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Israël : après un an de blocage politique, un gouvernement se forme sur fond de crise sanitaire

Par Ines Gil
Publié le 31/03/2020 • modifié le 01/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

A file image of an election billboard with an image of Benny Gantz and Benjamin Netanyahu, seen in Ramat Gan. Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu’s main rival has agreed to join a unity government, ending a year of political deadlock.

Artur Widak / NurPhoto / NurPhoto via AFP / AFP

« Nous ne vivons pas des jours ordinaires, nous avons donc besoin de décisions extraordinaires » (1). Les Israéliens ont coutume de dire que tout peut changer d’un jour à l’autre dans l’Etat hébreu. Benny Gantz l’a prouvé le jeudi 26 mars. Devant des députés israéliens espacés par les règles de distanciation sociale, il a justifié son choix de rejoindre un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou. Scène surréaliste, difficilement imaginable quelques jours plus tôt. Celui qui avait juré pendant plus d’un an de faire tomber « Bibi » (surnom de Benyamin Netanyahou) a été élu provisoirement Président de la Knesset le 26 mars, avec l’appui du Likoud (2).

Après une crise politique et constitutionnelle sans précédent, trois élections législatives en moins d’un an, les deux hommes sont parvenus à un accord : Benyamin Netanyahou restera Premier ministre pendant un an et demi et en octobre 2021, Benny Gantz reprendra le flambeau (3). Ce compromis marque la fin d’une période d’instabilité basée sur l’opposition entre d’un côté « le Likoud, parti de plus en plus identifié à son chef de file, et dont l’électorat voulait avant tout son maintien au poste de Premier ministre » et de l’autre côté « Bleu-Blanc, alliance électorale conçue dans le seul but de mettre un terme au long règne de ce même Netanyahou » (4).

Mais qui sait ce qui se passera d’ici octobre 2021 ? En un an et demi, à l’échelle de la politique israélienne, qui plus est avec le stratège politique Benyamin Netanyahou aux manettes, tous les scénarios sont possibles. Les événements du mois de mars prouvent largement que d’un jour à l’autre, tout peut basculer dans l’Etat hébreu.

Un mois de soubresauts politiques dans un pays plongé dans la peur du Covid-19

Au lendemain des élections du 2 mars dernier, Benyamin Netanyahou revendique un peu vite la victoire. Avec 36 sièges (contre 33 pour les rivaux de Bleu-Blanc), son parti, le Likoud, est certes en tête. Mais « Bibi » n’est pas en mesure de former un gouvernement. Avec ses alliés naturels (les partis religieux et l’extrême droite), il n’obtient que 58 sièges sur 120. Or, il en faut au moins 61 pour former une coalition. En quelques jours, renversement de situation. Benny Gantz, qui a déjà à ses côtés la gauche (regroupement du Parti travailliste, de Gesher et du Meretz), entame des discussions avec l’ultra-nationaliste et séculier Avigdor Lieberman (leader d’Israel Beitenou, 7 sièges) et se rapproche de la Liste unifiée (formation de 4 partis à majorité arabe, 15 sièges). Le chef de Bleu-Blanc semble en mesure de former un gouvernement. A la mi mars, le Président israélien Reuven Rivlin lui confie un mandat pour former une coalition. Mais les discussions patinent. La coalition de B. Gantz est fragile. Difficile d’imaginer un gouvernement stable où les partis arabes siègeraient avec Avigdor Lieberman (5). D’autant plus qu’une poignée de députés alliés à Benny Gantz assurent qu’ils ne pourront pas siéger dans un gouvernement soutenu par la Liste unifiée.

Alors que l’incertitude grandit sur l’issue politique des élections, la peur du Coronavirus s’étend dans le pays. Certes, Israël a rapidement pris des mesures radicales, en coordination avec l’Autorité palestinienne, pour contenir l’épidémie. D’abord, en empêchant les touristes en provenance des pays est-asiatiques et d’Europe d’entrer dans le pays. Puis, en fermant les lieux publics, et enfin, courant mars, en décrétant le confinement. Cependant, une poignée de touristes et certains nationaux revenus de l’étrangers sont entrés dans le pays porteurs du virus. Le maintien de la fête de Pourim (carnaval juif célébré début mars) et les difficultés à faire respecter le confinement au sein de la communauté juive ultra-orthodoxe ont facilité la propagation du virus (6) dans le pays.

Tout au long du mois de mars, Benyamin Netanyahou multiplie les appels à la formation d’un « gouvernement d’urgence nationale » mené par lui-même, pour gérer la crise du Covid-19. Il est rapidement accusé par ses opposants politiques et une partie de la presse israélienne de profiter de la crise sanitaire pour se maintenir au pouvoir et même échapper à la justice. Son procès dans trois affaires pour corruption, fraude et abus de confiance devait en effet s’ouvrir le 17 mars dernier. Mais deux jours plus tôt, le 15 mars, le ministère de la Justice décide de limiter l’activité des tribunaux aux affaires urgentes. Le procès est reporté au 24 mai.

Le 18 mars, les événements s’accélèrent. Le parti de Benny Gantz souhaite présenter un texte au Parlement israélien interdisant à tout député mis en examen d’accéder au poste de Premier ministre. Un texte qui vise donc directement Benyamin Netanyahou. La formation centriste veut aussi proposer un candidat Bleu-Blanc pour succéder à Yuli Edelstein, député Likoud, comme Président de la Knesset. En réponse, Yuli Edelstein empêche les députés de se réunir pour voter. Il invoque les mesures sanitaires prises par le ministère israélien de la Santé dans la lutte contre le Covid-19, interdisant tout regroupement de plus de 10 personnes dans le pays. Mais les motivations politiques sont difficiles à masquer. Yuli Edelstein est aussi un proche de Benyamin Netanyahou. De nombreux analystes assurent que le Président de la Knesset agit avec le soutien de « Bibi », pour lui faire gagner du temps et imposer l’idée d’un « gouvernement d’urgence nationale ». Coup de tonnerre dans la presse israélienne, et dans l’opposition. Certains parlent d’un coup d’Etat. Quelques jours passent, et la Cour suprême, la plus haute autorité judiciaire en Israël, demande à Yuli Edelstein de laisser les députés se réunir et voter. Il n’en fera rien. Finalement, il démissionne le 25 mars (7).

Le 26 mars, dernier chapitre de la crise et nouveau séisme politique : après 8 longues heures de négociations, Benny Gantz accepte de rejoindre un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou. Tous s’interrogent : qu’est-ce qui a poussé le leader de Bleu-Blanc, le mieux placé pour remplacer « Bibi » comme Premier ministre, à accepter cet accord ?

Une victoire pour Benyamin Netanyahou

Avec les partis arabes et Avigdor Lieberman, Benny Gantz n’était pas en mesure de présenter une coalition assez homogène pour gouverner. Seul point commun entre ces députés : la volonté de faire tomber Benyamin Netanyahou. Le leader de Bleu-Blanc, qu’on dit exténué par les campagnes législatives à répétition, a aussi été poussé par la crise du Covid-19.

En Israël, la décision de Benny Gantz a déjà fait une victime : le parti Bleu-Blanc, disloqué après la nouvelle. Les poids lourds, Moshe Ya’alon et surtout Yair Lapid (co-fondateurs) ont quitté la formation politique. Et elle pourrait faire une autre victime : Benny Gantz lui-même. Les conséquences sur l’image du leader centriste seront lourdes. Critiqué ces derniers jours pour son manque de persévérance comme chef de l’opposition, sa capacité à prendre la place de Benyamin Netanyahou est largement remise en cause en Israël (8).

Pour Noa Landau, responsable des questions de diplomatie au quotidien Haaretz, Benny Gantz a « trahi ses électeurs en revenant sur une de ses promesses les plus importante : ne pas entrer dans un gouvernement mené par Benyamin Netanyahou » (9). Même constat pour Dror Even Sapir, journaliste franco-israélien spécialiste de la politique israélienne : « une partie importante de l’électorat centriste et de celui de la gauche considère probablement que l’ancien général a péché par excès de naïveté et qu’il a accordé une planche de salut à un Benyamin Netanyahu affaibli par son inculpation. Yaïr Lapid tentera de représenter cet électorat » (10).

En jetant l’éponge, Benny Gantz offre à Benyamin Netanyahou une victoire inespérée. Bien que mis en examen dans trois affaires et conspué par la moitié du pays, le leader du Likoud est assuré de se maintenir comme Premier ministre dans les mois qui viennent. Le 24 mai prochain, il se présentera au tribunal en position de force, en chef de gouvernement.

Un gouvernement d’urgence nationale pour gérer le Covid-19

Le weekend du 28/29 mars, Benny Gantz et Benyamin Netanyahou ont donc entamé des négociations pour distribuer les portefeuilles ministériels en vue de la formation du prochain gouvernement. Le ministère des Affaires étrangères a d’abord été évoqué pour B. Gantz (en attendant qu’il reprenne le poste de Premier ministre en octobre 2021). Mais en Israël, ce portefeuille ministériel a peu d’importance. D’autant plus qu’avec la crise sanitaire, le ministre ne pourrait pas se déplacer à l’étranger. Le général Gantz pourrait finalement récupérer la Défense, un ministère très convoité en Israël. Durant les discussions avec Benyamin Netanyahou, il devrait jouer sur son passé de chef d’Etat-major de l’armée israélienne pour l’obtenir (de 2011 à 2015, Benny Gantz a été numéro un de l’armée israélienne). Le parti Bleu blanc devrait aussi récupérer la Justice et les Communications (pourtant chères à Benyamin Netanyahou).

En rejoignant le « gouvernement d’urgence nationale », Benny Gantz a ouvert la voie à d’autres députés. Amir Peretz, président du Parti travailliste (centre-gauche) a suivi le mouvement. Il devrait obtenir le ministère des Finances (11). Il sera accompagné d’un autre travailliste, Itzik Shmuli, qui devrait reprendre les Affaires sociales. Des portefeuilles stratégiques, particulièrement à l’heure du Coronavirus. Comme dans le reste du monde, les conséquences du confinement vont s’avérer dramatiques pour l’économie israélienne. Le chômage en Israël, de seulement 4% avant la crise sanitaire, a bondi, dépassant les 20% (12). Nul doute que les Israéliens, qui s’apprêtent à traverser une crise sociale majeure, apprécieront la présence de députés travaillistes aux Finances et aux Affaires sociales. Mais l’entrée de ces députés dans un gouvernement Netanyahou pourrait avoir de lourdes conséquences sur le parti de gauche, qui perd un peu plus d’électeurs chaque année. A terme, la Liste unifiée d’Ayman Odeh pourrait récupérer cet électorat déçu.

Le « gouvernement d’urgence nationale » (13), qui devrait perdurer pendant les six prochains mois, « sera stable » assure Jonathan Lis dans le quotidien Haaretz, « mais il aura des difficultés à réaliser certains promesses électorales ». Selon le journaliste israélien, le prochain gouvernement Netanyahou sera concentré sur la gestion du Covid-19 et sur la crise économique et sociale à venir. En rassemblant des députés issus de courants idéologiques si divers, il semble peu probable que ce nouveau gouvernement prenne des décisions idéologiques fondamentales. Les promesses électorales de part et d’autre, comme l’obligation de conscription pour les Israéliens juifs ultra-orthodoxes (Bleu-Blanc), ou l’annexion d’une partie de la Cisjordanie (promesse électorale majeure de Benyamin Netanyahou) ne verront probablement pas le jour dans les prochains mois.

Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
 Elections législatives du 2 mars 2020 en Israël : une victoire en demi-teinte pour Benyamin Netanyahou
 Coronavirus : la peur gagne Israël

Notes :
(1) https://www.france24.com/fr/20200326-benny-gantz-%C3%A9lu-chef-du-parlement-isra%C3%A9lien-%C3%A0-la-surprise-g%C3%A9n%C3%A9rale
(2) droite israélienne, parti de Benyamin Netanyahou.
(3) Pour également un an et demi.
(4) http://www.crif.org/fr/actualites/interview-crif-dror-even-sapir-decrypte-les-derniers-rebondissements-politiques-en-israel
(5) Connu pour ses propos virulents envers la minorité arabe, Avigdor Lieberman a toujours affirmé qu’il ne pourrait jamais siéger avec la Liste unifiée.
(6) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-inside-israel-s-ultra-orthodox-coronavirus-hot-spots-1.8722073
(7) https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/250320/israel-demission-du-president-du-parlement-un-allie-de-netanyahu
(8) https://www.nytimes.com/2020/03/26/world/middleeast/israel-netanyahu-gantz-government.html
(9) https://www.haaretz.com/israel-news/listen-bibi-s-impossible-victory-and-israel-s-coronavirus-blind-spots-1.8722128
(10) http://www.crif.org/fr/actualites/interview-crif-dror-even-sapir-decrypte-les-derniers-rebondissements-politiques-en-israel
(11) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-following-gantz-labor-chairman-to-join-netanyahu-led-unity-government-1.8722650
(12) https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-taux-de-chomage-depasse-les-20/
(13) https://www.haaretz.com/israel-news/elections/.premium-gantz-netanyahu-gov-t-may-be-stable-but-will-struggle-to-keep-election-promises-1.8719564

Publié le 31/03/2020


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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