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La politique étrangère cairote sous Sadate (2/3) : une opposition panarabe aux relations israélo-éthiopiennes

Par Nicolas Klingelschmitt, Younouss Mohamed
Publié le 26/04/2021 • modifié le 26/04/2021 • Durée de lecture : 8 minutes

File picture of Libyan leader Col. Moammar Kadhafi ® with Egyptian President Anouar al-Sadate (L) and Algerian President Houari Boumediene © at the airport while they arrived.

AFP FILES / ARCHIVES / AFP

Lire la partie 1 : L’héritage diplomatique de Gamal Abdel Nasser

L’Organisation de l’Unité africaine et le conflit israélo-arabe

Dès 1971, l’OUA se saisit de la question du conflit israélo-arabe et cherche à encourager la mise en œuvre des résolutions adoptées par l’Organisation des Nations unies à ce sujet prévoyant un apaisement des tensions via le dialogue. Pour ce faire, l’organisation panafricaine met en place le 24 août 1971 un « Conseil des Sages » composé de 10 chefs d’États africains, parmi lesquels les présidents du Sénégal, du Cameroun, du Nigéria et du Zaïre [1], qui se rend fin novembre de la même année en Israël puis en Égypte dans une optique de médiation. Les travaux de ce conseil aboutissent à la rédaction d’un mémorandum proposant 6 points d’action en accord avec les différentes parties au conflit, mémorandum remis sous forme de rapport au secrétaire général de l’ONU. U Thant, premier non-Européen et bouddhiste assidu à occuper le poste de secrétaire général, est alors dans une situation complexe tandis qu’il vient d’être nommé. La légitimité de l’ONU est remise en cause dans le conflit zaïrois [2] dont la région du Katanga tente de faire sécession, et les relations entre représentants des institutions onusiennes et panafricaines ne sont pas tout à fait au beau fixe ; aucune suite n’est donnée par U Thant au rapport du Conseil des Sages.

En conséquence, à partir de l’année suivante, l’OUA tend à travers ses résolutions suivantes à adopter une ligne diplomatique plus favorable aux États arabes qu’à Israël, adoptant une résolution affirmant que « le respect des droits inaliénables du peuple palestinien est un élément essentiel de toute solution juste et équitable au problème du Proche-Orient ». Cette résolution est adoptée en juin 1973 dans la foulée du Sommet des non-alignés qui se tient à Alger [3] présidé par le président algérien Houari Boumédiène, et marqué par des tensions internes, nombre de protagonistes reprochant à Fidel Castro et Mouammar Kadhafi leur proximité trop importante avec le bloc soviétique. Son adoption a lieu également dans la foulée du sommet des 10 ans de l’OUA. Boumédiène est alors très actif sur la scène diplomatique internationale, et appelle l’ensemble de ses homologues à une « transformation radicale de la situation internationale en mobilisant toutes les ressources disponibles pour le bénéfice de leur pays » [4], ce qui entrainera l’embargo pétrolier, un mois plus tard, décidé par les États membres de l’Organisation des Pays exportateurs de Pétrole (OPEP), à l’origine d’une crise économique majeure. Le premier choc pétrolier qui s’ensuit, entraine certes des conséquences néfastes sur les économies occidentales, mais il ajoute également un frein économique important à l’ensemble des projets de développement des États africains, et se cumule à la défaite militaire et politique de l’Égypte.

Un sommet de l’OUA divisé quant à la question israélienne

Dix ans après la création de l’OUA, les chefs et représentants de ses États membres se montrent divisés sur l’attitude à adopter face à Israël. Dans un climat général particulièrement tendu à l’occasion du Sommet qui se tient du 27 au 29 mai 1973, plusieurs chefs d’État, dont Félix Houphouët-Boigny, tentent d’appeler à l’unité continentale et à limiter les controverses [5]. La Jamahiriya arabe libyenne du colonel Mouammar Kadhafi (alors âgé de 31 ans et au pouvoir depuis moins de 4 ans) dénonce à l’inverse ouvertement un « impérialisme sioniste » [6] quelques semaines avant la tenue de la 11e conférence des chefs d’État de l’OUA, et attaque de front l’Éthiopie de l’empereur Hailé Sélassié, empereur et Roi des Rois d’Éthiopie, alors au pouvoir depuis 1930, « accusée de favoriser le sionisme et Israël » [7]. Déjà inspirée par les transferts de siège d’organisations internationales [8], la Libye demande alors le transfert du siège de l’OUA d’Addis-Abeba vers Le Caire. En réaction, l’Éthiopie envoie des ministres rencontrer différents chefs d’État au sein du continent, pour s’assurer que la proposition libyenne ne reçoit pas de soutien.

À quelques mois du début de la guerre de 1973, le président algérien Boumediene et son homologue égyptien Sadate fustigent d’une même voix « l’impérialisme sioniste » [9], emboitant le pas du jeune Mouammar Kadhafi. L’Algérie, la Libye et l’Égypte dénoncent avec ferveur la dualité de l’Éthiopie de l’iconique et controversé Hailé Sélassié [10]. Ce dernier condamne l’apartheid en Afrique du Sud, en Namibie et en Rhodésie. Plusieurs décennies plus tôt, il incarne le rôle de défenseur de l’Empire éthiopien auprès de la Société des Nations en 1935 et 1936 alors que l’Italie fasciste de Mussolini agresse l’Éthiopie, l’un des seuls pays libres du continent africain dans les années 1930, pour en prendre le contrôle jusqu’en 1941. Hailé Sélassié est également la figure du mouvement rastafari dont le nom est tiré d’une contraction de son titre et patronyme (le Ras Tafari Makonnen) et descendant, par sa lignée royale, de David, du roi Salomon et de la reine de Saba. A l’ouverture de ce sommet des 10 ans de l’OUA, il est alors âgé de 81 ans, et fait entretenir à l’Éthiopie des relations diplomatiques soutenues avec Israël.

Les Israéliens ont, depuis 1958, la volonté de s’assurer une libre navigation dans la mer Rouge qui borde alors l’Éthiopie [11], et d’avoir un allié sur le continent africain. Israël tente notamment d’établir une alliance périphérique avec la volonté de formation des forces armées, ainsi qu’une coopération dans les domaines du renseignement et de la sécurité [12].
Un paradoxe majeur est donc relevé et dénoncé par les autres États membres de l’OUA. Ceux-ci sont surpris de l’écart entre la position claire de l’Éthiopie vis-à-vis des politiques ségrégationnistes de l’apartheid dans le sud du continent africain, et la reconnaissance diplomatique de l’État d’Israël par Addis-Abeba. Le contexte géopolitique régional renforce ce caractère paradoxal : Israël est à l’époque accusé d’impérialisme par la quasi-totalité des sympathisants panafricains et panarabes.

Des tensions idéologiques et territoriales internationales

Ces tensions géopolitiques ont un écho négatif particulier alors que certaines régions du continent ne sont pas encore libres : l’OUA voit de nouveaux États rejoindre ses rangs entre 1973 et 1975. Les anciennes colonies portugaises, désormais indépendantes, prennent leur place au sein de l’organisation internationale africaine tandis que le Portugal ne reconnait de jure leur existence qu’à la suite des accords d’Alger le 26 août 1974. Ainsi, la Guinée Bissau rejoint l’OUA en 1973, devenant son 42e membre, imitée en 1975 par le Mozambique, Sao Tomé et Principe et l’Angola.

La guerre du bush en Rhodésie opposant les forces militaires et paramilitaires du régime ségrégationniste de la République de Rhodésie aux insurgés locaux soutenus dans leur stratégie de guérilla par l’URSS et la Chine maoïste est alors en cours depuis 1972. En Afrique du Sud, le régime d’Apartheid ne fait encore pas l’objet d’embargos internationaux (qui n’interviendront qu’après les émeutes du quartier de Soweto, en 1976), l’Apartheid étant également instauré en Namibie voisine, alors administrée par le gouvernement sud-africain.

Loin de l’Afrique australe, la région Saharienne est également le théâtre de tensions ; le Front Polisario visant l’indépendance de la région du Sahara occidental contre la colonisation espagnole et la souveraineté marocaine est créé le 10 mai, soit deux semaines avant l’ouverture de la conférence des chefs d’État de l’OUA.

L’Égypte de Sadate, quant à elle, cherche à récupérer le contrôle du canal de Suez et du Sinaï, lieux stratégiques clés tant sur le plan économique que sur l’aspect symbolique. Un nouveau conflit contre l’État hébreu semble être une solution réaliste pour y parvenir.

Les conséquences diplomatiques de l’échec de la guerre du Kippour d’octobre 1973

Lors de la guerre du Kippour, l’Egypte de Sadate subit une défaite majeure, et les positions d’Israël sont durablement renforcées dans la région. Sans revenir sur le détail du conflit, il est néanmoins intéressant d’observer l’évolution de la politique étrangère égyptienne à cette période et l’implication personnelle directe des hommes d’État égyptiens dans le conflit. À ce titre, notons que l’avion de chasse soviétique Mig du frère du président Anouar El Sadate, Atif, a été abattu par les F4E « Phantoms » des forces aériennes d’Israël au début de la guerre, dans une offensive de l’armée de l’air égyptienne sur un aéroport israélien [13]. Cette offensive était alors encadrée par Hosni Moubarak, qui deviendra à son tour président de l’Égypte après l’assassinat de Sadate, et jusqu’au printemps arabe de 2011. Le coût personnel de cette guerre pour le président Sadate, en plus de la défaite stratégique qu’elle entraine, va provoquer un revirement progressif de la politique étrangère égyptienne.

L’échec majeur de la guerre du Kippour est en effet un important revers côté égyptien, malgré un soutien logistique et diplomatique important de l’URSS par le biais d’un pont aérien, et du refus par Moscou, pendant plusieurs jours, de voter un cessez-le-feu par résolution au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. Ce que l’Égypte ne parvient pas à gagner aux côtés d’autres nations arabes telles que la Syrie et l’Irak, elle tente alors progressivement de l’obtenir à travers des négociations de paix, qui aboutiront finalement à une paix séparée pour Le Caire et un changement dans le jeu d’alliances africain et moyen-oriental. Les conséquences des négociations entre Israël et l’Égypte qui s’ensuivront isolent Sadate vis-à-vis de ses voisins.

Publié le 26/04/2021


Nicolas Klingelschmitt est doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses domaines de recherche portent sur les Relations Internationales, en particulier la paix et la coopération sur le continent africain.
Titulaire d’un master en Droit public mention Relations Internationales - Gestion de Programmes Internationaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, il est également consultant en géopolitique et a réalisé à ce titre plusieurs études auprès de l’Institut Afrique Monde (Paris) dont il est membre depuis 2016.
Il a ainsi étudié les migrations de l’Afrique vers l’Europe, le dialogue interreligieux et la gouvernance. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent politiquement, culturellement, économiquement et historiquement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient.


Younouss Mohamed est doctorant en Science Politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d’un master de recherche en Science Politique, obtenu à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun, il est également membre du Groupe Interuniversitaire d’Études et de Recherches sur les Sociétés Africaines (GIERSA). La participation politique de la diaspora africaine, la sociologie politique et la géopolitique constituent ses domaines de recherche principaux. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse à l’histoire politique commune des États et figures politiques de l’Afrique et du Moyen-Orient.


 


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