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L’Égypte et les fondements de l’Organisation de l’Unité africaine : Gamal Abdel Nasser, acteur du panafricanisme ? Partie 2/3 : Gamal Abdel Nasser, Kwame Nkrumah et Patrice Lumumba, entre amitiés personnelles, sauvetages diplomatiques et vision panafricaine commune

Par Nicolas Klingelschmitt, Younouss Mohamed
Publié le 01/03/2021 • modifié le 01/03/2021 • Durée de lecture : 8 minutes

Delegations’ chiefs pose 05 September 1961 at the end of the conference of the unaligned countries in Belgrade. (Fron R to L : Josip Broz Tito, president of Yugoslavia, Prince Seyful Islam El Hassan, permanent representative of Yemen in the UN, Prince Norodom Sihanouk of Cambodia, Saeb Salam, Premier of Lebanon, Adan Abdullah Osman, president of Somali, Ibrahim Abboud, president of Sudan, Sheikh Ibrahim Sowayel, minister of Foreign Affairs of Saudi Arabia, Archbishop Makarios, president of Cyprus, King Hassan II of Morocco, Sirimavo Bandaranaike, Premier of Ceylan, Habib Bourguiba, president of Tunisia, Ahmed Soekarno, president of Indonesia, Osvaldo Dortikos, president of Cuba, Kwame Nkrumah, president of Ghana, Gamal Abdel Nasser, president of the UAR, Emperor Haile Selassie I of Ethiopia, Sardar Mohammad Daud Khan, Premier of Afghanistan, Modibo Keita, president of Mali, Jawaharlal Nehru, Premier of India, Hashim Jawad, Minister of Foreign Affairs of Iraq, King Mahendra Bir Bikram of Nepal, Youssef Ben khedda, president of the provisional Algerian government, Lansana Beavogui, Minister of Foreign Affairs of Guinea, Siril Adoula, Premier of the government of Congo, Antoine Gizenga, vice-president of the government of Congo, U Nu, premier of Burma).

AFP PHOTO

Lire la partie 1 : L’Égypte et les fondements de l’Organisation de l’Unité africaine : Gamal Abdel Nasser, acteur du panafricanisme ? Partie 1/3 : Gamal Abdel Nasser, une figure atypique pour l’unité africaine

Kwame Nkrumah et Gamal Abdel-Nasser : une amitié et un combat commun pour l’Afrique

A la fin des années 1950, alors que les discussions pour la mise en place d’une organisation de coopération interétatique à l’échelle du continent accompagnent les luttes politiques pour l’indépendance à travers l’Afrique, Kwame Nkrumah organise deux conférences panafricaines à Accra, capitale du Ghana, en 1958. La première est nommée « Conférence des Etats Africains Indépendants » en avril, et la seconde, « Conférence de tous les Peuples Africains » en décembre [2]. Il cherche à ces deux occasions à poser les bases d’une forte union entre États africains nouvellement indépendants. Bien que de nombreux chefs d’États du continent ne soient pas pleinement convaincus de ce projet, lors de la première conférence, ils acceptent tout de même l’idée d’une association relativement vague des États africains sur les bases d’un panafricanisme tout aussi large et flou dans ses valeurs en dehors de l’anti-colonialisme et l’anti-occidentalisme. A l’inverse, la conférence de décembre 1958 et destinée non pas uniquement aux chefs d’États mais également à des représentants de la société civile des États africains, réserve un accueil particulièrement enthousiaste à l’idée de création d’une union africaine forte.

C’est durant ces différentes conférences que des liens d’amitié se consolident entre différents leaders politiques du continent. C’est notamment le cas de Nkrumah avec son homologue égyptien Nasser. Alors que Nasser nationalise en novembre 1956 le Canal de Suez aux dépens du consortium britannique qui en détenait jusqu’à présent le contrôle, Nkrumah, inspiré, obtient l’indépendance du Ghana, colonie britannique, le 6 mars 1957. Tout deux posent ainsi à quelques mois d’intervalle de sérieux revers à la politique d’Anthony Eden, Premier ministre britannique, et d’Elisabeth II, monarque du Commonwealth, sur le continent africain.

Nasser entretenait d’assez bonnes relations avec ses homologues africains en général et tout particulièrement avec Nkrumah. Au-delà de la vision panafricaniste commune qu’ils partagent, les deux hommes développent des relations d’amitié étroites qui se prolongent dans le cadre familial, notamment au vu du rôle que Nasser a joué pour le mariage de Nkrumah, ce qui contribue à consolider les liens égypto-ghanéens, et plus largement arabo-africains [3]. C’est en effet à l’occasion d’un voyage en Egypte en 1958 que Kwame Nkrumah, alors Premier ministre, fait la rencontre d’une jeune femme travaillant dans une banque, du nom de Fathia Rizk, qu’il décide d’épouser [4]. Celle-ci, issue d’une famille chrétienne, n’obtient pas dans un premier temps l’accord de sa mère qui ne souhaite pas voir sa fille s’installer dans un autre pays et s’éloigner d’elle. C’est donc le président égyptien, Gamal Abdel Nasser, qui joue le rôle de médiateur, ou plutôt d’entremetteur diplomatique, en promettant à la mère de Fathia qu’il fera ouvrir une ambassade égyptienne au Ghana et la mise en place de vols directs entre les deux pays pour lui permettre de rendre facilement visite à sa fille [5]. Finalement, le mariage entre Nkrumah et Fathia est célébré le 31 décembre 1957 lors du réveillon à Accra, au Ghana. Trois enfants sont nés de ce mariage, dont un garçon à qui le président ghanéen donnera le nom de son ami, le président égyptien, Gamal Nkrumah [6].

Néanmoins, sur le plan politique, le mandat de Kwame Nkrumah à la tête du Ghana, loin du conte de fées, est jonché d’une certaine instabilité. En neuf ans d’exercice d’un pouvoir souvent totalitaire, celui-ci échappe à neuf tentatives d’assassinats [7]. C’est finalement le 24 février 1966, alors qu’il se trouve en voyage en Chine, qu’un coup d’état militaire est organisé par un de ses généraux, Joseph Ankrah, et le destitue de son poste de Président de la République. Sa femme Fathia se trouve au palais présidentiel avec ses enfants au moment des événements. Celle-ci fait alors appel au président égyptien Gamal Abdel Nasser qui s’occupe de sa sécurité et de celle de sa famille en les faisant conduire à l’ambassade égyptienne à Accra et organise son retour vers l’Egypte [8]. Une fois au Caire, Fathia ne rentre pas immédiatement dans sa maison familiale. Le président Gamal fait d’elle son hôte au palais présidentiel Tahira pendant trois mois avant que celle-ci ne rejoigne sa maison au quartier de Ma’adi [9].

De son côté, Kwame Nkrumah trouve exil dans le pays voisin, la Guinée, alors présidée par son ami Sékou Touré, garantissant sa sécurité et allant même jusqu’à lui proposer la co-présidence de la Guinée, ce qu’il refuse [10]. Nkrumah se consacre plutôt à sa passion, l’écriture, et rend visite de manière régulière à sa famille en Egypte ainsi qu’au président Nasser. Il décède le 27 avril 1972 dans un hôpital de Bucarest, en Roumanie, souffrant alors d’un cancer depuis plusieurs années. Sa femme Fathia élève seule leurs trois enfants en Egypte. Elle meurt le 31 mai 2007 au Caire à la suite d’une longue maladie et est enterrée aux côtés de son mari, Kwame Nkrumah, au Ghana à la demande du président du Ghana en fonction, John Kuofor [11].

Le soutien de Nasser à Patrice Lumumba, figure congolaise du panafricanisme

Le président égyptien Gamal Abdel Nasser entretient également de bonnes relations avec d’autres leaders africains avec lesquels il partage une vision commune du panafricanisme, à l’instar du premier Président guinéen, Sékou Touré et du Premier ministre congolais Patrice Lumumba. Gamal Abdel-Nasser affiche tout son soutien au leader congolais lors de la crise que traverse son pays au début des années 1960 et se présente comme un relais de la politique anti-occidentale, matérialisant un appui formel, par des biais logistiques et diplomatiques, du mouvement des non-alignés.

Lumumba, figure de la lutte pour l’autonomie congolaise face à la couronne belge, devient Premier ministre du Congo nouvellement indépendant en juin 1960, et fait rapidement face à une sécession de la riche région minière du Katanga, qui proclame sa propre indépendance deux semaines après celle du Congo. Son dirigeant, Moïse Tshombe, obtient un soutien militaire et logistique de la Belgique, ancienne puissance coloniale du Congo. Les Belges, et la France par le biais de la politique françafricaine de Jacques Foccart, envoient des troupes au Katanga et luttent contre le nouvel État congolais de Lumumba.

Alors que les ambassades de l’URSS et de la Tchécoslovaquie ont été fermées au début du conflit congolais, et que le gouvernement congolais de Lumumba, alors au pouvoir depuis quelques semaines en juin 1960, ne peut plus compter sur un soutien soviétique, c’est l’Ambassade de la République arabe unie (RAU, regroupant alors l’Egypte, la Syrie et le Yémen selon la vision panarabe de Nasser) à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo) qui représente le plus fort soutien diplomatique et logistique de Lumumba sur le terrain contre les « barbouzes » français et belges [12].

La République arabe unie de Nasser, appuyée par le Ghana de Kwame Nkrumah, cherche à contrer les plans franco-belges secondés par les Américains qui ne veulent pas que le Congo rejoigne l’ère d’influence soviétique au regard de l’importance du pays, immense, fortement peuplé et particulièrement riche en ressources naturelles.

Lumumba demande officiellement à la RAU l’envoi de conseillers militaires et d’armes pour l’appuyer dans le conflit, ce à quoi Nasser répond favorablement. Un véritable plan d’action est alors composé par l’ambassadeur de la RAU à Léopoldville, que l’on retrouve dans un télégramme envoyé par ce dernier au siège cairote du pouvoir le 17 novembre 1960 :
« Considérant situation grave pour Afro-Asiatiques ambassadeur RAU Léo propose plan suivant – Stop – Organiser front combattant unifié englobant nationaux et leaders province orientale Kivu Kasaï Léo – Stop – Donner aide morale et matérielle y compris armement – Stop – Autrement dit diviser Congo en front national et front colonialiste soit faire Congo deuxième Algérie – Stop – Pousser affaire jusqu’au bord d’une guerre mondiale – Stop – Ceci implique – Stop – Primo – Stop – Accord du Soudan pour utilisation son espace aérien et ses communications – Stop – Secundo – Stop – Intervention URSS et bloc communiste tout entier – Stop – Tertio – Stop – Intervention Etats africains indépendants Ghana Guinée Maroc – Stop – Quarto – Stop – Retrait de leurs forces de l’ONU et du Congo après remise armement au front combattant unifié – Stop – Quinto – Stop – Transfert Lumumba à Stanleyville – Stop – Ambassadeur demande autorisation envoyer attaché militaire en mission au Caire pour exposer situation – Full Stop » [13].

Une fois Patrice Lumumba destitué et placé en résidence surveillée à la suite du coup d’état de 1960 mené par Mobutu Sese Seko également soutenu par les Belges, les Egyptiens l’aident, comme en témoigne le télégramme, à fuir Léopoldville où il se trouve pour rejoindre Stanleyville (aujourd’hui Kisangani, au Centre-Est du pays) [14]. Il réussit à s’échapper avec sa famille mais sera rattrapé après quelques jours de fuite, le télégramme égyptien ayant été intercepté par les services de renseignement français de Brazzaville, en face de Léopoldville, sur l’autre rive du fleuve Congo qui sépare les deux capitales congolaises [15].

Lumumba est assassiné quelques jours plus tard, le 17 Janvier 1961 selon certaines sources par l’armée zaïroise sous l’égide du président Mobutu Sese Seko, selon d’autres par un commando franco-belge. Son corps entier ne sera jamais retrouvé (à ce jour, une enquête est en cours, et seule une dent lui appartenant fait office de dépouille) [16], supposément dissous dans de l’acide selon les révélations d’un membre présumé du commando. Face à cet échec à soutenir le Premier ministre congolais, la famille de Kwame Nkrumah et Gamal Abdel-Nasser apportent leur soutien à la famille de Patrice Lumumba.

Nasser s’occupe de la sécurité de sa veuve et de ses enfants en les accueillant à l’ambassade égyptienne à Kinshasa et en s’assurant qu’ils puissent être transportés au Caire en toute sécurité, faisant de l’Egypte le pays d’adoption de la famille Lumumba [17].

A travers une vision panafricaine commune, le président Nasser a su lier des liens forts avec différents leaders politiques sur le continent, à l’instar de Kwame Nkrumah, ou encore Patrice Lumumba. La troisième partie de cet article aura pour but de montrer comment ces liens et cette vision commune du panafricanisme se sont finalement faiblement concrétisés dans le processus de négociations autour de la création de l’OUA.

Publié le 01/03/2021


Nicolas Klingelschmitt est doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses domaines de recherche portent sur les Relations Internationales, en particulier la paix et la coopération sur le continent africain.
Titulaire d’un master en Droit public mention Relations Internationales - Gestion de Programmes Internationaux de l’Université Jean Moulin Lyon 3, il est également consultant en géopolitique et a réalisé à ce titre plusieurs études auprès de l’Institut Afrique Monde (Paris) dont il est membre depuis 2016.
Il a ainsi étudié les migrations de l’Afrique vers l’Europe, le dialogue interreligieux et la gouvernance. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent politiquement, culturellement, économiquement et historiquement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient.


Younouss Mohamed est doctorant en Science Politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d’un master de recherche en Science Politique, obtenu à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun, il est également membre du Groupe Interuniversitaire d’Études et de Recherches sur les Sociétés Africaines (GIERSA). La participation politique de la diaspora africaine, la sociologie politique et la géopolitique constituent ses domaines de recherche principaux. Pour Les clés du Moyen-Orient, il s’intéresse à l’histoire politique commune des États et figures politiques de l’Afrique et du Moyen-Orient.


 


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