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Clément Therme est Membre associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBAC) et du Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques (CADIS) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Docteur en Histoire internationale de l’IHEID et docteur en sociologie de l’EHESS, il est notamment l’auteur de Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012) et le co-directeur de l’ouvrage Iran and the Challenges of the Twenty-First Century (Mazda Publishers, 2013).
Depuis la fin des années 1980, les principes idéologiques de la Révolution islamique sont conditionnés par les intérêts du régime (maslahat-e nezâm). La signature de l’Accord de Vienne se comprend, du côté iranien, à travers ce prisme. C’est bien l’impérieuse nécessité d’améliorer les conditions de vie de la population qui a conduit les autorités iraniennes à un compromis sur le dossier nucléaire.
En effet, l’économie iranienne a subi de plein fouet les effets des sanctions avec notamment une contraction de 6.6% en 2012 selon la Banque mondiale. Dans ce contexte il n’est pas surprenant que l’élection d’Hassan Rohani en 2013 ait suscité des attentes considérables au sein de la population. Sur le plan psychologique, la conclusion de l’accord a d’ores et déjà eu des effets positifs sur de nombreux secteurs de l’économie comme le tourisme, les secteurs de la construction et les transports. En dépit de la multiplication des visites de délégations commerciales européennes en Iran, la conclusion d’accords fermes reste suspendue à la mise en œuvre de l’accord (Implementation Day) probablement au premier semestre 2016. Le 15 décembre 2015, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) va présenter un rapport final évaluant les possibles dimensions militaires du programme nucléaire iranien. Si le rapport d’évaluation de l’AIEA confirme le caractère exclusivement civil du programme nucléaire iranien, alors il sera possible d’envisager la levée graduelle des sanctions unilatérales américaines et européennes ainsi que celles des Nations unies en lien avec la question du nucléaire. En revanche, des sanctions dites secondaires en lien avec ce que les Etats-Unis ou l’Union européenne considèrent comme le soutien de Téhéran au « terrorisme » ou le dossier des droits de l’homme pourraient être maintenues.
Pour parvenir à ce résultat, les dirigeants de la République islamique ont dû négocier avec le « Grand Satan » (sheytân-e bozorg), une question qui a longtemps été un tabou politico-médiatique en République islamique. Ce n’est que sous la présidence Ahmadinejad que le débat sur les relations diplomatiques avec les Etats-Unis devient public. Auparavant, il était circonscrit à la question des relations économiques ou aux contacts « people to people » (diplomatie de la lutte ou dialogue interreligieux par exemple). Les premiers contacts diplomatiques officiels directs irano-américains sous les administrations Bush et Ahmadinejad s’expliquent par la proximité géographique nouvelle entre les deux pays. En effet, à la suite des interventions américaines en Afghanistan (2001) et en Irak (2003), les forces militaires des deux pays opèrent désormais dans le même espace : cela alimente alors, en Iran, la perception d’un encerclement militaire américain.
Depuis l’élection de Rouhani ce sentiment d’encerclement est moins présent car on insiste sur la possibilité de coopérations tactiques et au cas par cas avec les Etats-Unis dans la lutte contre Daesh en Irak et en Syrie ou contre le retour des taliban en Afghanistan. L’influence de la faction réformiste sera renforcée au sein des élites politiques iraniennes à deux conditions : premièrement, il est indispensable que l’ouverture économique permette des investissements étrangers significatifs qui pourraient atteindre selon la Banque mondiale de 3 à 3,2 milliards de dollars pour l’année iranienne 2016-2017 et si les sanctions en lien avec le programme nucléaire sont effectivement levées la croissance pourrait atteindre 5,5% en 2017 ; deuxièmement, la faction réformiste qui comprend les anciens présidents Khatami et Rafsandjani, Hassan Rouhani et Hassan Khomeini (le petit-fils de l’Ayatollah Ruhollah Khomeini) entend vaincre les conservateurs idéologiques lors des élections législatives et pour l’Assemblée des experts en février 2016.
Ces deux conditions sont liées car, pour le Président Rouhani, il convient de favoriser l’ouverture économique du pays pour relancer la croissance et susciter par là même un soutien populaire. Toutefois, compte tenu de la nature duale du système politique iranien (dimension élective et légitimité révolutionnaire), ce tournant historique de la République islamique ne pourra se confirmer que si le Conseil des Gardiens de la Constitution de la République islamique permet aux candidats réformistes et modérés de concourir lors des prochaines élections de février 2016. Une victoire électorale des modérés leur donnerait la capacité à réaliser leurs projets de développement économique du pays. Sur ce plan, l’intégration de l’Iran au sein des BRICs et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (1) pourrait être le signal de la transformation de l’Iran en véritable pays émergent. La République islamique est en effet la dernière économie de taille significative à ne pas être membre de l’OMC…
Note :
Sur cette question, voir Danial Arjomandy, « Iranian Membership in the World Trade Organization : An Unclear Future », Iranian Studies, 47:6, 2014, pp. 933-950.
Clément Therme
Clément Therme est Membre associé du Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBAC) et du Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques (CADIS) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Docteur en Histoire internationale de l’IHEID et docteur en sociologie de l’EHESS, il est notamment l’auteur de Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012) et le co-directeur de l’ouvrage Iran and the Challenges of the Twenty-First Century (Mazda Publishers, 2013).
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