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2017 marque cinquante ans de négociations manquées entre les Israéliens et les Palestiniens, depuis la défaite arabe de 1967. À cette occasion, Jean-Paul Chagnollaud - professeur émérite des universités, président de l’IREMMO et de la revue Confluences Méditerranée et auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient - revient dans Israël/Palestine, la défaite du vainqueur sur la politique menée par Israël avec et dans les Territoires palestiniens. À l’heure où les médias occidentaux se désintéressent de l’incessant conflit israélo-palestinien, l’auteur revient sur la réalité d’une guerre qui a changé maintes fois de formes ces cinquante dernières années, mais devant laquelle des négociations de paix semblent de plus en plus inconcevables. Dans cet exposé court, accessible et d’une grande clarté, Jean-Paul Chagnollaud en appelle au recours au droit pour dénouer le conflit ; toute autre solution marquerait, en définitive, la défaite du vainqueur.
L’ouvrage se décompose en cinq parties, destinées à présenter l’évolution de la politique et de la position d’Israël devant les conflits et les tentatives d’accords de paix qui ont balisé le terrain des relations israélo-palestiniennes depuis la défaite arabe de 1967, qui permit l’expansion d’Israël dans le Sinaï et le Golan, et transforma en profondeur les enjeux de l’État juif dans son rapport avec la plupart de ses voisins arabes. L’auteur s’appuie sur une documentation riche et variée, souvent de source israélienne : il convoque tant la littérature que les paroles d’intellectuels et d’universitaires israéliens que celle d’anciens soldats ; il se réfère aux médias locaux ou aux entretiens donnés par des dirigeants israéliens aux médias français, cite les résultats des instituts de sondages israéliens et les rapports du Conseil de sécurité des Nations unies. Quatre cartes viennent par ailleurs illustrer son propos : une carte du Grand Jérusalem, une du tracé du tramway de Jérusalem, qu’il traverse d’Ouest en Est, une autre présente la division confessionnelle dans la vieille ville de Jérusalem, partagée entre le quartier musulman (qui compte également sur son espace la quasi-intégralité des acquisitions israéliennes hors du quartier juif), le quartier chrétien, le quartier arménien et le quartier juif ; une dernière carte indique, en Cisjordanie, la délimitation des territoires contrôlés totalement ou partiellement par les Palestiniens, ceux contrôlés entièrement par Israël, le tracé du mur et les colonies israéliennes. Un graphique présente enfin la proportion de chaque communauté dans les zones de Jérusalem-Ouest (peuplé quasi-exclusivement de Juifs) et Jérusalem-Est (peuplé à 65% environ de musulmans pour 30% de Juifs et 5% d’autres religions).
Dans cette première partie, l’auteur revient sur les différentes confrontations qui, depuis la création d’Israël en novembre 1947, voient s’affronter Arabes et Israéliens sur le territoire palestinien. La première guerre, celle de 1948, « a été la seule tentative de certains pays arabes pour empêcher l’existence d’Israël » (p. 15), et fut soldée par un échec du côté des Arabes, qui affichaient par ailleurs des velléités expansionnistes. Au moment de la signature de l’armistice, le roi Abdallah de Transjordanie concluait un accord secret qui lui permit d’imposer sa souveraineté sur la rive ouest du Jourdain et de créer, au dépend d’un État palestinien, l’actuelle Jordanie. En 1956, c’est l’entente israélienne avec la France et la Grande-Bretagne qui conduisit au conflit qui les opposa à l’Égypte, qui venait de proclamer la nationalisation du canal de Suez ; la défaite fut alors accusée davantage par ses alliés que par Israël lui-même.
Il revient ensuite sur la guerre de 1967. Menacés par les provocations de Nasser en Égypte et d’Ahmed Choukeiri en Syrie, l’armée israélienne lance le 5 juin 1967 un assaut foudroyant, clouant au sol l’aviation égyptienne et lui permettant de s’emparer du Sinaï et du Golan. Cette défaite fut perçue par les Arabes comme un cuisant échec, et engagea la remise en cause des relations conflictuelles entre Israël et la plupart de ses voisins arabes.
L’inimitié des Arabes envers Israël s’est beaucoup renforcée avec la défaite. Lorsque l’Égypte et la Syrie attaquent l’État hébreu durant la célébration de Yom Kippour en 1973, l’Égypte recouvra sa fierté et le Sinaï, et la Syrie une partie du Golan. Cependant, dans cette guerre éclair gagnée par l’alliance arabe, « à aucun moment l’existence de l’État d’Israël ne fut menacée » (p. 18). A sa suite, l’Égypte signa en 1979 un accord de paix avec Israël, mettant ainsi fin au conflit des « États arabes » contre Israël, laissant les Palestiniens seuls opposants. Les conflits se poursuivent : invasion du Liban en 1982, répressions des Intifada, guerre contre le Hezbollah au Liban en 2006, guerres contre Gaza en 2008, 2012 et 2014.
Jean-Paul Chagnollaud s’intéresse au registre lexical employé en Israël pour désigner l’ennemi palestinien, présenté comme un Autre qui n’existe pas dans son humanité. Ce mode de représentation, qui lui assure par ailleurs le soutien des démocraties occidentales dont la solidarité relève d’une « profonde empathie culturelle » (p. 27) provoque de profonds déséquilibres dans les combats eux-mêmes, les civils étant souvent touchés sans discrimination. L’objectif des attaques, présentées comme défensives par les dirigeants, a longtemps été de briser l’OLP, ainsi que le soutien des populations aux organisations ennemies d’Israël. L’auteur met aussi en lumière les « effets pervers » de ces attaques, qui mènent souvent davantage à un renforcement de l’organisation attaquée (dans laquelle se retrouve le peuple palestinien) plutôt qu’à sa disparition - ainsi en témoigne la première Intifada de 1987, déclenchée cinq ans après l’invasion de Beyrouth qui engagea le départ de l’OLP du Liban, mais aussi le soutien au Hezbollah provoqué par la guerre de 2006 au Liban ou la popularité du Hamas dans les Territoires palestiniens. L’effet de dissuasion attendu est donc très fragile ; il l’est d’autant plus depuis le développement de nouveaux équipements plus accessibles pour les organisations combattantes (drones, missiles).
Ce chapitre s’intéresse à la question des attentats ciblés, présentés par l’auteur comme courants dans le cas de conflits asymétriques comme celui qui oppose Israël aux Palestiniens. Ces méthodes, qui visent à éliminer des leaders, sont conduites par les services secrets (le Mossad pour les actions extérieures, le Shabak pour l’intérieur et les Territoires occupés) et utilisées par Israël depuis 1948 (p. 46), de manière ponctuelle. À partir de la seconde Intifada cependant, en 2000, ces opérations se multiplièrent (p. 47).
Cependant, l’auteur rappelle que la qualification de terroriste exclut l’individu du champ du droit, l’empêchant ainsi d’être un interlocuteur valide. Attaquer sous le prétexte du terrorisme apparaît donc également comme « une négation de la nature du conflit » (p. 48) et se situe en dehors du droit de la guerre. Or, Jean-Paul Challognaud s’attarde à réfléchir sur « l’importance cruciale du moment » de ces assassinats ciblés, qui ont souvent eu d’importantes répercussions notamment dans le champ politique : la violente réponse du Hamas à l’assassinat de l’un de ses chefs, Yahia Ayache, a entraîné l’élection de Benyamin Netanyahou, connu pour ses positions radicalement opposées à Oslo, alors même que Shimon Peres, favorable à la paix, était donné vainqueur (p. 52). Par la suite, l’échec des accords de Camp David, et la prise de fonction d’Ariel Sharon - radicalement opposé à la paix - en 2001 signe la fin des accords d’Oslo et du processus de négociations engagé entre les deux parties. Les assassinats ciblés se poursuivent, avec leurs effets pervers, ceux-ci engageant souvent une riposte violente de la part des Palestiniens, qui provoque la terreur et une hostilité croissante des Israéliens à leur égard. Ces assassinats ciblés sont pourtant perçus de façon mitigée par la population israélienne (p. 60), les dirigeants visés étant de toute façon rapidement remplacés par les organisations combattues. Le seul effet remarquable, note l’auteur, est que tous les acteurs qui auraient pu « compter dans le débat politique » (p. 63) ont été éliminés, ce qui marque la victoire de la seule « ligne dure » et l’effondrement de la gauche israélienne.
Cette droitisation de la politique israélienne est d’ailleurs au cœur du troisième chapitre. L’auteur fait état d’un affaissement du parti travailliste, lié à l’échec de l’accord de Camp David, et d’une montée en puissance de l’extrême droite, largement entrée au gouvernement de Netanyahou en 2015. La percée du centre est interprétée par Jean-Paul Challognaud comme un événement qui ne saura sans doute s’imposer dans le temps, puisque selon lui, « il manque à ces courants une dimension essentielle pour peser vraiment : (…) une véritable organisation de parti » (p.74). Ces courants centristes sont en effet souvent des courants citoyens éphémères répondant à des besoins conjoncturels.
L’ensemble des « options idéologiques dominantes » (p. 74) partage les mêmes principes sur la question palestinienne : tous veulent conserver la domination exercée sur les territoires, proclament Jérusalem ‘capitale éternelle’ d’Israël, et refusent de discuter le droit au retour des Palestiniens exilés. La multiplication des attentats suicides en Israël a provoqué également la radicalisation de l’opinion publique, qui impute aux Palestiniens les principales raisons de l’échec du processus d’Oslo. La communauté russophone arrivée en Israël dans les années 1990, qui compte plus d’un million de personnes, joue un rôle important dans cette radicalisation : 81% d’entre eux souhaitent même « le départ définitif des Arabes israéliens » (p. 84).
Jean-Paul Challognaud explique cette radicalisation à l’aune d’une lecture des attentats suicides provoqués par le Hamas qui prend en compte le trauma de l’holocauste, ces expériences tragiques du passé provoquant chez ces populations victimes des attaques palestiniennes un choc d’une intensité impossible à établir sans ce référent traumatique historique (p. 85). Face aux attentats menés par le Hamas, particulièrement entre 2001 et 2005, « le camp de la paix israélien s’est ainsi retrouvé sans voix » (p. 87) et provoqua un véritable repli sur soi de la société israélienne. Ce repli se déploie « autour de polarités multiples (…) : les mythes fondateurs, l’inversion de statut, l’occultation de l’Autre » (p. 87) qui sont à la base des politiques menées par les différentes présidences successives de ces quinze dernières années.
Parmi ces mythes fondateurs, Jérusalem est une clé. La multiplication des acquisitions foncières israéliennes à Jérusalem Est et l’occupation de terrains par les Israéliens (colonies) dans ce secteur sont considérés comme illégaux par la communauté internationale, mais se poursuivent cependant ; la bataille est également menée sur le plan démographique, les Israéliens tentant d’obtenir une majorité de population juive à Jérusalem Est afin de justifier sa prise. Ce maillage de l’espace est encore renforcé à partir de 2003 par le mur de séparation à l’est de la ville, destiné à rejeter à l’extérieur de son enceinte un grand nombre de Palestiniens et d’enclaver quelques villages de Cisjordanie. En 1995 est d’autre part engagé le projet d’un Grand Jérusalem, qui concerne un territoire allant au Nord jusqu’à Ramallah, au Sud jusqu’à Bethléem et à l’Est jusqu’à Jéricho, ayant impliqué le « développement de quatre blocs de colonies (…) pour encercler [Jérusalem] par le nord-ouest, l’est et le sud » (p. 101). L’enjeu central demeure la vieille ville de Jérusalem.
La fragmentation de l’espace rend la vie des Palestiniens de Jérusalem Est très difficile. Il leur est désormais presque impossible de quitter la ville pour se rendre en Cisjordanie, et les cartes de résidence à Jérusalem sont difficiles à obtenir. Les permis de construction sont délivrés au compte-goutte, ce qui amène les Palestiniens à construire illégalement - à leurs risques et périls.
Dans un entretien qu’il avait accordé à l’auteur, le philosophe israélien Yeshayahou Leibowitz interprétait la politique israélienne post-1967 ainsi : « Pendant six jours, l’État juif a fait une guerre défensive, le septième jour ce fut une guerre de conquête […] (sic) tout a commencé le septième jour » (p.141). En remportant le conflit de 1967, Israël eut le privilège d’occuper le Sinaï et le Golan, renégociés par la suite. Les Territoires palestiniens sont en revanche toujours occupés, et les Israéliens poursuivent leur politique de colonisation, qui n’a pas de légitimité au regard du droit international (p. 124). L’arrivée au pouvoir du Likoud en 1977 marque pourtant un changement de terminologie qui semble annoncer le contraire : l’un des premiers gestes de Menahem Begin est de changer l’appellation des « territoires occupés », devenus désormais « territoires libérés » (p. 125). Pour les crimes, les autorités israéliennes emploient de toute façon deux systèmes de droit, les Israéliens étant soumis au droit pénal israélien, les Palestiniens étant soumis « à l’arbitraire des ordonnances de 1945 promulguées par les Britanniques » (p.137).
Pour parer aux accusations de violation de territoire des Palestiniens, les Israéliens utilisent une disposition fondamentale du Code foncier ottoman de 1858 « qui permet à l’État de réquisitionner des terres publiques pour l’usage qu’il décidera, pour lui-même ou d’autres bénéficiaires, dès lors qu’elles ne sont pas cultivées » (p. 132). L’influence croissante de l’extrême droite a récemment mené à la « légalisation de la centaine de petites communautés juives apparues depuis de nombreuses années en Cisjordanie », pourtant jugées illégales par la communauté internationale. C’est sur cette épreuve de force que Jean-Paul Chagnollaud conclut son ouvrage. La seule issue à ce conflit « réside donc dans l’invention d’un compromis historique entre les deux peuples pour que chacun soit maître de son destin. Ce serait pour les uns et les autres une véritable victoire, celle du droit, la seule qui importe parce qu’elle est la seule à fonder une paix juste et équilibrée » (p. 146).
Jean-Paul Chagnollaud, Israël / Palestine, la défaite du vainqueur, Sindbad Actes Sud, Paris, 2017, 146 p.
http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/israelpalestine-la-defaite-du-vainqueur
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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