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L’action de la Grande-Bretagne dans la péninsule arabique. Novembre 1918 : bilans et perspectives (1/3)

Par Yves Brillet
Publié le 01/10/2018 • modifié le 12/04/2024 • Durée de lecture : 8 minutes

The face of Prince Abdullah, son of Sharif Hussein bin Ali, King of the Arabs, and the inscription in Arabic, ’Prince Abdullah son of Hussein 1917’, is carved into stone in Wadi Rum 13 September 2002 in Jordan’s southern desert. Abdullah led the Arab forces through the area in 1917 during the Great Arab Revolt, which saw the Hashemite family secure Arab rule over Transjordan, Iraq, and Arabia.

LEILA GORCHEV / AFP

Le Political Intelligence (PID) fut créé le 11 mars 1918 par le Sous-secrétaire d’Etat Lord Hardinge, soucieux de restaurer le rôle et l’autorité du Foreign Office dans le processus de formulation et d’élaboration de la politique étrangère de la Grande-Bretagne (1). Le PID, sous l’autorité de William Tyrrell fut chargé de la centralisation des informations et de la préparation des notes et rapports destinés au War Cabinet ainsi qu’à l’Eastern Committee pour les questions moyen-orientales (2). Par son travail de synthèse, le PID apporta une aide précieuse aux autorités chargées de la définition des buts de paix et de la préparation des négociations dans le cadre de la future Conférence de la Paix. Le PID fit appel à un personnel recruté au sein du service de propagande du Foreign Office, ainsi qu’à des journalistes et des universitaires. Parmi ceux-ci, l’historien Arnold Toynbee fut particulièrement chargé de l’élaboration des documents concernant la situation et la politique de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient (3).

Le bilan de l’action et des engagements de la Grande-Bretagne au Hedjaz en novembre 1918

Quelques jours après l’armistice et la fin des hostilités, le Political Intelligence Department (PID) du Foreign Office publia un document rappelant les engagements pris par la Grande-Bretagne envers le Chérif Hussein, roi du Hedjaz. Le Mémoire indiquait que les relations entre Hussein et le gouvernement britannique n’avaient pas été finalisées par un traité signé entre les deux parties comme cela avait été le cas pour le Nedjd et Asir. Il indiquait en outre que les rapports entre la Grande-Bretagne et Hussein étaient rendus plus complexes par la réticence de ce dernier à respecter ses engagements (4).

Concernant les garanties générales contre la restauration du statu quo ante, le document, s’appuyant sur la teneur du télégramme du 4 février à l’intention du haut-commissaire en Egypte Wingate (5), réaffirme l’appui donné par la Grande-Bretagne et ses alliés à la cause de la libération des nations opprimées et sa détermination à se trouver aux côtés des peuples arabes dans leur combat pour l’instauration et la reconstruction d’un « monde arabe » (Arab world) uni et délivré de la violence imposée par l’administration turque. Le gouvernement britannique s’engage à respecter les engagements pris en faveur de la libération des peuples arabes.

Au sujet des lieux saints de La Mecque et de Médine, le mémoire attire l’attention sur la proclamation faite par le gouvernement dans son communiqué officiel du 29 juillet 1916 avec le concours du Foreign Office : la Grande-Bretagne s’abstenait de toute interférence en matière de religion et garantissait la sécurité des Lieux Saints. Elle s’engageait à ce que ceux-ci se trouvent placés sous le contrôle d’une autorité arabe indépendante sous la responsabilité d’Hussein à qui il incombait de prendre les mesures adéquates pour s’assurer du bon déroulement du pèlerinage annuel.
A propos des limites et frontières du futur Etat arabe, se référant au télégramme du Foreign Office du 14 avril 1915 (n° 173), le mémorandum indique que le gouvernement britannique s’était publiquement engagé à conforter l’indépendance des territoires composant la péninsule arabique dans le cadre d’un Etat arabe constitué, tout en indiquant qu’il n’était pas alors en mesure d’en définir avec précision les limites. Aden devait rester sous protectorat britannique et l’insularité de Bahreïn plaçait l’émirat au-delà des limites du futur Etat (6). S’appuyant sur la lettre de McMahon à Hussein datée du 24 octobre 1915, ainsi que sur l’ensemble de la correspondance entre Le Caire et le Chérif, il était rappelé que l’indépendance du futur Etat devait s’inscrire dans le cadre des limitations imposées par les droits des puissances alliées concernant l’administration de la Palestine, de l’Irak et de la Syrie, par les relations négociées entre la Grande-Bretagne et Hussein, ainsi que par les accords et traités existant entre la Grande-Bretagne et les gouvernements établis dans la péninsule (7).

Au sujet des relations entre la Grande-Bretagne et Hussein, suite aux instructions du Foreign Office à McMahon (télégramme du 20 octobre 1915), le mémorandum reprend l’argumentaire développé par Sir Edward Grey qui insistait sur la nécessité pour le gouvernement britannique de ne pas assumer l’exclusivité de la défense et de la représentation des intérêts arabes incarnés dans la personne d’Hussein. Afin de persuader la France d’accepter l’inclusion des villes d’Alep, de Homs, de Hama et de Damas dans le futur Etat arabe, Grey était d’avis de ne pas donner suite à la demande d’Hussein de limiter ses relations avec les puissances alliées à la seule Grande-Bretagne. Grey concluait que la politique britannique n’avait pas pour objectif d’accroitre la sphère d’influence de Londres. En conséquence, malgré les tentatives d’Hussein de faire de la Grande-Bretagne le seul allié et la seule puissance reconnue au Hedjaz, le PID estime que la relation entre Londres et le Hedjaz, au moment de la publication du Memorandum on British Commitments to King Hussein n’était pas incompatible avec les accords passés entre la Grande-Bretagne et la France. Le Foreign Office considère donc que la position privilégiée de la Grande-Bretagne en Arabie devait être consolidée dès lors que les relations avec la France n’en étaient pas affectées (8).

Suite au déclenchement de la révolte contre les Turcs, la volonté d’Hussein de se voir reconnu comme roi des Arabes avait contraint les autorités britanniques à recadrer les ambitions du Chérif. Selon l’analyse du Foreign Office rappelée dans le Memorandum on Commitments, la rupture avec Constantinople avait placé Hussein, dont la souveraineté se trouvait de fait limitée au territoire du Hedjaz, au niveau des autres chefs de la péninsule arabique. Cependant, son prestige en tant que gardien des Lieux Saints et son importance pour le mouvement arabe confirmée par les relations initiées avec le gouvernement britannique avaient contribué à faire de sa titulature un enjeu politique impliquant les principautés arabes de la péninsule. Le 29 octobre 1916, un télégramme du Chérif Abdallah, fils d’Hussein et ministre des Affaires étrangères du Gouvernement Arabe, avait informé McMahon au Caire que les notables du Hedjaz assemblés à La Mecque avaient « reconnu Sa Majesté le Grand Chérif Hussein ben Aly ‘Roi de la Nation arabe’ […]. La Nation arabe a tout lieu d’espérer que vous la reconnaitrez membre actif de la Société des Nations, et connue telle. Elle le prouvera dans l’avenir. ». Hussein devait être couronné à La Mecque le 4 novembre 1916. Le 2 novembre, McMahon avait informé le Foreign Office qu’en raison des accords et traités conclus avec les autres principautés de la péninsule, la Grande-Bretagne ne pouvait reconnaitre Hussein que comme roi (Malik) du Hedjaz. Le lendemain, Londres avait répondu que la Grande-Bretagne, ainsi que la France, ne reconnaitraient pas la proclamation d’Hussein comme roi des Arabes et le 6 novembre 1916 le Foreign Office avait donné pour instructions à Reginald Wingate d’informer Abdallah, au nom des puissances alliées, qu’elle reconnaissait l’autorité de facto d’Hussein sur le Hedjaz mais que sa prétention au titre de roi des Arabes ne pouvait que provoquer l’opposition de ses voisins et retarder le futur règlement politique des affaires de la péninsule (9).

En résumé, le PID fait remarquer que la Grande-Bretagne s’est constamment refusée à accorder à Hussein un titre incompatible avec les engagements de Londres auprès de ses rivaux. La position britannique semble dès lors satisfaisante sur le papier mais le Mémorandum souligne cependant les conséquences néfastes du coup d’Etat du 29 octobre 1916 pour les relations avec le reste de la péninsule tout en admettant qu’Hussein n’avait jamais accepté de limiter sa prorogative royale au seul Hedjaz.

Le Memorandum souligne que les relations entre Hussein et ses voisins étaient placées sous le signe de la méfiance réciproque, et que le gouvernement britannique s’était constamment efforcé de faire reconnaitre par Hussein la validité des accords passés avec les principautés de la péninsule. Le 10 décembre 1915, le Foreign Office avait donné au Haut-Commissaire en Egypte des instructions en ce sens et dans sa lettre du 13 décembre à Hussein, McMahon avait rappelé que le gouvernement de la Grande- Bretagne ne pouvait dénoncer les engagements pris (10). En août 1916, Hussein fit parvenir à Ibn Saoud une lettre dans laquelle il lui demandait son appui. L’émir du Nedjd sollicita les autorités britanniques à Bagdad qui suggérèrent à Londres d’apporter à Ibn Saoud l’assurance que le gouvernement respecterait les termes du Traité de 1915. Cox conseilla en outre d’informer officiellement Hussein des clauses du traité, ce qui fut fait le 30 octobre 1916. Face à la mauvaise volonté d’Hussein, le Foreign Office demanda à ce que le Cherif soit averti que Londres déplorait son hostilité vis-à-vis d’Ibn Saoud et des Cheikhs de Mohammerah et du Koweït et exigeait qu’il se montre plus accommodant dans son propre intérêt (11). Pour conclure, le Foreign Office considérait qu’aucun accord passé avec les différentes puissances de la péninsule n’était en contradiction avec les engagements pris envers le roi du Hedjaz (12).

Le dernier point abordé dans le Memorandum concerne la question du califat. Après avoir rappelé dans un premier temps le message de Kitchener à Abdallah daté du 31 octobre 1914 dans lequel il évoquait l’éventualité d’une restauration d’un califat arabe, le document insiste sur la mise au point effectuée par le Foreign Office le 14 avril 1915. Dans un télégramme destiné au Haut-Commissaire en Egypte, le gouvernement britannique avait fait savoir que la question du califat était du seul ressort des Musulmans, excluant ainsi toute interférence des puissances non-musulmanes. Londres indiquait cependant que le choix, par les Musulmans, de rétablir un califat arabe serait naturellement respecté par les autorités britanniques (13). Au cours de l’année 1915, Hussein avait abordé à nouveau la question. Dans une première lettre à McMahon datée du 15 juillet 1915, il avait demandé au gouvernement britannique d’approuver la proclamation d’un califat arabe (14). Au moment de son accession au trône du Hedjaz en octobre 1916, les notables de La Mecque déclarèrent qu’ils considéraient Hussein comme leur chef religieux, déclaration confirmée par Abdallah dans un télégramme au Colonel Wilson, Résident politique à Jiddah. Le 1er novembre 1916, Abdallah informa Wilson que le Cherif estimait cependant que la question du califat relevait d’une décision ultérieure du monde musulman. Dans ces circonstances, le mémoire du PID souligne l’attitude constante de Londres. Dans les instructions rédigées à l’intention de Wingate, le ministère demandait à ce que l’on informe le Cherif que dans son propre intérêt, la question du califat devait rester en suspens jusqu’à la fin du conflit. Londres soulignait qu’il était impossible pour une puissance chrétienne gouvernant des millions de Musulmans de prendre parti dans une affaire interne à l’Islam et de faire le choix de soutenir un candidat en particulier (15). Le Memorandum évoque également, sans y accorder manifestement beaucoup de crédit, une conversation entre Hussein et T. E. Lawrence le 23 juillet 1917 au cours de laquelle le Chérif expliqua qu’il préférait être Commandeur des Croyants, chef spirituel de l’Imam doté d’un pouvoir temporel limité au Hedjaz plutôt que calife.

En conclusion, le document élaboré par le Political Intelligence Department du Foreign Office souligne que le gouvernement britannique est parvenu à convaincre Hussein de la bonne volonté de Londres tout en insistant sur la nécessité de considérer que la question du califat devait rester une affaire interne à l’Islam. En évitant de s’engager, il s’agit de ne pas heurter l’opinion des Musulmans et de ménager les susceptibilités du roi du Hedjaz (16).

Lire les parties suivantes :
 L’action de la Grande-Bretagne dans la péninsule arabique. Novembre 1918 : bilans et perspectives (2/3)
 L’action de la Grande-Bretagne dans la péninsule arabique. Novembre 1918 : bilans et perspectives (3/3)

Notes :
(1) Eric Goldstein, Winning the Peace : British Diplomatic Strategy, Peace Planning and the Paris Peace Conference, 1916-1920, Londres 1991.
(2) Eric Goldstein, British Peace Aims and the Eastern Question : the Political Intelligence Department and the Eastern Committee, Journal of Middle Eastern Studies, vol. 23, 1987, Issue 4, pp.419-436.
(3) Michael Dockrill and David French, Strategy and Intelligence, British Policy during the First World War, Londres 1996, pp. 296.
(4) Cab 24/68. GT 6185/12, War Cabinet, Memorandum on British Commitments to King Hussein,
(5) Reginald Wingate, général en charge des opérations militaires dans le Hedjaz en 1916, il succède à McMahon au poste de Haut-Commissaire en Egypte, (1/01/1917-7/10/1919).
(6) Ibid., Lettre de McMahon à Hussein, 30 aout 1915.
(7) Ibid., Relation of Commitments under (iii) to British Desiderata. pp. 6-7.
(8) Ibid., Relation of Commitments under (v) to British Desiderata, p. 11.
(9) Ibid., Telegram n°961, Sir Henry McMahon to Foreign Office, 2nd November 1916, Telegram n°880, Foreign Office to McMahon, 3rd November 1916, Telegram 221869/16, Foreign Office to Sir R. Wingate (Khartoum),6th November 1916.
(10) Ibid. (vii) Treaties and Agreements between His Majesty’s Government and other Arab Rulers in the independent area.
(11) Foreign Office to Sirdar of Egypt, Telegram n° 24, 25th November 1916.
(12) Memorandum on British Commitments. Relation of Commitments under (vii) to British Desiderata.
(13) Ibid., (viii) The Caliphate, Foreign Office to Sir Henry McMahon, n° 173, 14th April 1915.
(14) On peut consulter la correspondance entre Hussein et McMahon dans J.C. Hurewitz, ed., The Middle East and North Africa in World Politics : A Documentary Record, vol. 2, pp. 46-56.
(15) Foreign Office to Sir Reginald Wingate, 6th November 1916.
(16) Memorandum on British Commitments to King Hussein, Relation of Commitments under (viii) to British Desiderata.

Publié le 01/10/2018


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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