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L’identité européenne sur le plan des relations extérieures à travers un exemple : l’Union pour la Méditerranée

Par Ilham Younes
Publié le 23/05/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

BELGIUM, Brussels : EU enlargement commission Stefan Fule ® welcomes Secretary general of the Union for the Mediterranean Ahmad Massa’deh before their evening working session on March 23, 2010 at the EU headquarters in Brussels.

AFP PHOTO GEORGES GOBET

La politique extérieure de l’UE doit-elle, à l’image de son projet, défendre un certain nombres de principes au premier rang desquels la démocratie ? Existe-t-il un modèle de puissance européen ?

Selon l’intellectuel Ulrick Beck : « L’Europe continue et n’a jamais cessé de se définir politiquement sur l’échiquier mondial » [1]. En se définissant sur l’échiquier politique mondial, l’Europe a instauré sur le plan des relations extérieures un modèle inédit de puissance fondée en grande partie sur le respect du droit. Par ce choix, les Européens ont définitivement renoncé à « la politique du coup de force » en laissant place à « une culture stratégique » plus nuancée qui privilégie la diplomatie à la coercition [2].

L’Union pour la Méditerranée (UPM) lancée par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle en 2007 et qui suit le chemin engagé dans le cadre du processus de Barcelone (1995) constitue un exemple paradigmatique du choix européen de la diplomatie et du dialogue contre la force. L’idée était de relancer les relations-euroméditerranéennes et de les rendre plus visibles en articulant les priorités autour de la mise en oeuvre de projets concrets comme : l’émergence d’une société civile, la gestion des risques environnementaux et des enjeux énergétiques par le développement de l’énergie solaire ainsi qu’un élargissement du programme ERASMUS aux étudiants de la rive sud.

A travers cette politique, l’UE propose une relation privilégiée à ses voisins des pays de la rive sud de la Méditerranéen, basée sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes à savoir la démocratie, les droits de l’homme, la règle de droit, la bonne gouvernance, les principes d’économie de marché et le développement durable. Pour autant, cette préférence pour « la puissance normative » permet-elle à l’Union européenne de s’imposer sur la scène mondiale ? Quels sont les revers de cette puissance par le droit ? Comment s’actualise-t-elle sur le plan des relations internationales ?

Un modèle de puissance inédit : la régulation par la norme

Ian Manners est l’un des premiers à avoir thématisé l’idée d’une Europe exportatrice de normes [3]. Il retient neuf principes essentiels qui caractérisent le pouvoir normatif de l’Union européenne :

 La paix durable qui est l’un des principes normatifs fondamental de l’Union européenne et qui fait d’ailleurs écho à l’idéal kantien d’un projet de paix perpétuelle.
 La liberté sociale qui serait nécessaire pour la réalisation d’une paix durable.
 La démocratie consensuelle renvoie à un principe normatif au fondement même du système politique de l’Union européenne.
 Les droits de l’homme corrélés lesquels regroupent les droits individuels et collectifs essentiels à la mise en oeuvre de systèmes démocratiques stables.
 Les principes de droits supranationaux renvoient quant à eux aux principes de libertés démocratiques et aux droits humains rendus possibles grâce à l’aide au développement.
 L’égalité globale est une norme promue qui reste très incluse et ouverte puisqu’elle regroupe toutes formes de discriminations.
 La solidarité sociale renvoie à la promotion de l’économie sociale et à la justice sociale et enfin les derniers principes sont ceux qui à son sens ont fait l’objet d’un développement intense en matière d’exportation normative à savoir le développement durable et le principe de la bonne gouvernance.

Revenir sur ces principes normatifs énoncés par Ian Manners n’est pas anodin, puisqu’ils révèlent en filigrane la manière dont l’Union européenne exporte son modèle de puissance par la référence à un certain nombre de normes comme les droits de l’homme, la norme environnementale ou encore la démocratie consensuelle. Dès lors, comment expliquer ce choix d’un modèle de régulation des relations extérieures par le droit ?

Pour Robert Kagan, les Européens ont définitivement renoncé à la politique du coup de force qui est associée historiquement à un traumatisme profond et renvoie aux spectres du passé [4]. Ce modèle de régulation révèle par ailleurs à son sens le lien que l’Europe entretient avec sa puissance, un rapport qui reste profondément lié à la conscience de sa faiblesse : « Quand les États-Unis étaient faibles, ils pratiquaient les stratégies de la voie détournée, les stratégies de la faiblesse. A présent qu’ils sont forts, ils adoptent le comportement des nations fortes, quand les grands pays européens étaient puissants, ils croyaient au pouvoir et à la gloire martiale mais aujourd’hui ils voient le monde à travers le regard des nations faibles » [5]. Pour Zaki Laïdi, « Les Européens ne se vivent pas et ne se voient pas comme les garants ultimes de leur sécurité » [6]. Le faible budget que l’Europe attribue à sa défense est d’ailleurs symptomatique du fait qu’elle n’aspire pas à développer ses capacités militaires et se place de facto en contre-modèle de la puissance américaine

En effet, il y a une différence radicale entre la conception de la puissance américaine et européenne qui se manifeste notamment lorsque l’on étudie en profondeur la culture stratégique de ces deux acteurs.

Une culture stratégique de paix à travers un exemple : l’Union pour la Méditerranée

Le modèle de puissance européen se fonde en partie sur le rejet de l’hégémonie politique. Celui-ci est associé à la puissance westphalienne qui repose sur l’équilibre des puissances, d’ailleurs historiquement mis en place par les puissances européennes. Dès lors, ce rejet de l’hégémonie politique est aussi lié à un passé douloureux qui aujourd’hui explique la préférence européenne à la diplomatie plus qu’à la coercition. En abandonnant « la politique du coup de force » [7], les Européens ont intégré un univers kantien au centre duquel se place l’idée d’une « paix perpétuelle » et durable. Cet univers fait désormais partie intégrante du champ d’action de la politique extérieure de l’Union européenne.
En effet, les projets de consolidation des démocraties arabes peuvent se comprendre à l’aune de cet idéal kantien d’une paix par l’instauration durable de démocraties consensuelles. La politique européenne de voisinage approfondie par la mise en place de l’Union pour la Méditerranée en 2007 est un exemple intéressant pour comprendre la manière dont s’articule cette puissance normative. En effet, l’UE propose une relation privilégiée avec ses voisins des pays de la rive sud : l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie-et-Herzégovine, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, le Maroc, la Palestine, la Syrie (suspendue), la Tunisie et la Turquie. Ce partenariat euro-méditerranéen est basé sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes : la démocratie, les droits de l’homme, la règle de droit, la bonne gouvernance, les principes d’économie de marché et le développement durable. Cette forme d’exportation normative s’actualise par un certain nombre de principes clés que sont la négociation, la diplomatie, l’importance des liens commerciaux, le droit international ou encore le multilatéralisme.

Pour autant, cette vision qui en principe semble radicalement opposée à celle de la puissance américaine se doit être plus nuancée dans la mesure où il existe des divisions majeures au sein des pays européens dans la manière d’appréhender la puissance. Les Britanniques ou encore les pays d’Europe centrale et orientale ont par exemple une conception plus américaine de la puissance : il serait dès lors stérile d’omettre les divisions profondes qui existent dans la manière d’appréhender l’identité européenne sur le plan des relations extérieures. Cette différence d’appréciation s’est par ailleurs révélée avec force lors de l’intervention américaine en Irak en 2003 où de profondes divisions ont traversé les États européens. Entre les atlantistes et les Etats partisans d’un réglement diplomatique de la crise, le consensus n’a pas été trouvé. La France et l’Allemagne, noyau historique de l’Europe, demandaient une concertation multilatérale tandis que la plupart des Etats européens (18 pays), en particulier ceux venant de l’Est, privilégiaient la participation auprès des Etats-Unis. Ces divergences ont révélé en filigrane la difficulté de mettre en place à 28 Etats une politique extérieure commune et cohérente.

Cette préférence pour la puissance normative permet-elle à l’Union européenne de s’imposer sur la scène mondiale ?

Un modèle de puissance à reconstruire dans un nouvel ordre mondial

En effet, l’Union a construit son identité sur le plan des relations extérieures en partie contre le modèle de puissance américain reposant davantage sur le recours à la force, l’unilatéralisme et les capacités militaires. Or, cette volonté de construire une Europe en contre-pouvoir a été une erreur selon Ulrick Beck [8] pour deux raisons :

 La première est que cette posture de repli ne permet pas de régler un certain nombre de défis qui sont désormais globaux, comme le terrorisme transnational.
 La deuxième chose et qu’en se plaçant en contre-pouvoir du modèle américain, l’Union européenne a projeté sur elle les mêmes critiques qu’elle adressait aux Américains, à savoir l’unilatéralisme.
 Par ailleurs, « Cette normativité excessive » [9] recouvre un certain nombre de travers auxquels n’a pas échappé l’Union européenne, au premier rang desquels le danger d’imposer des principes universels [10]. C’est d’ailleurs l’une des critiques adressées à l’Union européenne dans la forme que prennent ses propositions à l’égard des processus arabes de démocratisation. En effet, aujourd’hui, le modèle normatif de l’Union européenne est de moins en moins convaincant. L’Union est désormais impliquée dans des processus de démocratisation où elle n’est plus la référence comme modèle, comme en témoigne le cas de la Tunisie qui s’est engagée depuis 2011 dans un processus de démocratisation sans adhérer forcément aux valeurs occidentales de l’UE. En effet, à la suite du départ de l’ancien Président Zine El-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, après vingt-trois ans au pouvoir, les premières élections libres sont organisées en Tunisie en octobre 2011. Le parti islamiste Ennahda arrive en tête avec 89 sièges sur 217. Cette annonce a suscité la crainte de l’Union européenne qui en a appellé aux droits de l’homme. Depuis, une nouvelle constitution a été mise en place (février 2014) et prévoit de nombreuses avancées : un régime parlementaire mixte, la reconnaissance des libertés fondamentales, la création d’une Cour constitutionnelle et l’introduction d’un objectif de parité entre les femmes et les hommes dans les assemblées élues. Ce régime, en s’appuyant sur un processus de démocratisation propre, ne répond pas forcément à une logique d’occidentalisation.

Pour Zaki Laidi, « les normes ne peuvent pas s’imposer par la seule force de l’exemplarité ». A son sens, « le messianisme européen » serait en échec puisqu’il n’arriverait pas à exporter son modèle [11]. Face à cette difficulté, de nombreux intellectuels plaident pour un renouveau. Ulrick Beck propose une puissance européenne renouvelée sur le plan des relations extérieures qui soit capable de prendre en compte les spécificités inhérentes au processus européen tout en étant capable de répondre à des défis qui sont désormais globaux. Selon cet intellectuel, si « l’Europe ne peut être trouvée, il faut l’inventer » [12]. Il faut dès lors, selon lui, repenser la puissance européenne de façon moins euro-centrée en se plaçant d’un point de vue plus cosmopolitique. Le principe de conditionnalité au coeur des politiques euro-méditerranéennes fait partie de ces instruments normatifs et euro-centrés que l’UE utilise afin de promouvoir son modèle. En effet, la conditionnalité détermine les aides octroyées aux pays partenaires en fonction du degré d’adhésion aux principes définis par l’UE que sont : l’Etat de droit garanti par un système judiciaire indépendant et le droit à un procès équitable, la liberté d’association, d’expression et de réunion ou encore la liberté de la presse et des médias. Ce type de relation ne permet pas un équilibre fructueux et équitable entre l’UE et ses partenaires de la rive sud de la Méditerranée. C’est la raison pour laquelle de nombreux intellectuels comme Ulrick Beck appellent à la mise en oeuvre d’une identité européenne ouverte axée sur la coopération à l’image du projet européen. Ce défi stratégique pour l’Europe signifie que la coopération ne doit plus être un moyen mais un but ultime, une fin pour régler un certain nombre de problèmes mondiaux comme la lutte contre le terrorisme.

En définitive, l’Europe a instauré sur le plan des relations extérieures un modèle inédit de puissance fondée en grande partie sur le respect du droit. Les politiques euroméditerranéennes, en particulier l’Union pour la Méditerranée, illustrent bien l’idéal européen d’une puissance normative sur le plan des relations extérieures. Cette forme de puissance, fût-elle séduisante, peine à être convaincante et pose en filigrane la question de l’identité européenne plus généralement qui reste difficile à cerner en raison d’un projet européen éminemment complexe et évolutif.

Notes :

Publié le 23/05/2014


Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.


 


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