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L’archéologie dans le golfe Persique : la mission française aux Emirats arabes unis

Par Adrien Berthelot
Publié le 24/11/2010 • modifié le 24/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Chantier de fouilles de la mission française sur l’île d’Akab, Emirat d’Umm Al-Qaiwayn, février 2008

Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U

Le goût pour la collection, qui se développe avec la Renaissance en Europe, marque le début de l’attention des occidentaux à l’Orient ancien. L’arrivée dans les cours royales et les cabinets de curiosités de pièces archéologiques et épigraphiques, et notamment de fragments portant des traces d’écritures cunéiformes dont les modules en forme de clous ont servi de base à nombre d’écritures anciennes, n’a cessé d’interroger les contemporains. Bien connues depuis le XVIIe siècle, ces premières écritures ne commencent toutefois à être comprises et traduites que deux siècles plus tard, grâce aux nombreuses découvertes issues des premiers grands chantiers de fouilles. Motivés dans un premier temps par la recherche de sites liés à la tradition biblique, les chantiers se multiplient essentiellement dans la seconde moitié du XIXe siècle, et se font souvent l’écho de la concurrence culturelle et politique dans laquelle se maintiennent alors principalement la France, l’Allemagne et l’Angleterre.

Le scientifique prenant le pas sur le religieux, l’archéologie orientale révèle rapidement un passé d’une richesse et d’une complexité largement sous-estimées. Le déchiffrement des écritures anciennes dévoile le nom des cités des bords du Tigre et de l’Euphrate, des dieux et des rois qui en ont assuré la grandeur. Leurs faits de guerre et de cour, leurs conflits et leurs échanges sont relatés avec maints détails. Dès le IIIe millénaire avant notre ère, quelques textes font référence à des régions éloignées qui, au-delà du mythe qui encadre certains de ces écrits, révèlent également l’existence même de régions et de cultures voisines totalement oubliées. Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle et le développement d’activités archéologiques dans les zones périphériques au cœur mésopotamien pour rattacher certains de ces noms légendaires à des aires géographiques précises.

L’origine des recherches dans le golfe Persique

Si on les compare aux travaux menés dans l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient, les recherches archéologiques sur les rives sud du golfe Persique ont donc commencé assez tardivement. Certains chercheurs épigraphes avaient proposé d’y voir quelques-uns des pays mythiques évoqués dans la littérature mésopotamienne, mais ce ne sont pas les seuls arguments qui y aient justifié le début des recherches. Celles-ci sont souvent à mettre en lien avec le développement économique de la région à partir des années 1950, c’est-à-dire au début de l’exploitation industrielle des ressources pétrolières. Sans proposer ici une historiographie complète de la recherche archéologique dans le golfe, nous pouvons toutefois mentionner quelques exemples.

Geoffroy Bibby, archéologue danois d’origine britannique a lancé une mission archéologique sur l’île de Bahreïn où il avait travaillé dès la fin des années 1940, en tant que salarié pour la Iraq Petroleum Company. L’importance des découvertes effectuées par son équipe relie ainsi le site dégagé à l’antique Dilmoun, dont les textes mésopotamiens font régulièrement mention entre le IIIe et le Ier millénaire avant notre ère. Ces textes présentent Dilmoun comme un paradis terrestre, qui fournissait le cœur mésopotamien en matière première comme le bois, le cuivre et les pierres semi-précieuses, matériaux qui manquaient inexorablement aux cités-états et empires de Mésopotamie.

Un peu plus tard, dans les années 1960, la construction d’une route reliant l’île de Tarut, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bahreïn, à la péninsule arabique a permis la découverte de nombreux vases de pierre d’importation iranienne et de production plus localisée. Par la suite, cette découverte a été enrichie par la mise au jour de très nombreux vestiges similaires. Des fouilles sont entreprises dès la fin des années 1960, qui confirment l’intérêt archéologique de cette côte sud du golfe Persique. La variété comme la quantité des artefacts ainsi découverts a rappelé l’importance et la densité des échanges qui transitaient par cette région.

Les deux cas évoqués permettent de souligner l’intérêt alors nouveau porté par les scientifiques à une région restée longtemps dans l’ombre des grandes civilisations du cœur mésopotamien. Dans l’émirat d’Abou Dabi, qui est encore très loin de l’aspect qu’il commence à prendre quelques vingt ans plus tard, des travaux sont également menés dès les années 1950.

Tombe collective 1059, étudiée dans les années 1950 par des équipes danoises, période Umm an-Nar, 2200-2000 avant notre ère, parc archéologique de Hili, Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U
Tombe collective 1059, étudiée dans les années 1950 par des équipes danoises, période Umm an-Nar, 2200-2000 avant notre ère, parc archéologique de Hili, Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U

A partir des années 1970, les missions internationales investissent donc logiquement l’ensemble des pays bordant la côte sud du golfe, et permettent ainsi d’avoir un nouveau regard sur l’origine de la péninsule. Contrairement à la Mésopotamie, l’absence d’écriture oblige les archéologues à restituer toute son histoire à partir des vestiges matériels mis au jour années après années, campagnes de fouilles après campagnes de fouilles. Les textes mésopotamiens ne permettent que de souligner les contacts entre ces cultures et civilisations et d’en révéler l’importance. Les méthodes de l’archéologie moderne, ou archéosciences alliant sciences humaines et sciences naturelles, permettent cependant de proposer des chronologies de plus en plus précises par le biais de datations au carbone 14. Ces chronologies se dessinent et s’affinent depuis l’origine de ces recherches, mais elles restent relatives par l’absence de faits historiques connus, tout au moins pour les périodes les plus anciennes.

Si, à l’image des Danois, les équipes françaises n’ont pas été pionnières en matière de recherche archéologique dans cette région du monde, elles l’ont toutefois investie localement dès les années 1970, en lançant notamment des missions au Qatar, et dans l’ensemble de la péninsule d’Oman. En tant que membre de la mission française aux Emirats arabes unis, nous nous concentrerons ici principalement sur les recherches effectuées dans ce pays.

L’archéologie française aux Emirats arabes unis

Créée en 1977 par Serge Cleuziou, la mission française à Abou Dabi a principalement axé ses recherches dans la région d’Al Aïn (émirat d’Abou Dabi). Seule ville importante non localisée sur la côte de l’ensemble de la fédération, la ville d’Al Aïn (littéralement « la source ») apparait encore telle une oasis au milieu du désert, bien que totalement urbanisée. Grâce aux très nombreux sites qu’elle recouvre, la région d’Al Aïn est archéologiquement l’une des plus riches de l’ensemble de la péninsule d’Oman. Jusqu’en 1985, l’équipe de Serge Cleuziou a travaillé sur des habitats et sépultures collectives du site de Hili, véritable oasis fossile de l’âge du Bronze, et à Rumeilah, site recouvrant principalement de l’habitat de l’âge du Fer.

Au cours des années 1980, plusieurs missions françaises sont lancées au sein des autres émirats. En 1985, Rémy Boucharlat fonde la mission archéologique française à Sharjah, qu’il dirige jusqu’en 1992, date de sa reprise par Michel Mouton. Les recherches se concentrent alors principalement sur les périodes historiques, entre la fin de l’âge du Fer et le début de la période islamique. Les recherches dans l’émirat d’Umm Al-Qaiwayn ont permis le lancement de la mission française à Ed-Dûr, ville du premier siècle de notre ère dont les vestiges s’étalent sur une superficie de plus de 4 km2. Cette mission, dirigée à partir de 1987 par Olivier Lecomte, a été rejointe par plusieurs équipes internationales. Enfin, en 1988 est fondé dans l’émirat de Ras Al-Khaimah par Claire Hardy Guilbert la mission archéologique à Julfar, site islamique de la fin du Moyen Age et de la période moderne, avant l’occupation portugaise.

En 1995, Sophie Méry, ancienne membre de l’équipe de Serge Cleuziou, réactive la mission française à Abou Dabi, qui fusionne en 1999 avec la seule mission française opérant encore à cette période dans la fédération (celle de Sharjah) pour fonder l’actuelle mission française aux Emirats arabes unis. Aujourd’hui, cette mission compte sous ce même nom plusieurs chantiers et équipes.

Paysage désertique dans la région d'Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U
Paysage désertique dans la région d’Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U

L’ensemble des travaux menés par ces équipes françaises, en plus de ceux des équipes internationales qui ont travaillé parallèlement ou conjointement avec elles, permettent, après plus de trente ans de recherches actives, de mieux comprendre le passé, notamment antéislamique, de la côté ouest de la péninsule d’Oman. La révélation de ce passé dans une région quasiment désertique n’est pas sans importance dans un pays comme les Emirats arabes unis. Jeune fédération créée en 1971, l’archéologie a toujours été favorisée et encouragée par les familles régnantes et notamment par Zayid bin Sultan Al Nahyan, émir d’Adou Dabi et père fondateur de la nation. La présence d’objets anciens et de traces d’occupation sur le long terme sont autant d’éléments qui contribuent à la légitimation d’un Etat qui apparaît sur le plan international encore trop souvent comme sans histoire, voire artificiel.

Organisation des missions

La pratique de l’archéologie, aux Emirats comme ailleurs, est un moyen de faire le lien entre le passé et le présent d’un pays. Dans le cas de l’archéologie à l’étranger, elle permet également de rapprocher par la voie culturelle deux Etats, et se trouve dès lors toujours intrinsèquement liée à l’activité diplomatique menée par le pays exportateur de compétences. Nous pouvons ainsi rappeler pour l’anecdote que les fouilles françaises du palais du roi assyrien Sargon II, à Khorsabad, ont été menées en 1843 par Paul-Emile Botta, consul de France à Mossul. L’archéologie française, grâce aux écoles et instituts, a souvent été un dispositif de choix pour le dialogue culturel entre la France et le pays où se déroulaient les fouilles. Ainsi, c’est naturellement et légitimement que le ministère des Affaires étrangères s’occupe aujourd’hui de la gestion de ces missions.

Les missions s’organisent donc conjointement entre le ministère des Affaires étrangères et les institutions scientifiques françaises présentant leurs projets de fouilles, après que ces dernières ont évidemment définies les modalités générales d’entente et de travail avec les structures locales susceptibles de les accueillir. Côté français, les structures porteuses de projet sont en premier lieu le Centre national de recherche scientifique (CNRS), l’académie des Inscriptions et Belles-Lettres ou encore certains musées nationaux. Aujourd’hui, autour de 150 missions, couvrant les cinq continents, sont demandées annuellement. La décision se prend au sein d’une commission des fouilles, selon une procédure créée en 1945. Favorisant les initiatives, elle alloue les financements qui permettent depuis l’essor des recherches.

Les financements accordés au cours de cette commission des fouilles n’excluent pas les partenariats. Aux Emirats arabes unis, l’intérêt local pour la recherche archéologique et le niveau économique général de la fédération ont depuis toujours favorisé les coopérations. Chacun des sept émirats (Abou Dabi, Dubaï, Sharjah, Ajman, Umm Al-Qaiwayn, Fujeirah et Ras Al-Khaimah) est doté d’un service culturel, rattaché à un musée qui se trouve enrichi par chacune des campagnes de fouilles. Ces structures mettent le plus souvent à disposition des équipes archéologiques des moyens logistiques facilitant le déroulement des missions. En retour, les missions étrangères s’engagent à étudier le matériel mis au jour sur les sites et à en assurer sa publication. Aujourd’hui, le partage du mobilier découvert en fouilles n’est le fait que de très occasionnelles coopérations à travers le monde. Les Emirats conservent donc au sein de leurs structures muséales l’ensemble des découvertes effectuées sur leur sol.

Restauration d'une sépulture collective de type Umm an-Nar, parc archéologique de Hili, Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U
Restauration d’une sépulture collective de type Umm an-Nar, parc archéologique de Hili, Al Aïn. Crédit photo : A. Berthelot, mission archéologique française aux E.A.U

La mission française aux Emirats entreprend sur le terrain des campagnes durant cinq à huit semaines, généralement entre novembre et mars, lorsque le climat devenu tempéré permet une activité extérieure. Les travaux entrepris au cours de ces missions dépassent la simple fouille de terrain. Il s’agit d’un véritable travail d’équipe ou collaborent archéologues, dessinateurs, photographes, etc. Des travaux des restaurations et de mises en valeur des sites peuvent également être lancés par la mission. Le plus souvent, les semaines passées sur le terrain ne servent qu’à amasser un maximum d’informations. Elles sont ensuite traitées tout au long de l’année au sein des institutions scientifiques et culturelles à l’origine de la démarche, à savoir le CNRS dans le cas de la mission française.

Travaillant ainsi conjointement depuis plus de trente ans sur des sites de natures et périodes variées dans l’ensemble du pays, la mission française aux Emirats arabes unis et ses prédécesseurs ont donc participé activement à la redécouverte du passé et à l’enrichissement patrimonial du pays.

Publié le 24/11/2010


Adrien Berthelot est depuis 2008 assistant scientifique pour la section archéologique du Louvre Abou Dabi et conférencier national.

Titulaire d’un DEA de l’école doctorale de Paris I en archéologie orientale, il a participé à plusieurs missions au Moyen-Orient et en Asie (Emirats arabes unis, Iran, Turkménistan, Mongolie) qui, au-delà des fouilles, ont souvent été l’occasion d’étudier les techniques et modes de fabrication de la vaisselle de pierre au cours du IIIe millénaire av. J.-C.

Membre depuis 2005 de la mission archéologique française aux Emirats arabes unis, (CNRS, Unité mixte de recherche 7041), il a travaillé sur des sites de l’âge du Bronze dans l’émirat d’Abou Dabi, et accompagne aujourd’hui l’équipe dans ses recherches sur l’occupation néolithique du littoral dans les émirats d’Umm al-Qawayn et Ras Al-Khaimah.


 


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