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L’intérêt des pays latino-américains pour le conflit israélo-palestinien n’a été rendu public et visible sur la scène internationale que très récemment, avec la vague de reconnaissance de l’Etat palestinien entre 2009 et 2011. Pourtant, la prise de conscience et l’inclusion de la question palestinienne dans les agendas politiques latino-américains ne sont pas nouvelles.
Depuis 1947 en effet, l’Amérique latine, de près ou de loin, s’est préoccupée du règlement du conflit, et des répercussions qu’il pouvait avoir dans la région. Diaspora palestinienne au Chili, au Brésil, au Honduras ou encore au Pérou, affinités idéologiques, suivisme des Etats-Unis, etc. Les raisons de cet intérêt sont aussi nombreuses que le nombre de pays latino-américains, mais tous prennent part au débat et tentent d’y apporter leur contribution. Quelles sont donc les origines, les évolutions et les répercussions de cet engagement envers la cause palestinienne ?
La bipolarisation du monde durant toute la période de la Guerre froide a été déterminante dans l’appréhension et le positionnement des pays sud-américain vis-à-vis de la question palestinienne. En effet, la quasi obligation de se ranger du côté de l’un ou de l’autre des blocs ne permet pas à l’Amérique latine de s’émanciper sur des questions aussi brûlantes.
De la création de l’Etat d’Israël jusqu’au milieu des années 1970, les Etats latino-américains prônent une équidistance entre la cause arabe et la cause juive, et c’est par le biais de l’ONU que leur politique spécifique va s’incarner. Les diplomaties latino-américaines ont notamment joué un rôle décisif dans l’établissement de la résolution 181 de l’Assemblée Générale sur la partition de la Palestine en deux Etats, un juif, un arabe. Les raisons de cet élan pour la partition ? D’une part, l’alignement de la plupart des Etats sur la politique américaine, d’autre part, la force de persuasion de la diplomatie sioniste auprès des communautés juives d’Amérique latine. Sur les trente-trois pays favorables, treize étaient latino-américains, le seul en défaveur étant Cuba. Sans que cette résolution bouscule les politiques étrangères latino-américaines ainsi que leur insertion dans l’ordre mondial, elle a néanmoins révélé la mobilisation des diasporas juives et arabo-palestiniennes, et le volontarisme individuel des acteurs politiques latino-américains. Dans les années suivant cette résolution, les pays d’Amérique latine ont conservé cette politique équidistante : treize d’entre eux ont ainsi voté en faveur de la résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU qui exigeait de l’Etat hébreu le retour sur leur territoire des réfugiés palestiniens expulsés ; en mai 1949, dix-sept pays approuvèrent la résolution 273 en faveur de l’entrée d’Israël comme membre des Nations unies, etc. Pourtant, malgré cette apparente équidistance, la plupart des Etats latino-américains, au début du conflit, soutinrent en masse l’Etat d’Israël, ainsi que ses actions.
Le véritable changement ne s’opère au milieu des années 1960. En effet, l’entrée massive des pays décolonisés d’Afrique et d’Asie aux Nations unies de même que l’essor du mouvement des non alignés se traduisent dans les faits par un soutien beaucoup plus fort à la cause palestinienne, et ce notamment dans les instances internationales. Les discussions qui ont précédé la résolution 242 illustrent bien cette évolution. En juin 1967, le conflit israélo-arabe connaît en effet un nouvel épisode de violence avec la guerre des Six Jours, et en juillet 1967 plusieurs pays latino-américains proposèrent un premier jet d’une résolution à l’ONU, réclamant le retrait complet de tous les territoires occupés ; c’est ce texte qui servit de base à la rédaction de la résolution 242 du Conseil de Sécurité. Cette influence grandissante dans les prises de décision au sein des instances internationales ainsi que l’arrivée à la tête de certains Etats de personnalités comme Salvador Allende au Chili participent au changement de position, et aux dénonciations plus systématiques des actions politiques menées par Israël.
L’autre fait déterminant est le choc pétrolier de 1973. En effet, en octobre 1973, les pays membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) prennent la décision de ne plus exporter de pétrole vers les pays qui ont soutenu Israël, notamment dans la guerre du Kippour. Dans ce contexte, certains pays latino-américains, pragmatiques, ont effectué un rapprochement avec l’Autorité palestinienne pour éviter cet embargo pétrolier qui aurait eu des répercussions sur leurs territoires nationaux. Le Brésil, particulièrement dépendant énergétiquement, fut le pays le plus assidu dans cette « opération séduction » vis-à-vis de la Palestine : à partir de 1974 en effet, le pays approuve de manière régulière et systématique les différentes résolutions de l’ONU en faveur des droits du peuple palestinien. Le Chili de Pinochet, bien qu’ayant pratiqué une politique anti-arabe radicale en opposition avec les postures d’Allende, se range lui aussi, à partir de 1975, dans le camp « pro-palestinien » afin d’améliorer ses relations bilatérales avec les pays membres de l’organisation. La résolution 33/79 de 1975 qui assimile le sionisme à une forme de racisme est peut-être la preuve la plus palpable de ce ralliement à la cause palestinienne de la part des pays latino-américains, dans la mesure où le parti pris de cette résolution fait de son approbation un geste fort et hautement symbolique.
Cependant, l’engouement latino-américain pour la question palestinienne n’est pas généralisé au continent, et à la fin de la Guerre froide, une ligne de fracture se dessine, entre les gouvernements conservateurs qui bénéficiaient alors de l’aide et du soutien américains, et les pays proches du mouvement tiers-mondiste. La première Intifada ainsi que ses conséquences dans le processus de paix, en est le point culminant.
Démocraties latino-américaines et Autorité palestinienne
La fin de la Guerre froide et les années qui suivent sont déterminantes dans l’appréhension du conflit par les Etats latino-américains : fin de la bipolarité, émergence de l’hyperpuissance américaine, généralisation de la démocratisation dans le sous-continent, ainsi que la création de l’Autorité Nationale Palestinienne, sont autant de facteurs dans la normalisation des relations des pays latino-américains tant avec Israël qu’avec la nouvelle entité palestinienne. D’une part, les pays latino-américains fraichement démocratisés cherchent à remodeler leur politique étrangère, alors que d’autre part, les nouvelles autorités palestiniennes tendent à gagner en responsabilité et en respectabilité au sein des instances internationales en multipliant les relations et les accords diplomatiques avec des pays autres que les puissances traditionnelles. En ce sens, des pays comme le Chili ou le Brésil multiplièrent les initiatives diplomatiques pour assister ce nouvel acteur de la scène internationale : en 1993, au lendemain des Accords d’Oslo, le Chili par exemple, sous l’impulsion du Congrès National, décide d’accorder des immunités et des privilèges équivalents à ceux accordés aux ambassades traditionnelles à la Représentation palestinienne à Santiago ; initiative qui est reprise en 1998 par le Brésil.
Les gouvernements de gauche et la vague de reconnaissance : causes et enjeux
Dans la décennie 2000 s’opère un nouveau changement qui vient une nouvelle fois modifier, amplifier les rapports que pouvaient entretenir les pays latino-américains avec l’Autorité palestinienne. En effet, l’élection de gouvernements de gauche et centre-gauche, ainsi que l’essor de la coopération Sud-Sud, favorisent l’émergence d’une volonté et d’une recherche d’une plus grande autonomie de la part des Etats du cône Sud vis-à-vis de l’Empire américain. Pour se faire, certains pays vont multiplier les initiatives politiques, comme le fait de visiter les Territoires palestiniens. Lula, Président du Brésil à partir de 2002, se rendra ainsi plusieurs fois dans les Territoires occupés, ainsi qu’en Cisjordanie et en Israël, alors qu’en comparaison, son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso, ne s’est jamais rendu dans un seul pays arabe durant ses deux mandats. D’autres initiatives, à l’origine économique mais qui se transformeront en forum politique, commencent également à naître. Ainsi, le Brésil, sous l’initiative de Lula, organise à Brasilia en 2005 le premier Sommet Amérique du Sud-Pays Arabes (ASPA) ; Sommet qui permet au Brésil et aux autres pays latino-américains présents de consolider leurs relations avec l’Autorité palestinienne, et réciproquement, au Président Mahmoud Abbas de mettre en place une diplomatie active sur le continent.
Mahmoud Abbas met à profit cet activisme international dans les dernières années de la décennie, notamment pour faire reconnaître la Palestine comme un Etat par le plus grand nombre de pays. C’est pourquoi la tournée diplomatique de 2009 est cruciale : le but est que le plus de pays latino-américains soutiennent la requête palestinienne. La vague de reconnaissance commence par le Venezuela qui, dès le mois de novembre reconnaît l’Etat palestinien. Mais c’est surtout le 3 décembre 2010 et l’approbation du Brésil qui va changer la donne. En effet, géant régional à l’influence considérable, la reconnaissance par le Brésil de l’Etat palestinien va avoir un effet domino sur les autres pays de la région qui vont reconnaître à leur tour la Palestine comme un Etat « libre et indépendant » (hormis la Colombie notamment, qui aligne ses positions sur celle des Etats-Unis).
L’intérêt des pays latino-américains pour la Palestine et le conflit israélo-arabe ne date pas d’hier. Il a ses origines, anciennes, ses principes, ses évolutions, ses contradictions aussi. Il n’est pas général à tous les pays latino-américains, il n’est pas non plus soumis au bien vouloir des puissances traditionnelles, pas toujours. Il a en tout cas permis à ces Etats de s’émanciper de la tutelle des deux Grands, et réciproquement, à la Palestine de s’affirmer sur la scène mondiale en tant qu’acteur à part entière.
Bibliographie :
– BAEZA, Cecilia, « América Latina y la cuestión palestina », Araucaria. Revista Iberoamericana de Filosofía, Política y Humanidades, année 14, n°28, 2e semestre 2012, p.111-133.
– LEMOINE, Maurice, « L’Amérique latine s’invite en Palestine », Le Monde diplomatique, février 2011.
– GLICK, Edward, « Latin America and the Palestine Partition Resolution », Journal of Inter-American Studies, 1(2), 1959, p.211-222.
– MORAN, Raphaël, « L’Amérique latine reconnaît l’Etat palestinien », Médiapart, 10 janvier 2011.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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