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Hafez al-Assad et la création de l’appareil d’état syrien

Par Damien Saverot
Publié le 26/09/2013 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Hafez al-Assad en 1970

AFP

Comment les diverses influences rencontrées par Hafez al-Assad l’ont-elles poussées à façonner le système politique syrien, à faire de l’Etat syrien un pays d’importance première dans les pays arabes, alors que ce n’était pas le cas jusque-là ? Comment a-t-il réussi à allier la mise au pouvoir de la communauté alaouite jusqu’alors dépréciée et pauvre, tout en maintenant la stabilité avec la communauté sunnite majoritaire et les contre-pouvoirs opposés au Baasisme ?

Hafez al-Assad : jeunesse, éducation et prise du pouvoir

Hafez al-Assad est né à Kardaha, dans une famille d’agriculteurs de la communauté alaouite (branche proche du chiisme). Il fait ses études supérieures à l’académie militaire de Homs, puis entre à l’Ecole de l’air d’Alep. En 1958, il a le grade de capitaine. Il est envoyé cette même année en Union soviétique afin de compléter sa formation. A la suite de cette formation, dans le contexte de la création de la République arabe unie (1958 à 1961) il est choisi, avec d’autres officiers, pour aller en Egypte. Il est nommé responsable de la sécurité de l’aéroport militaire du Caire.
Hafez al-Assad est en parallèle militant au parti Baas depuis son plus jeune âge. Il est très tôt sensibilisé au nationalisme arabe et à la montée de Nasser en Egypte. Il s’oppose à la création de la RAU, estimant qu’elle confère trop de pouvoir à Nasser. En 1961, la RAU prend fin. Alors en poste en Egypte, il y est emprisonné avec d’autres officiers, à titre de représailles à l’échec de la RAU.

Entre septembre 1963 et 1965, les membres les plus modérés du parti Baas sont écartés au profit de ceux favorables à des actions plus radicales : nationalisations et suprématie du parti sur l’ensemble de la vie politique syrienne. En 1964, tandis que Hafez al-Assad est nommé chef d’état major de l’armée de l’air, il noyaute peu à peu, avec ses partisans, l’ensemble du parti Baas. En février 1966, le parti Baas prend le pouvoir en Syrie à la suite d’un coup d’état orchestré par Salah Jedid, afin d’imposer un régime moderne et nationaliste, diplomatiquement tourné vers l’URSS. Avec de nombreux militants politiques de confession alaouite, le Baas s’empare des postes clés du régime. Hafez al-Assad est ainsi nommé ministre de la Défense. Ayant réussi à noyauter le parti avec un certain nombre de partisans, Hafez al-Assad purge ensuite le parti de ses anciens alliés politiques (évinçant de fait Salah Jedid ainsi que le chef de l’Etat Noureddine al-Atassi) afin d’asseoir définitivement sa puissance au sein du Parti, et donc au sein du pays. Hafez al-Assad devient Président de la république syrienne le 12 mars 1971 et instaure un régime laïque et socialiste, dominé politiquement par la communauté alaouite.

La mise en place du régime

Le système du parti Baas s’inspire des régimes dictatoriaux européens en matière de contrôle sur la société [1]. Le parti unique centralisant la vie politique du pays s’inspire probablement du système soviétique et des conseillers de Hafez al-Assad, anciens du KGB [2]. Toutefois, la véritable réforme structurelle est la mise en place d’un système corporatiste. Ainsi, toute forme d’association est prohibée : les citoyens syriens sont regroupés en corps de métiers (corporations), à la tête desquels chaque leader est issu du parti Baas. A titre de comparaison, la Syrie de Hafez al-Assad se distingue ainsi de l’Irak de Saddam Hussein dans la mesure où la totalité des citoyens ne doivent pas forcément adhérer au parti, aux idéologies et au culte national, du moment qu’ils ne se révoltent pas et suivent leurs chefs. Par cette organisation, Hafez al-Assad place aux postes clés de toutes les couches de la société des membres du parti Baas et s’assure la pérennité du parti. Hafez al-Assad organise d’autre part un service de renseignement moderne, bureaucratique et très performant, constitué d’agences de renseignements, se faisant concurrence entre elles. Ainsi, si un service prend trop d’importance et décide de trahir ses chefs, un deuxième service fait tomber le premier.
Hafez al-Assad se présente comme le garant de la souveraineté du peuple syrien. La hiérarchie installée au sein du parti Baas lui permet d’avoir le monopole de « l’initiative au sein du pouvoir » et d’être le seul véritable « garant de la stabilité » [3]. Les représentants de la politique syrienne se réfèrent ainsi au président par l’expression « Al-Muqaddas », ce qui signifie « le saint ». Il est également représenté aux côtés du prophète Muhammad dans les différentes œuvres de propagande en Syrie. Elu en 1971 avec 99,6% des voix, il est réélu au total 4 fois, obtenant à chaque fois un plébiscite quasiment unanime pour sa réélection.
Sur le plan communautaire, Hafez al-Assad nomme des Syriens de confession alaouite au plus haut niveau de la hiérarchie politique et militaire. Mais, pour garder une sorte de « parité » avec la communauté sunnite majoritaire, il nomme également des membres de cette communauté à des postes à responsabilité (par exemple, Abdul Halim Khaddam, vice-président syrien et médiateur de la guerre civile libanaise) afin que toutes les appartenances religieuses soient représentées.

Répression des opposants, soutien aux communautés minoritaires

Hafez al-Assad agit contre les opposants à son pouvoir, au sein même du parti Baas et parmi les Frères musulmans.
Les partisans de Salah Jedid, suite à son évincement, sont violemment réprimés, sauf ceux qui décident de continuer à militer avec le clan Assad. Des procès contre les « traîtres » sont organisés en 1971 (notamment contre le fondateur du parti baas Michel Aflak lui-même), pour la plupart in abstentia, les condamnant à la mort ou la prison. Cette manière de juger sans la présence de l’accusé, de faire des procès symboliques ou d’organiser des procès en hâte, a été une méthode utilisée très fréquemment par le régime.
La répression la plus sanglante est probablement celle envers les Frères musulmans. Depuis 1976, des islamistes sunnites affiliés aux Frères musulmans essayaient de prendre le pouvoir en attaquant différents membres de l’armée, des personnes influentes de la communauté alaouite et des membres du parti Baas. En 1980, un membre des Frères musulmans tente d’assassiner le président Hafez al-Assad. Cela contribue à renforcer le climat de tension avec le régime baasiste. Le point culminant de ce conflit se situe en 1982. Au mois de février, les Frères musulmans organisent une révolte contre le régime syrien en occupant la ville de Hama, et tuent des habitants de la ville. Au total, environ 300 personnes, membres du Baas et alaouites, sont exécutés [4]. En représailles, l’armée est envoyée devant Hama et utilise l’artillerie contre les opposants. Le nombre de morts est sujet de controverses : les estimations les plus basses parlent de 5 000 à 7 000 morts [5] (sources principalement américaines), tandis que les estimations les plus élevées chiffrent la répression à 40 000 personnes [6]. Durant tout le mois de février, l’armée bombarde la ville, coupant également les arrivées d’eaux et de vivres, et tous les moyens de communication. Les massacres de Hama mettent fin à ce que les forces gouvernementales ont surnommé « la longue campagne de terreur » (désignant l’action des Frères musulmans et des islamistes sunnites à l’encontre de la stabilité du pays). La conséquence principale est la mise en fuite des Frères musulmans, qui cessent définitivement leurs activités d’opposition en Syrie.

En revanche, une politique particulière est menée en faveur des minorités. Avant l’arrivée d’Hafez al-Assad au pouvoir, la minorité kurde subit également une certaine forme de répression en Syrie. En effet, le nationalisme arabe tel qu’il est défini dans le parti Baas (arabisme) ne reconnaît pas les ethnies autres que arabes. Les prédécesseurs de Hafez al-Assad avaient tenté d’arabiser les kurdes, et avaient notamment mené une politique cherchant l’équilibre démographique entre Arabes et Kurdes (régions du nord de la Syrie notamment) [7].
Toutefois, Hafez al-Assad voit en la minorité kurde une manière supplémentaire d’asseoir son pouvoir en Syrie, en profitant des divisions internes. Il adopte ainsi, lors de ses contacts avec les Kurdes, un discours d’islam universaliste lui permettant de gommer les différences ethniques entre Kurdes (musulmans sunnites) et Arabes (majoritairement musulmans sunnites en Syrie). Il s’attire ainsi le soutien du clergé kurde : le cheikh A ?mad Kuft ?r ?, kurde de Damas, devient très proche du président Hafez al-Asad. Ce dernier autorise ainsi les Kurdes à exister en tant que communauté minoritaire dans une certaine liberté, lui permettant de les contrôler.
Il s’attire le même soutien des communautés druzes et chrétiennes. Par cette politique, Hafez al-Assad, tout comme son fils Bachar al-Assad, réussit à s’imposer comme le garant de la stabilité communautaire : c’est avant tout sur les minorités religieuses et ethniques, peu nombreuses en poids démographiques face à la communauté sunnite mais protégées, que repose le pouvoir de l’Etat syrien.

Bibliographie :
 Encyclopédie Universalis - Hafez Al Assad ; Le parti Baas.
 Cairn - Etat du Monde, Syrie. Bilans annuels de 1983 à 2013 (avec notamment les contributions d’André Bourget et Yves Lacoste).
 Nora Benkorich, « Trente ans après, retour sur la tragédie de Hama », publié dans laviedesidees.fr, le 16 février 2012.
 Robert Fisk, Pity the Nation : the abduction of Lebanon, Nation Books, 752 pages.
 Bassel Salloukh et Pete W. Moore « Struggles under Authoritarianism : Regimes, States, and Professional Associations in the Arab World », the International Journal of Middle East Studies, Volume 39/Issue 01, Février 2007, 76 pages.
 Alain Chouet - discours devant l’Institut des hautes études de défense nationale, le 27 juin 2012, concernant le printemps arabe et l’histoire de la Syrie.
 Raymond Hinnebusch, Syria : Revolution from Above, Routledge, 2001, 186 pages.
 The New York Times, Le Monde, Le Nouvel Observateur.

Publié le 26/09/2013


Damien Saverot est étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, en master Affaires Publiques. Il a suivi des cours d’arabe à l’Institut des Sciences Politiques et à l’Institut du Monde Arabe. Il a poursuivi son apprentissage de la langue arabe à Beyrouth, où il a été reporter pour l’Orient-Le Jour.
D’origine syrienne et libanaise, il a effectué des voyages au Moyen-Orient, notamment au Liban, en Egypte, en Iran et en Syrie.


 


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