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Iran : les surprises du nouveau gouvernement

Par Michel Makinsky
Publié le 11/09/2024 • modifié le 11/09/2024 • Durée de lecture : 68 minutes

Michel Makinsky

Résumé :
Le nouveau gouvernement iranien a été approuvé par le Parlement (Majlis) le 21 août dans des conditions sans précédent. C’est la première fois qu’un cabinet est validé par les députés en une seule fois. D’habitude, plusieurs candidats-ministres sont refusés et ceci entraîne d’interminables et laborieuses négociations nécessitant la mise en place d’intérimaires en attendant les titulaires acceptés. Ce vote positif totalement inattendu révèle un nouveau paysage politique, avec un rapport de forces clair qui affecte et le choix des personnalités et le contenu des politiques qu’elles suivront.

La première donnée révélée dans ce processus est que la sélection des futurs ministres a été négociée au cas par cas par Massoud Pezeshkian, le nouveau président. Cette négociation a été opérée d’abord avec les Gardiens de la Révolution, les services sécuritaires. Un deal a été conclu avec Mohammad Baqer Qalibaf, président du Majlis, ancien général des Pasdarans qui en représente les intérêts. Du coup, plusieurs portefeuilles importants ont été accordés à des proches de ce dernier. Avec le brigadier général Aziz Nasirzadeh (bien qu’appartenant à l’armée régulière et non aux Gardiens de la Révolution) comme ministre de la Défense, Eskandar Momeni (ancien Pasdaran) comme ministre de l’Intérieur, Alireza Kazemi comme ministre de l’Education (déjà ministre sous la présidence Raïssi et dont le frère est chef des renseignements des Gardiens), Ahmad Donyamali, ministre des Sports, Qalibaf peut être satisfait. Les conservateurs ont obtenu d’autres gages significatifs. Sur 19 ministres, 3 exerçaient sous la présidence Raïssi. Le plus emblématique, Esmail Khatib, ministre de la Justice, devient ministre des Renseignements ; Amin-Hossein Rahimi, ministre de la Justice ; Abbas Aliabadi, nouveau ministre de l’Energie.

Plus intéressant, signe de savants équilibres, le chef de l’Etat a pu faire approuver par le Parlement très conservateur (partagé entre députés liés aux Gardiens de la Révolution qui soutiennent Qalibaf et leurs concurrents du clan ultra dur de la faction Paydari de l’ancien ‘négociateur’ rigide Saeed Jalili) Abbas Araghchi (ancien bras-droit de Zarif pour les négociations de l’accord nucléaire de 2015) au poste-clé de ministre des Affaires étrangères. C’est une surprise car la plupart des observateurs pensaient que le Majlis s’opposerait à cette nomination. C’est un double message : le ministre a été imposé par le Guide aux parlementaires rétifs, et Khamenei entend signifier qu’il n’exclut pas des négociations avec les Occidentaux. La raison est simple : il y a urgence à obtenir une levée au moins partielle des sanctions (ce qui n’empêche pas de poursuivre leur contournement). La seconde révélation est que c’est le Guide qui a personnellement validé tous les ministres, conservateurs et réformateurs compris. C’est la confirmation de son pouvoir sans obstacle. Notons que le nouveau ministre Araghchi s’est adjoint son ancien collègue Majid Takht Ravanchi ex vice-ministre négociateur nucléaire comme lui. En sus, Pezeshkian a pu nommer des hommes de confiance, réformateurs ou modérés, experts compétents. Au premier chef, le ministre de l’Economie Abdolnaser Hemmati (ancien gouverneur de la Banque Centrale), et encore plus significatif, le ministre du Pétrole, Mohsen Paknevad, doté d’une très solide expérience du secteur, nommé malgré le refus de la commission énergie du Parlement.

Par ces nominations, le nouveau président affiche un consensus inédit avec les Gardiens et le Guide au détriment de la faction ultra Paydari. Une autre indication surprenante de ce changement de paysage : Mohammad Javad Zarif, l’ancien ministre des Affaires étrangères sous la présidence Rohani est nommé à un poste inédit de conseiller en charge de la stratégie auprès du chef de l’Etat. Peu satisfait du manque de réformateurs et de femmes parmi les ministres, il démissionne quelques jours puis regagne son poste après que Pezeshkian ait complété son cabinet par quelques vice-présidents modérés et deux femmes (il n’y a qu’une femme ministre). Avec la présence de Zarif, stratège en chef du président et qui retrouve ses deux anciens vice-ministres négociateurs, c’est une ‘dream team’ de 2015 qui réapparaît, interlocuteurs familiers des Occidentaux.

Les orientations prioritaires du nouveau gouvernement sont claires : il faut restaurer l’économie (notamment retrouver d’urgence le contrôle d’une inflation meurtrière), diminuer les tensions. Pour cela, un impératif : lever (ou alléger) les sanctions. Il n’y a pas d’autre choix que d’engager des négociations avec les Occidentaux. Le Guide vient de dire qu’il ne s’y oppose pas. Ceci n’empêche pas Téhéran de poursuivre sa relation privilégiée avec Moscou et Pékin. L’autre orientation prioritaire est la diminution des tensions régionales. L’exécutif veut éviter de tomber dans le piège d’un engrenage israélien au Liban et celui d’échanges de frappes directes et réfléchit à une riposte soigneusement dosée à l’élimination d’Ismaël Haniyeh, le leader du Hamas tué à Téhéran. En même temps, le nouvel exécutif entend poursuivre l’amélioration de ses relations avec l’Arabie saoudite. Sur cette stratégie pèsent de nombreuses inconnues, en particulier les élections américaines et les incertitudes israéliennes. Pendant ce temps, l’Europe et singulièrement les E3 (France, Allemagne, Grande-Bretagne) sont vus comme marginaux par le pouvoir iranien qui considère que les Américains sont leurs interlocuteurs avec qui un dialogue même a minima est possible. Dans le texte qui suit, on trouvera non seulement les profils (révélateurs) des différents ministres et ceux des membres du cabinet présidentiel, mais aussi les grands axes de leurs prochaines priorités qui nous donnent d’utiles indications.

Le mercredi 21 août, le Parlement iranien (Majlis) crée la surprise en validant la totalité des 19 ministres présentés par le nouveau président Massoud Pezeshkian. Les observateurs notent que c’est la première fois depuis 2001 qu’un cabinet est approuvé dans son entièreté par les députés [1] et relèvent que le chef de l’état a immédiatement diffusé une photo se montrant entouré du chef du pouvoir judiciaire (un religieux ‘dur’) et de Mohammad Baqer Qalibaf, président du Majlis [2]. En assortissant cette présentation du slogan « consensus pour l’Iran », il donne une clé pour comprendre comment il est parvenu à ce dénouement flatteur qui ne s’imposait pas. En fait ceci résulte d’une savante opération de ‘déminage’ indispensable pour franchir l’obstacle du redoutable filtre parlementaire. Nous décrirons dans les lignes qui suivent cet inhabituel processus et sa signification (I). Ceci sera suivi de la présentation des nouveaux ministres dont le profil est l’indication de savants équilibres (II) ; chacun aura une part de responsabilité dans le traitement des lourds défis auxquels l’Iran doit faire face. Il nous a paru également important de nous pencher sur les membres du cabinet présidentiel. Le choix des personnalités retenues donne d’utiles indications sur les priorités du président mais aussi montre que ces nominations ont également vocation à corriger certains déséquilibres signalés dans la composition du gouvernement. Nous tenterons in fine (III) d’en dégager quelques perspectives.

I. Une sélection sous tension

Lorsque le Parlement iranien avait commencé à l’examen des 19 ministres [3] soumis à son approbation il était permis de penser qu’en particulier ceux qui sont proches des réformateurs s’exposaient à une opposition. Une rude épreuve pour les candidats, sachant que le Majlis est hostile à nombre d’entre eux. Rappelons que celui-ci est contrôlé par les conservateurs durs répartis en deux clans (opposés) : d’une part la faction ultra Paydari animée par l’ancien très rigide ‘négociateur’ nucléaire Saeed Jalili adversaire acharné de Pezeshkian aux dernières présidentielles et hostile à la démocratisation et au rapprochement avec les occidentaux ; d’autre part, les puissants représentants des Gardiens de la Révolution dirigés par Mohammad Baqer Qalibaf, ancien général, qui défend leurs intérêts. On pouvait s’attendre à un sérieux ‘écrémage’ de ce futur cabinet, prélude à d’interminables négociations pour faire accepter des candidats plus conformes aux lignes des conservateurs. Malgré tout, il est vrai que quelques échos avaient laissé entendre que la liste des futurs membres du cabinet a été soumise au Guide. Ce n’est pas vraiment une surprise car on peut comprendre qu’aucun d’eux ne pourrait recevoir l’approbation (laborieuse) des députés sans son accord [4] ou, du moins sans objection même implicite de sa part. Khamenei est un habitué des expressions subtiles pour faire comprendre son assentiment ou ses réserves. Ces rumeurs avaient pourtant fait l’objet de démentis rageurs émanant de proches des Gardiens de la Révolution. Or le président de la république a récemment révélé qu’en réalité il avait négocié la liste des candidats possibles avec les Gardiens de la Révolution, les services sécuritaires et les agences de renseignements [5]. Un consensus une fois obtenu avec eux, elle a été présentée à Khamenei qui l’a approuvée personnellement [6]. Selon Iran International [7], celui-ci s’est impliqué dans plusieurs candidatures, dont celle d’Abbas Salehi (ministère de la Culture), Abbas Araghchi (Affaires étrangères), Farzaneh Sadegh (Transport et Aménagement urbain). C’est la seconde femme ministre depuis l’instauration de la République islamique. C’est donc le Guide qui a en quelque sorte imposé [8] au Parlement d’approuver [9] un cabinet donnant suffisamment de gages aux Gardiens de la Révolution tout en permettant au président de placer quelques candidats répondant à ses affinités politiques réformatrices et modérées. Celui-ci, selon la même source, a compris qu’il n’avait aucune chance d’imposer un cabinet correspondant à ses préférences (l’écart entre la liste des candidats sélectionnés par le système piloté par l’ancien ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (qui a joué un rôle déterminant dans la campagne électorale), et la composition finale du gouvernement est éloquent. Il reste que plusieurs impétrants ont fait l’objet de vigoureuses critiques au sein des commissions du Majlis et que leur sort était loin d’être assuré. Le cas de Mohsen Paknejad, proposé comme ministre du Pétrole, est emblématique. Au vu d’auditions peu confortables et un vote négatif à la commission énergie, il risquait fort d’être écarté en séance plénière [10] tout comme le ministre de l’Energie [11]. Ceci n’a finalement pas empêché M. Paknejad d’obtenir l’approbation de sa nomination par 222 voix. Comme on dit en Iran, une « main divine » a dû inspirer les parlementaires au moment du vote final.

Parmi eux, le ministre des Affaires étrangères est un des portefeuilles qui doit obligatoirement recevoir l’autorisation expresse d’Ali Khamenei. Le choix d’Abbas Araghchi [12] comme ministre des Affaires étrangères était attendu. Celui-ci devait s’attendre à une forte opposition des conservateurs durs du Majlis. L’approbation parlementaire par 247 voix reflète clairement la volonté expresse de Khamenei de passer outre. Nous reviendrons plus loin sur son profil et ses intentions.

Sa nomination intervient dans un contexte qui s’est récemment compliqué. En effet, M. Zarif qui incarne l’ouverture de l’Iran vers l’Occident, annonce le 11 août dernier qu’il démissionne de son poste inédit taillé sur mesure : vice-président en charge des Affaires stratégiques (il dirigeait par ailleurs le Centre d’Etudes Stratégiques, le think tank présidentiel). M. Pezeshkian lui avait confié la redoutable tâche de monter et de faire fonctionner un dispositif complexe de sélection [13] des futurs ministres parmi quelque 1000 candidats, basé sur l’évaluation de leurs compétences, une vérification méticuleuse de leur passé, de leurs intérêts, de leur probité (opération ‘déminage’), aux côtés d’autres critères dont l’affiliation politique, les origines ethnico/tribales et géographiques, le sexe, l’âge, etc. De savantes pondérations guidaient l’attribution de ‘points’ aux impétrants. Ce travail a nécessité la mobilisation d’équipes lourdes, et, surtout des consultations ‘tous azimuts’ auprès de tout l’échiquier politique du pays. A peine connue, la liste des candidats-ministres, a suscité une vive déception chez les soutiens du président qui constatent que le profil des impétrants est loin de correspondre à ce qui avait été annoncé, notamment par Zarif. Le ‘renouveau’ n’est guère au rendez-vous : sur 19 ministres, 3 exerçaient déjà sous la présidence Raïssi : le ministre des Renseignements Esmail Khatib, le ministre de la Justice (à ne pas confondre avec le chef du pouvoir judiciaire nommé par le Guide) Amin Hossein Rahimi, et le ministre de l’Industrie, des Mines et du Commerce, Abbas Aliabadi, qui deviendrait ministre de l’Energie. En plus, l’absence de personnalité sunnite et de représentants des minorités ethniques comme les Kurdes, la présence d’une seule femme parmi les proposés, ne reflète pas la volonté ‘inclusive’ du nouveau chef de l’état.

Alors que celui-ci avait promis que 60% des membres du futur gouvernement auraient moins de 60 ans, la moyenne d’âge du cabinet est de 59,7 ans, ce qui ne traduit pas un rajeunissement spectaculaire (seuls 2 ministres remplissent cette condition). En plus, 11 des 19 ministres ont déjà servi sous l’un des deux précédents présidents, ce qui n’est pas un signe de novation. Les réformateurs et modérés déçus déplorent l’influence des conservateurs au sein de la liste. Le fait qu’un militaire (le brigadier général Eskandar Momeni) [14] soit proposé comme ministre de l’Intérieur les inquiète sérieusement. Il y a manifestement un fossé significatif entre les perspectives qui avaient été évoquées et la sélection opérée. Mais comme le souligne Ali Alfoneh, observateur averti, le président est contraint de tenir compte des énormes pressions exercées sur lui par les durs du régime. Un examen attentif [15] permet de constater qu’en dépit des évidentes concessions qu’il a dû leur consentir, il a joué subtilement avec elles. Par exemple, le poste de ministre de la Défense est une fois de plus proposé à un officier de l’armée régulière (le brigadier général Aziz Nasirzadeh) et non pas à un gradé des Gardiens de la Révolution. Ceux-ci, et singulièrement Qalibaf sont néanmoins satisfaits par deux nominations qui les représentent. Il reste que 9 ministres retenus sur 19 ne figuraient pas dans la liste établie par le comité de sélection piloté par Zarif. On comprend son amertume.

Ainsi, moins de 15 jours après sa nomination comme vice-président en charge des Affaires stratégiques, M. Zarif annonce qu’il quitte ses fonctions et reprend ses activités à l’université de Téhéran, ce qui crée un choc. Selon le très informé Amwaj.media, il aurait informé le chef de l’Etat le 11 août de sa décision qu’il avait prise dès le 3 de ce même mois. Il n’a pas accepté que le président ait largement ignoré les propositions du comité de sélection [16]. Dans un message sur X/Twitter [17], il s’excuse de ne pas avoir été capable d’obtenir qu’un gouvernement jeune et représentatif soit soumis au Parlement. Cette démission a suscité des reproches de réformateurs et modérés à l’encontre du nouveau président qui est critiqué aussi pour avoir trop cédé aux conservateurs. Cela étant, d’autres sources en Iran prétendent que l’ancien ministre des Affaires étrangères n’aurait de toute façon pas pu conserver son nouveau poste car il n’aurait pas obtenu le feu vert des services de sécurité chargés de valider sa nomination. Selon Iran International cette formalité serait requise par une loi sur le recrutement de Personnes à des Postes Sensibles entrée en vigueur le 2 octobre 2022 [18]. Ce texte interdit l’accès à de tels postes à des individus (ou leurs conjoints ou leurs enfants) qui détiennent une double nationalité. Cette interdiction s’applique aussi aux fonctions de conseillers ou d’adjoints auprès du président de la république. Or, du fait des responsabilités que Zarif a exercées au sein de la délégation iranienne aux Nations unies, ses enfants ont automatiquement acquis la nationalité américaine. Bien que ses enfants résident en Iran cette règle s’applique à eux. L’ancien ministre des Affaires étrangères a démenti que sa démission soit liée à cette législation. Il a reconnu avoir subi de fortes pressions mais a prétendu qu’aucun service de sécurité ou de renseignements ne s’était opposé à sa nomination comme vice-président. Il a d’ailleurs laissé entendre que d’autres responsables ont aussi des enfants binationaux. L’allusion viserait le premier vice-président Aref (dont la nomination avait été critiquée chez les réformateurs en raison de son bilan inexistant qui lui valut le surnom de ‘seigneur du silence’) et le vice-président pour les affaires exécutives Mohammad Jafar Qaem-Panah. D’aucuns les soupçonnent d’avoir voulu écarter Zarif [19]. Malgré tout, le chef de l’Etat a déclaré le 17 août que son administration aura besoin de ses services de conseil en raison de sa grande expertise [20].

Le 27 août, coup de théâtre. Zarif annonce sur X (twitter), qu’après mure réflexion, il décide de réintégrer son poste de vice-président [21]. Il justifie son retour en mettant en avant que, finalement, les nominations qui se sont succédées aux différents postes représentent près de 70% des propositions du comité de sélection et que des ajustements subséquents devraient survenir. Il indique aussi que Pezeshkian lui a adressé une demande écrite de reprendre ses fonctions. Pour le chef de l’Etat, c’est une victoire morale et politique qui devrait amoindrir les déceptions du camp modéré et réformateur. Il ne faut pas nécessairement être totalement dupe des motivations avancées. En fait le président a sans doute convaincu Zarif que la présence de l’ancien ministre des Affaires étrangères lui est on ne peut plus nécessaire : une personnalité de stature internationale qui a à son actif (avec Araghchi) un accord de détente avec les Occidentaux. Il est une garantie d’une volonté de dialogue. Mais aussi il représente une caution réformatrice importante de nature à rassurer ses soutiens. Pour ce qui est des rapports de force politiques, Zarif est un contrepoids par rapport à l’influence des Gardiens de la Révolution. Il est inutile de préciser que l’annonce de ce retour a été célébrée par les réformateurs qui se sentent confortés et a fait l’objet de commentaires acides chez les conservateurs [22]. Au bout du compte, il faudra surveiller si cette présence permet au chef de l’Etat (aux pouvoirs limités) d’engager des négociations avec les occidentaux sans être bloqué par le Majlis, le Guide, les Gardiens. Tout dépendra de la latitude que Khamenei voudra bien octroyer.

II. Un cabinet de ‘compromis’ ? Des profils révélateurs

Dans les lignes qui suivent, nous allons plus loin en procédant à l’examen des personnalités retenues (nous en avons cité certaines plus haut) et de leurs intentions. Le profil des candidats ministres est instructif [23]. Bien que ne reflétant pas les attentes ni les promesses émises avant la sélection, on peut dire qu’il présente un dosage subtil. Pezeshkian avait plaidé pendant la campagne électorale contre le factionnalisme, en faveur d’un gouvernement d’unité nationale. Il est évident qu’ab initio, le défi qui se posait au président de la république était de composer un cabinet qui ne soit pas largement rejeté par le parlement. Ce risque était spectaculairement évident puisque le Majlis, comme nous l’avons signalé, est dominé par les adversaires conservateurs durs du chef de l’état. Ceux-ci, déjà courroucés par son élection, n’avaient aucune raison de lui faciliter la tâche. Il a donc subi d’énormes pressions de ces derniers tant au sein du Parlement qu’en dehors. Les Gardiens de la Révolution ont scruté avec soin les impétrants et n’auraient pas hésité à bloquer quiconque contrariera leurs intérêts. Mais par rapport à la faction ultra Paydari radicalement hostile à tout ce que représente Pezeshkian, les Gardiens de la Révolution (qui ne sont pas monolithiques, mais divisés) se sont montrés plus ouverts à des compromis - tant qu’ils leur sont favorables. Mais, encore une fois, c’est le Guide qui a eu le dernier mot. Dans le discours lors de sa rencontre le 27 août avec le chef de l’Etat et ses nouveaux ministres, où il leur a délivré ses consignes et une feuille de route sur leurs priorités (lutte contre l’inflation, développement des infrastructures et corridors, accroissement de la production de pétrole et des sous-produits, le problème de la démographie, expansion de l’I.A. et des nouvelles technologies, régulation du cyberespace…). Khamenei confirme qu’il a été consulté, qu’il a appuyé (parfois fermement) un certain nombre de candidats proposés, tout en prétendant qu’il ne connaissait pas tous les impétrants présentés [24].

Des gages aux conservateurs pour prix d’un accord

Aussi, une concertation avec Mohammad Baqer Qalibaf a permis d’aplanir les obstacles majeurs moyennant quelques portefeuilles accordés à cette mouvance. Ainsi, le député Ahmad Donyamali [25], nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, est particulièrement proche du président du Parlement, choix interprété comme destiné à attirer sa bienveillance. Selon Iran International, cet ancien membre du Conseil de Téhéran (dont Qalibaf fut maire), est président de la Fédération de canoe et patron du FC Malavan d’Anzali. Il a déjà exercé des responsabilités dans l’administration, notamment vice-ministre de l’Equipement et des Transports et chef de l’Organisation des Ports et de la Navigation. A peine confirmé, il a annoncé qu’il voulait « révolutionner le sport en Iran », et le moderniser en utilisant davantage de nouvelles technologies. Se félicitant des performances des lutteurs iraniens aux J.O. de Paris, il veut élargir le spectre des médaillés et que l’Iran brille aux Jeux de Los Angeles [26]. Un autre sélectionné peut également être considéré comme reflétant des réseaux de Qalibaf : le brigadier-général Eskandar Momeni [27], qui fut Gardien de la Révolution avant de devenir officier au sein des Forces de Maintien de l’ordre, qui détiendra le maroquin de ministre de l’Intérieur. Depuis 2018, il est secrétaire de la Task Force de Contrôle de la Drogue. Sa nomination contrarie beaucoup les réformateurs qui s’irritent de voir un militaire à la tête du ministère de l’Intérieur : la militarisation de l’administration n’est pas de bon augure. Selon les mêmes sources, il est également critiqué par eux pour la répression qu’il a menée dans le passé contre les manifestants qu’il a qualifiés d’émeutiers. En renouvelant le brigadier-général Aziz Nasirzadeh à son poste de ministre de la Défense, le chef de l’Etat a retenu un officier membre de l’armée ‘régulière’ (artesh) plutôt qu’un Gardien de la Révolution. Il a été adjoint au chef des forces aériennes de 2018 à 2021 puis chef d’état-major adjoint des forces armées. Incidemment, attribuer à un ancien officier de l’armée de l’air le portefeuille de ministre de la Défense n’est pas anodin. Ce choix est en réalité subtil : en ne nommant pas un Gardien de la Révolution, le président évite de leur donner trop de place aux Pasdarans dans le gouvernement alors que ces derniers occupent un poids démesuré dans le pouvoir politique et économique du pays. Mais il se trouve que Nasirzadeh est réputé proche de Qalibaf. Le nouveau ministre entend accélérer la modernisation des matériels et armements [28] et poursuivre une politique de ‘dissuasion active’ [29]

De même, le nouveau président a été contraint à d’autres concessions aux conservateurs et durs du régime. Par exemple, comme nous l’avons signalé plus haut, il a reconduit Esmail Khatib, ministre des Renseignements sous la présidence Raïssi au grand dam des réformateurs et modérés. Son profil est éloquent : Khatib fait partie des personnes figurant sur la liste des sanctions américaines. Là encore, c’est un gage donné aux Gardiens de la Révolution, car selon Iran International il entretient des liens étroits avec eux [30]. Il a exercé des fonctions au sein des services de renseignements des Gardiens [31]. Le ministère des Renseignements (MOI) a été vivement critiqué (comme les services de renseignements des Pasdarans) pour avoir été incapable [32] d’empêcher les attentats de Téhéran tout comme l’élimination de Haniyeh. Dans une récente et curieuse déclaration (alors qu’Israël est régulièrement mis en cause [33]), il a affirmé en faisant référence à des rapports des Gardiens de la Révolution qu’il n’y avait pas d’implication de services étrangers dans l’assassinat du leader palestinien [34]. C’est une façon maladroite de tenter de faire oublier l’infiltration de l’appareil sécuritaire par des agents au service d’Israël. Pour notre part, rappelons qu’une très âpre rivalité oppose le ministère des Renseignements aux services de renseignements des Gardiens. En proposant de reconduire le ministre de la Justice Amin-Hossein Rahimi [35], le chef de l’Etat satisfait encore les conservateurs. D’après Iran International il est proche de Gholam-Hossein Ejei, chef du pouvoir judiciaire, et de la faction Paydari. L’Iran étant régulièrement accusé dans diverses instances internationales de graves atteintes aux droits de l’Homme, Rahimi s’est distingué en accusant les Etats-Unis de violations des droits de l’Homme par les sanctions infligées à un certain nombre de pays, dont l’Iran. Il a proposé la création d’un ‘club’ de pays sanctionnés [36]. En février 2024 une de ses initiatives avait retenu l’attention. Lors de la récente 4ème Conférence sur la Révolution islamique et les Droits des Citoyens, consacrée à la lutte contre la corruption économique et administrative (énorme défi dans un pays miné par la corruption), il avait annoncé que l’Iran est en train d’adopter une stratégie contre la corruption et que Téhéran avait adressé à l’ONU un rapport sur la corruption en Iran [37]. Il avait rappelé que la République Islamique a adhéré à la Convention des Nations unies contre la corruption. Cette communication inattendue connaîtra-t-elle une suite avec les réflexions que l’exécutif vient de lancer sur la question très délicate de la mise en conformité de l’Iran aux exigences du GAFI ? On peut penser que les priorités de Khatib seront de continuer la surveillance des opposants, de poursuivre la chasse aux agents du Mossad infiltrés dans le MOI, cultiver sa différence avec les Gardiens, tout en prétendant améliorer la coordination entre services [38].

Un autre sélectionné a suscité l’inquiétude des supporteurs du camp présidentiel [39] pour le portefeuille de l’éducation [40] Alireza Kazemi [41], qui fut vice-ministre de l’Education sous Rohani puis ministre de l’Education ad interim pendant la présidence Raïssi, à présent responsable adjoint du centre de contrôle des drogues. C’est une personnalité contestée [42] qui est retenue. En effet, selon Iran International il a milité pour l’application de la législation sur le voile obligatoire. De plus, les mêmes sources relèvent que son frère Mohammad Kazemi est commandant adjoint des Gardiens et, surtout, chef des services de renseignements des Pasdarans. Enfin, il a laissé le souvenir d’un idéologue dans ses fonctions de vice-ministre de l’Education [43]. Il était en fonctions lors de l’étrange épidémie d’empoisonnements de jeunes filles dans des écoles, un épisode d’une extrême gravité où, malgré une communication intense sur les enquêtes diligentées, l’impression prévaut que tout n’a pas été fait pour démasquer les vrais coupables [44]. Son programme (inexistant) se borne à assurer la prochaine rentrée scolaire, le paiement des enseignants et quelques généralités. Un article de propagande publié par l’agence (officielle) IRNA l’assortit de commentaires élogieux (totalement irréalistes et visiblement ‘dictés’) sur sa nomination de représentants (contrôlés) des enseignants (alors que la communauté éducative est très mécontente de son bilan calamiteux) [45].

Une autre personnalité proche des conservateurs retient l’attention. Nous avons signalé plus haut la nomination d’Abbas Aliabadi comme ministre de l’Energie, qui était ministre de l’Industrie, des Mines, du Commerce dans le cabinet Raïssi. Il a dirigé de 2009 à 2023 le très important conglomérat industriel Mapna qui occupe une place-clé dans le secteur de l’énergie électrique (célèbre pour ses turbines). Aliabadi a été mis en cause dans la crise grave que subit le secteur de l’électricité en Iran (pannes incessantes, défaillances du réseau, pénuries…) dont il serait responsable [46] du fait de son management défaillant du groupe Mapna [47] qui a aussi souffert d’une longue période de sous-investissement. Certaines causes des défaillances du réseau électrique sont embarrassantes pour le pouvoir : en particulier les milliers de ‘fermes’ bitcoins [48] opérées pour des transactions extérieures illicites (en dépit de la réglementation qui les encadre et les fermetures d’office par les autorités) au profit des Gardiens de la Révolution et les corrompus du régime. Un autre sujet aussi explosif que la pénurie d’électricité est le problème de l’eau qui rentre également dans les attributions du ministre de l’Energie (tout en concernant également au premier chef le ministre de l’Agriculture, secteur durement frappé par la raréfaction de l’eau et son gaspillage). La situation catastrophique qui prévaut depuis plusieurs années, voire décades, n’est pas la conséquence des seules sécheresses mais de la gestion calamiteuse de cette ressource, aggravée considérablement par la corruption, les intérêts des Gardiens de la Révolution dans la construction abusive de barrages, etc [49]. Un cas particulier retient l’attention : le partage conflictuel des eaux avec l’Afghanistan, un des chapitres de la gestion des nouvelles relations de l’Iran avec le pouvoir taliban. On ignore si et comment Aliabadi a l’intention de s’attaquer concrètement à la maîtrise du défi de l’eau sur lequel il n’a pas été très disert. Osera-t-il braver les intérêts des Gardiens de la Révolution dont il est proche ?

Les modérés, réformateurs, pragmatiques

Dans cette catégorie nous plaçons les personnalités qui reflètent le plus les orientations politiques du président, les plus en phase avec son programme. En premier lieu, Abbas Araghchi nouveau ministre des Affaires étrangères. Son profil et son expérience sont éloquents et il a déjà montré que son habileté bien connue est intacte quand il a présenté son programme au Parlement puis dans les déclarations qui ont suivi l’approbation de sa nomination par les députés [50]. L’ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Rohani, bras droit de Javad Zarif, et principal négociateur de l’Accord nucléaire du 14 juillet 2015, est considéré à juste titre comme un grand professionnel. Pour les Occidentaux, cette nomination est une bonne nouvelle car ils retrouveront un interlocuteur qu’ils connaissent bien et qui les connaît bien. La diplomatie de l’Union européenne ne s’y est pas trompée : Enrique Mora, adjoint de Josep Borrell, a rencontré le futur ministre des Affaires étrangères lors de l’intronisation de Pezeshkian, dans un entretien cordial. Araghchi n’était pas tombé en disgrâce à l’issue de la présidence Rohani puisqu’il est devenu secrétaire d’un think tank du pouvoir qui a une certaine influence : le Conseil Stratégique des Relations Extérieures qui est placé auprès du Guide qui en nomme tous les membres. Ce Conseil est dirigé par Kamal Kharrazi, conseiller de ce dernier, ancien ministre des Affaires étrangères, qui multiplie les prises de position et donne de la visibilité à cette structure qui bénéficie d’une certaine audience. En comparaison, l’important think tank du Conseil du Discernement, dirigé par Ebrahim Asghazadeh, réformateur, ne fait plus guère parler de lui.

Abbas Araghchi n’a pas tardé à imprimer sa marque et afficher ses intentions. En recrutant Majid Takht Ravanchi comme son conseiller politique [51], il envoie un signal fort. Il remplace Ali Bagheri qui deviendrait conseiller du ministère. Le nouveau venu est un expert de premier plan qui a été ambassadeur iranien aux Nations unies de 2019 à 2022 [52], mais il est surtout important pour avoir été auprès de Zarif un des deux adjoints chargés des négociations du JCPOA avec son collègue Abbas Araghchi vice-ministre comme lui. Avec ce ‘trio’ qui était l’interlocuteur des Occidentaux en 2015, un dispositif [53] est en train de se mettre en place sous nos yeux. Même si Zarif n’est plus ministre mais a regagné l’équipe présidentielle. Pezeshkian se donne les moyens de concrétiser sa volonté de relancer des négociations avec les Occidentaux, qu’il juge indispensables pour alléger les sanctions, condition nécessaire pour soulager l’économie et… la population. Or le Guide, lors de son discours de réception du nouveau gouvernement, le 27 août, a de façon habile mais suffisamment explicite, ouvert la porte à d’éventuelles négociations nucléaires avec les Occidentaux. Il commence par de fortes mises en garde : « ne mettez pas vos espoirs dans l’ennemi… n’attendez pas que nos ennemis ou ceux qui nous manifestent de l’hostilité approuvent nos plans ». Puis il avance : « Cela ne signifie pas que nous ne puissions pas interagir avec ce même ennemi dans certaines situations. Il n’y a pas de mal à cela, mais ne placez pas vos espoirs dans l’ennemi, et ne faites pas confiance à l’ennemi ». Pour introduire cette sorte d’exception à une position de principe, Khamenei use d’une métaphore, typique, qui sert à montrer qu’il conserve un pragmatisme pour préserver l’essentiel : il énonce que lorsque l’on se trouve face à des obstacles infranchissables, il ne faut pas capituler sans avoir tout essayé mais, une fois épuisées les tentatives, une ‘retraite tactique ‘ est envisageable (sans renoncer aux objectifs). Ceci rappelle le célèbre ‘poison amer du calice’ bu lors de la capitulation iranienne dans le conflit dévastateur avec l’Irak ou ‘l’héroïque flexibilité’ quand il se résolut à accepter des négociations avec les Occidentaux. Sans surprise, l’aile dure des Gardiens de la Révolution, influente au Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, s’est employée à minimiser cette ouverture : la priorité n’est pas de « négocier avec l’ennemi » [54]. Fort de ce ‘feu vert’, Araghchi a clarifié sa position sur ces négociations. Il avait initialement déclaré que le JCPOA est ‘mort’ mais a précisé ensuite que c’est la forme initiale de ce texte qui n’est plus pertinente (beaucoup de changements sont intervenus depuis sa signature) [55] ; il faut donc partir de celui-ci mais y apporter des amendements [56]. Cette position est intéressante ; mais est-elle viable avec une administration américaine Kamala Harris ou Donald Trump ? En effet il semblait que jusqu’à présent les Etats-Unis ne semblaient intéressés que par une approche modeste, limitée à des ‘petites mesures ‘ (less for less), des ‘baby steps’ destinées à diminuer les tensions en échange de quelques concessions, ce qui pouvait procurer à l’Iran des levées très partielles de fonds gelés en échange de comportements ‘raisonnables’. La libération de citoyens américains encore détenus après l’élargissement de 5 de leurs compatriotes en septembre 2023 est un sujet de négociations. Une autre alternative un temps favorisée par les Occidentaux, était de parvenir à un « accord global » comprenant le dossier nucléaire et les enjeux régionaux. Une hypothèse abandonnée.

La vraie priorité est de relancer une négociation avec l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) dont le directeur général, Rafael Grossi, inquiet de la poursuite sans frein du programme nucléaire iranien alors que l’Agence ne peut pas remplir sa mission (monitoring et inspections) [57] en totalité depuis que Téhéran a réduit la conformité à ses obligations à un niveau infra minimal. ’ L’arrangement technique’ qu’il avait conclu le 4 mars 2023 est interrompu et R. Grossi a hâte de négocier son rétablissement, une base de discussions. Elles s’annoncent rudes. En effet, Mohammad Eslami, chef de l’Organisation de l’Energie Atomique Iranienne a répliqué au rapport de l’AIEA discuté ce mois d’août que l’Iran avait légitimement réduit son niveau de coopération au minimum prévu par le TNP du fait que les autres parties au JCPOA ne remplissaient pas leurs obligations. Il a ajouté qu’une visite du directeur général de l’AIEA pourrait intervenir mais une fois établi une programmation de ces discussions [58]. Ce dernier a reçu un accord de principe de Pezeshkian pour la reprise de ce dialogue [59].

Mohsen Paknejad, le nouveau ministre du Pétrole est un familier du secteur dont la compétence est indispensable pour en gérer les lourds défis [60]. Son profil est éloquent : il a déjà été vice-ministre dans ce ministère et a exercé d’importantes responsabilités dans plusieurs sociétés majeures [61]. Il place en tête de ses priorités l’augmentation de la production de pétrole [62] qu’il voudrait accroitre de 400.000 barils/jour vers la fin de l’année iranienne s’achevant le 21 mars 2026. Les revenus tirés du pétrole demeurent d’une importance critique malgré les efforts de diversification. Ces revenus sont tributaires des exportations, et singulièrement vers la Chine, principal client. Les perspectives de ralentissement de la demande chinoise font peser une menace sur les recettes iraniennes [63]. Or ces recettes sont anormalement minorées par les ristournes considérables que Pékin extorque à l’Iran [64], obligé d’importer des produits chinois dans de mauvaises conditions, une pratique pénalisante qui mécontente Téhéran. Mohsen Paknevad critique implicitement ces dérives acceptées par la présidence Raïssi et voudrait y mettre un terme pour que l’Iran bénéficie d’une ‘juste rémunération’. Javad Owji, le prédécesseur du nouveau ministre, avait démenti l’existence de rabais démesurés, prétendant même que ceux qui sont consentis sont inférieurs à ceux qui avaient été concédés sous la présidence Rohani [65]. Pezeshkian avait déclaré qu’il voulait mettre un terme à ces ristournes abusives et que par ailleurs ce dossier complique les relations entre l’Iran et la Chine dont l’accord de coopération bilatérale, selon lui, ne fonctionne pas. Il se plaint de ce que Pékin n’investisse pas en Iran, la Chine avançant qu’elle ne peut le faire à cause des sanctions et que l’Iran doit se mettre en règle avec le Gafi [66] (cette privation aigue de revenus est une forte incitation pour que Téhéran s’engage sur cette voie).

Il veut également mettre un terme au déséquilibre entre l’offre et la demande de gaz [67]. En effet la consommation de gaz en Iran n’est guère maîtrisée et la demande croissante n’est pas complètement satisfaite malgré le développement des réseaux. Cette tension atteint un niveau critique. De même il va s’attaquer à la pénurie d’essence, liée tant à des problèmes d’insuffisante production que de consommation débridée. A cet égard il a déclaré ne pas vouloir utiliser les prix comme variable d’ajustement [68]. On sait que le prix (très bas de l’essence lié à ses subventions) est un fardeau que l’Iran traîne depuis plusieurs décades.

Le nouveau ministre veut imprimer sa marque rapidement dans les structures qui dépendent de lui. Il a créé un groupe de travail consultatif [69] pour identifier les priorités à traiter en matière d’allocation en capital, management et ressources humaines en liaison avec le personnel. Ceci a un parfum de futures réorganisations. De fait un premier train de nominations à des postes-clés a été lancé dans les principaux groupes pétroliers et gaziers qui dépendent du ministère [70].

Abdolnaser Hemmati [71], choisi pour être ministre de l’Economie et des finances, est un choix rationnel. En effet, il fut gouverneur de la Banque Centrale d’Iran. Son affiliation politique en fait un appui sûr : réformateur, il est membre de la faction Kargozaran-e Sazandegi (Parti des Cadres de la Construction). Pour mémoire il fut candidat (malheureux) aux présidentielles de 2021. Il n’a pas manqué de critiquer la politique du gouvernement Raïssi. Pendant la campagne électorale [72], il a insisté sur la nécessité de combattre l’inflation, ce qui suppose de parvenir à un accord avec les Etats-Unis et les Européens pour résoudre prioritairement le problème des sanctions. Il plaide aussi en faveur d’une plus grande ouverture du marché (monopolisé par le secteur public et para-public). Devant le Parlement il a énoncé ses priorités : maîtriser l’inflation et la masse monétaire, les déséquilibres bancaires (le secteur bancaire iranien miné par une mauvaise gestion, les prêts irrécouvrables, la corruption et la gouvernance défaillante est dans l’attente d’une urgente reprise en mains à laquelle s’opposent de puissants intérêts - notamment les Gardiens de la Révolution). De même le secteur de l’assurance exige une réforme d’ampleur tout comme le marché boursier. Une gestion rigoureuse du Trésor public, une supervision des politiques macroéconomiques, une assistance technique économique, une (meilleure) gestion des entreprises publiques, la création d’un environnement favorable aux investisseurs étrangers figurent parmi les grands chapitres de son programme [73]. Le niveau préoccupant des revenus tirés du pétrole a justifié une des premières mesures d’urgence du gouvernement Pezeshkian : le Guide a exceptionnellement autorisé l’exécutif à prélever une part des recettes normalement attribuées au Fonds National de Développement qui n’en percevra que 20% au lieu de 40%. En effet les finances publiques ne parviennent pas à régler les dettes dues aux agriculteurs et conducteurs [74].

La figure de Sattar Hashemi retient également l’attention en raison de son portefeuille politiquement sensible. Il figurait dans la liste des sélectionnés par le comité de filtrage animé par Zarif. Technocrate sans affiliation politique, il a été l’adjoint de Mohammad-Javad Azari-Jahromi, qui fut ministre des Communications et des Technologies de l’information sous Rohani, dont il reprend maintenant le maroquin. Il aura la charge du très délicat dossier de la censure d’internet [75], un sujet auquel Pezeshkian a accordé de l’importance pendant sa campagne électorale [76]. Beaucoup d’interrogations subsistent quant aux marges de manœuvre du nouvel exécutif à cet égard.

En choisissant Ahmad Meydari comme ministre des Coopératives, du Travail et de la protection sociale [77], le chef de l’état promeut un des principaux conseillers économiques de sa campagne électorale, qui a plaidé à ses côtés pour un accès gratuit à l’éducation et la santé. Cet économiste, progressiste, est un ancien député réformateur. Il aura la tâche redoutable de traiter les problèmes sociaux liés notamment au chômage. Les organismes en charge de la couverture sociale sont dans un piètre état [78]. Au cours de la campagne le sujet explosif des retraites a été évoqué assez marginalement mais il s’agit d’un défi majeur au vu de l’évolution économique et démographique. La situation du système de santé s’est profondément dégradée en raison des sanctions, l’accès aux médicaments est devenu critique. Nul doute que le gouvernement est attendu sur ces questions. Il devra travailler avec le ministre de l’Economie sur le dossier non moins explosif des subventions et allocations [79]. L’augmentation constante de la fraction de la population sous le seuil de pauvreté est un signal d’alarme [80]. Le contexte économique tendu complique le traitement de ces enjeux.

La nomination de Mohammad Atabak comme ministre de l’Industrie, des Mines et du Commerce est un signal (à confirmer) en direction du secteur privé. En effet, formé aux Etats-Unis, il a été vice-président de la Chambre de Commerce de Téhéran. Mais il faut tempérer cette image car, comme le rappelle Iran International, Atabak a exercé au sein de la toute-puissante Fondation Moztazafan (supposée s’occuper de déshérités), sanctionnée par Washington [81]. Le futur ministre a lui-même été sanctionné par les Etats-Unis au titre de ses fonctions à la tête du holding Kaveh Pars [82]. Ce portefeuille n’est pas une fonction mineure puisqu’il joue un rôle important dans la politique iranienne de diversification de l’économie hors-pétrole. Il faudra suivre de près l’activité du futur ministre. Si son action en faveur de la diversification sera certainement concrète car celle-ci est une priorité économique indépendamment de la tonalité politique du pouvoir, en revanche, Atabak va-t-il agir pour développer le secteur privé que les Gardiens de la Révolution maintiennent à un niveau marginal pour préserver leur énorme domination sur l’économie, notamment via le Conglomérat Khatam ol Anbia (outil industriel des Pasdarans) ? C’est une demande récurrente de la Chambre de Commerce de Téhéran comme de celle d’Iran qui l’a réitérée auprès du candidat-président pendant la campagne. C’est également le souhait des milieux du Bazar qui se plaignent des pressions déloyales des Gardiens malgré sa place utile dans l’économie iranienne. Le nouveau ministre a indiqué que sa priorité sera le renforcement de la production nationale [83]. Réagissant à cette déclaration, le secteur automobile a indiqué que bien d’autres éléments de l’actuelle politique devraient être revus pour lui permettre de retrouver un essor [84]. Si l’industrie iranienne a fait preuve d’une relative résilience, elle est confrontée à de redoutables défis, comme l’a montré Esfandyar Batmanghelidj dans une excellente analyse [85], l’impérieuse nécessité de procéder à d’importants investissements pour ne pas sombrer dans le déclin suppose de trouver les financements nécessaires, tâche complexe dans le contexte des sanctions. Atabak a insisté en présentant sa candidature sur la nécessité de développer les exportations hors pétrole et de constituer pour ce faire des ‘blocs de production’ orientés vers cet objectif. Il a souligné l’importance de conclure dans cette perspective des accords avec les pays voisins, notamment en ayant recours aux ‘unions’ (allusion aux organisations et accords régionaux comme l’Union eurasiatique). De même il entend tirer parti des entités comme les BRICS et le Groupe de Shanghaï [86].

La personnalité du nouveau ministre de l’Agriculture, Gholamreza Nouri-Ghezeljeh, a de quoi satisfaire les soutiens réformateurs de l’exécutif. Ce député est un membre du parti des Acteurs de la Construction (Kargozaran) et a fondé avec Pezeshkian, comme le rappelle Iran International, la Faction des Indépendants au Majlis. Il a une expérience de ses nouvelles fonctions, car il a exercé celles de vice-ministre dans un précédent gouvernement. C’est donc un bon connaisseur des dossiers d’un secteur majeur de l’économie qui doit affronter de lourds défis. Si les perspectives de l’agriculture iranienne s’améliorent pour certaines productions (dont le blé) [87], d’autres souffrent [88] des conséquences dramatiques de la pénurie chronique d’eau (dossier principalement de la responsabilité du ministre de l’Energie) qui concerne au premier chef le secteur agricole dont il nourrit le vif mécontentement [89]. Le grand objectif d’autosuffisance agricole et alimentaire est régulièrement affirmé [90] comme devant être prochainement atteint mais se heurte à des obstacles qui ne sont pas uniquement liés aux caprices du climat et l’érosion des sols (critique dans plusieurs régions). La corruption perturbe gravement certains marchés comme celui du thé où de très puissants intérêts bénéficiant de hautes protections portent préjudice aux productions nationales [91]. Le nouveau ministre aura-t-il les moyens de s’attaquer à ces dérives ? L’agriculture est pourtant un des secteurs clés de la diversification de l’économie iranienne. Des productions comme les pistaches, le safran et le thé en sont les contributeurs. En revanche, l’élevage souffre de longue date des sécheresses, comme de l’insuffisance qualitative des cheptels ; la modernisation du secteur, notamment au niveau des techniques de production, de conservation, comme de l’organisation logistique (une masse importante de denrées est perdue en cours de transport) et des marchés, est ralentie par les sanctions. Autant dire que Gholamreza Nouri-Ghezelieh a devant lui de gros chantiers.

Abbas Salehi, nouveau ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, a déjà exercé ces mêmes fonctions sous la présidence Rohani. Ceci lui confère un côté rassurant. Selon Iran International, bien que clerc et proche des séminaires religieux, il ne porte pas l’habit religieux. Il est considéré comme proche de l’entourage politique de Rohani. Il a publié abondamment dans divers supports [92]. La question qui se pose est de savoir s’il voudra et osera freiner ou diminuer la censure qui étouffe aussi bien la presse que la création artistique. Rien n’indique que les durs du régime le laisseront avancer dans cette direction. Au surplus, il n’a pas montré dans ses fonctions précédentes une volonté de donner plus de liberté d’expression [93]. Abbas Salehi a déclaré qu’il faut promouvoir un « accord national » [94] à deux dimensions : d’une part entre factions politiques (en écho à la ligne présidentielle de consensus avec les durs du régime) et d’autre part entre le régime et la population. Cette seconde dimensions est intéressante : c’est l’aveu du divorce entre la société et le régime. Il s’agit de restaurer la confiance. Ceci devrait en principe passer par une meilleure prise en compte des aspirations des femmes, un frein à la répression brutale menée par la police de la « moralité ». La question qui se pose est évidemment de savoir si le ministre, et plus largement le président et son gouvernement, auront la possibilité d’agir en ce sens. C’est loin d’être certain au vu du rapport de forces institutionnelles et politiques.

Le profil de Reza Salehi-Amiri [95], nouveau ministre de l’Héritage culturel, du Tourisme et de l’Artisanat est assez consensuel. Parmi diverses fonctions, il a été ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, ministre des Sports ad interim sous le premier mandat du président Rohani. Il a été conseiller en charge du domaine social et culturel d’Ali Najafi, maire réformateur de Téhéran pendant un laps de temps assez bref en 2017. Il est, selon Iran International, considéré comme conservateur modéré proche de Rohani. Il avait vivement critiqué le gouvernement de Raïssi pour son incapacité à combattre la pauvreté [96]. Mais ce portrait rassurant doit être corrigé au vu d’autres responsabilités plus préoccupantes qu’il a occupées dans un autre domaine. En effet, avant d’être nommé ministre des Sports ad interim (après que le Parlement lui ait refusé la confiance) par Rohani, il a été révélé qu’il avait occupé des fonctions répressives au ministère des Renseignements [97]. Les méfaits accomplis par le MOI contre des dissidents jettent une lumière nettement moins rassurante sur cette personnalité. Par ailleurs, quand il était ministre de la Culture, il n’hésita pas à censurer des films considérés comme « incorrects » [98]. Il avait néanmoins plaidé, quand il présidait le NOC, pour une plus grande présence de femmes dans un sport comme le golf [99]. Lors de son audition au Majlis, il a présenté un programme en « 10 stratégies et 50 plans ». Il déclare : « notre première priorité est de développer le tourisme intérieur », avec un focus sur le tourisme religieux. En outre il entend promouvoir une ‘diplomatie économique et culturelle » [100]. Le tourisme est en effet une importante source potentielle de revenus pour l’économie iranienne. Le ‘business du pèlerinage’ est actif. On pourrait mentionner aussi le ‘tourisme médical’ (de nombreux ressortissants de pays voisins viennent se faire soigner en Iran) sans oublier le juteux secteur des cliniques esthétiques qui attirent beaucoup d’étrangers. A côté de cela, le riche patrimoine culturel est un moyen d’attirer des visiteurs. L’essor du secteur touristique exigera de plus amples investissements et une meilleure organisation parmi divers chantiers [101] qui attendent le nouveau ministre.

Hossein Simaei-Sarraf, dont on ne connaît aucune affiliation politique, est le nouveau ministre de la Science, de la Recherche et de la Technologie. Entre 2019 et 2021 il a été secrétaire de cabinet sous la présidence Rohani. Universitaire, il a exercé comme professeur associé en droit. On peut donc le considérer comme un ‘expert’ au sein de ce gouvernement. Il faut rappeler que ses responsabilités ne sont pas mineures. En effet, l’Iran est à juste titre réputé pour la qualité de sa recherche scientifique reconnue dans la communauté internationale. Des chercheurs iraniens sont régulièrement distingués. Malheureusement de nombreux jeunes diplômés prometteurs sont de plus en plus séduits par de meilleures conditions de travail à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis. Régulièrement, les présidents des grandes universités venaient repérer les éléments les plus prometteurs pour leur offrir des possibilités bien financées de poursuivre leurs travaux. Il existe une véritable fuite des cerveaux [102] qui pénalise l’avenir de la recherche en Iran. Le contexte politique et économique actuel motive largement l’aspiration au départ de ces chercheurs qui considèrent leur avenir bouché [103]. Sans nul doute ce problème devra figurer dans les priorités du nouveau ministre. Les pouvoirs publics ont déjà pris quelques initiatives [104] pour faire face à ce défi, mais beaucoup reste à faire pour l’endiguer.

Mohammad-Reza Zafarghandi est le ministre de la Santé du nouveau gouvernement. Il reçoit ce portefeuille en pleine période de mécontentement des infirmières qui ont manifesté dans tout le pays pour protester contre leur sort et les promesses non tenues à leur égard. La seule réponse des autorités a été jusqu’ici une répression de plus en plus violente [105]. Ancien président du Conseil Médical, il dirige l’Association de la communauté médicale. Iran International rappelle qu’il avait vigoureusement dénoncé la politique de vaccination du gouvernement précédent. On se souvient de la gestion de la crise du COVID où le pouvoir avait privilégié des sources non occidentales, chinoises en particulier, et laissé des acteurs non professionnels de la santé comme les pasdarans occuper une place exagérée avant de recourir aux vaccins occidentaux. M. Zafarghandi s’était opposé à la tentative de donner un statut officiel une « Médecine islamique » que s’employaient à vouloir instaurer un certain nombre de religieux. Le système médical iranien est d’un niveau très honorable, et compte des spécialistes et chercheurs de haut niveau. Les hôpitaux iraniens sont réputés dans la région. Malheureusement, ce système est profondément dégradé du fait d’un cumul de facteurs : des financements gravement insuffisants, une gestion calamiteuse et compliquée par une bureaucratie, inefficace et une corruption endémique. Sans oublier une mauvaise organisation de la concurrence secteur privé/secteur public. Naturellement, les sanctions, les aléas politiques, les luttes d’influence contribuent à cette situation [106]. Le nouveau ministre devra tirer les leçons du Plan iranien de Transformation de la Santé, qui a déjà fait l’objet d’appréciations contrastées [107].

Une attention beaucoup plus importante aurait dû être accordée à la nomination hautement symbolique (évoquée plus haut) de la seule femme ministre de ce cabinet. Le fait qu’il ne compte pas d’autres femmes est une des raisons de la grande déception des réformateurs et modérés. Farzaneh Sadegh-Mavaljerd [108], ministre des Transports et du Développement urbain, est une personnalité dont la compétence indiscutable la qualifie parfaitement pour ce portefeuille. Selon Iran International, elle travaille depuis près de 30 ans dans ce ministère et elle a déjà le statut de vice-ministre en charge de l’architecture et de la planification urbaine. C’est un très lourd chantier dont elle hérite puisque l’on connaît l’écrasant déséquilibre entre les grandes métropoles où réside 70% de la population et le reste du pays. Le cas de Téhéran, ville démesurée, polluée, dont le développement anarchique associé à une gestion chaotique et corrompue associée à un risque sismique élevé, est un dossier écrasant. Il est régulièrement question de déplacer la capitale. Il ne faut pas oublier que les Gardiens de la Révolution ont de très importants intérêts dans le secteur du BTP, des travaux publics. Les conglomérats pasdarans comme Khatam Ol Anbia obtiennent par influence quantités de contrats, notamment pour la construction de routes et autoroutes. L’influence des Gardiens au sein du ministère est prégnante. L’un d’eux, Rostam Qasemi, a détenu ce portefeuille dans le passé [109]. La nouvelle ministre ne pourra donc guère contrarier ces intérêts qui nourrissent une vaste corruption. La ville de Téhéran (fief pasdaran connu pour sa corruption, dont Qalibaf a été maire dans le passé) a consenti des marchés qui ont provoqué des scandales restés largement impunis.

Les vice-présidents, conseillers, responsables de structures-clés : compléter le dosage

Le cabinet du chef de l’état sert non seulement à doter celui-ci, comme dans n’importe quel exécutif, de collaborateurs compétents, mais aussi à compléter le savant dosage politique, voire à afficher une coloration qui aurait valu à un ministre d’être récusé par le Majlis. En Iran, certains vice-présidents peuvent avoir la responsabilité de lourds dossiers. De plus, certaines fonctions sont assorties du statut de vice-président [110] comme d’autres sont vice-ministres, afin de leur conférer une autorité tant administrative que politique. Nous allons ci-après passer en revue ces personnalités qui nous donnent, comme les ministres, des indications sur les priorités et orientations politiques de Pezeshkian.

Nous avions déjà indiqué que Mohammad Reza Aref, ancien leader des réformateurs, avait été nommé le 28 juillet premier vice-président, un choix évidemment politique dont la pertinence a été critiquée au sein même des supporteurs de Pezeshkian. Le retour de Zarif à une vice-présidence d’un type inédit est éminemment significatif. Sa responsabilité ‘stratégique’ couvre un spectre aussi large qu’indéterminé. Ce faisant, le chef de l’état veut (au-delà du geste politique) maximiser son aide à la décision, dans la mesure où l’ancien ministre, comme le nom de son poste l’indique, devra travailler à l’élaboration de la stratégie du pays, en utilisant le Center for Strategic Studies, think tank de la présidence de la République, qu’il présidera [111]. A cet égard, on comprend que l’exécutif veut lutter « à armes égales » avec les autres pouvoirs qui bénéficient de leurs propres outils de réflexion. En sus, le ministère des Affaires étrangères dispose de son propre think tank : l’IPIS. Il sera intéressant de voir si un consensus sera maintenu entre Zarif et Kamal Kharrazi, influent conseiller du Guide, qui dirige le Conseil Stratégique des Relations étrangères de l’Iran. Rappelons qu’Abbas Araghchi est secrétaire de ce Conseil.

Mohammad Jafar Qaem-Panah, que nous avons mentionné plus haut, a le titre de vice-président pour les affaires exécutives. Ses responsabilités n’étant pas définies par un texte, elles sont fixées dans la délégation qui lui est consentie par le président. Il est également chef de son bureau. Optométriste, il aurait été proche de Pezeshkian à l’université de Tabriz. Rappelons que ce dernier a été ministre de la santé sous la présidence Khatami (2001-2005).

Le chef de l’Etat a reconduit dans ses fonctions Mohammad Eslami, chef de l’Organisation atomique de l’Iran (OAI) sous la présidence Raïssi [112]. Sa carrière s’est principalement déroulée dans le secteur militaire et l’aviation [113]. Pour mémoire, il a été visé par les sanctions américaines en raison de sa contribution au programme nucléaire militaire iranien. Paradoxalement, il a été aussi ministre des Transports et du Développement urbain sous la présidence Rohani. Ce qui lui confère une certaine compatibilité [114]. Eslami maîtrise le complexe dossier nucléaire et les délicates négociations avec l’AIEA ; il est donc difficile de le déplacer de son poste à l’OAI.

Hamid Pour Mohammadi a été nommé le 4 août chef du MPO (Management and Planning Organization) [115]. Cet homme expérimenté apporte à la présidence une expertise indispensable à la conduite de la politique économique du pays. A la tête de cette structure, il contribuera à la planification économique ainsi qu’au contrôle budgétaire. Cet économiste a déjà exercé d’importantes fonctions au sein du MPO, mais aussi gouverneur adjoint de la Banque Centrale, vice-ministre en charge des dossiers bancaires au ministère de l’économie. Il devra veiller à la poursuite des objectifs du Plan quinquennal et du document Vision à 20 ans de l’Iran [116]. Néanmoins, son parcours politique n’a pas été exempt de nuages et de paradoxes. En 2021 il a été démis par Rohani de ses fonctions à la Banque Centrale pour s’être présenté aux élections présidentielles [117]. Plus encore, il a fait une partie de sa carrière sous la présidence Ahmadinejad [118] (ce qui lui vaut d’être considéré proche des conservateurs) et surtout il a été impliqué dans une affaire de fraude de grande ampleur [119] en 2011, qui lui valut d’être incarcéré avant d’être mis hors de cause et relâché [120].

Un autre expert de l’économie occupe une place de premier plan dans le dispositif présidentiel. Le même jour que Pourmohammadi, le chef de l’Etat nomme Ali Tayyebnia conseiller économique principal. Il a joué un rôle primordial pendant la campagne électorale dans l’élaboration du projet économique de Pezeshkian. Il était fortement question que cet homme d’expérience [121] fort respecté soit désigné premier vice-président. Mais, selon Iran International, l’intéressé aurait décliné cette proposition en juillet pour des « raisons personnelles » (peut-être liées à la nomination d’Aref à ce poste) [122]. Il est considéré comme proche des réformateurs. Brillant économiste [123], il a été ministre de l’Economie sous la présidence Rohani et il est crédité d’avoir inspiré la politique économique qui a permis pendant cette période une chute très significative de l’inflation, un des grands succès de ce mandat. Il est réputé comme favorable à l’expansion du secteur privé, à la limitation des interventions de l’Etat, et aux privatisations [124]. Un dossier aussi important que sensible devra être traité par l’exécutif iranien : finaliser un engagement de respecter les obligations prescrites par le GAFI (alias FATF, le ‘gendarme de la communauté bancaire internationale’). C’est un engagement de campagne de Pezeshkian que celui-ci a formellement défendu face à Jalili qui en fut un adversaire acharné [125]. Cet engagement est de la plus haute importance si Téhéran veut pouvoir un jour de nouveau accéder aux circuits bancaires dans l’hypothèse d’une levée partielle des sanctions. Or souscrire aux exigences du GAFI rencontre de fortes oppositions (au-delà des ultras) chez tous ceux (ils sont nombreux) qui refusent toute transparence et se livrent à des transactions obscures. Les Gardiens de la Révolution en font partie, comme les multiples corrompus du régime. Aussi, il n’est pas étonnant de constater que des structures qui sont supposées défendre le secteur privé élèvent paradoxalement des objections contre cette démarche [126]. C’est dire si le président et son conseiller sont dans une position délicate sur ce sujet s’ils ne veulent pas défier frontalement ces adversaires. Le Guide n’a jusqu’ici pas voulu peser pour l’application de cette nécessaire réforme. Peut-on voir un (petit) signe d’aller de l’avant dans la récente réunion tenue au ministère de l’Economie [127] où la question du GAFI a été abordée ? Le fait qu’elle soit révélée est un indice mais n’en tirons pas de conclusions.

Il n’a pas échappé à certains observateurs que pour ce qui est de la politique économique, la composition du ministère et des membres du cabinet présidentiel pose une difficulté de coordination et d’harmonisation des vues et orientations [128]. Si ce point n’est pas corrigé, il y a un risque de cacophonie et de confusion.

Parmi les nominations symboliques, Abdulkarim Hosseinzadeh, nommé vice-président chargé du développement rural et des zones déshéritées, est emblématique. En effet, ce représentant kurde et sunnite au Conseil islamique est considéré comme le premier sunnite à accéder à des fonctions au sommet de l’exécutif. Pezeshkian lui a confié la tâche d’améliorer les conditions de vie des villageois et le niveau des indicateurs de développement rural. Ce choix a visiblement pour but de répondre aux critiques reprochant au nouveau président de ne pas avoir accordé de postes aux sunnites, aux représentants de minorités régionales, etc. Il faut savoir que le mécontentement est grand dans ces régions sous-développées, négligées (électoralement conservatrices) où une répression aveugle a souvent répondu aux demandes légitimes de meilleure prise en compte économique, politique, culturelle. Dans ces régions, ce mécontentement réprimé offre un terrain favorable à des actions de groupes islamistes, ou violents. Les traitements inégalitaires des sunnites éternels suspects nourrissent une défiance face à l’état. En dépit des attaches kurdes du président qui est sensible à ces questions, Hosseinzadeh n’aura guère de pouvoirs ni de moyens pour apporter des correctifs à cette situation si ce n’est d’être une force de propositions.

Sharam Dabiri, médecin, très engagé dans le domaine du sport (football, futsal…), a été désigné vice-président chargé des affaires parlementaires [129]. Comme le président, il a de fortes attaches avec le secteur de la santé en raison de ses responsabilités de spécialiste de médecine nucléaire à la tête de l’Université des sciences médicales de Tabriz. De cette ville, il a été pendant 5 ans président du Conseil Municipal. La mission qui lui est confiée en termes vagues est un suivi des politiques publiques, notamment au regard du Plan Vision [130] avec une bonne coordination avec le Parlement [131]. L’impression qui prévaut est qu’il s’agit d’un clin d’œil à la région dont Pezeshkian est originaire. Certaines sources signalent que son nom a été évoqué dans des affaires de corruption [132].

Le choix de Zarah Behrouz Azar comme vice-présidente chargée des femmes et des affaires familiales [133] est, dans le contexte actuel, une nomination politiquement très sensible. Parmi diverses responsabilités, elle suivait le dossier des femmes à la municipalité de Téhéran. Elle est connue pour être une critique acerbe des pratiques de la ‘police de moralité’ et avait déclaré en juin 2024 que cette unité ne répondait pas à ses objectifs et nécessite une sérieuse révision [134]. Pezeshkian a promis pendant sa campagne électorale de la réformer [135] mais ne s’est pas engagé à la supprimer. On peut penser que l’appareil répressif s’y opposera résolument. Parmi ses premières annonces, Z. Behrouz Azar a indiqué qu’elle s’emploiera à légiférer pour une adhésion à l’OrganisatIon du Développement des Femmes au sein de l’Organisation de Coopération islamique ; de façon plus concrète et engageante, elle a annoncé que prochainement le nombre de femmes dans l’administration allait augmenter. Visiblement, le chef de l’Etat et ses conseillers veulent corriger la mauvaise impression créée par la faible présence féminine au sein de l’exécutif : elle-même, Farzaneh Sadegh (ministre) et Shina Ansari, qui dirige le Département de l’Environnement [136]. Cette annonce a été rapidement suivie d’effet puisque le 28 août, Fatemeh Mohajerani est nommée porte-parole du gouvernement. C’est la première fois qu’une femme occupe cette fonction (très visible) en Iran. Diplômée de l’Université d’Edimbourg, elle a dirigé le département des stages de l’Université (pour femmes) Shariati.

Shina Ansari a été nommée à la tête du Département pour la Protection de l’Environnement, structure placée sous l’autorité du président. A ce titre elle est également vice-présidente en charge de l’environnement [137]. Elle aura la lourde responsabilité de traiter l’écrasant dossier de l’environne- ment qui connaît une crise environnementale majeure dont les causes naturelles et humaines se combinent avec un effet multiplicateur alarmant. Une situation parfaitement connue depuis plusieurs années, à laquelle les pouvoirs publics n’ont pas apporté de réponses suffisantes. Elle a déclaré que les problèmes de pollution aquatique et de l’air, dégradation des sols, insuffisance des ressources en eau, doivent être traités de façon coordonnée, ce qui exige une prise de conscience. Elle a énuméré un certain nombre d’actions et orientations à prendre d’urgence par son administration mais aussi par les autres structures concernées [138].

Auprès de lui, le chef de l’Etat a nommé dès le 28 juillet Mohsen Haji-Mirzaei, ancien ministre de l’Education (2019-2021) sous la présidence Rohani comme chef de cabinet [139]. Sa mission est définie en termes généraux par le décret présidentiel, ce qui pourrait donner l’impression qu’il exercera seulement les fonctions classiques de chef de cabinet, avec des activités de coordination. Or son profil justifie qu’on ne le considère pas pour autant comme un personnage mineur chargé de veiller au bon fonctionnement du cabinet. C’est en effet une personnalité importante qui est ainsi placée auprès du chef de l’état. A son actif, l’ancien ministre a travaillé à la réforme de l’enseignement (un gros dossier). La nomination d’un homme expérimenté qui a démontré sa capacité à mettre en œuvre des chantiers lourds donne du crédit à la volonté de Pezeshkian de procéder à d’importantes réformes. Son appui sera certainement précieux pour le management de ces opérations complexes. En plus, le 19 août, le nouveau président le désigne comme son représentant personnel et président du bureau de contrôle des voyages des fonctionnaires à l’étranger [140]. Il s’agit sans doute de mettre un terme à certains abus mais aussi d’exercer une surveillance politique sur les déplacements de certains responsables susceptibles de prendre des initiatives contraires aux orientations du chef de l’Etat. Il n’a pas que des amis dans l’administration et les arcanes du pouvoir.

Le 24 août, le chef de l’Etat renforce son équipe rapprochée en s’adjoignant un expert de premier plan de la Russie : Il nomme Mehdi Sanaei conseiller politique principal [141] au sein du Bureau de la présidence. Il cumule deux compétences [142] complémentaires qui font de lui un contributeur de premier plan à la gestion de la politique iranienne vis-à-vis de la Russie. D’une part son expérience diplomatique importante a fait de lui un interlocuteur crédible auprès des décideurs russes : très actif ambassadeur d’Iran à Moscou (où il avait été conseiller culturel de 1999 à 2003) de 2016 à 2019, il a été conseiller senior au ministère des Affaires étrangères de 2019 à 2022. En second lieu, il a une activité académique considérable comme chercheur, responsable de publications, implication dans d’importantes institutions, ce qui lui confère un statut d’expert incontournable. Cette nomination est lourde de signification. Déjà la fonction annoncée : conseiller politique principal suggère que son rôle est très important. Ceci se perçoit aussi dans le texte de décret de nomination qui prévoit que l’intéressé coordonnera les apports de plusieurs entités pour exercer sa mission de conseiller. Ce descriptif suggère également que le spectre de ses compétences et interventions dépasse le seul domaine des relations bilatérales. Il reste malgré tout que son profil d’expert très pointu et d’interlocuteur expérimenté des Russes en fait un quasi stratège de la posture iranienne à l’égard de la Russie.

Ceci nous amène à relever un autre enjeu de cette nomination. En se dotant d’un ‘incontournable’ et surtout interlocuteur reconnu à Moscou, Pezeshkian entend redonner à la présidence de la République le statut d’acteur de la politique extérieure iranienne. Ceci est à mettre en relation avec la nomination de Zarif et son statut de responsable des affaires stratégiques à la présidence de la République. Il faut se souvenir d’une part que Khamenei l’avait recadré de façon humiliante en lui signifiant que la politique extérieure était définie par le Guide Suprême, construite par le Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, et que le ministre des Affaires étrangères n’était qu’un exécutant. Et il faut d’autre part ne pas oublier que les Gardiens de la Révolution (Le patron de la Force al Qods, le général Soleimani avait ouvertement contourné le ministre des Affaires étrangères pour négocier avec Moscou) entendent avoir la haute main sur ces relations et n’hésitent pas à prendre des initiatives et orientations qui sont en opposition avec les options de la diplomatie iranienne (fourni- tures et assistance militaire, etc…). On a vu au cours de la période récente à quel point la livraison de matériel militaire iranien et la coopération avec la Russie en matière de défense présentent des conséquences qui peuvent être dommageables, qu’il s’agisse de sanctions contre l’Iran, de sa mise en cause comme complice actif des opérations russes en Ukraine avec leur cortège de victimes civiles. Pezeshkian veut signifier que le chef de l’état, élu du peuple qui lui a confié un mandat, a son mot à dire. Parviendra-t-il à s’imposer et dans quelle mesure, nous l’ignorons. On a, certes, vu que Pezeshkian et Araghchi (le nouveau ministre) ont plaidé pour l’unité (= la cohérence) de la diplomatie et du ‘terrain’ (= les activités militaires). Mais pour y parvenir, il faut rééquilibrer les rapports entre ces deux pôles rivaux et pour ce faire, muscler le ‘dispositif’ présidentiel. Voilà qui est fait. Un message est également ainsi adressé à Moscou : n’ignorez pas la présidence de la République qui s’est dotée des compétences et interlocuteurs reconnus.

Cette importante nomination intervient à un moment critique pour les relations entre Moscou et Téhéran. En effet, le partenariat stratégique bilatéral [143], présenté comme institutionnalisant une relation privilégiée [144], vient, selon de récents échos, de parvenir au terme d’une très laborieuse mise au point. Des désaccords ont longtemps subsisté, et il semble qu’ils auraient été surmontés. Pezeshkian a déclaré en juillet dernier avoir informé Vladimir Poutine que l’Iran souhaite signer ce document en octobre 2024 dans le cadre du sommet des BRICS [145]. Des détails ‘protocolaires’ (on ne sait ce qu’ils recouvrent) restent néanmoins à régler [146]. Il a précisé avoir confirmé à son interlocuteur qu’il a l’intention d’appliquer les accords qui ont été conclus avec la Russie sous la présidence Raïssi. Un message de continuité dirigé tant vers l’extérieur que vers le pouvoir iranien. Ceci confirme l’importance que l’Iran accorde à une relation privilégiée avec Moscou (comme avec Pékin), orientation confirmée par le chef de l’état qui pour autant adhère plutôt à une ligne ‘ni Est ni Ouest’ en fonction des intérêts du pays.

Majid Ansari occupera un poste politiquement sensible comme vice-président pour les Affaires légales. Son profil [147] permet de comprendre un peu mieux son rôle et son attitude prévisible. En effet, au moment où un président modéré plutôt réformateur débute son mandat, ce recrutement est symptomatique des choix opportunistes ne correspondant pas nécessairement aux préférences de dirigeants modérés. Pezeshkian, comme avant lui Rohani [148], été obligé (pour des raisons de rapports de force) de s’entourer de personnages qui ne sont particulièrement de grands défenseurs des libertés publiques, eux-mêmes contraints de cohabiter dans un même cabinet avec des promoteurs de la société civile. Ce clerc n’est pas un inconnu. Il est proche de la famille Khomeini. Il a déjà exercé ces mêmes fonctions de 2016 à 2017 pendant le premier mandat Rohani ; il était vice-président pour les Affaires parlementaires en 2004 et 2005 sous la présidence Khatami et de 2013 à 2016 sous la présidence Rohani. Membre du Conseil du Discernement, il fut aussi membre de l’Assemblée des Experts. En clair, c’est un homme qui connaît bien les rouages et arcanes du pouvoir. Son affiliation politico-religieuse est un peu trompeuse. Il est catalogué réformateur du fait de ses fonctions auprès de Khatami et Rohani. Il siège au comité central de l’Association des Religieux Combattants [149] (une des grandes factions au sein de l’institution religieuse) classée réformatrice (par opposition à son homologue et concurrente conservatrice l’Association du Clergé Combattant). Or il est réputé avoir soutenu des juges comme Sadegh Khalkhali surnommé le juge des pendaisons en séries (serial hanger). Cet élément permet de nuancer l’appréciation que l’on peut porter sur lui.

Pour mémoire, d’autres positions moins en vue (mais pas nécessairement négligeables) ont été pourvues autour du président. Hossein Afshin est désigné vice-président où il suivra notamment les programmes de recherche scientifique, notamment les domaines des technologies de l’information [150]. L’Iran se distingue par la qualité de son tissu scientifique avec une reconnaissance internationale dans plusieurs disciplines. L’accent des pouvoirs publics sur les « knowledge and value added investments » est de plus en plus mis en avant comme une priorité. Le nouveau vice-président (inconnu du public) a un parcours scientifique incontestable dans la gestion des projets au sein de plusieurs institutions. C’est donc un expert qui est chargé de traiter ces dossiers pour le président.

Plus obscur est le rôle de Saeed Ohadi, nommé vice-président pour les Affaires de dévotion et les Martyrs. Sous ce vocable ésotérique, Ohadi dirige la Fondation des Martyrs [151] connue pour l’appui qu’elle apporte au Hezbollah. De ce fait il incarne aussi une des formes de proximité que les Gardiens de la Révolution entretiennent avec la présidence. Il a servi aussi bien sous la présidence Rohani que celle de Raïssi. Auprès du premier, il a exercé les mêmes fonctions ainsi que la direction de l’organisation des pèlerinages, et auprès du second il a été vice-ministre du Tourisme. Il y a en effet une étroite parenté entre l’activité touristique et celle des pèlerinages. Parmi ses expériences, le suivi du désastre intervenu en 2015 où de nombreux pèlerins iraniens trouvèrent la mort dans un mouvement de panique lors d’un pèlerinage à La Mecque, un sinistre dont la gestion par les autorités saoudiennes avait créé une tension avec le royaume. Ces pèlerinages sont non seulement religieusement mais politiquement importants car ils servent de baromètre et de fusible dans les relations bilatérales. Dans la période actuelle où Téhéran s’emploie à améliorer ses rapports avec Riyad, la bonne-volonté ou la raideur saoudienne dans la façon dont les pèlerins iraniens sont autorisés puis traités est un indicateur pertinent. Les dirigeants iraniens accordent une grande importance au bon déroulement de ces déplacements.

L’élection d’un nouveau président est l’occasion de nouvelles nominations dans différentes structures de l’état. Un très important rouage du pouvoir aurait dû être affecté. Le Conseil Suprême de la Sécurité nationale, qui a un rôle essentiel dans la politique extérieure iranienne dont il définit les axes et modalités conformément aux orientations données par le Guide et son Bureau, devrait normalement changer de secrétaire, personnage-clé de cet organe. L’actuel secrétaire, Ali Akbar Ahmadian, officier conservateur sans grand relief, avait succédé à Ali Khamenei, véritable stratège de cette politique de sécurité. Or, le très informé Amwaj.media révèle [152] que le Guide se serait opposé au remplacement d’Ahmadian dont il aurait demandé le maintien en fonction pour quelque temps. C’est un peu surprenant, d’autant que l’on avait observé que Khamenei avait redonné un signe de grande confiance à Shamkhani (désormais un de ses conseillers) pour superviser le dossier nucléaire, signe du peu de considération qu’il accorde à l’actuel secrétaire. Ce blocage inédit pourrait être causé par le refus du Guide d’agréer les candidats proposés : Hossein Alaei, ancien commandant pasdaran considéré comme réformateur qui avait été également refusé comme ministre de l’intérieur, ou à défaut Saeid Iravani, ambassadeur d’Iran aux Nations unies, ou le très répressif et conservateur Mostafa Pourmohammadi (ancien ministre de la Justice sous Rohani et ancien ministre de l’Intérieur sous Ahmadinejad) [153]. C’est une énième illustration de la volonté de Khamenei de montrer qu’il est décideur dans ce qu’il considère comme essentiel. Le maintien d’Ahmadian est-il durable ? C’est loin d’être certain. Entretemps, le Guide a nommé Ali Bagheri-Kani (ancien négociateur nucléaire, qui avait exercé l’intérim du ministère des Affaires étrangères après le décès de Raissi et du ministre Abdollahian dans un accident d’hélicoptère) comme membre du Conseil Stratégique des Relations étrangères présidé par Kamal Kharrazi. Il fera partie de ces conseillers chargés d’assister Khamenei.

L’exécutif entend ne pas perdre la bataille de la communication, partie intégrante de la stratégie présidentielle. Aussi n’a-t-il pas tardé à renforcer son dispositif : Elias Hazrati, qui dirige le Conseil de l’information gouvernementale, a recruté Mohammed Golzari comme secrétaire de cet organe, avec pour mission le management, la coordination de la communication gouvernementale au niveau national comme au niveau local, en mettant en œuvre tous les outils et concours nécessaires. Il doit établir des stratégies et planifier ces activités pour renforcer l’efficacité de l’exécutif. En bref, professionnaliser cette communication [154].

III. En guise de non conclusion : messages face à de lourds défis

La formation de ce gouvernement et sa composition reflètent plusieurs messages. Certains sont explicites, d’autres sont sous-jacents. Le nouveau président revendique officiellement que le cabinet n’a pu être formé que par ‘consensus’, ou plus précisément, que par accord avec les Gardiens de la Révolution. Il résulte au premier chef d’une négociation avec Qalibaf. Ceci acte un rapport de forces, à savoir la place dominante des Gardiens de la Révolution dans l’échiquier politique et économique iranien. Elle est le fruit d’une évolution au fil des ans, qui a vu l’effondrement du camp modéré/ réformateur, mais aussi (un élément capital qui a largement échappé aux observateurs), celui du clergé. Face à cela émerge une faction concurrente au sein du bloc conservateur : le groupe ultra Paydari sous le leadership de Jalili. Il est clair qu’un des facteurs déterminants du ‘consensus’ recherché par Pezeshkian et le Guide est de limiter l’influence de Paydari que ce dernier considère comme profondément nuisible aux intérêts du pays. Un autre ‘message’ explicite de la formation du gouvernement et de sa composition est la place centrale d’Ali Khameneï dans la sélection et l’approbation des candidats-ministres. C’est spectaculairement évident pour plusieurs d’entre eux : notamment Araghchi dont beaucoup pensaient qu’il se heurterait à une opposition résolue. Bien plus, le vote d’approbation de tous les ministres en séance plénière (malgré des éliminations en commission) est sans précédent. Sans nul doute, le Guide a imposé cette validation de toute son autorité à un parlement dont on pouvait supposer qu’il ne ferait guère de cadeau à un président modéré. Il faut y voir la réaffirmation de son pouvoir par Khameneï : il fait comprendre qu’il n’y a qu’un seul décideur incontesté dans l’appareil du pouvoir (même si la population le rejette largement comme ‘tyran’). C’est significatif à une période où la classe politique et religieuse est en pleine spéculation sur sa… succession dont les cartes (mystérieuses) sont rebattues depuis le décès accidentel de Raïssi. Le rôle assumé du Guide dans ce processus a fait grincer des dents, chez des réformateurs humiliés qui y voient comme Zarif (à juste titre) un déni de démocratie, mais aussi chez les ‘durs’ du régime, contrariés de voir révéler des ‘manœuvres’ politiques que la stature du Guide Suprême devrait interdire… Martelée, la revendication ‘d’unité nationale’ est politiquement importante. De la part du chef de l’Etat, elle est destinée à éteindre les tentations de contestation de la légitimité de son gouvernement. Du côté des Gardiens, du Guide, des services sécuritaires, l’enjeu est à la fois de conforter leur emprise, mais en même temps de tenter de réparer le divorce entre la population et le régime qui finit par inquiéter malgré l’efficacité de l’appareil répressif. Un régime quel qu’il soit ne peut se payer indéfiniment le luxe d’un divorce aussi marqué d’avec son peuple. Il est peu probable que ce divorce puisse être comblé, notamment car les pouvoirs du président et de son gouvernement sont limités et que les conservateurs et le Guide ne le laisseront pas faire ce qu’il veut. Il ne s’en est pas caché. D’ailleurs l’ancien président Khatami l’a reconnu lucidement en déclarant : n’attendez pas de miracles [155] !

A l’égard de l’extérieur, la constitution de ce gouvernement est également porteuse de messages. Le premier est que le régime est résilient en dépit des très lourdes conséquences des sanctions, des pressions (maximales), des alliances contre nature, des risques d’affrontement avec Israël. De même, les perspectives de ‘révolution’ souhaitées par certains en Occident, malgré l’expression de plus en plus vive d’un profond mécontentement, les manifestations, la contestation qui traverse tous les camps, apparaissent démenties à court terme par la présentation d’un exécutif qui a bâti un compromis qui n’éliminera pas la répression. Bien entendu, l’exercice du pouvoir qui testera sa capacité à remplir certaines promesses, et surtout améliorer le sort de la population, déterminera la survie de cette combinaison. Assurément, il est clair qu’un des objectifs prioritaires du nouveau gouvernement, et qui impacte l’ensemble de sa politique, est de desserrer l’étau des sanctions. C’est vital. Le nouveau président a déclaré que si l’Iran restait soumis à des pressions, que les sanctions ne pouvaient être levées (ou allégées ?), l’Iran pourrait changer sa politique de paix, de bon-voisinage, de diminution des tensions [156] ; il n’a pas précisé sous quelle forme pourraient intervenir ces changements. Au moins aussi importante est la diminution des tensions régionales et la poursuite de l’amélioration des relations avec l’Arabie saoudite, un enjeu stratégique [157]. Il est clair, comme on l’a vu au travers des déclarations du nouveau ministre des Affaires étrangères, que l’Iran (avec le feu vert de Khamenei) va poursuivre une double voie : continuer de contourner (« neutraliser ») les sanctions, et négocier avec Washington. La nature et la portée d’un accord nucléaire sont encore à préciser : faut-il partir du JCPOA en l’amendant ou en écrire un autre ? Faut-il envisager un accord « global » (complet, voire avec d’autres chapitres) ou relancer une diplomatie de ‘petits pas’ (baby steps). Araghchi a, comme nous l’avons rapporté, engagé quelques pistes de réflexions qui devront être précisées. Outre les profonds changements intervenus dans la scène internationale depuis le JCPOA, le niveau d’avancement du programme nucléaire iranien rend peu concevable un « retour à la case départ » et du côté américain il n’est pas certain qu’un retour au JCPOA soit souhaité [158]. En plus certaines dates (calendrier des sunset clauses) de l’accord souffrent d’obsolescence.

Nous n’avons guère d’indications depuis la formation du gouvernement sur les intentions de ce dernier quant au niveau de flexibilité de celui-ci dans les négociations avec l’Agence internationale pour l’Energie atomique (AIEA). Nous avons signalé que son directeur général, Rafael Grossi, souhaite urgemment reprendre les discussions autour de l’arrangement technique du 4 mars 2023 qui avait permis à l’AIEA d’exercer un peu plus ses missions de contrôle et de reporting. Les tensions actuelles rendent la reprise de ce dialogue encore plus urgente pour traiter les lourds défis que pose l’attitude iranienne [159].
Le dossier nucléaire est un des plus brûlants dont a hérité le nouveau président. Nous en avons décrit les contours dans une récente analyse à laquelle nous renvoyons [160]. En affirmant l’importance de relations privilégiées avec Moscou et Pékin, le nouvel exécutif se donne surtout les moyens de profiter d’un contrepoids qui ne signifie pas pour autant (il ne faut pas être dupe) que Téhéran est prisonnier d’une orientation ‘go East’ dont les limites sont perceptibles. La notion de contrepoids est encore plus évidente dans la volonté de s’arrimer à des blocs collectifs (BRICS, Groupe de Shanghaï, Union eurasiatique) et de profiter de l’énorme mouvement de connectivité ferroviaire, maritime, etc en cours de déploiement via les divers corridors (Nord-Sud, Est-Ouest, Irak…). Dans le même esprit les démarches (qui paraissent contre nature) de relations coopératives avec les Talibans honnis, comme avec le Pakistan, instable, mais incontournable, témoignent d’un impératif de diminution de la réelle dangerosité de ces deux voisins imprévisibles. En même temps le nouveau ministre des Affaires étrangères n’a pas tardé à rappeler au Venezuela les liens privilégiés entre les deux pays et l’intérêt que Téhéran porte à l’Amérique latine [161]. Il reste que le nouvel exécutif, tirant les leçons du passé, entend se doter d’une ligne unique (ou du moins unifiée), et affirme par là qu’il n’y aura plus deux politiques : celle du gouvernement fondé sur la diplomatie, et celle des Gardiens qui ne se refusent aucune initiative sur le terrain, quitte à contredire l’exécutif dans les faits. Ce message de ‘coordination’ entre diplomatie et ‘terrain ‘ est aussi bien à usage interne qu’en direction des interlocuteurs étrangers. Il conviendra de suivre de près comment cette nouvelle cohérence se traduit dans les faits.

Cette diplomatie est vulnérable. Deux dangereuses inconnues pèsent sur elle : le sort des élections américaines est incertain. Si Trump gagne, l’appui de Washington à Netanyahu (s’il est toujours en poste) sera renforcé, avec un risque sérieux de déflagration régionale. Le Premier ministre israélien rêve de « régler le problème palestinien » en ruinant toute émergence d’un Etat indépendant et en anéantissant tout ce qui peut contribuer à sa survie. Il espère aussi écraser le Hezbollah à la première occasion venue, et aussi d’infliger un coup qu’il espère décisif à l’Iran par des frappes (pour l’exemple) sur quelques cibles nucléaires, mais surtout sur des infrastructures critiques (raffineries…) pour mettre le pays (et son régime) à genoux. Nul ne sait si ce scénario d’engrenage se concrétisera mais un certain nombre d’ingrédients sont réunis. Parmi ses effets pervers, ce scénario est susceptible de pousser les ‘durs’ parmi les Gardiens de la Révolution, face à un risque élevé d’échec de la dissuasion conventionnelle iranienne (à la lumière des échanges de frappes d’avril 2024), de convaincre le Guide de décider la constitution d’un arsenal nucléaire [162]. Jusqu’ici ce dernier a résisté à cette tentation, jugeant (bien conseillé à cet égard) que les conséquences négatives dévastatrices seraient supérieures à de théoriques avantages. Cette hypothèque d’une « action décisive » israélienne contraint donc encore l’Iran a une prudence stratégique dont on constate les effets sur le terrain. Ce que nous appelons la doctrine ‘Shamkhani’ (du nom de l’ancien secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale), à savoir la stratégie de riposte graduée, calibrée, est probablement celle qui anime le sommet de l’Etat. Abbas Araghchi l’a répété : la riposte à l’élimination d’Haniyeh sera « précise et mesurée » ; il a ajouté : « Nous ne tomberons pas dans les pièges potentiels et cette vengeance prendra place au moment adéquat et de la façon adéquate et il n’y a aucun doute là-dessus » [163]. Mais en cas de frappes israéliennes, une nouvelle évaluation sera opérée, la riposte sera menée en fonction de l’ampleur des dégâts et des types de cibles touchés (nucléaires et/ou infrastructures critiques).

Si Kamala Harris remporte les élections, on peut s’attendre à une certaine continuité de la politique de Biden. Contrairement à ce que certains espèrent, et que d’autres redoutent, elle ne prendra pas de distance par rapport à Israël qu’elle s’engage à défendre. On devine qu’elle interviendra plus vivement en faveur des Palestiniens, mais à partir du moment où elle n’est pas disposée à couper dans l’assistance militaire et financière de l’Etat hébreu, elle n’a pas les moyens d’imposer d’inflexions majeures à Netanyahu. Et si celui-ci est écarté de la scène politique, la Maison Blanche aura affaire à des interlocuteurs qui estiment qu’il faut contrôler de force les Palestiniens et contrer efficacement la « menace » iranienne, quitte à la dissuader par des frappes ‘préventives’. L’Europe, malgré quelques échanges aimables avec J. Borrell, est considérée comme ‘acteur marginal’ qui serait bien inspiré de se distancier un peu de Washington et de cesser de faire de la surenchère par rapport à l’Amérique. Auquel cas une coopération multiforme pourrait prendre place. Les E3 (France, Allemagne, Grande-Bretagne) sous leadership français sont particulièrement visés. Le président français anime ce trio alors que les relations bilatérales sont exécrables, entachées par la détention en Iran de 3 citoyens français. Dans un texte programmatique [164], le chef de l’Etat iranien a énoncé sa volonté de replacer l’Iran dans une perspective ni Est ni Ouest ; dans une récente déclaration il a réaffirmé que la politique extérieure de l’Iran est basée sur la réduction des tensions et le développement des (bonnes) relations avec l’étranger mais il a averti que si les sanctions sont maintenues, Téhéran pourrait changer d’attitude [165]. Une façon de montrer que la levée (ou l’allègement ?) des sanctions est une priorité absolue pour le pouvoir. Nous ignorons quelles politiques et actions alternatives seraient alors lancées par le président de la République dans ce qui serait une stratégie de la tension.

Il appartiendra à l’exécutif soumis aux directives du Guide, de ‘mettre en musique’ (dans les faits) cette politique équilibrée. Il reste qu’en Iran, des voix (parfois inattendues) [166], s’élèvent pour inviter le nouvel exécutif à envisager un dégel diplomatique avec l’Amérique, signe que la tension actuelle est perçue comme intolérable. Les messages iraniens d’ouverture sont pour l’heure accueillis avec réserve et méfiance à Washington où on redoute un embrasement régional si Téhéran et Netanyahu se lancent dans une surenchère de frappes.

Publié le 11/09/2024


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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