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En novembre 2013, l’archéologue Jacques Mercier a révélé le résultat de ses dernières recherches lors d’une conférence à l’université d’Oxford intitulée « Ethiopia and the Mediterranean World in Late Antiquity : The Garima Gospels in Context » (1).
Dans le cadre d’un projet européen commandité par l’Eglise éthiopienne et par le gouvernement éthiopien lancé en 2006 et achevé en 2013, Jacques Mercier a fait dater au carbone 14 deux évangéliaires illustrés appelés “ Garima Gospels”. Ces derniers ont été nommés d’après le lieu du monastère où ils ont été découverts, à Garima, dans la région du Tigray, au nord de l’Ethiopie.
Selon les résultats obtenus, il s’avère que l’un de ces manuscrits (Garima 1), celui qui est le plus illustré, serait daté d’une période entre 390 et 570. Les illustrations et les textes du second manuscrit (Garima 2) sont également de cette période, plus précisément entre 530 et 630 (2), ce qui tend à prouver que les textes et les dessins ont été faits ensemble. Si l’hypothèse se vérifie, l’école de peinture d’Aksoum aurait inspiré les illustrations qui se sont répandues dans le monde chrétien au Moyen-Orient et créé un style qui s’est diffusé depuis l’Ethiopie vers l’Egypte ou la Syrie.
Pour Jacques Mercier, cette découverte est d’importance car les manuscrits illustrés chrétiens de cette époque sont rares. De plus, il semble être en mesure de prouver que l’un d’eux a été réalisé en Ethiopie, ce qui implique l’existence d’une école de peinture à Aksoum à cette époque. Cela tendrait également à donner du crédit à la légende selon laquelle le moine Abba Garima, qui fonda le monastère qui porte son nom à Médéra, aurait copié et illustré les deux tétra évangiles rédigés en guèze, la langue liturgique de l’Eglise éthiopienne orthodoxe. Le manuscrit Garima 1 contient un cycle complet de dix images décorées comparables à celles des Evangiles de Rabula tandis que les illustations de Garima 2 ont des affinités avec les peintures coptes et pourraient fournir la seule preuve d’un manuel coopte de décoration. Ces volumes contiennent les portraits des évangélistes, leur couverture de métal sont anciennes ; l’une d’entre elles peut être contemporaine du manuscrit et figure parmi les plus anciennes enveloppes connues à ce jour (3).
Dans les années 50, Beatrice Playne, une archéologue anglaise, est passée dans ce monastère d’Abba Garima. Elle relate l’existence de manuscrits qu’elle met en relation avec les évangiles de Rabula (4). Dans les années 60, Jacques Leroy a fait des études à Abba Garima, et a photographié ces manuscrits et publié les photos. Ayant reconnu une très forte parenté avec les manuscrits arméniens, il a identifié ces derniers comme les modèles des manuscrits éthiopiens. Ces manuscrits arméniens étant datés du 9/10ème siècle, il a estimé les écrits éthiopiens comme ayant été produits au 11/12ème siècle. Les résultats obtenus par Mercier remettent en cause cette théorie mais ils ne font pas l’unanimité et la technique du carbone 14 présente des failles telles que des problèmes de contamination, de calibrage, de présence de matériaux fossiles pouvant modifier la datation, etc…
Selon la légende, Abba Garima est un des saints qui a évangélisé l’Ethiopie. Cette légende a été mise par écrit vers le 14/15ème siècle et concerne 9 saints qui auraient instauré le monachisme en Ethiopie et traduit les évangiles. Cependant, aucune preuve de l’existence de ces personnages n’a été, jusqu’ici, apportée. Pour la tradition éthiopienne, Garima est un moine venu de Rome qui a été formé en Egypte à Skethis. Il arrive en Ethiopie à la demande d’un autre moine, Pantaléon. Tous ces moines se retrouvent à Aksoum, ils y prêchent puis ils décident de se disperser. Garima s’installe à 30 km d’Aksoum, dans un site volcanique majestueux et fonde le monastère du même nom.
Le royaume d’Aksoum a existé dans le nord de l’Ethiopie (Etat d’Erythrée et province éthiopienne du Trigay actuels). Ce royaume est antérieur à l’arrivée du christianisme en Ethiopie qui s’est fait pratiquement en même temps que l’officialisation du christianisme par Constantin au début du IVème s. Ce royaume puissant vivait du commerce avec l’Afrique centrale et surtout des droits de douane opérés sur le commerce maritime entre l’océan Indien et la Méditerranée byzantine, par la mer Rouge et sur laquelle Aksoum avait un port à Adoulis.
La légende raconte l’histoire de commerçants syriens qui firent escale à Adoulis où ils furent retenus si longtemps qu’ils devinrent les précepteurs du fils du roi. Grâce à un historien byzantin, Rufinus, on sait que ces deux commerçants s’appelaient Edésius et Frumentius mais la tradition éthiopienne retiendra l’un d’entre eux sous un autre nom : Abba Salama, le père de la Paix. Ayant influencé le jeune roi Ezana vers le christianisme, lorsque celui-ci arrive sur le trône vers 330, il instaure cette religion d’Etat dans son empire. Les éléments numismatiques font état de ce changement.
Avant 330, les pièces de monnaie portent le croissant et le disque, symboles du paganisme ; par après, elles sont ornées d’une croix. A la fin de sa vie, Frumentius, qui avait passé toute sa vie en Ethiopie, souhaite retourner en Syrie. En passant par l’Egypte, il rencontre le patriarche Athanase et lui annonce l’arrivée de l’évangile chez le roi d’Aksoum et le peuple éthiopien. Ce dernier le nomme évêque et le renvoie en Ethiopie pour qu’il puisse diriger la communauté chrétienne. Le fait qu’un membre du clergé égyptien soit nommé chef de l’église éthiopienne perdure jusqu’en 1959, date à laquelle le patriarche copte d’Alexandrie ne nommera plus aucun abuna égyptien pour diriger l’Eglise d’Ethiopie.
Lire la partie 2
Notes :
(1) Le catalogue des conférences n’a pas encore été édité mais voir la présentation de la conférence par Jacques Mercier : http://www.bodleian.ox.ac.uk/__data/assets/pdf_file/0003/121872/garima_conference_oxford.pdf
(2) Voir http://www.ethiopianheritagefund.org/ArtsnewsReport_Garima%20Gospels.pdf
(3) http://www.bodleian.ox.ac.uk/__data/assets/pdf_file/0003/121872/garima_conference_oxford.pdf
(4) Manuscrit des évangiles écrit en syriaque au 6ème siècle. Il a été achevé en 586 au monastère de Saint-Jean-de-Zagba, situé probablement en Syrie, et signé de la main du scribe Rabula. Le texte correspond à la version de la peshitta, la plus ancienne traduction syriaque de l’Ancien et du Nouveau testament. Pour les illustrations, voir : http://sor.cua.edu/Bible/RabbulaMs.html
Florence Somer
Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.
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