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Gamal Abdel Nasser (1918-1970) : l’homme, le dirigeant, la légende (1/3)

Par Yara El Khoury
Publié le 25/01/2019 • modifié le 31/01/2019 • Durée de lecture : 5 minutes

A picture dated 17 July 1938 shows late Egyptian President Gamal Abdel Nasser who died in September 1970.

STR / AFP

L’Egypte au XIX° siècle, entre modernisation, tutelle étrangère et nationalisme naissant

Contrairement à ses voisins du Levant (Liban, Syrie, Palestine, Irak), l’Egypte est une contrée qui a parfaitement conscience de sa singularité, et ce depuis les temps immémoriaux des Pharaons. Elle est inscrite dans des frontières géographiques bien claires tracées par le cours du Nil, fleuve nourricier qui déverse à chaque printemps son limon bienfaisant sur une vallée verdoyante qui coupe en deux un désert dont les détendues sablonneuses et rocailleuses lui servent de frontières. Né dans les profondeurs mystérieuses de l’Afrique, le Nil se déverse dans la Méditerranée après s’être divisé en plusieurs branches formant le Delta. Les Egyptiens qui vivent sur ses rivages se savent dotés d’une identité bien distincte, et, sur le plan religieux, hormis la communauté copte, d’un monolithisme sunnite bien affirmé que même le long intermède des Fatimides chiites (969-1171) n’a pu ébranler.

La campagne d’Egypte entreprise par le général Bonaparte à la fin du XVIII° siècle sort le pays d’une torpeur qui le tenait depuis qu’il avait perdu la prééminence qui était la sienne au temps des Mamlouks. En 1517, le sultan ottoman Sélim Ier met un terme à cette dynastie d’esclaves turkmènes puis circassiens qui régnait sur l’Orient à partir du Caire depuis la fin des Croisades. Il ravit également le titre de calife au dernier descendant des Abbassides qui, quant les Mongols avaient mis à sac Bagdad en 1258, s’était réfugié au Caire hissé alors à la double dignité du sultanat et du califat. Depuis qu’elle a été supplantée par Constantinople, la capitale égyptienne était ravalée au rang d’une ville de province. En 1798, l’armée révolutionnaire française apporte dans son sillage des idées de liberté qui vont insensiblement se glisser au cœur de la population. Un officier albanais de l’Empire ottoman, du nom de Mohammed Ali, contribue à l’effort impérial pour chasser les Français du sol égyptien. En 1805, il se hisse au poste de gouverneur en prenant ses distances avec l’Empire ottoman. Sa politique de modernisation réintègre définitivement l’Egypte dans le cours de l’histoire. En 1869, l’inauguration du canal de Suez construit par le Français Ferdinand de Lesseps, fait du pays un passage obligé sur la route du commerce international.

Mais les dépenses conduites par les khédives, successeurs de Mohammed Ali, pour poursuivre l’œuvre de modernisation mais aussi pour mener grand train, finissent par endetter le pays qui se retrouve en 1882 sous la tutelle anglaise, Londres s’étant rendu maître du canal de Suez, artère vitale pour ses intérêts car elle trace le chemin le plus court vers les Indes, joyau de la couronne de la reine Victoria. Les militaires britanniques débarquent à Alexandrie et prennent Le Caire où ils empêchent la nomination du colonel Ahmed Orabi, première figure du nationalisme égyptien, au ministère de la Guerre. L’armée égyptienne, terreau de ce nationalisme naissant, est placée sous un commandement britannique.

Un embryon de vie politique voit le jour cependant. L’Egypte est dotée en 1883 d’une assemblée consultative élue au suffrage universel indirect. En 1907, le pays connaît le multipartisme. Le parti Umma (nation) de Saad Zaghloul réclame l’indépendance de l’Egypte par rapport à l’Empire ottoman et à la Grande-Bretagne ; le parti Watan (patrie) de Mustapha Kamel se présente comme une formation traditionnaliste et panislamiste attachée aux liens de l’Egypte avec Istanbul ; apparaissent aussi des libéraux-constitutionnels très proches du libéralisme européen. Le pays jouit également d’une presse relativement libre qui profite aux autres contrées du monde arabe qui continuent de vivre sous le joug direct des Ottomans. En cette époque de Nahda, renaissance arabe littéraire et nationale, la presse égyptienne permet aux différents courants de pensée de s’exprimer.

L’Egypte pendant les jeunes années de Nasser

Trois mois après le début de la Grande Guerre, l’Angleterre et l’Empire ottoman s’étant retrouvés dans des camps antagonistes du fait de l’entrée du second en guerre aux côtés de l’Allemagne, les Anglais proclament la loi martiale en Egypte et rompent les derniers liens qui existaient entre Le Caire et Constantinople. Signe de cette rupture, les khédives porteront désormais le titre de sultans. L’Egypte devient un protectorat britannique et le consul général anglais prend le titre de haut-commissaire. Le Bureau arabe du Caire encourage la révolte arabe qui part du Hedjaz et dépêche le colonel Lawrence auprès des fils du Chérif Hussein.

La fin de la guerre en Europe nourrit des rêves d’indépendance. Telle est la réclamation principale qu’une délégation (wafd) égyptienne conduite par le juge Saad Zaghloul du parti Umma soumet au haut-commissaire Wingate, le 13 novembre 1918, deux jours après l’armistice de Rethondes. Se déclarant incompétent pour trancher la question, Wingate lui conseille de s’adresser directement à Londres mais la capitale britannique refuse de la recevoir. Dépitée, la délégation se mue en parti politique auquel elle donnera le nom de Wafd. Son activisme vaudra à son chef Saad Zaghloul d’être déporté à plusieurs reprises par les Anglais mais la fièvre indépendantiste devient une réalité avec laquelle les Anglais et le sultan Fouad, monté sur le trône en 1917, doivent composer. L’ampleur du Wafd est telle qu’il est autorisé en 1919 à exprimer ses doléances à la Conférence de la paix qui s’ouvre à Paris. Saad Zaghloul est déçu par l’acceptation par le président américain Wilson d’un protectorat anglais sur son pays.

Mais l’opposition grandissante à laquelle ils doivent faire face contraint les Anglais à la négociation. Le 28 février 1922, le gouvernement britannique proclame unilatéralement la fin du protectorat sur l’Egypte, en se réservant toutefois quatre domaines de compétence : sécurité des communications impériales, défense du pays contre toute agression étrangère, protection des intérêts des étrangers et des minorités, et administration du Soudan. Ces quatre questions vont rester en suspens tant qu’un accord n’intervient pas à leur sujet entre Le Caire et Londres.

Formulé en 1922, le traité ne sera signé qu’en 1936, mais l’indépendance de l’Egypte semble être une donnée réelle. Le descendant de Mohammed Ali change de titre encore une fois ; le sultan Fouad devient roi d’Egypte. Une vie politique se met en place : Constitution, Parlement bicaméral, gouvernement nommé par le roi et responsable devant la Chambre. Aux élections législatives du mois de janvier 1924, le parti Wafd remporte 176 sièges sur 214. Rentré d’exil, Saad Zaghloul devient Premier ministre. En 1927, une formation nouvelle voit le jour dans le paysage politique égyptien : les Frères musulmans sont fondés par Hassan al-Banna sur le modèle rigoriste des Ikhwân, la force redoutable dont Abdel Aziz Ben Saoud s’est servi pour unifier les régions de la Péninsule arabe appelées à devenir l’Arabie saoudite.

En avril 1936, à la mort du roi Fouad, son fils Farouk, jeune prince qui a la faveur du peuple, lui succède. En août de la même année, le Premier ministre Moustapha Nahas, successeur de Saad Zaghloul décédé à la tête du Wafd, signe à Londres le traité anglo-égyptien. Cet accord d’une durée de vingt ans entérine l’indépendance de l’Egypte mais donne à la Grande-Bretagne le droit de maintenir des troupes dans la zone du canal de Suez et dans le Sinaï, d’utiliser l’espace aérien égyptien et le port d’Alexandrie et de réoccuper le pays en cas de guerre. En 1937, l’Egypte entre à la Société des Nations. L’année suivante s’ouvre sur les vingt ans de Nasser. Il s’apprête à intégrer l’armée.

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Publié le 25/01/2019


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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