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Jean-Paul Chagnollaud et Alain Dieckhoff, « la Palestine et l’ONU », compte rendu de la conférence organisée par l’Iremmo et diffusée sur RFI

Par Lisa Romeo
Publié le 10/10/2011 • modifié le 05/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Alain Dieckhoff, politologue, directeur de recherche au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages sur Israël, comme dernièrement Le conflit israélo-arabe (Editions Armand Colin, 2011), replace tout d’abord la demande d’admission palestinienne à l’ONU dans une double logique qui ne laisse finalement que peu de place à la surprise. En effet, d’un point de vue inter-palestinien, cette demande est l’avènement d’une politique mise en place depuis l’été 2009 par le Premier ministre Salam Fayyad favorisant la solidification institutionnelle d’un Etat palestinien plutôt que l’enlisement dans des négociations qui ne mènent souvent nulle part. Devant l’échec des négociations avec les Israéliens, les Palestiniens choisissent de déclarer un Etat en tant que tel et de réinternationaliser la question palestinienne.

Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l’Université Cergy-Pontoise et directeur de la revue Confluences-Méditerrannée et de l’Iremmo, renchérit sur le fait qu’il n’y avait plus vraiment d’autres solutions. Ainsi plutôt que de négocier pour la formation d’un Etat, on commence dorénavant par construire patiemment les institutions de l’Etat pour ensuite enchainer sur des négociations. Nous sommes, selon lui, dans une dialectique du droit et de la force. Si tout le monde s’accorde sur le droit d’un peuple à disposer d’un Etat, on constate que sur le terrain c’est finalement la force, aussi bien militaire que la puissance, qui l’emporte sur le droit. Compte tenu du fait que les Etats-Unis soutiennent le gouvernement de droite et d’extrême droite actuellement au pouvoir en Israël, il ne prévoit pas de réelle amélioration à ce jour.

En ce qui concerne l’attitude des Etats-Unis, on peut très bien constater, pour Alain Dieckhoff, le réajustement de la politique de son président face aux évolutions internes du pays. Contrairement à ses prédécesseurs, Obama avait mis la question de la colonisation israélienne au centre du débat dès son arrivée au pouvoir. Depuis novembre 2010 et la victoire des Républicains qui soutiennent inconditionnellement l’Etat hébreu, à la Chambre des représentants, Obama est poussé à mettre de côté la colonisation pour insister sur les problèmes liés à la sécurité.

Par ailleurs, face à la dureté des commentaires présents dans la presse américaine par rapport à l’action palestinienne à l’ONU, Jean-Paul Chagnollaud s’étonne du décalage existant entre la réalité actuelle du conflit et les multiples représentations, souvent dépassées, que certains entretiennent jusque dans l’exécutif américain. On retrouve en effet souvent l’image d’un monde arabe menaçant envers l’Etat israélien alors que le dernier conflit israélo-arabe remonte à 1973. Alain Dieckhoff souligne toutefois les différences entre la position des juifs américains de base et les principaux lobbys pro-israéliens néo-conservateurs dans le pays. De nombreux sondages nous révèlent en effet, qu’une bonne partie de la communauté juive américaine se déclare pour un démantèlement des colonies et la création de deux Etats. Si certains lobbys, plus souples, tentent de leur faire entendre leur voix, ils ne reçoivent pas encore le même soutien que ces organisations présentes depuis les années 1950 et qui occupent fortement le terrain.

Alain Dieckhoff revient ensuite sur les étapes à franchir pour les Palestiniens dans le cadre de l’ONU. Après avoir déposé leur demande d’admission au Conseil de sécurité de l’ONU, composé de 15 membres dont cinq permanents, il leur faut, pour être admis, obtenir 9 des 15 voix sans qu’un des cinq membres permanents ne pose de véto. En posant leur véto, les Etats-Unis mettent donc un terme à la procédure. Les Palestiniens peuvent alors essayer d’obtenir une majorité dans le cadre de l’Assemblée générale où aucun véto n’est possible. Ils peuvent, a priori, y remporter entre 130 et 150 des voix. Sans parvenir au statut d’Etat de plein droit, il leur serait alors possible de parvenir à un statut égal à celui du Vatican. Ce dispositif n’est pas négligeable dans la mesure où la Palestine obtiendrait plus de poids au sein de l’ONU et serait considérée comme un Etat, même s’il n’est pas membre de l’ONU. Israël, qui s’oppose clairement à cette mesure, serait alors considéré comme un Etat occupant un autre Etat. Il ne faut donc pas oublier que si les Palestiniens doivent faire face à des adversaires, ils bénéficient également du soutien des deux tiers de la communauté internationale.

Pour Jean-Paul Chagnollaud, la demande d’admission aux Nations unies représente une sorte d’Intifada politique. Mahmoud Abbas, en se rendant à l’ONU a dorénavant placé les Etats face à leurs responsabilités et leurs contradictions. Si la Palestine devient un Etat non membre, elle pourra bénéficier de plusieurs atouts juridiques. Par exemple, si le pays est un Etat de ce type, reconnu mais non membre de l’ONU, il aurait le droit d’avoir recours à la Cour pénale internationale ou la Cour internationale de justice. La Palestine pourrait alors également devenir membre de la quatrième Convention de Genève de 1949 qui protège les populations civiles en situation d’occupation et donc être considérée comme occupée. Le gouvernement israélien estime pour sa part qu’il s’agit de territoires disputés. On ne peut prévoir aujourd’hui ce qu’il va en sortir.

En outre, pour Alain Dieckhoff, le printemps arabe n’a pas bouleversé les choses sur le détail, étant donné que la demande s’inscrit dans une dynamique en œuvre depuis 2009. Toutefois, la lutte des peuples pour la liberté fait obligatoirement ressortir l’état de sujétion dans lequel se trouvent les Palestiniens. Dans une situation de changement global, l’immobilisme palestinien devient d’autant plus dérangeant et rend anachronique la situation d’occupation dans laquelle ils se trouvent encore. Leur cas est bien sûr particulier : ils ne luttent pas contre leur gouvernement mais essayent de construire un Etat souverain. On peut aussi noter que la question palestinienne reste très ancrée dans l’imaginaire des peuples de la région même si elle n’a pas joué de rôle moteur dans ces révolutions qui s’expliquent par des raisons internes.

Pour Jean-Paul Chagnollaud, le cas palestinien est une révolte pour l’unité nationale. La réconciliation en mai 2011 entre le Hamas et le Fatah est sans doute liée à ces mouvements malgré le fait que le Hamas a critiqué l’approche de l’Autorité palestinienne par rapport à l’ONU. Le printemps arabe a par ailleurs sûrement renforcé la démarche palestinienne à l’ONU et l’a poussé à se révolter contre l’immobilisme de la communauté internationale. Les Palestiniens sont en effet allés courageusement au bout en dépit des pressions et même des menaces reçues. La France proposait par exemple au mois de mai, comme alternative, d’organiser une conférence internationale à laquelle ils ont alors répondu par la positive. Cela n’a finalement pas abouti compte tenu de l’opposition américaine et israélienne. Pour observer une telle détermination chez les Palestiniens, il faut remonter aux accords d’Oslo.

Pour Alain Dieckhoff, la demande palestinienne a le mérite d’avoir engendré une mobilisation diplomatique. Il note, même s’il n’y croit pas vraiment, que le Quartet s’est prononcé pour un calendrier accéléré pour parvenir à un Etat d’ici fin 2012. En ce qui concerne l’idée d’un isolement israélien, Alain Dieckhoff explique qu’Israël ne se sent finalement pas si seul étant donné qu’il reste soutenu par des Etats clés comme les Etats-Unis et un certain nombre d’Etats européens. Israël se détache cependant de deux acteurs régionaux importants, à savoir la Turquie, avec laquelle il entretenait une alliance stratégique, et l’Egypte, pays avec laquelle un traité de paix est signé depuis 1979. La position du gouvernement turc reste aujourd’hui intransigeante. La coopération militaire a été réduite suite à l’affaire de la flottille de Gaza et un certain nombre de mesures unilatérales ont été prise par les Turcs. En Egypte, les Israéliens ont bien conscience que, quel que soit le résultat des élections de novembre, leurs relations ne seront plus les mêmes qu’avec le président déchu Hosni Moubarak. Cet isolement régional ne pousse pas le gouvernement israélien à un assouplissement de sa position, bien au contraire. Si des islamistes, par exemple, parvenaient à une position dominante en Egypte, cela ne donnerait qu’une raison de plus à Israël pour durcir ses positions.

En ce qui concerne la capacité du Quartet (Etats-Unis, ONU, Europe et Russie), Jean-Paul Chagnollaud est très sceptique et considère qu’il ne compte pas réellement. Il fait d’ailleurs remarquer que la demande du Quartet de ne pas procéder à des actes provocateurs n’a nullement empêché le gouvernement israélien d’annoncer la construction de 1 100 logements à Jérusalem Est.

Alain Dieckhoff et Jean-Paul Chagnollaud sont finalement assez pessimistes quant à l’avenir de la région. Pour conclure, Alain Dieckhoff met en avant, que pour sauver la légitimité de Mahmoud Abbas, il est nécessaire de parvenir à quelque chose aux Nations unies même si cela ne se fait qu’au niveau de l’Assemblée générale.

Publié le 10/10/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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