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L’exposition « Jocelyne Saab à contre-courant » est la première exposition rétrospective des œuvres plastiques de la cinéaste et artiste libanaise. Elle présente toutes les œuvres plastiques qui ont déjà été exposées par l’artiste au cours de ces dix dernières années (1). Rien d’inédit, donc, mais un panorama important sur l’autre rapport de Jocelyne Saab aux images, que l’on peut consulter jusqu’au 16 septembre 2018 au musée MACAM au Liban.
Pour beaucoup, Jocelyne Saab est une ancienne reporter de guerre, devenue cinéaste. On connaît son travail sur la guerre du Liban, qu’elle a suivie pas à pas au fil des destructions de la capitale. On connaît moins son travail d’artiste plasticienne, même si l’ouvrage de Mathilde Rouxel, Jocelyne Saab, la mémoire indomptée (1970-2015) sorti en 2015, s’attachait déjà à présenter l’œuvre de cette Libanaise dans son ensemble. Dans ce livre, les images fixes côtoient les images mouvantes, pour donner de l’artiste un portrait complet.
Le travail de restitution des multiples facettes de Jocelyne Saab est encore poursuivi par Mathilde Rouxel à travers l’exposition rétrospective qu’elle consacre à l’art contemporain de Jocelyne Saab depuis ses premières photographies en 2007 à ses dernières vidéos en 2015. L’exposition, intitulée « Jocelyne Saab à contre-courant / Jocelyne Saab Against the Tide » se tient au Musée d’Art moderne et contemporain (MACAM) d’Alita, dans la région de Byblos, au Liban.
L’exposition présente différentes séries de photographies et les vidéos destinées aux musées que Jocelyne Saab a réalisées au cours de ces dix dernières années.
Lorsque l’on connaît le travail filmique de Jocelyne Saab, on ne peut qu’être surpris par le regard qu’elle porte sur le monde, dans ces photographies : loin des images documentaires de guerre civile ou de révolutions, Jocelyne Saab y présente trois esprits différents. Dans une première série, intitulée Le Revers de l’Orientalisme, on la voit mettre en scène des poupées Barbie pour évoquer la relation entretenue par le monde arabe à l’Occident. Ainsi, avec des mises en scène mettant en jeu l’espace de la ville du Caire, l’artiste dénonce le regard que les hommes portent sur les femmes occidentales, mais aussi le rapport des Occidentaux, représentés par des Barbie, à certains régimes arabes, comme celui de Saddam Hussein, dont on voit l’effigie sur les billets de banque qui servent de robes aux Barbie sur certaines photographies. L’ironie des situations est soulignée par les titres des photographies, qui se servent de l’humour pour expliquer le programme politique qui soutient ce projet. En se référant à Edward Said et aux réflexions postcoloniales qu’il développe dans L’Orientalisme, Jocelyne Saab renoue autrement qu’avec ses films à la culture arabe et ses intellectuels.
Dans une autre série, elle s’essaie à l’abstraction en photographiant des Architectures molles, les tentes des bédouins dans le désert. Elle lie les formes du tissu à des instants de sensualité, comme pour aller à contre-courant des traditions conservatrices et proposer de voir autrement le désert et son histoire.
La dernière série de photographies présentée dans l’exposition nous renvoie à son travail de reporter. Jocelyne Saab est allée dans les camps de la Békaa en 2015 et a filmé les femmes et les enfants qui y vivaient. Ce qu’il y a de novateur sur ces photographies, tirées en noir et blanc sur papier ou bien en couleur sur des bâches en plastique géantes, est que Jocelyne Saab s’est essayée à la peinture et a peint ces images de misère pour leur donner de la couleur. Sur les grandes bâches, elle entoure les visages d’enfants à la feuille d’or, comme des icônes. Pour Jocelyne Saab, les icônes de ce siècle sont les déplacés.
L’autre versant de l’exposition est les vidéos réalisées par Jocelyne Saab ces dernières années. Au centre de la salle, les six vidéos de la série « Café du genre » permettent de questionner la question du genre en Méditerranée avec de grandes personnalités du monde arabe. Elle s’est rendue en Algérie, en Egypte, en Turquie et au Liban et a demandé aux artistes interrogés leur opinion. Tous travaillent sur la question du genre : Walid Aouni, ancien directeur de l’opéra du Caire, a monté durant toute sa carrière des spectacles sur cette question. Joumana Haddad, auteure libanaise, a écrit sur Lilith et se dit féministe. Wassyla Tamzali est une militante des droits des femmes à l’UNESCO. Adel Siwi peint des corps de femmes dans un monde de plus en plus islamisé. Melek Ozman et Cuneyt Cebenoyan en Turquie ont créé les Ocra d’or pour « récompenser » les films les plus sexistes de Turquie.
Une autre vidéo, réalisée en 2015 au moment de la série de photographie sur les réfugiés syriens, reprend les thèmes présents dans les photographies et les confronte à la vie urbaine des Libanais. Devant les conditions de vie extrêmement dures dans lesquelles vivent ces réfugiés, elle dénonce le manque de considération accordé à ces vies humaines.
Dans une dernière vidéo, tournée en Turquie, elle parle de sa maladie. Dans une « carte postale imaginaire » envoyée à Orhan Pamuk, devant le pont qui relie la rive européenne à la rive asiatique, elle sent la fragilité du monde et de sa vie. Ses mots sont très émouvants car ils dévoilent la fragilité d’une femme qui a conduit une carrière de cinéaste engagée sans jamais faillir, en bravant la censure et en brisant les tabous.
Une exposition à voir jusqu’au 16 septembre au Modern and Contemporary Art Museum (MACAM, Alita, Byblos).
Livret de l’exposition à télécharger : http://docs.wixstatic.com/ugd/0a1bab_51954b348e7e411aae47660c3c550ee0.pdf
Nour Chebli
Libanaise, Nour Chebli El Khoury a grandi et travaille au Liban après avoir étudié la littérature comparée en France. Sa passion pour la littérature et la culture l’a conduite a poursuivre une thèse de doctorat en lettres françaises à l’Université libanaise et à écrire ses propres romans. Elle s’intéresse particulièrement aux liens que l’on peut faire entre la culture et la littérature occidentale et la culture et la littérature orientale.
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