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La région du Dhofar est située dans le sud-ouest de la péninsule arabique à la frontière yéménite. Annexé au Sultanat d’Oman en 1877-1879, le Dhofar, contrée chaude et humide qui vit au rythme des moussons, doit sa renommée à la pureté de son encens, exporté dans le monde entier depuis l’Egypte ancienne. Dans la ferveur nationaliste qui marque le monde arabe dans les années 1960, cette province devient le théâtre d’une importante rébellion qui déchirera la région pendant plus d’une décennie. En pleine guerre froide, ce soulèvement d’origine locale prend alors rapidement une dimension régionale où régimes progressistes et conservateurs arabes vont s’affronter indirectement.
Lorsque le sultan Saïd bin Taïmour (1932-1970) prend la tête de l’Etat en 1932, il doit partager son autorité avec un imam qui contrôle toute une région de l’Oman actuel et se contenter du sultanat de Mascate qui s’étend alors de la plaine de la Batinah à la région de Sour. Dans les années 1950, la tension monte entre l’imam Ghalib et ses partisans et le sultan soutenu par les Britanniques. En 1959, les Britanniques interviennent et forcent l’imam à s’exiler en Arabie saoudite où il forme un gouvernement provisoire, laissant le pays entièrement aux mains du sultan Saïd. En exil, Ghalib reçoit le soutien de l’Egypte nassérienne et accroit sa notoriété alors que le sultan semble toujours plus s’éloigner de son peuple, préférant traiter avec la Grande-Bretagne.
La province du Dhofar, excentrée et maintenue dans un état de pauvreté préoccupant, est composée de différentes tribus qui n’entretiennent aucun lien avec celles du Nord. Elles n’ont jamais véritablement accepté l’autorité du sultan, personnage lointain et despotique qui refuse d’investir les revenus pétroliers dans la modernisation du pays (les premiers gisements ont été découverts en 1965). C’est donc dans ce contexte conflictuel que les populations du Dhofar décident de se soulever contre la présence britannique et contre le sultan, au début des années 1960. Les rebelles reçoivent alors immédiatement le soutien des différents mouvements panarabes et anticolonialistes égyptiens, syriens et irakiens.
A partir de 1963, les rebelles forment le Front de libération du Dhofar, soutenu par le Yémen du Sud, proche de l’Union Soviétique. Le Front prend de l’importance et encercle bientôt la ville de Salâlah, principale ville de la région, où le Sultan Saïd choisit se s’installer définitivement à partir de 1968.
Deux congrès sont organisés pour définir les ambitions du mouvement, en 1965 et en 1968. Lors du second congrès, le Front de libération du Dhofar devient le Front populaire pour la libération d’Oman et du golfe Arabe. Le programme mis en œuvre lors de ces deux congrès est fortement teinté de marxisme léninisme. Son objectif est de mettre en place une « république populaire démocratique » et d’expulser les Britanniques d’Oman. Le Front cherche à instaurer une Constitution, à abolir la loi martiale, à rétablir les libertés de presse et d’expression et à assurer les droits des minorités. Sur le plan économique, il entend nationaliser les compagnies pétrolières, développer les industries et mettre en place une réforme agraire. Le Front appelle ainsi à plus de justice sociale et soutient tous les mouvements de libérations asiatiques, africains et latino-américains. Des références sont également faites aux Palestiniens et l’abolition de l’Etat israélien, en place depuis 1948, est prônée.
Face à cette insurrection, Saïd accentue la répression. Il n’arrive cependant pas à contenir les avancées du Front qui bénéficie du soutien d’une bonne partie de la population. Les rebelles profitent, également, des camps d’entrainement basés au Yémen du Sud et de l’aide logistique des Soviétiques, soucieux d’augmenter leur influence dans la région et de faciliter leur accès aux zones pétrolières. Les rebelles profitent aussi du soutien politique des pays progressistes de la région. Des combattants irakiens viennent ainsi prêter main forte aux insurgés. L’armée du sultan tente de maintenir ses positions mais en 1970, malgré l’intervention de la Royal Air Force britannique, les rebelles contrôlent la majorité des points stratégiques de la région. La tâche de l’aviation est d’ailleurs rendue difficile par les périodes de mousson durant lesquelles un épais brouillard l’empêche d’intervenir. La monarchie est alors fortement menacée. Devant cette situation critique, les Britanniques décident de mettre un terme au règne du sultan Saïd, qui est obligé d’abdiquer en faveur de son fils Qabous en juillet 1970.
Une fois au pouvoir, sultan Qabous, âgé d’une trentaine d’années, rompt entièrement avec la politique de son père en multipliant les investissements destinés à moderniser le pays et à y rétablir la paix. Tout en intensifiant la lutte armée contre le Front et en rééquipant ses troupes, il met en place un programme de pacification dans lequel il propose d’accorder l’amnistie à tous les opposants de son père et promet même des primes à tous ceux qui choisiraient de rendre les armes. Il assure également à la région du Dhofar un développement économique et social équivalent à celui du Nord, et l’intègre dans le sultanat. Si cette politique met du temps à porter ses fruits, la population choisira peu à peu de soutenir Qabous.
Après avoir fait appel à l’aide militaire de la Grande-Bretagne, le sultan se tourne vers celle du Shah d’Iran afin de pacifier totalement la région. L’implication de l’Iran est cependant très mal perçue par le régime baathiste irakien. Des troupes iraniennes débarquent ainsi dans le Dhofar à partir de 1973. Le Shah y voit en effet une occasion d’entrainer son armée et de stabiliser le détroit d’Ormuz où transite 40 % du pétrole acheminé par voie maritime. Des contacts diplomatiques sont également établis entre le sultan et l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, la Jordanie et l’Egypte de Sadate, faisant sortir le pays de son isolement diplomatique. L’Arabie saoudite assure alors une médiation avec la République démocratique du Yémen, qui sert toujours de base arrière à la rébellion et les forces irano-omanaises écrasent finalement la rébellion au Dhofar. Un cessez-le-feu est ensuite signé en mars 1976 entre la République démocratique du Yémen et Oman, mettant définitivement fin aux douze années de guerre dans la péninsule arabique.
La guerre du Dhofar a donc fait sortir Oman de son isolement. Le sultan a depuis pris le soin de signer différents traités frontaliers avec l’ensemble de ses voisins pour assurer l’intégrité territoriale de son pays. La politique de développement mise en place dès lors par Sultan Qabous a permis de stabiliser cette région d’une importance géostratégique essentielle.
Bibliographie :
Calvin H. Allen, Jr, W. Lynn Rigsbee II, Oman under Qaboos, From Coup to Constitution 1970-1996, London, Frank Cass Publishers, 2000.
Vincent Cloarec, Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005.
Liesl Graz, Les Omanais, Nouveaux Gardiens du Golfe, Paris, Editions Albin Michel, 1981.
Marc Lavergne, Brigitte Dumortier (dir.), L’Oman contemporain, Etat, territoire, identité, Paris, Editions Karthala, 2002.
Bruno Le Cour Grandmaison, Le Sultanat d’Oman, Paris, Editions Karthala, 2000.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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