis, à l’immigration : sur 1.7 million d’habitants, les Qataris ne sont qu’environ 300000. Toutefois même si la majorité des immigrés sont des travailleurs pauvres en provenance de pays en développement, souvent d’Asie, la monarchie souhaite attirer le plus possible des occidentaux et des travailleurs qualifiés du monde entier pour préparer l’après pétrole. C’est dans cette optique que s’inscrit le projet de Lusail, qui devrait permettre d’abriter 200000 nouveaux habitants, répartis dans 50000 unités de logement de luxe.
Mais si le Qatar investi aujourd’hui dans ce projet, c’est qu’il en a largement les moyens. L’émirat dispose de ressources remarquables en pétrole et surtout en gaz. Il en est le troisième producteur mondial derrière la Russie et l’Iran, et le premier exportateur de gaz liquéfié au monde. Il s’agit pour le Qatar de tenter d’utiliser à bien cette manne de richesses. Comme il est mentionné dans le rapport Qatar National Vision 2030, « the country’s abundant wealth creates previously undreamt of opportunities and formidable challenges. It is now imperative for Qatar to choose the best development path (…) ».
Le coût total estimé du projet, qui n’est pas mentionné, constitue un investissement qatari ouvrant d’incroyables marchés aux entreprises internationales.

Un investissement du Qatar, un marché mondial

Lusail City Project est tenu sous l’autorité de l’Etat du Qatar à travers trois institutions très proches. L’on trouve en premier lieu le Qatar Investment Authority, un organe de l’Etat qui gère tous les investissements du pays. Celui-ci a crée en 2004 une filiale spécialisée dans l’immobilier, Qatari Diar Real Estate Investment Company, qui investit à travers le monde dans des projets de grande envergure. Face à l’ampleur du projet de Lusail, qui représente sans conteste l’un des plus ambitieux sur le sol de l’émirat, Qatari Diar a elle même crée en 2008 une sous filiale : Lusail Real Estate Development Company. Celle-ci agit au nom de Qatari Diar pour développer l’infrastructure de Lusail, en suivant les grandes lignes du projet initial. Il est d’ailleurs prévu qu’à terme, cette compagnie agisse comme la municipalité du nouveau centre urbain.

Si Lusail Real Estate Development Company chapeaute le projet, il représente un important marché pour les entreprises de BTP et de services du monde entier. Il est possible pour un investisseur indépendant d’acheter tout un district et d’en gérer la construction. Toutefois selon le site internet du projet, 80% des investisseurs sont qataris. Voisins du Golfe et entrepreneurs occidentaux sont néanmoins nombreux à prendre part au projet de Lusail. Voici un aperçu de certains contrats :
 France : le groupe Vinci, n°1 mondial du BTP, détenu à 51% par Qatari Diar décroche le contrat de construction du métro pour 374 millions d’euros [1]. Michel Desvigne, paysagiste originaire de Montbéliar est en charge de la planification urbaine du Commercial Boulevard [2].
 Allemagne : Hochtief lance un joint venture avec Qatarti Diar en vue de la réalisation de grands projets d’aménagement [3].
 Espagne/Australie : l’aménagement des rues sera assuré par HUB Street Equipment (Australie) et DNA (Espagne).
  Emirats arabes unis : DAMAC obtient un contrat d’excavation, Mourjan Marinas IGY [4] signe pour la construction de la marina.

Nouveaux défis pour le Qatar

Le projet de Lusail permet de positionner le Qatar comme un modèle, tant dans le domaine de l’environnement, dans celui du développement humain, dans l’économie, le tourisme et le sport, dans la région du Moyen-Orient.
La ville de Lusail se construit dans le plus grand respect de l’environnement. Son site internet précise notamment qu’aucun écosystème n’a été mis en danger par le chantier et celui-ci a même reçu un prix d’excellence, le QSAS, en mars 2011 pour « ses bonnes pratiques environnementales » [5].
En développement humain, l’accent est mis sur la santé et l’éducation : Mohammad Jaham al Kuwari, ambassadeur du Qatar en France, explique : « Nous réfléchissions dès aujourd’hui au monde de l’après pétrole. Notre stratégie repose sur deux piliers, l’éducation et la santé (…) afin de nous positionner comme un pôle d’attraction pour toute la région ». Cela est notamment inscrit dans la récente Constitution de 2004, « L’éducation est un des piliers de base du progrès social. Le rôle de l’Etat est de l’assurer (…) et de s’efforcer de la rependre ». Après de précédents succès autour de la ville de Doha, en particulier avec Education City, Lusail continue de creuser ce sillon prometteur en consacrant une partie conséquente de son terrain à un « Medical and Education District ». Ce quartier abritera une trentaine d’écoles allant de la maternelle aux études supérieures ainsi que divers centres médicaux.
Le projet permet également de repenser le développement économique. Avec la construction de Energy City, Lusail souhaite se placer comme leader dans le secteur de l’énergie mais plus seulement comme extracteur de matières premières. Energy City ambitionne de devenir un pôle d’attraction mondial où chercheurs et entreprises de tous pays échangeront savoir faire et techniques pour penser les énergies de demain.
De même, le projet de Lusail va accroitre l’influence politique à travers le sport et le tourisme. Après les Jeux Asiatiques en 2006, le Qatar va organiser les mondiaux de handball en 2015 et surtout la coupe du monde de football en 2022 (voir Qatar 2022). Lusail jouera un rôle central dans ces rendez-vous sportifs. De nombreuses infrastructures vont être mises en place dont le Lusail Iconic Stadium, un stade géant de 86000 places qui accueillera le match de lancement et la finale. L’émirat a ainsi battu les Etats Unis qui avaient déposé une candidature pour le mondial de football, victoire qui n’aurait jamais été envisageable dans un autre domaine. L’émir l’a bien compris, il y a quelques années il déclarait « Il est plus important d’être reconnu au Comité International Olympique (CIO) qu’à l’Organisation des Nations Unies. Tout le monde respecte les décisions du CIO ». Dans le domaine du tourisme, après le succès de Qatar Airways, la construction entamée de Entertainment City à Lusail va mettre à disposition des voyageurs une offre inédite d’hôtels, restaurants, cinémas, théâtres, parcs à thèmes ect… qui viendront compléter ou concurrencer ce que propose depuis quelques années Dubaï.

La ville de Lusail peut donc être vue comme un miroir dans lequel on entrevoit le Qatar de demain. Petit à petit le pays se construit une image de taille et un poids politique régional comme international en jouant habilement du soft power. Dépassant ses faiblesses, la monarchie utilise ses pétrodollars pour se placer comme un leader du développement. Le projet de Lusail laisse également entrevoir l’envers du décors : un développement impressionnant mais pas destiné à tous, les milliers de travailleurs immigrés qui bâtissent la ville de demain vivent dans des conditions très précaires et n’ont toujours aucunes perspectives d’avenir [6].

Sources et notes :

Site internet
http://www.lusail.com

Rapports
 Census 2010, disponible sur http://www.qsa.gov.qa
 Rapport arabe sur le développement humain 209, réalisé par le PNUD
Qatar National Vision 2030.

Articles de périodiques
 Boisson Pierre, Nigay Pierre, « Le Qatar s’impose comme le nouveau terrain de jeu du sport mondial », Le Monde, 03/03/2011.
 Boisson Pierre, Nigay Pierre, « L’attribution de la coupe du monde au Qatar a fait naitre l’espoir dans toute la région », Le Monde, 04/03/2011.
 Boniface Pascal, « Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe », Le Monde diplomatique, Juin 2004

Publié le 26/09/2011


Chloé Domat est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et habite actuellement à Beyrouth. Elle a collaboré avec différents médias dont iloubnan.info, France 24, Future TV.


 


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