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Le gouvernement Netanyahou, au pouvoir depuis décembre 2022, prépare un projet de réforme de la justice qui doit effacer les pouvoirs de la Cour suprême. Cet organe judiciaire est le seul contre-pouvoir en Israël.
Sixième semaine consécutive. Le samedi 11 février, quelques dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé à Tel-Aviv [1]. Au même moment, une vingtaine d’autres localités ont suivi le mouvement à travers tout le pays. Dans la foule, des pancartes en hébreu ou en anglais dénoncent un « gouvernement criminel », et appelent à « sauver la démocratie israélienne ».
Pour la sixième fois, des protestations hebdomadaires dénoncent le projet de réforme de la justice qui cristallise les inquiétudes en Israël. Benyamin Netanyahou, revenu au pouvoir comme Premier ministre en décembre 2022 grâce à une coalition réunissant son parti, le Likoud, et des formations religieuses et d’extrême droite, est au centre des critiques.
Début janvier 2023, le ministre de la justice, Yariv Levin, a annoncé un projet de réforme permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple une décision de la Cour Suprême. Cet organe, qui constitue la plus haute instance d’appel du pays, exerce également une mission de contrôle juridictionnel des décisions du gouvernement et un contrôle de constitutionnalité des lois. Elle peut ainsi récuser les textes législatifs si ceux-ci contredisent une des treize lois fondamentales d’Israël, particulièrement la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine, « la Cour suprême protège ainsi les droits des minorités, des plus faibles dans le pays », assure Samy Cohen, politologue, directeur de recherche émérite au CERI de Sciences po et auteur de Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix (Gallimard, 2016). Outre la suppression des pouvoirs de la Cour suprême, le projet permettrait aussi de la nomination des juges par le gouvernement, et non plus, comme c’est le cas actuellement, par le Président d’Israël sur recommandation d’une commission de nomination composée de juges à la Cour, de membres du barreau et de personnalités publiques.
Pour Samy Cohen, le passage de cette réforme aurait des conséquences considérables sur le fonctionnement des institutions israéliennes, car « contrairement à d’autres démocraties comme la France, les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni, où plusieurs contre-pouvoirs existent, en Israël, l’unique contre-pouvoir institutionnel est la Cour suprême. Si ses prérogatives sont supprimées, le pouvoir législatif, entre les mains de la majorité au Parlement, serait sans limite ». Avec le risque, selon lui, d’un changement de la nature du régime israélien, « Israël deviendrait alors une démocratie illibérale, dans laquelle les mécanismes électoraux subsistent, les électeurs continuent par exemple de voter, mais sans les garanties que procure une démocratie telles que l’État de droit, la liberté d’expression et l’égalité entre citoyens ».
Le pays, qui se targue d’être la « seule démocratie du Moyen-Orient », pourrait devenir un régime autoritaire avec l’avènement d’une dictature de la majorité parlementaire.
Comment expliquer un tel projet de réforme ? Depuis de nombreuses années, la justice en général, et plus particulièrement la Cour suprême, est la cible de critiques par la droite israélienne. Elle est régulièrement décrite dans des discours de Benyamin Netanyahou et d’un certain nombre de figures d’extrême droite comme lente, hors-sol, servant les intérêts de la gauche israélienne et défenderesse de la cause palestinienne. Un discours qui trouve, ces récentes années, des échos parmi l’électorat de droite et d’extrême droite. Malgré tout, le gouvernement ne semble pas être soutenu par l’ensemble des électeurs, « seul un tiers des Israéliens souhaitent que ce projet de réforme soit appliqué. Certes, le Likoud dispose d’un fort soutien de sa base électorale, mais les électeurs dans leur ensemble n’ont pas pour autant donné un blanc-seing à Benyamin Netanyahou pour en finir avec la démocratie » assure Samy Cohen, « par ailleurs, plus de la moitié des Israéliens, soit 55,6%, souhaitent que les pouvoirs de la Cour suprême soient préservés et environ 43% de la population considère que ce projet est mauvais ».
L’ampleur des protestations visant ce projet de loi sont gênantes pour le gouvernement Netanyahou. Pas seulement parce que les manifestations ont réuni des dizaines de milliers de personnes, mais aussi en raison de la nature des oppositions. Selon le chercheur indépendant Thomas Vescovi, spécialiste de la gauche israélienne et auteur de L’échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël (La Découverte, 2021), l’opposition réunit trois groupes, avec « d’un côté, le centre-gauche sioniste autour des travaillistes et du leader Yair Lapid, tous mobilisés depuis 2019 contre le maintien au pouvoir de Netanyhu ; d’un autre côté, la gauche non-sioniste ou alternative, rassemblant communiste et anticolonialistes arabes et juifs qui tentent d’imposer la question palestinienne dans le débat ; et enfin, un troisième groupe issu d’un électorat de droite qui a dans certains cas voté pour Netanyahou mais pense qu’il va trop loin, et refuse l’alliance avec l’extrême droite ». Les protestations prennent à chaque fois place après shabbat, les juifs pratiquants peuvent ainsi y participer.
Outre ces manifestations de rue, l’opposition de certains secteurs est inquiétante pour Benyamin Netanyahou. Des figures du monde de la justice, habituellement discrètes, ont soulevé les dangers d’un tel projet, comme Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême, une figure très populaire dans le pays. Il a comparé la réforme au « début du troisième temple », une expression prophétique qui fait référence à la fin d’Israël. Et pour la première fois dans l’histoire de l’Etat hébreu, l’actuelle présidente de l’instance judiciaire, Esther Hayut, est sortie de sa réserve, dénonçant un « coup fatal » [2] pour la démocratie.
Mais selon Philippe Velilla, essayiste et analyste politique spécialiste d’Israël, c’est l’opposition du secteur économique qui inquiète le plus le Premier ministre israélien, « d’éminents spécialistes, parmis lesquels le gouverneur actuel de la Banque centrale d’Israël mais aussi son prédécesseur, ont mis en garde Benyamin Netanyahou sur les dangers de cette réforme pour l’économie du pays. Durant sa visite à Paris début février, le Premier ministre israélien a également rencontré des hommes d’affaires, de potentiels investisseurs, inquiets pour la tournure que le pays prend actuellement ». C’est dans le monde israélien de la I-Tech, que l’on trouve les opposants les plus virulents à cette réforme, « ce secteur, par ailleurs composé de jeunes Israéliens aux valeurs progressistes, repose en grande partie sur les investissements étrangers, auxquels la réforme de la justice pourrait donner un sérieux coup de frein si elle est adoptée ». Benyamin Netanyahou est particulièrement sensible aux arguments économiques, le chef du Likoud ayant bâti une partie de sa légitimité politique sur ce secteur, « en Israël, on a longtemps appelé Netanyahou “Monsieur économie”. Il est ministre des Finances entre 1998 et 1999 (en plus de son poste de Premier ministre) puis entre 2003 et 2005. Malgré le renforcement des inégalités socio-économiques ces dernières décennies, force est de constater que sa politique a effectivement participé au développement du pays ».
Depuis le début du mouvement, des leaders palestiniens d’Israël (ou Arabes israéliens) ont souligné que la démocratie israélienne était déjà menacée par l’occupation des Territoires palestiniens et dénoncé l’absence de volonté de résoudre la question palestinienne parmi les manifestants. Ces critiques trouvent néanmoins peu d’écho dans le mouvement contre la réforme de la justice. Certes, des éléments de la gauche et de l’extrême gauche radicale israélienne favorables à une solution à deux Etats sont présents dans les manifestations. Mais la question palestinienne est, elle, bien absente. En cause, le mouvement souhaite maximiser les chances de victoire de la contestation selon Thomas Vescovi, « si la question palestinienne était évoquée, cela nuirait au mouvement de contestation. Les manifestants s’attaquent à Benyamin Netanyahou, à sa réforme de la justice, ils défendent la démocratie, mais la question de l’occupation (qui est pourtant une menace pour la démocratie) est bien trop sensible pour être évoquée. La gauche risque d’être taxée de hors-sol si elle intègre cette problématique dans les débats. Ces contractions internes ne sont pas nouvelles en Israël ».
Pour Philippe Velilla, « la résolution de la question palestinienne n’est depuis longtemps plus prioritaire dans le débat politique israélien. Elle revient occasionnellement au devant de la scène uniquement pour des raisons sécuritaires, et non pour une résolution sur le long terme ». Un constat que Samy Cohen semble partager : « jusqu’aux dernières élections législatives, seul le parti de gauche radicale sioniste, le Meretz, abordait le sujet de l’occupation. Or, cette formation a réuni trop peu de voix lors du scrutin de novembre dernier. Aujourd’hui absent à la Knesset, le parti a disparu du spectre politique israélien ».
Lire également :
– Le retour de « King Bibi » et l’ombre de l’extrême droite
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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