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Jeff J Mitchell / Getty Images / AFP
Femmes et révolutions au Moyen-Orient. Ce qui pourrait apparaître comme un oxymore aux yeux de certains, reflète a contrario un processus de longue date, que les « printemps arabes » ont su remettre sur le devant de la scène.
En effet, bien que dans l’espace public, la tradition demande aux femmes arabes une attitude de silence et de soumission, les événements survenus dans les pays arabes en 2011 ont montré qu’il existe un nouveau modèle, particulièrement actif, de participation féminine. C’est ainsi que des femmes de toutes conditions sociales sont descendues dans la rue pour lutter non seulement contre les injustices des États, mais aussi contre les principes conservateurs des sociétés dans lesquelles elles vivent. De quoi cette participation féminine a-t-elle été faite, et pourquoi ? Les choses ont-elles réellement évolué depuis les révolutions arabes ?
Tunisie, 17 décembre 2010 : l’immolation de Mohamed Bouazizi est le déclencheur d’une vague de révoltes contre les Etats en place dans une partie du Moyen-Orient, où l’on voit naître un nouveau mode de participation féminine. Le rôle des femmes dans la vie politique moyen-orientale, notamment l’activisme développé au moment des soulèvements contre les régimes en place, ne date pas non plus d’hier. Déjà, lors de la Révolution de 1919 en Egypte, guidées par Hoda Shaarawi, elles avaient défilé en public aux côtés des hommes et avaient manifesté, dans les rues, contre le pouvoir colonial britannique. À cette occasion et pour la première fois, elles avaient défié les traditions conservatrices et les restrictions imposées aux femmes par les sociétés arabo-musulmanes. Un siècle plus tard, en janvier 2011, les femmes égyptiennes viennent, à nouveau, se joindre massivement aux manifestations, en l’occurrence sur la place Tahrir, cette fois, pour protester contre l’injustice, la tyrannie et la corruption du régime de Moubarak. Dans l’ensemble des cas, même lors des soulèvements, les femmes ont démontré, non seulement qu’elles étaient prêtes à participer activement aux protestations, mais que, souvent aussi, elles étaient capables de jouer le rôle de leaders et de chefs de file. On les a vu organiser des manifestations, mobiliser des citoyens de leur entourage (et souvent aussi en dehors de celui-ci) en faveur de la lutte contre le despotisme et la corruption dans leurs pays respectifs et des changements démocratiques. Les femmes, citoyennes avant tout, ont marché aux côtés des hommes, pour réclamer la démocratie, montrant par là-même qu’elles ne voulaient ni ne pouvaient être absentes de cette page de leur Histoire.
Tant qu’il s’agissait de défendre la démocratie, elles étaient les bienvenues. Mais il en a été tout autre quand elles ont décidé que la défense de leurs droits était partie intégrante de la construction du processus démocratique dans leurs pays. Défiant de fait le statu quo de leurs sociétés patriarcales, dans lesquelles la place des femmes appartient non pas aux rues et aux places publiques mais bien à l’espace privé et à lui seul, les femmes ont cherché, en tant que citoyennes, à construire leurs pays sans en être écartées. Et c’est là que le bât a blessé, les hommes leur reprochant de mettre en péril la révolution en réclamant des droits trop tôt. Ainsi, en Tunisie, les manifestations de femmes se sont heurtées à des barrages d’hommes scandant « les femmes à la maison ! » ou « les femmes à la cuisine ! ». Les femmes se sont alors peu à peu écartées des manifestations publiques, mais n’ont pas pour autant déserté leur combat pour la démocratie et pour leurs droits. En effet, les femmes du Moyen-Orient se sont mobilisées, là où il était difficile de les faire taire, sur la toile. L’on a vu par exemple apparaître sur les réseaux sociaux, grands vecteurs des « printemps arabes », une multiplication des campagnes de mobilisation, dont l’une d’entre elles appelait à un soulèvement des femmes (« The uprising women in the arab world »). Suivant l’injonction : « je suis pour le soulèvement des femmes dans le monde arabe parce que », des hommes et des femmes s’exprimaient à visage découvert pour exprimer leur volonté de voir arriver un nouveau statut des femmes dans le sillon des espérances politiques nées du printemps arabes.
Les soulèvements arabes ont fait émerger de nouveaux visages, de nouvelles héroïnes dont le nom et la participation sont désormais attachés, non seulement à des causes féministes, mais surtout à celle de la lutte contre les régimes autoritaires. Le plus grand symbole de cette lutte, Tawakkul Karman, la jeune activiste du Yémen, a même été récompensée par le prix Nobel de la paix 2011. Cependant, la relégation progressive des femmes au second plan fait dire à certains qu’elles sont aujourd’hui les grandes oubliées de ces révolutions. Qu’en est-il ?
Il n’a pas été question d’égalité des sexes pendant le printemps arabe. Il s’est avant tout agi de faire reconnaître des droits aux citoyens, hommes comme femmes ; des droits qui leur étaient niés jusqu’alors. Et c’est dans cette optique que les femmes ont gagné en considération et ont obtenu une réévaluation de leur statut dans leurs sociétés. Ainsi, au Maroc, un programme a été lancé par le Royaume pour l’égalité sur la période 2011- 2015. Les mesures essentielles de ce programme sont la lutte contre la violence et la discrimination contre les femmes ; la garantie de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’éducation et la santé ; la promotion de l’accès des femmes aux postes de décision ; la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité des femmes ; la légalisation de l’avortement dans les cas de viol et d’inceste.
Parmi les acquis en matière de droit de la femme, ceux réalisés dans la sphère politique ne doivent pas être négligés. En Algérie par exemple, un quota parlementaire a donné lieu, lors des dernières élections, à une proportion de sièges obtenus par les femmes qui atteint 31,6%, un chiffre sans précédent dans la région, et significatif par rapport aux normes internationales. Néanmoins, du Yémen à la Tunisie, en Egypte, en Libye, à Bahreïn et en Syrie, une chose apparaît clairement : après s’être organisées, après avoir manifesté, incité à la lutte, écrit des blogs, fait des grèves de la faim et parfois même été tuées, les femmes peinent à progresser vers une plus grande participation dans la nouvelle vie politique. En effet, l’euphorie des révolutions a très vite été récupérée par les hommes, et il n’y a pas eu de réelles retombées positives pour les femmes, et c’est là que réside tout le paradoxe de ces soulèvements arabes. En effet, d’une part, on a assisté à une présence spectaculaire des femmes de tous âges, de tous horizons sociaux et idéologiques pendant les phases de mobilisation politique, mais d’autre part, les nouveaux gouvernements qui ont été élus par les peuples ont une très faible représentation féminine, voire même aucune dans certains cas. Pour certains, les femmes n’ont pas les compétences adéquates pour gérer une vie politique. Pour d’autres, y compris pour des femmes, dans ces révolutions, il était question de régime, et non pas de revendications pour une plus grande parité politique. Cependant, les femmes, par leur participation et par leur capacité à mener, aux côtés des hommes, un combat commun, sont en mesure de prendre part au renouveau démocratique.
En outre, on relève un autre phénomène qui a fait suite au « printemps arabe ». Les femmes ont été utilisées pendant les révolutions comme des armes de guerre, ou en ont été les victimes, comme en témoigne l’augmentation du harcèlement sexuel. Ainsi, pour l’Egypte, la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a rendu public ce mercredi 16 avril 2014 un rapport montrant une multiplication des violences faites contre les femmes, visant à les dissuader de participer à la vie publique, les écartant par là-même de la transition démocratique du pays.
Femmes et révolutions au Moyen-Orient. La participation des femmes dans les soulèvements du « printemps arabe » nous fait penser que l’oxymore n’a pas sa place et que les femmes ont su mener, faire avancer, participer, à ces révoltes populaires dans le monde arabe sans que ne leur soit nié leur rôle. Et pourtant, les suites des événements laissent à penser que l’oxymore persiste et que la révolution doit maintenant se faire au niveau de leur condition.
Bibliographie :
– « L’automne des femmes », Courrier International, n°1147, 25-31 octobre 2012.
– « Printemps arabes, printemps durables ? », Revue des femmes philosophes, n°2-3, mai 2013.
– « La FIDH publie un rapport sur les violences sexuelles en Egypte », Le Monde, 16 avril 2014.
Anaïs Mit
Elève à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Anaïs Mit étudie les Relations Internationales en master 2, après avoir obtenu une licence d’Histoire à l’Université de Poitiers. Elle écrit actuellement un mémoire sur la coopération politique, économique et culturelle entre l’Amérique latine (Venezuela, Brésil et Chili) et les Territoires palestiniens.
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