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L’Arabie saoudite sous les règnes de Saoud et de Fayçal ben Abdelaziz al-Saoud (1953-1975)

Par Ainhoa Tapia
Publié le 09/05/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Roi Fayçal

AFP

Le règne de Saoud (1953-1964) : une décennie de rivalités

Dès sa montée sur le trône en 1953, Saoud choisit d’évincer son frère Fayçal des sphères du pouvoir. Il s’octroie, en plus du titre de roi, celui de Premier ministre qui devait revenir à Fayçal, laissant à son frère la fonction de vice Premier ministre. Les deux frères ne s’entendent pas en outre sur le rôle à donner au Conseil des ministres créé un mois avant la mort de leur père. Ce Conseil, originellement créé pour être l’organe exécutif du gouvernement, à même de prendre des décisions autonomes par décret ministériel (l’accord du roi est cependant nécessaire pour les appliquer), devint le lieu d’expression de leurs rivalités.

Parallèlement, le développement de la bureaucratie et la création de nombreux ministères (en 1953 Communication, Eau et Agriculture, Education ; en 1960 Pétrole et Ressources minières, Pèlerinage et Affaires islamiques ; en 1962 Travail et Affaires sociales ; en 1963 Information) ne fait que renforcer la lutte entre les deux frères, désireux d’étendre leur pouvoir personnel. Ainsi, Saoud place ses fils aux postes clés de la défense (Musa’id à la tête de la Garde Royale, Fadh ministre de la Défense, Khalid à la tête de la Garde nationale et Sa’ad à la tête de la Garde Spéciale), s’assurant ainsi la fidélité des unités armées du pays afin que son frère ne puisse pas le renverser.

En plus de la rivalité entre Saoud et Fayçal, un troisième groupe politique composé des plus jeunes fils d’Ibn Saoud (nés dans les années 1930) et regroupés autour de Talal, se fait entendre. Sur le modèle des Officiers libres menés par Nasser en Egypte, les « Princes libres » habillent leur discours politique de nationalisme arabe et de socialisme. Cependant, le manque d’ancrage de leurs volontés politiques dans la réalité sociale du pays et leur établissement à Beyrouth en 1961 après l’évincement de Talal du gouvernement, empêchent les Princes libres d’avoir une réelle influence sur le pays. L’Arabie saoudite n’est en effet pas prête à « faire la révolution » et les grèves de 1956 chez ARAMCO [2], si elles amènent une amélioration des conditions de travail, ne sont pas suivies par le reste de la population (à la différence de la situation en Egypte : la nationalisation du canal de Suez par Nasser crée un enthousiasme populaire).

Dans le domaine économique, la population ne bénéficie pas de l’augmentation des revenus pétroliers. Le roi Saoud dépense en effet cet argent comme il l’entend, allouant les budgets aux ministères - à la manière des anciennes faveurs royales - selon ses envies et menant un grand train de vie. Certains profitent néanmoins de la croissance exponentielle de l’appareil d’Etat pour s’élever dans la hiérarchie sociale, soit en tant que militaire, soit en tant que fonctionnaire. C’est ainsi le début d’un fonctionnariat provenant d’Arabie saoudite et non plus de l’étranger comme sous Ibn Saoud. L’une des figures les plus connues est Abdullah al-Tariqi. Né en 1925, ayant fait ses études supérieures en Egypte puis au Texas, tout d’abord traducteur d’Ibn Saoud dans ses relations avec les dirigeants d’ARAMCO, puis nommé ministre du Pétrole et des Ressources minières lors de la création de ce ministère en 1960, il est l’un des rares à demander la nationalisation d’ARAMCO, sur le modèle nassérien du canal de Suez. Il est également connu pour être à l’origine de la création de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) en septembre 1960. Cependant, ses opinions trop libérales et nationalistes amènent Saoud à le renvoyer du gouvernement en 1962.

Sur le plan extérieur, le roi craint deux choses : la dynastie hachémite placée par les Britanniques à la tête de l’Irak et de la Jordanie après la Seconde Guerre mondiale, et le panarabisme nassérien. Mais pour Saoud, le véritable danger est intérieur, Fayçal ayant pris de plus en plus de poids dans l’appareil d’Etat saoudien. En 1964, Saoud étant à l’étranger pour des questions de santé, Fayçal forme un nouveau gouvernement avec deux de ses demi-frères loyaux, Fadh et Sultan, exclut les fils de Saoud du pouvoir et promet une réforme incluant la création d’une loi fondamentale, la fin de l’esclavage et l’établissement d’un conseil judiciaire. A son retour, Saoud menace de lancer la Garde Royale contre son frère. Mais ce dernier soulève lui-même la Garde Nationale contre le roi. Enfin, grâce à l’arbitration des ulémas et sous la pression des principaux membres de la famille royale, Saoud abdique le 28 mars 1964.

Le règne de Fayçal (1964-1975) : islam, modernisation du pays et politique étrangère

Dès son arrivée au pouvoir, Fayçal décide de moderniser le pays en profitant de l’augmentation exponentielle du PIB grâce aux revenus pétroliers (on passe de 10 à 164 milliards de riyals entre 1965 et 1975). Ainsi, il réorganise en 1965 l’Organisme Central de Planification créé sous le règne de son frère et, dès 1970, il lance le premier plan en cinq ans de développement des infrastructures du pays : santé, communications, transport, armée (avec l’aide américaine), éducation, en particulier celle des filles quasi inexistante jusqu’alors. Il y consacre environ 10% du budget. De plus, s’il existe déjà une université créée en 1957, Fayçal finance durant son règne la création de plusieurs autres. Cette volonté de modernisation s’inscrit dans un cadre de pensée profondément religieux. En effet, comme son frère, Fayçal s’oppose au panarabisme socialiste nassérien ainsi qu’au Baasisme irakien et syrien et souhaite moderniser son pays tout en restant fidèle aux principes du Coran. Ainsi, en 1970, lorsque le ministère de la Justice est créé, les ulémas devinrent de facto des fonctionnaires, la supervision de l’éducation des filles leur étant d’ailleurs dévolue dans le cadre d’un ministère séparé (le ministère de l’Education des filles).
Sur le plan politique, le roi reste également Premier ministre comme sous le règne de Saoud, il prend ses décisions seul (la volonté de création d’un conseil consultatif qui avait émergé en 1962 disparait avec l’abdication de Saoud) et le Conseil des ministres tombe sous sa coupe. Il s’entoure de ses frères les plus loyaux, plaçant Nayef à la tête du ministère de l’Intérieur et Sultan à celui de la Défense. Quant au reste de la famille royale écartée du pouvoir, bon nombre choisissent une carrière administrative.

Concernant la politique extérieure de Fayçal, elle s’appuie sur la religion. Il crée la Ligue Islamique Mondiale qui, avec l’Organisation de la Conférence Islamique créée en 1969 à Rabat, deviennent les tribunes officielles de la politique étrangère saoudienne. Fayçal décide de financer le développement de l’islam partout dans le monde, y compris en Afrique et en Asie, et apporte également son soutien aux Palestiniens : il décide notamment en 1969 de financer l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) créée en 1964. Cette volonté s’intègre dans celle plus large du panislamisme, dans l’objectif de contrer l’influence soviétique, de se battre contre Israël et d’augmenter la coopération avec des Etats musulmans même non arabes, comme l’Iran et le Pakistan. C’est également dans ce cadre qu’après la mort de Nasser en 1970, une alliance est conclue avec Sadate. Se développe alors un partenariat économique entre les deux Etats : l’Arabie Saoudite fournit une aide économique à l’Egypte et cette dernière envoie de la main d’œuvre en Arabie saoudite. Ce partenariat survit à l’assassinat de Fayçal en 1975 par un de ses cousins.

 Voir la fiche pays Arabie saoudite

Bibliographie :
 Al Rasheed Madawi, A history of Saudi Arabia, Cambridge, 2010
 Golub David, When oil and politics mix, Saudi oil policy : 1973-1985, Harvard, 1985
 Vassiliev Alexeï, The history of Saudi Arabia, Londres, 2000

Publié le 09/05/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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