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« J’ai deux pays ? », spectacle sur le départ d’Algérie en 1962, présenté en juin 2012 à Paris

Par Clémentine Kruse
Publié le 11/06/2012 • modifié le 06/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Les Pieds-Noirs : rappel historique

Le terme de « Pieds-noirs » désigne de façon générale les Français d’Algérie ou ceux que l’on appelait alors « Les Européens ». Son origine est controversée et mal connue, cependant, c’est bien lors du rapatriement des Français d’Algérie en métropole, en 1962, qu’il devient d’usage courant. Selon Jean-Jacques Gordi : « ce n’est donc pas 1830 [1] qui crée le Pied-Noir mais 1962 [2] », en d’autres termes l’indépendance de l’Algérie et l’arrivée de nombreux Français d’Algérie en métropole. Le gouvernement français cherche à faire de l’Algérie une colonie de peuplement dès les années 1840, politique qui est notamment renforcée par la IIIème République lors de l’apogée de l’expansion coloniale française. Les Français d’Algérie ne sont pas uniquement des colons venus de la métropole : nombre d’entre eux sont d’origine étrangère, Espagnols mais aussi Italiens, Maltais etc.

Dès 1956, des Français d’Algérie quittent l’Algérie pour la métropole, mais c’est avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, et la volonté de mettre un terme à la guerre d’Algérie, que les départs massifs débutent. Ainsi, entre 1960 et 1961, près de 150 000 personnes quittent l’Algérie pour la France. Pour faire face à cette première phase de migration des institutions sont crées : un secrétariat d’Etat aux réfugiés en août 1961, puis une loi « relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’Outre-Mer » en décembre de la même année. A partir de mars 1962, les événements s’accélèrent : la violence est de plus en plus présente entre les différents partis qui s’opposent et la métropole réduit le nombre de bateaux circulant quotidiennement entre Alger et Marseille. Le 19 mars 1962, les accords d’Evian sont signés et l’Algérie devient indépendante le 3 juillet. C’est durant cette période qu’ont lieu les départs les plus nombreux : 150 000 en mai et 480 000 en juin. Le gouvernement français avait mis en place des infrastructures d’accueil, mais les prévisions des experts étaient bien en deçà de la réalité : ils prévoyaient en effet environ 100 000 départs d’Algérie vers la France pour l’année 1962. Les infrastructures d’accueil sont par conséquent débordées.

« J’ai deux pays ? » : compte-rendu du spectacle

Le spectacle débute avec l’évocation des souvenirs de Michèle Barbier : elle a dix-huit ans et attend le départ du bateau qui doit la mener à Marseille avant de prendre le train pour Paris. Selon ses dires, « ce spectacle n’est pas un peu, mais complètement autobiographique » : il s’agit de retracer un chemin que beaucoup d’autres ont pris, mais qui se présente ici à la fois comme un rêve et un déchirement. Le rêve de cette jeune fille de dix-huit ans est d’aller à Paris, de devenir actrice et de jouer dans les plus grands films. Les références au cinéma émaillent par ailleurs l’intégralité du spectacle et se glissent dans les textes comme autant de références que le spectateur s’amuse à chercher et à retrouver. La déchirure, c’est à la fois celle de quitter « son pays », et tout ce qu’elle connaissait jusqu’alors, pour l’inconnu, mais également le sentiment de n’appartenir à aucune nation, ni celle qu’elle vient de quitter, ni celle dans laquelle elle arrive. Pour expliquer ce sentiment de n’appartenir à aucun pays, ou à deux pays, deux affiches : l’une aperçue à Alger lors du départ, l’autre à Marseille, lors de l’arrivée. Sur la première est écrit « La valise ou le cercueil » tandis que sur la seconde est inscrit « Pieds-Noirs rentrez chez vous. » Mais ce ne sont pas seulement les affiches qui provoquent un sentiment de déracinement : Michèle Barbier l’admet, elle ne savait rien de la France, autre que ce que son imagination avait forgé ; double désillusion donc, en arrivant à Paris, ville tant rêvée, qui se révèle être froide et indifférente.

Une grande partie du spectacle est fondée sur cette dichotomie, cette opposition entre deux villes : d’une part Alger et de d’autre Paris. Alger représente une terre connue, aimée, une terre d’enfance, là où Paris est une terre inconnue, une icône rêvée. L’une et l’autre sont, finalement, des étrangères : l’arrivée à Paris n’offre pas plus de salut, de compréhension pour sa propre identité que le départ d’Alger. Le spectacle joue également de la mise à distance avec les événements vécus. Les chansons servent de commentaires aux textes, commentaires parfois humoristiques, parfois ironiques, parfois douloureux. Ironie et humour, également, lorsque Michèle Barbier contemple la jeune fille qu’elle était. Elle qui voulait devenir actrice retrace ainsi le film de sa vie, avec comme seul accessoire une petite caméra, et use de termes techniques propres au cinéma pour créer cette distance nécessaire à l’évocation des souvenirs, pour mettre en scène ce voyage initiatique. Jouant ainsi de cette mise en abyme, le spectacle acquiert une distance face à des événements douloureux, tout en restant éminemment personnel.

Deux affiches, deux villes, deux pays. Voilà de quelle façon on pourrait résumer en quelques mots le spectacle de Michèle Barbier, qui entraine le spectateur dans une dualité constante des émotions au travers du prisme de l’Histoire. Deux femmes aussi, en quelque sorte : la jeune fille de dix-huit ans qu’elle a été, avec ses rêves et ses illusions, et la femme qu’elle est maintenant, capable de commenter, de raconter et de faire partager un passé douloureux. Michèle Barbier déclare ainsi : « raconter une histoire personnelle, c’est se poser en témoin-acteur, non en juge … je souhaite vivement qu’on arrive enfin à une vision apaisée de tous ces événements et que l’on garde surtout en mémoire les aspects les plus riches de cette tranche d’Histoire que nous avons vécue ensemble. » C’est d’ailleurs ainsi que le spectacle s’achève : sur un appel à l’union entre les deux peuples et à une meilleure compréhension des événements de cette Histoire commune.

Bibliographie :
 Jean-Jacques Gordi, Les Pieds Noirs, Editions le Cavalier bleu, Paris, 2008, 181 p.
 Yann Scioldo-Zürcher, Devenir Métropolitain, EHESS Editions, Paris, 2010, 461 p.
 Todd Shepard, 1962 : Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Payot, Paris, 2008, 407 p.

Le 24 juin 2012 à 15h00 et les 25, 26 et 27 juin 2012 à 19h00
A l’Académie Stéphane Gildas
16 rue Tolbiac
75013 Paris (métro et bus n°62 : Bibliothèque Nationale)
Renseignements : 09 81 19 67 77 et sur le site www.michele-barbier.com
Réservations : 09 81 16 67 77 ou michelebarbier6@gmail.com

Publié le 11/06/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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