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Gaza : après cinq mois de violences, des négociations incertaines

Par Ines Gil
Publié le 19/09/2018 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

Ines Gil

La Grande marche du retour : des violences hebdomadaires à la bordure entre Israël et Gaza

Depuis la fin du mois de mars 2018, presque chaque vendredi est rythmé par de nouvelles violences à la bordure entre la Bande de Gaza et le territoire israélien. A ce jour, 166 Palestiniens ont été tués, principalement tombés sous les balles réelles – très controversées (2) – utilisées par l’armée israélienne. Côté israélien, un soldat a été tué par un sniper palestinien appartenant à la branche armée du Hamas (3).

Un premier épisode de violences a éclaté entre le 30 mars et la mi-mai. Chaque semaine, après la prière du vendredi, des dizaines de milliers de manifestants palestiniens se sont retrouvés à la bordure, à différents points de la Bande de Gaza. A l’origine, cet événement visait à commémorer la Journée de la terre, qui marque le souvenir du 30 mars 1976, durant lequel 6 Arabes Israéliens ont été tués par les forces de l’ordre israéliennes durant des manifestations visant à dénoncer la confiscation de terrains par Israël (4).

Face à la multiplication des morts côté palestinien, le mouvement de la Marche du Retour a pris un retentissement inouï, tant sur le plan interne qu’international. Durant ces événements, des débat houleux ont émergé sur la nature des organisateurs à l’origine de la mobilisation : ces manifestations ont-elles été des impulsions spontanées d’une partie des Gazaouis étouffés par une situation humanitaire très difficile et plus de 10 ans de blocus, ou bien ont-elles été initiées par le Hamas, l’organisation qui contrôle la majeure partie de la Bande de Gaza depuis les élections législatives de 2006 ?

De manière officielle, la marche du retour a été organisée par la société civile gazaouie. Durant ces événements, des milliers de Gazaouis n’appartenant pas au Hamas se sont mobilisés. Il faut par ailleurs rappeler qu’avant le 14 mai, aucun membre des brigades Al-Qassam, la branche militaire du Hamas, n’a été blessé durant les mobilisations.

Cependant, certains estiment que les manifestations ont aussi pu être organisées grâce à l’accord du Hamas. Le mouvement palestinien exerce un contrôle autoritaire sur la Bande de Gaza et de telles manifestations ne seraient pas possibles sans qu’il ne le permette. Le 9 avril 2018, Ismaïl Haniyeh, Chef du Bureau politique du parti, a prononcé un discours depuis une tribune arborant les slogans de la Marche du Retour : « Gaza entre dans une nouvelle étape de résistance pacifique et populaire » (5). Par ailleurs, en prenant un avion militaire pour Le Caire les 12 et 13 mai, alors que les manifestations battaient leur plein, le leader du bureau politique a sans aucun doute été chercher une reconnaissance régionale dans l’organisation de ces événements. Mais c’est surtout suite à la manifestation du 14 mai, durant laquelle plus de 60 Palestiniens ont trouvé la mort sous les balles israéliennes, que la récupération politique est la plus forte : un responsable du Hamas, Salah Al-Bardawil, a déclaré à la chaîne palestinienne Baladna que 50 des 62 Palestiniens tués étaient des membres du Hamas. Un récit qui a fait l’argument d’Israël, puisque le gouvernement Netanyahou a justifié l’usage de balles réelles par les menaces représentées par la Marche du retour, qui serait en fait, selon lui, une manœuvre politique du Hamas et non pas un mouvement initié par la société civile.

L’action de l’armée israélienne à la bordure de Gaza a eu pour conséquence de renforcer les oppositions à Israël, et de dégrader l’image de l’Etat hébreu sur le plan international. Les critiques ont été les plus vives lors des événements du 14 mai, parallèles au déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Cette journée qui s’est soldée sur la mort de 62 Palestiniens, a été qualifiée de « massacre » par une partie de la presse à l’international, critiquée par l’ensemble des puissances mondiales – mis à part les Etats-Unis – et même qualifiée de « génocide » (6) par le Président turc Recep Tayip Erdogan. Israël a donné l’image d’un Etat dont l’armée tire à balles réelles sur des manifestants utilisant des pneus enflammés et des pierres.

Réuni en urgence au lendemain des ces violences, le Conseil de Sécurité a condamné l’usage de la force à la bordure de Gaza, appelant le Hamas a cesser d’utiliser les « manifestations pour dissimuler des tentatives de provocation et de placement de bombes le long de la barrière, ni cacher ses militants parmi la foule » et Israël, à « calibrer son usage de la force et de n’utiliser la force létale qu’en dernier recours » (7).

Suite aux événements de la mi-mai, le mouvement de la Marche du retour s’est essoufflé, mais des violences plus directes ont éclaté entre le Hamas et l’armée israélienne, faisant craindre le retour d’un conflit armée.

Passes d’armes entre l’armée israélienne et le Hamas : le risque d’un nouveau conflit à Gaza ?

Avec la Marche du Retour, le Hamas a réussi a replacer Gaza au centre des discussions internationales. Le rôle de la société civile gazaouie dans les manifestations hebdomadaires a largement été mis en avant, dégradant significativement l’image d’Israël dans le monde. Cependant, avec le cycle de violences ouvert fin-mai, la culture de « résistance pacifique » récupérée par le Hamas s’est quasiment clôt et a évolué vers des moyens d’actions plus classiques (8).

En parallèle des manifestations hebdomadaires qui ont toujours lieu, mais d’une ampleur moindre, un nouveau cycle de violences s’est ouvert fin mai, entre le Hamas et Israël. Le 29 mai, une trentaine d’obus de mortier sont envoyés depuis Gaza, en direction de l’Etat hébreu. Une partie d’entre eux sont interceptés par le Dôme de fer, le système de défense anti-missiles israélien. Les manifestations hebdomadaires qui se poursuivent chaque semaine font des morts du côté palestinien, dont une secouriste gazaouie, tuée par un soldat israélien durant une manifestation organisée début juin. Dans le même temps, des ballons et des cerfs-volants incendiaires sont régulièrement envoyés depuis le territoire palestinien vers Israël, causant le départ de plusieurs feux dans les champs israéliens. Le 5 septembre, des fermiers israéliens ont porté plainte contre le Hamas auprès de la Cour Pénale Internationale, du fait des dommages causés par ces feux.

Les violences atteignent un point culminant le 20 juillet. Après qu’une patrouille israélienne ait été visée par des tirs le long de la bordure, causant la mort d’un soldat israélien, l’armée déclenche des frappes contre le mouvement islamiste, tuant 3 membres de la branche militaire du Hamas. Cet épisode a largement fait craindre le retour d’un conflit dans l’enclave palestinienne.

En Israël, certains responsables de la droite messianique et une partie du Likoud souhaiteraient utiliser la manière « forte », en lançant une vaste opération militaire à Gaza, et en visant par balles les lanceurs d’objets incendiaires. Une partie du Hamas plaide également pour un retour d’un conflit. Cependant, des deux côtés, de manière globale, une nouvelle guerre à Gaza n’est pas considérée comme souhaitable, même si les violences se multiplient entre les deux protagonistes. Sur le plan interne, les échanges violents sont un moyen de se renforcer politiquement, pour le Hamas comme pour le gouvernement israélien. Pour le Hamas, l’envoi de roquettes ou d’objets incendiaires, parmi d’autres, permet de montrer qu’il constitue toujours un mouvement de résistance face à Israël – le seul et unique mouvement, car le Fatah a depuis longtemps perdu cette image auprès de la population palestinienne. Pour les dirigeants israéliens, l’utilisation de balles réelles et les bombardements à Gaza permettent de renforcer le soutien d’un électorat qui appelle à une solution ferme dans l’enclave palestinienne. Mais les deux côtés ne sont pas prêts à aller plus loin. Malgré ces échanges violents ponctuels, les négociations en vue d’un cessez-le-feu continuent entre les deux parties.

Les discussions vont bon train pour un cessez-le-feu durable entre Israël et le Hamas

Sous l’égide de l’Egypte, les deux parties pourraient arriver à un accord comprenant un cessez-le-feu durable, « en échange de l’ouverture des points de passage, de l’extension de la zone de pêche et de l’apport d’aide humanitaire et médicale » (9) à Gaza.
Les questions plus épineuses de la reconstruction de la bande de Gaza – encore peu effective – et le retour des corps des soldats et de civils israéliens retenus par le Hamas pourraient également émerger. En Israël, le débat se concentre sur les cas d’Oran Shaul et de Hadar Goldin. Les corps de ces soldats israéliens avaient été emportés par des membres du Hamas, après leur mort durant la guerre de 2014. C’est l’Egypte, médiateur central et historique entre le mouvement islamiste et Israël, qui chapeaute les négociations.

C’est l’Egypte, médiateur central et historique entre le mouvement islamiste et Israël, qui chapeaute les négociations. Meir Masri, Enseignant-Chercheur à l’Université Hébraïque de Jérusalem, livre son analyse sur le rôle du Caire dans ces discussions :

Meir Masri est chargé de cours en science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem. Docteur en géopolitique de l’Université Paris VIII, il est également consultant pour les affaires du Moyen-Orient auprès de plusieurs organismes internationaux.




Quel rôle pour l’Autorité palestinienne dans les négociations autour de Gaza ?

Pour le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, un cessez-le-feu de longue durée entre le Hamas et Israël n’est pas souhaitable. Un possible accord aurait pour conséquence de renforcer la légitimité du contrôle du Hamas sur la Bande de Gaza, et par ailleurs, il accentuerait l’isolement de l’Autorité palestinienne entamé depuis plusieurs mois. Suite à l’échec de l’Accord de réconciliation passé avec le Hamas en octobre 2017, au refus de l’AP de revenir à la table des négociations depuis la décisions de Donald Trump de déménager l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, mais surtout avec les dernières mesures américaines contre les Palestiniens (fin du financement de l’UNRWA, fermeture de la Mission Palestinienne à Washington, et coupe des aides aux hôpitaux palestiniens de Jérusalem Est), l’Autorité palestinienne est plus isolée que jamais.

Pour faire entendre de nouveau sa voix, Mahmoud Abbas aurait récemment fait part de son souhait de revenir à la table des négociations à condition que le diplomate américain Jason Greenblatt, en charge des négociations israélo-palestiniennes, soit écarté. Du fait de la proximité du diplomate avec le Président Trump, cette condition semble difficile à envisager. D’autant plus que Washington ne montre aucun signe de flexibilité sur sa position, totalement alignée sur le gouvernement Netanyahou. Par ailleurs, courant septembre, les Américains auraient proposé, dans le cadre des discussions sur leur « Deal du siècle », la formation d’une Confédération palestino-jordanienne. Soutenue par la droite israélienne, cette ancienne proposition remise à l’ordre du jour est un moyen d’éviter la création d’un Etat palestinien indépendant, mais aussi de se décharger de la question des 3,5 millions de réfugiés Palestiniens vivant en Cisjordanie (10). Cette proposition a toujours été refusée du côté jordanien comme palestinien. Suite à cette suggestion américaine, Mahmoud Abbas se serait dit prêt à accepter, mais seulement si Israël en faisait partie. Une manière indirecte de décliner la proposition.

Les dirigeants palestiniens sont par ailleurs préoccupés par une autre question centrale : la bataille pour la succession de Mahmoud Abbas, dont la dégradation de la santé fait courir les rumeurs d’une succession prochaine.

Notes :
(1) Suite à l’élection du Hamas aux élections législatives de 2006, Israël et l’Egypte mettent en place un blocus sur la Bande de Gaza, dès 2007.
(2) 1500 Palestiniens ont aussi été blessés par balles selon les autorités médicales locales. Très critiqué par la communauté internationale, l’usage de balles réelles a fait l’objet d’une controverse en Israël : Des organisations de défense des droits de l’Homme ont déposé deux requêtes concernant l’utilisation de balles réelles. Elles ont cependant été rejetées par la Cour Suprême, la plus haute instance juridique en Israël.
(3) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180413-gaza-grande-marche-retour-vendredi-haut-risque-nakba
(4) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180329-abords-gaza-journee-terre-met-tsahal-sous-tension
(5) https://orientxxi.info/magazine/ce-que-revele-la-marche-du-retour-de-gaza,2474
(6) https://guardian.ng/news/netanyahu-slams-erdogan-over-gaza-genocide-remarks/
(7) https://news.un.org/fr/story/2018/05/1014792
(8) https://abonnes.lemonde.fr/international/article/2018/07/21/entre-le-hamas-et-israel-l-inaccessible-paix_5334411_3210.html
(9) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180818-gaza-nouvelles-violences-fond-negociations-cessez-feu-durable
(10) https://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/09/02/les-emissaires-de-trump-auraient-propose-aux-palestiniens-une-confederation-avec-la-jordanie_5349265_3218.html ?

Publié le 19/09/2018


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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