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En -80 avant notre ère, le roi Ptolémée XII parvient au pouvoir en Egypte. Il appartient à la dynastie des Lagides qui règne sur le pays depuis -305, lors de la conquête de l’Egypte par Alexandre Le Grand.
La puissance de la dynastie lagide, aussi appelée ptolémaïque, est en déclin depuis plus de deux siècles lorsque Ptolémée XII Aulète [1] parvint au pouvoir : son règne marque le commencement de la conquête de l’Egypte par la puissance romaine. En effet, incapables de maintenir la cohérence de leur royaume, notamment en raison de leurs querelles dynastiques, les Lagides assistent à la décadence de leur royaume. Ils font appel à la puissance romaine, espérant qu’elles les protègent face aux Séleucides, qui gouvernent un territoire correspondant à peu près à la Syrie actuelle. Au terme de plusieurs décennies d’hésitation, un protectorat romain est finalement établi en -30 avant Jésus-Christ. Auparavant, l’Egypte, grenier à blé de l’Empire romain, s’est révélée être un enjeu important au cours des Guerres civiles romaines. Ces Guerres civiles opposent successivement Pompée à César, puis Octave à Antoine.
Rome est présente en Egypte dès le IIème siècle avant Jésus-Christ : il y a une véritable expansion romaine dans tout le bassin méditerranéen à partir des années -190. La puissance romaine fait progressivement figure d’arbitre aux yeux de beaucoup de peuples. En Egypte, des rivalités dynastiques complexes sont à l’origine de l’intervention romaine dans le pays. Ptolémée IX meurt aux environs de -81 ne laissant pour héritier qu’une fille, Bérénice, mariée à son cousin Ptolémée XI. Ptolémée XI, proche des Romains et en particulier de Sylla [2], s’est engagé à verser un tribut à Rome. Cependant, cette décision provoque un soulèvement populaire à Alexandrie : Ptolémée XI est destitué et c’est un fils bâtard de Ptolémée IX qui est placé sur le trône sous le nom de Ptolémée XII. D’après Cicéron, il existerait un testament léguant la totalité de l’Etat lagide à Rome (les historiens pensent que ce testament aurait été rédigé par Ptolémée XI).
Ptolémée XII est donc dans une situation difficile : sa légitimité peut être aisément contestée puisqu’il est le fils bâtard d’un roi défunt et qu’un testament rendrait son règne illégitime. Néanmoins, les Romains refusent d’intervenir dans l’immédiat, ne souhaitant pas exercer un contrôle direct sur l’Egypte, mais la menace d’une annexion de l’Egypte par Rome est bien réelle. Pour éviter cela, Ptolémée XII Aulète se lie un peu plus à Rome et cède Chypre. En -59, en vertu de la lex Julia de rege Alexandrino, proposée par Jules César, Ptolémée XII, contre le versement de 6 000 talents est déclaré « ami et allié du peuple romain ». Cette mesure choque les Egyptiens, et les habitants d’Alexandrie se soulèvent et chassent Ptolémée XII qui se réfugie au sénat romain. Pompée prend alors son parti et l’aide à se rétablir sur le trône d’Egypte. En -55, Ptolémée XII, en contrepartie, doit prendre un Romain comme ministre des Finances et tolérer une garnison de Gaulois et de Germains (les « Gabiniens ») sur ses terres.
Ptolémée XII meurt en -51 et ne laisse que des enfants mineurs : sa fille aînée Cléopâtre est âgée de 17 ans et ses deux fils, Ptolémée XIII (qui règne de -51 à -48) et Ptolémée XIV (qui règne de -47 à -44), respectivement âgés de 10 et 8 ans. Cléopâtre épousera successivement ses deux frères mais en attendant, c’est Pompée le véritable maître de l’Egypte. Néanmoins, Pompée est occupé hors d’Egypte pendant plusieurs années. Cléopâtre et Ptolémée XIII entrent alors en conflit ouvert pour la maîtrise du pouvoir. La complexité de la dynastie lagide en Egypte a peu à peu poussé Rome à s’intéresser à l’Egypte. D’autre part, les richesses agricoles du pays se révèlent être un enjeu important pour poursuivre l’expansion romaine en Méditerranée : l’Egypte fournit le blé nécessaire pour nourrir les troupes et le peuple romain. C’est pourquoi la domination de l’Egypte est essentielle pour être maître de la Méditerranée. Ainsi, l’Egypte est le lieu d’affrontements des imperatores [3] lors de la guerre civile.
La guerre civile commence avec l’affrontement de deux militaires : Pompée et César. Issu d’une famille de noblesse récente, Pompée (-106, -48) s’est illustré sous les ordres de Sylla en Sicile et en Afrique en -82, avant de mener une guerre difficile en Hispanie entre -77 et -72. Elu consul en -70, sans avoir parcouru toutes les étapes du cursus honorum [4], Pompée apparaît comme le seul capable de sauver la République romaine : on lui confie des pouvoirs extraordinaires afin de lutter contre les pirates en Méditerranée. Fort de ce succès, Pompée se rend en Orient où il réduit la Syrie à l’état de province romaine. A son retour à Rome, Pompée doit attendre près d’un an son triomphe, qui a finalement lieu le 28 septembre -61. Cette longue attente s’explique par la méfiance du sénat romain face à la popularité et à la puissance de Pompée. De plus, Pompée avait demandé des terres pour ses anciens soldats, ce qui a été refusé par le sénat. C’est à ce moment-là que César (-100, -44) se rapproche de lui : profitant de la méfiance du sénat envers Pompée, César convainc ce dernier de former secrètement un triumvirat avec Crassus, en -60, et d’épouser sa fille Julia. Les deux hommes sont donc liés politiquement et familialement. César, à l’époque, s’est illustré en Bétique (Espagne) et poursuit son cursus honorum. Toutefois, face à Pompée, César a besoin d’une gloire militaire plus grande, que lui accorde la campagne de Gaule. Ses Commentaires sur la Guerre des Gaules agissent comme un compte-rendu flatteur de ses actions afin de pouvoir rivaliser avec Pompée.
Mais les conservateurs du sénat de Rome, ne souhaitant pas que César présenter sa candidature au poste de consul, empêchent son retour. Las d’attendre, César franchit néanmoins le Rubicon, petit fleuve côtier au nord de l’Italie, le 11 janvier -49 : « Alea jacta est » (le sort en est jeté). Par cet acte, César viole la loi du Sénat romain et déclenche la guerre civile, car dans le droit romain, aucun général ne pouvait franchir le Rubicon avec une armée. César mise sur la rapidité et l’effet de surprise pour vaincre son adversaire, Pompée.
Au cours de cette guerre civile, Pompée et César s’affrontent. Tous deux ont acquis une légitimité et une popularité auprès du peuple romain grâce à leurs victoires à l’étranger. Néanmoins, dans un contexte d’affaiblissement de la République romaine, le sénat se méfie des militaires ambitieux. Pompée a choisi de rester dans la légalité vis-à-vis des institutions romaines là où César, plus audacieux, a tenté de s’emparer du pouvoir par une action militaire.
Quand la guerre civile éclate, la stratégie de Pompée consiste à gagner la Grèce et l’Orient, où il compte de nombreux alliés en raison de ses victoires passées dans ces régions, en s’appuyant sur la maîtrise des mers. Par ailleurs, l’Orient est la seule région en mesure de soutenir une guerre sur le plan économique. Cependant, cette erreur lui coûtera cher : évoquant cet épisode, Napoléon Ier aurait déclaré « C’est Rome qu’il fallait garder ». En effet, cette erreur politique confère une sorte de légitimité à César, qui ne se tourne vers l’Orient qu’une fois assuré de sa maîtrise de l’Occident, en particulier de la Gaule et de l’Hispanie. César débarque en Epire au mois de janvier -48. Le 9 août -48, César remporte la bataille décisive à Pharsale, en Thessalie : Pompée et ses lieutenants sont forcés de s’enfuir. Pompée choisit de se rendre en Egypte, dont il se considère comme le protecteur (il a aidé Ptolémée XII à prendre le pouvoir après le soulèvement populaire d’Alexandrie). Toutefois, il y a, à ce moment là en Egypte, une guerre civile en Ptolémée XIII, alors roi et Cléopâtre, sa sœur et épouse. Pensant être agréable à César, Ptolémée XIII ordonne l’assassinat de Pompée, qui meurt, à peine débarqué en Egypte le 28 septembre -48.
La réaction de César est aux antipodes de celle qu’espérait Ptolémée XIII : César est furieux que les Egyptiens soient intervenus dans un conflit entre Romains. Il débarque à Alexandrie le 2 octobre -48 et convoque immédiatement le roi, Ptolémée XIII, et la reine Cléopâtre. La première rencontre entre César et Cléopâtre est relatée par Plutarque [5] : « Elle partit sur le-champ, et ne prit de tous ses amis que le seul Apollodore de Sicile ; elle se mit dans un petit bateau, et arriva de nuit devant le palais d’Alexandrie. Comme elle ne pouvait y entrer sans être reconnue, elle s’enveloppa dans un paquet de hardes, qu’Apollodore lia avec une courroie, et qu’il fit entrer chez César par la porte même du palais. Cette ruse de Cléopâtre fut, dit-on, le premier appât auquel César fut pris ; il en conçut une idée favorable de son esprit, et, vaincu ensuite par sa douceur, par les grâces de sa conversation, il la réconcilia avec son frère, à condition qu’elle partagerait le trône ». César, en donnant raison à Cléopâtre, déclenche la bellum Alexandrinum (la « guerre alexandrine »). Rapidement, César remporte une victoire décisive, le 27 mars -47 dans laquelle meurt Ptolémée XIII. Ensuite, César rentre à Rome, suivi de Cléopâtre et de son nouveau mari et plus jeune frère Ptolémée XIV. En leur absence, l’Egypte est gouvernée par les commandants des légions laissées sur place par César. Cléopâtre et César ont un fils ensemble vers 47 ou 44 avant Jésus-Christ, Ptolémée XV que l’on appelle aussi Césarion. En attendant, la mort de Pompée met fin à la première étape des guerres civiles.
César, victorieux, rénove la République romaine. Officiellement, Rome est toujours une République mais c’est César qui nomme les magistrats supérieurs. Le caractère arbitraire d’un tel système explique pourquoi certains membres du sénat décident de comploter contre César. Cassius, déçu de ne pas avoir été nommé consul [6], regroupe peu à peu des opposants à César. Le 14 février -44, le sénat confère à César la dictature perpétuelle, et, de fait, un pouvoir illimité. Jules César est assassiné, percé de vingt-trois coups de poignard, le 15 mars -44, au début de la réunion du sénat dans la Curia Pompeia, sur le champ de Mars. Dans son testament, César avait désigné trois héritiers : Octave, Lucius Pinarius Scarpus et Quintus Pedius. Les trois quarts de son héritage ont été légués à Octave, qu’il adopte dans la dernière clause de son testament. Cléopâtre est présente à Rome lors de l’assassinat de César mais rentre rapidement en Egypte suite à cet événement. Mais L’Egypte sera au cœur de l’affrontement qui opposera Octave à Marc Antoine.
Lire la partie 2 : L’Egypte au cœur des guerres civiles romaines : Octave et Antoine (2/2)
Bibliographie :
– DAVID Jean-Michel, Nouvelle Histoire de l’Antiquité, tome 7 La République romaine, De la deuxième guerre punique à la bataille d’Actium 218-31 av. J-C, Paris, Seuil, 2000.
– KAPLAN Michel (sous la dir.), Le monde romain, Paris, Bréal, 1995.
– NICOLET Claude, Rome et la conquête du monde méditerranéen, tome 2 Genèse d’un Empire, Paris, Puf, 2011.
– PLUTARQUE, Vie de César.
– SUETONE, Vie des douze Césars – César/Auguste, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
Emilie Polak
Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.
Notes
[1] Ptolémée XII est placé sous la protection de nombreux dieux, puisqu’il est Theos Neos Dionysos Philopatôr Philadelphos. Il est surnommé « Aulète », c’est à dire le « joueur de flûte ».
[2] Sylla (-138 ; -78) est un homme d’Etat romain, chef de file des optimates qui s’est opposé à Marius et aux populares. Victorieux lors de cette première guerre civile, il est également le vainqueur de Mithridate.
[3] Sous la République romaine, l’imperator est le titulaire de l’imperium, pouvoir suprême de la magistrature romaine. De plus en plus, l’imperator désigne le général victorieux d’une campagne, acclamé lors du triomphe dans les rues de Rome.
[4] Le cursus honorum, littéralement « carrière des honneurs » est l’ordre d’accès aux magistratures publiques dans la Rome antique.
[5] Plutarque, Vie de César, LIV-LV.
[6] Les consuls sont au nombre de deux dans la Rome antique. Il s’agit de la magistrature supérieure pour laquelle un âge minimum de 43 ans est requis. Les consuls président les réunions du Sénat et commandent les armées.
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