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Il y a cent ans, la bataille de Turabah (5/5)

Par Yves Brillet
Publié le 06/06/2019 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Photo de l’armée d’Ibn Saoud prise par Shakespear en 1911 près de Thaj.

In HVF Winstone, Captain Shakespear, p. 176.

Lire la partie 2, la partie 3 et la partie 4

La réunion du Comité interministériel du 24 novembre 1919

La réunion du Comité interministériel se tint le 24 novembre sous la présidence de Curzon en présence de représentants du Foreign Office, de l’India Office, du War Office, de l’Amirauté, du Trésor, de Cornwallis pour l’Arab Bureau et de Philby. Pour référence, les lettres de C. E. Wilson d’août et de novembre 1919, les notes de Garland de juin 1919, la note d’Ibn Thunaiyan, la correspondance entre Hussein et McMahon ainsi que le texte du traité de 1915 entre Ibn Saoud et la Grande-Bretagne furent présentées à la Conférence.

Curzon ouvrit les débats par un résumé rapide de l’évolution de la situation depuis le 17 juin. Il rappela que Philby avait présenté avec force et conviction la position d’Ibn Saoud. Le danger à l’époque d’une offensive des Ikhwan était tel que la Conférence avait décidé de prendre contact avec les deux parties. A l’arrivée de Philby au Caire, Ibn Saoud avait regagné Riad mais ses représentants contrôlaient toujours Khurma et Turabah. A son tour, C. E. Wilson prit la parole pour présenter le cas d’Hussein. Il rappela qu’en juin, la Conférence avait conclu que l’occupation de Turabah par les forces de Riad était contestable, qu’Ibn Saoud devait se retirer de l’oasis et laisser une zone non-occupée entre les deux parties. Pour Hussein, selon l’argumentaire avancé par C. E. Wilson, Khurma se trouvait sans contestation possible sous la juridiction de La Mecque. Il estimait que devant l’urgence de la situation en juin 1919, la Conférence avait fait preuve de précipitation en dénonçant le refus d’Hussein d’accepter la mise place d’une commission d’arbitrage et de démarcation. Selon C. E. Wilson, la Conférence ne devait pas perdre de vue que la politique de la Grande-Bretagne dans la région était organisée autour de la personne d’Hussein et que si Ibn Saoud y jouait un rôle important, sa position restait secondaire. C. E. Wilson souhaitait qu’un message soit envoyé à Hussein pour le rassurer. La Conférence devait donc s’interroger sur la forme que devait prendre ce message. En même temps, il était nécessaire de considérer les réponses à apporter aux questions soulevées par la délégation conduite par Feisal Ibn Abd-el-Aziz et Ahmed Ibn Thunaiyan. Pour conclure, Wilson insistait sur le fait que si Ibn Saoud restait en possession de Khurma et Turabah, Hussein finirait par abdiquer.

Le gouvernement britannique se trouvait ainsi devant deux alternatives : faire une fois de plus pression sur Ibn Saoud et le menacer de réduire le montant de sa subvention ou organiser un blocus depuis le golfe Persique en prenant le risque de susciter une réaction violente de la part des Ikhwan. Le Président pris la parole pour souligner que dans tous les scenarii évoqués par Wilson, l’issue finale était une avancée plus ou moins rapide des Ikhwan au Hedjaz et que tout cela allait à l’encontre de l’objectif déclaré de la Grande-Bretagne d’assurer la paix en Arabie. Philby à son tour intervint pour souligner que si le gouvernement britannique reconnaissait l’appartenance de Khurma et Turabah à l’Etat chérifien, cela conduirait à la prise de La Mecque par les Ikhwan. Ibn Rashid et al-Idrisi, contrairement à l’opinion émise par C. E. Wilson, ne rejoindraient pas Hussein dans une alliance contre Ibn Saoud.

Interrogé par Curzon, Philby estima qu’Ibn Saoud ne bougerait tant que Londres ne se déciderait pas à passer à l’action mais qu’il désirait toujours recevoir une réponse à sa demande de constitution d’une commission de démarcation. C. E. Wilson fit remarquer qu’Hussein n’était pas opposé au principe d’un arbitrage mais qu’il ne pouvait accepter un arbitrage sur la question de Khurma. Curzon déclara ne pas comprendre l’attitude du Chérif. En effet, si les droits de ce dernier étaient incontestables, il ne voyait pas pourquoi il ne fournissait pas de preuves. Curzon admettait l’objection faite par Hussein à la constitution d’une commission de démarcation, ce qui selon lui était indispensable était de procéder à une délimitation et non à une démarcation. Curzon demanda s’il était possible d’organiser une rencontre entre Hussein et Ibn Saoud au Caire, à Djeddah ou à Aden. Pour Curzon, le premier objectif à atteindre était de les inciter à s’entendre. En cas d’échec, il estimait nécessaire de les convaincre de présenter leurs cas devant un représentant britannique de haut rang qui serait impartial sans obligatoirement être un expert. Philby fit remarquer qu’Ibn Saoud n’aurait probablement pas d’objection à rencontrer Hussein à Djeddah et C. E. Wilson ajouta qu’il serait opportun qu’Abdallah représente Hussein lors de cette négociation. Philby ajouta que si Ibn Saoud se déplaçait pour plaider sa cause, il s’attendrait à ce qu’Hussein le rencontre en personne.

Curzon conclut qu’il était souhaitable d’organiser une rencontre le plus rapidement possible. Il demanda que C. E. Wilson, une fois de retour à Djeddah, informe Hussein que la question de Khurma et de Turabah avait fait l’objet d’un examen attentif de la part des autorités britanniques et que le Foreign Office désirait qu’une négociation s’engage entre les deux protagonistes. Curzon ajouta qu’Hussein devait être informé qu’après examen de son cas présenté par C. E. Wilson, le gouvernement avait apprécié positivement la validité de ses arguments et que Londres peinait à comprendre pourquoi il déclinait de les faire valoir devant un arbitre impartial désigné par le gouvernement. Hussein devait comprendre qu’il ne s’agissait pas pour le moment de procéder à une démarcation officielle mais que Londres estimait nécessaire qu’il accepte de rencontrer Ibn Saoud ou qu’il nomme un représentant mandaté pour négocier un accord sur les points intéressant les deux parties. Une telle négociation n’impliquait pas que la question de Khurma fasse l’objet d’un arbitrage. La présence d’un arbitre n’était pas nécessaire même si le recours à un représentant du gouvernement était souhaitable au cas où les deux parties ne parviendraient pas à un accord. Hussein devait comprendre que si Londres envoyait un nouvel ultimatum à Ibn Saoud, les Ikhwan attaqueraient le Hedjaz et occuperaient La Mecque. L’envoi de troupes britanniques sur place n’était pas envisageable et Hussein ne pouvait donc pas compter sur le soutien militaire de la Grande-Bretagne. L’intégrité du Hedjaz constituait un point important pour le gouvernement britannique mais il était vain d’imaginer que le Chérif était en situation de contrôler la situation par la force des armes. D’autre part, Curzon ajoutait qu’Ibn Saoud avait demandé au gouvernement de reconnaitre ses prétentions sur Khurma et Turabah mais que Londres avait refusé d’en discuter tant que Riad n’aurait pas fait de réels efforts pour parvenir à un règlement avec Hussein sans l’intervention de la Grande-Bretagne. Il annonçait qu’Ibn Saoud était disposé à se rendre à Djeddah pour y rencontrer Hussein mais que Londres ne l’y inciterait pas avant d’avoir obtenu l’assurance qu’en cas d’échec des négociations, les deux parties accepteraient de s’en remettre à la décision d’un arbitre impartial. Pour ce qui concernait Khurma, le gouvernement considérait toujours qu’Hussein était en droit d’y rétablir l’ordre mais qu’en raison de ses moyens limités en matière militaire, il lui suggérait fortement de s’en tenir à la procédure évoquée. Au sujet de la délégation du Nedjd, Curzon se déclarait prêt à la recevoir avant son départ et à l’informer de la teneur du message et des propositions que C. E. Wilson était chargé de transmettre à Hussein (1).

Le 26 novembre, la délégation du Nedjd fut reçue par Curzon qui l’informa que les informations portées à la connaissance du gouvernement l’amenaient à considérer Hussein comme le souverain légitime non seulement de Turabah mais aussi de Khurma. Curzon leur fit savoir que la meilleure manière de régler le différend entre les deux parties était d’organiser une rencontre permettant à Ibn Saoud et Hussein de trouver une solution au conflit. Dans un deuxième temps, en cas de blocage, la Grande-Bretagne proposerait un arbitre impartial dont la décision ne serait pas mise en cause ni contestée par les parties en présence. En troisième lieu seulement, il serait possible de procéder à l’établissement d’une commission de démarcation. Curzon ajouta que l’ensemble de ces points avait été soumis à Hussein. Ibn Thunaiyan répondit qu’il ne doutait pas de l’assentiment d’Ibn Saoud mais qu’il n’était pas mandaté pour donner un accord engageant Riad. Curzon l’informa également que Londres n’était pas favorable à une redéfinition du traité de 1915, que la subvention versée au Nedjd n’était pas susceptible d’être augmentée et que la nomination de Philby comme Agent politique accrédité auprès d’Ibn Saoud et chargé des négociations concernant la fixation de la frontière avec le Hedjaz n’était pas d’actualité (2).

Conclusion générale

L’épisode de Turabah montre que Londres continue de rechercher les conditions d’un règlement négocié entre Hussein et Ibn Saoud, afin d’empêcher une aggravation des tensions entre le Nedjd et le Hedjaz pouvant conduire à un état de guerre entre les chérifiens et les wahhabites.

Cette stratégie de préservation du statu quo s’inscrit dans le cadre global de la négociation entre les puissances alliées réunies à Paris pour la Conférence de la Paix. Londres s’efforce d’y obtenir la reconnaissance de la position spéciale de la Grande-Bretagne dans la Péninsule arabique. Le gouvernement britannique se propose de coopérer avec les autres puissances en renonçant à toute extension territoriale en Arabie. Les Alliés reconnaissent de leur côté la primauté de la Grande-Bretagne dans ses rapports avec les chefs indépendants de la Péninsule (3).

Le projet de traité avec la France concernant le règlement des questions propres à la Péninsule arabique stipule ainsi dans son article 3 la reconnaissance des intérêts politiques particuliers de la Grande-Bretagne en raison de la proximité de la région avec les zones relevant de la sécurité de l’Empire. L’interférence de puissances extérieures dans ces territoires serait considérée comme un acte inamical. Le projet de règlement insiste également sur l’importance du Hedjaz pour l’Empire britannique en tant que puissance musulmane et acteur principal du mouvement ayant permis l’installation d’Hussein comme roi du Hedjaz. La Grande-Bretagne est ainsi présentée comme garante du maintien de la paix dans la région (article 5) (4).

Malgré tous les efforts déployés, la Grande-Bretagne ne parvint pas à faire se rencontrer Ibn Saoud et Hussein, en raison principalement de l’intransigeance et de l’obstination de ce dernier. Une délégation conduite par Ahmed Ibn Thunaiyan se rendit à La Mecque et conclut en août 1920 une trêve suspendant les hostilités avec le gouvernement du Hedjaz.

Notes :
(1) Foreign Office, Interdepartmental Conference on Middle East Affairs. Minutes of a Meeting held at the F.O. on Monday, November 24, 1919. Instructions to Colonel C.E. Wilson, F.O. 1st Dec 1919.
(2) Notes on a Conversation between the Secretary of State for Foreign Affairs, and the Arab Mission representing the Amir Ibn Saud. 26th Nov. 1919.
(3) Memorandum on the Future Control of the Middle East by Major H.W. Young, (E 4870/44), Foreign Office, May 17th 1920, Documents on British Foreign Policy. 1919-1939. First Series. Vol. XIII. The Near and Middle East. January 1919-March 1921. HMSO 1963.
(4) Memorandum on Arabian Policy. Confidential. E 135 23/9/44. IOR /L/PS/18/B 367.

Publié le 06/06/2019


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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