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Etude : Biden élu : ‘Contenir’ Téhéran et/ou négocier ? Le nouveau président entre en fonction et devra vite opérer des choix cruciaux. Analyses et perspectives (1/2)

Par Michel Makinsky
Publié le 18/11/2020 • modifié le 25/01/2021 • Durée de lecture : 93 minutes

Michel Makinsky

(Résumé suite) Néanmoins, J. Biden a affirmé un principe clair : l’Amérique est prête à retourner à l’accord du 14 juillet 2015 si l’Iran respecte à nouveau toutes ses obligations dont il s’est écarté par étapes. Ceci pose un problème de séquençage évident : si Washington attend de Téhéran que l’Iran respecte intégralement ses engagements pour en faire de même, l’Iran s’y refusera. On comprend bien que de toute façon il faudra prévoir des étapes à cet effet (diverses suggestions sont indiquées dans le présent texte), mais surtout l’Iran n’acceptera d’entrer en négociations que si l’Amérique garantit formellement que des canaux bancaires et financiers seront réellement ouverts et exempts de sanctions et de pressions (ce qui supposerait de disposer de lettres de confort) et que l’Iran pourra exporter pétrole et autres marchandises. A cette date, Biden ne s’est pas avancé sur ce point critique.

Autre point : les propos de Biden laissent apparaître une méfiance persistante à l’égard de l’Iran, le ‘containment ‘ reste d’actualité, et la menace de recourir aux sanctions. De même, Biden est sensible à la ‘menace’ régionale iranienne, mais si le soutien américain à ses alliés israéliens est maintenu, il se traduira par une sorte de sous-traitance par un groupe de pays du Golfe qui se sont rapprochés d’Israël avec les « Accords d’Abraham » entre l’Etat hébreu et plusieurs monarchies.
Il en découle une impression de continuité sur certains aspects de la posture de Trump, mais dépourvue d’outrances, de menaces de changement de régime. Biden priorise la diplomatie.
Le nouveau président annonce qu’il consultera les Européens, mais dans quelle mesure tiendra-t-il compte de leurs intérêts ? Ceci suppose que l’Union soit capable d’énoncer une posture iranienne au-delà d’un seul retour au JCPOA ; en revanche, les prétentions des Israéliens et des Saoudiens de participer à des négociations sur le JCPOA seront écartées alors que par nature ils seront partie prenante des discussions sur la sécurité régionale. Les experts qui s’expriment sur ceci insistent sur la nécessité de créer les conditions d’un dialogue avec l’Iran sur ce sujet. Elles passent par des mesures de confiance pour diminuer les tensions. L’Iran, même si le Guide et les ultras sont hostiles à ce dialogue, est visiblement prêt à l’envisager, même sur les missiles balistiques dont il faut relativiser l’importance par rapport aux redoutables missiles de croisière iraniens.

On pourra être surpris par le fait que le futur locataire de la Maison Blanche n’ait pas (officiellement) de vision sur ce que peut être une relation renouvelée avec l’Iran au-delà du respect du JCPOA. La question se posera inévitablement. L’Europe doit s’en préoccuper rapidement, sous peine d’être mise devant le fait accompli. Déjà, Ali Akbar Salehi, qui dirige l’Organisation Iranienne de l’Energie Atomique, a appelé dans une importante déclaration Washington à mettre en question le statut de ‘concurrent hostile et nocif’ attribué à Téhéran, et à examiner si ces deux protagonistes n’auraient pas en réalité des convergences stratégiques plus fortes qu’on ne le dit. La proximité des élections présidentielles iraniennes pèse sur cette situation : si Washington et Téhéran reviennent à l’accord nucléaire avant ce scrutin qui pourrait mener un conservateur proche des Gardiens de la Révolution à la victoire, ceci permettra de préserver des possibilités de tractations ultérieures. A très court terme, Joseph Biden, s’il veut négocier avec succès avec l’Iran, devrait, selon la plupart des experts, avancer des mesures de confiance dès son entrée en fonctions : faciliter les opérations sanitaires liées au traitement de la pandémie (notamment autoriser des flux financiers pour les produits et matériels de santé), accomplir des gestes humanitaires (Téhéran serait de même bien inspiré de libérer les prisonniers bi-nationaux), s’abstenir de gesticulations militaires. S’agissant du JCPOA, plus qu’une rentrée officielle dans l’accord comme ‘membre à part entière’, Téhéran attend des Etats-Unis des mesures immédiates de levée effective de sanctions. Certes, l’Iran déclare que le retour à la pleine conformité de sa part peut être quasi instantané, mais la levée des sanctions par Washington est plus complexe. Les sanctions ‘secondaires’ (pouvant affecter les sociétés étrangères), de la compétence du président, peuvent être levées par lui, mais les sanctions primaires (pouvant frapper les sociétés américaines) ne peuvent être levées que par le Congrès fort méfiant, dans sa majorité, à l’égard de l’Iran. En sus, Téhéran craint autant les pressions que les sanctions. Quelles consignes Biden donnera-t-il à l’OFAC, aux autres administrations pour cesser d’exercer les pressions ? Comment pourra-t-il brider les divers groupes qui les exercent tout autant ? Certains conseillers de J. Biden semblent bien disposés à faire preuve d’imagination pragmatique pour faciliter une diplomatie active avec l’Iran. L’Union européenne, et surtout le trio franco-germano-anglais, doivent se préparer d’urgence à peser pour que ses intérêts pour le marché iranien ne soient plus naïvement sacrifiés. Autant de questions que l’on ne peut ignorer. Mais ces démarches diplomatiques sont en permanence menacées par les pics de tension entre iraniens, américains et israéliens, comme on le voit dans les échanges de menaces à l’occasion de l’anniversaire de l’élimination du général Soleimani : certaines voix en Iran promettent une vengeance sanglante visant personnellement Trump ou des dignitaires américains, tandis que Washington envoie des bombardiers B52 sur zone et déploie un porte-avions lourdement armé, et Israël affiche la présence d’un sous-marin dans le golfe d’Ormuz. Biden hérite d’une situation périlleuse. En proposant certains très bons connaisseurs de l’Iran comme Bill Burns et Wendy Sherman parmi les futurs piliers de son équipe, Il envoie à Téhéran un signal favorable au dialogue.

Introduction

Depuis plusieurs mois, Joseph Biden et ses conseillers travaillent sur la position américaine à l’égard de l’Iran. Il devra prendre vite des décisions critiques. Pendant la période intérimaire, les principales options seront affinées. D’intenses consultations sont déjà lancées par ses experts, tant au sein des actuelles administrations Trump (même s’il sabote la transition), qu’auprès de congressmen influents. Des contacts discrets sont établis (au-delà des félicitations publiques) sans délai avec les alliés européens y compris l’Union, et bien sûr les acteurs régionaux : Israël, l’Arabie saoudite, les Emirats, Oman, le Qatar, les Palestiniens…). Pékin et Moscou, sans doute mais un peu plus tard au vu de leur prudence. Dès le 23 novembre, Charles Michel, président du Conseil européen, s’est entretenu avec Biden qu’il a invité à une « réunion spéciale » à Bruxelles en janvier 2021 avec les dirigeants européens et a exprimé un vœu : « reconstruisons une alliance forte entre l’UE et les Etats-Unis ». De son côté, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a séparément conversé avec le successeur de Trump (L’Union peine-t-elle à parler d’une seule voix ou est-ce un partage des tâches ?). Il n’est pas certain que l’Iran ait été évoqué lors de ces entretiens téléphoniques mais le thème sera certainement abordé lors de la rencontre de janvier. Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, a annoncé qu’« il se rendra à Washington juste après la prise de fonction de Biden », une visite qu’il prépare avec Hugo Mass, son homologue allemand car il veut aussi évoquer (si possible accompagné de ce dernier) la relation transatlantique avec le nouveau président [1]. Et l’Iran ? Donald Trump avait déjà des canaux de conversations via la Suisse (qui représente l’Amérique). Ils avaient servi pour les échanges de prisonniers, la constitution d’un canal financier pour l’exportation de biens ‘humanitaires’ (surtout pharmaceutiques et médicaux) et sans doute d’autres sujets en vue d’un hypothétique ‘big deal’ mal vendu. De même, les habituels ‘facilitateurs’ comme Oman devraient continuer de jouer un rôle.

Mais c’est oublier que le nouvel élu dispose d’un carnet d’adresses fourni. Comme président de la commission des Affaires étrangères du Sénat il a connu Mohammad Djavad Zarif, futur ministre des Affaires étrangères, qui dirigeait la mission iranienne à l’Onu avec une équipe de diplomates (qu’on appelait à Téhéran ‘bande des new yorkais’). Les plus chevronnés devinrent les vice-ministres clés dans la négociation de l’accord nucléaire de juillet 2015 (JCPOA) : Abbas Araghchi, Takht Ravanchi. Il les a retrouvés avec Zarif au cours de ces longues discussions. Le 4 décembre, dans une interview au quotidien réformateur Hamshari, Zarif rappelle qu’il connaît Biden depuis 30 ans. Le successeur de Donald Trump, entouré notamment de Colin Kahl, bénéficie des conseils des anciennes équipes d’Obama (outre John Kerry et Ernest Moniz, Antony Blinken qui joue un rôle important, mais également Wendy Sherman, Jake Sullivan, Bill Burns, Susan Rice, Michèle Flournoy, Nicholas Burns, peut-être Ben Rhodes…) qui étaient alors en première ligne, et que Pompeo critique violemment. Certaines figures comme Elisabeth Rosenberg qui ont travaillé au durcissement des sanctions à l’Ofac, pousseront à la fermeté. Or, Joe Biden n’est pas un ‘clône’ d’Obama, sa ligne est plus dure, à certains égards proche de celle d’Hillary Clinton [2]. Parmi ses conseillers, Biden a procédé à un premier train de sélections emblématiques, ‘consensuelles’, de professionnels aguerris à des fonctions-clés , pour envoyer des signaux forts : Antony Blinken est proposé à la tête du Département d’Etat avec pour adjointe Wendy Sherman (négociatrice-clé du JCPOA), John Kerry sera envoyé spécial pour le climat et siègera au Conseil National de Sécurité ; Jake Sullivan [3] sera conseiller National à la Sécurité. Victoria Nuland (qui fut secrétaire d’Etat assistante en charge de l’Europe et de l’Eurasie sous Obama) deviendrait secrétaire d’Etat adjointe en charge des affaires politiques. Derek Chollet, deviendrait conseiller au Département d’Etat ; il a servi auprès d’Hillary Clinton puis d’Obama, donc de Biden. Il avait fait part de ses réserves sur la pertinence des sanctions contre l’Iran. Jon Finer, ancien du Département d’Etat, pourrait devenir adjoint de J. Sullivan au conseil national de sécurité. Amanda Sloat (qui fut assistante-secrétaire adjointe pour l’Europe du sud et la Méditerranée orientale au Département d’Etat sous Obama) serait désignée au Conseil National de sécurité en charge des affaires européennes. Parmi d’autres nominations prévues au Conseil National de Sécurité, on remarquera celle de Peter Harrel. Il fut de 2012 à 2014 sous- secrétaire d’Etat en charge des ‘contre-mesures’ financières et des sanctions au bureau des affaires économiques et commerciales du Département d’Etat et à ce titre contribua activement à la mise en œuvre des sanctions contre l’Iran. En 2014 il avait ‘convoqué’ des responsables d’entreprises françaises à l’ambassade des Etats-Unis pour les dissuader de nouer des relations commerciales avec l’Iran lors de l’importante délégation du Medef qui s’y est rendue en février 2014 (à laquelle l’auteur du présent texte a participé). Brett Mc Gurk, pressenti pour être auprès de Biden coordinateur pour les affaires du Moyen-Orient, est un vétéran : il a servi auprès de G.W. Bush, Obama et Trump pour qui il a coordonné la lutte contre Daech. Il est connu pour son aversion à l’égard d’Erdogan. Susan Rice, ancienne ambassadrice à l’Onu sous Obama, est nommée conseillère pour la politique intérieure et directrice du Domestic Policy Council. Linda Thomas-Greenfield, diplomate pendant 35 ans, qui exerça au bureau des affaires africaines au Département d’Etat, est pressentie comme ambassadeur des Etats-Unis à l’Onu. C’est un poste clé pour le traitement du dossier iranien. En choisissant William (‘Bill’) Burns comme futur directeur de la CIA, le nouveau président envoie un signal fort : d’une part c’est un diplomate chevronné qui prend la tête de ce très important outil, mais surtout, il fut aux côtés de Wendy Sherman l’un des principaux négociateurs du JCPOA avec les iraniens. Il devrait apporter plus de vision stratégique sur la posture iranienne [4] et sur les acteurs de la région. Une nomination qui retiendra certainement l’attention de Téhéran. Sera-t-il chargé de renouer des contacts secrets dont il a l’expérience ? Le maintien de David S. Cohen à son poste de directeur-adjoint de la CIA retiendra l’attention de Téhéran. En effet, il a sous Obama supervisé l’OFAC, fut donc un des artisans des sanctions iraniennes en tant que sous-secrétaire d’Etat au Trésor pour le renseignement financier et le terrorisme. Est-ce pour apaiser ceux qui trouveraient que Bill Burns serait trop indulgent pour l’Iran ? Bonnie Jenkins, diplomate expérimentée sur les problèmes de contrôle des armements, sera sous-secrétaire d’Etat en charge du contrôle des armements, un sujet sensible pour l’Iran. Avril Haines, futur directeur (trice) de la National Intelligence, fut directeur-adjoint de la CIA, conseiller principal adjoint auprès d’Obama, dirigeait l’équipe de Biden préparant la transition pour la sécurité nationale et la politique étrangère. Le futur secrétaire d’Etat à la Défense, le général (e.r.) Lloyd Austin, est connu pour partager avec Biden une hostilité aux interventions militaires au Moyen-Orient et sa préférence pour l’action diplomatique. Bien plus, il avait exprimé son opposition formelle à l’intervention saoudienne au Yémen qu’il considère comme catastrophique notamment parce qu’à l’époque de son déclenchement, l’Amérique « soutenait discrètement la lutte des Houthis contre l’AQAP (Al Qaida dans la Péninsule Arabique) » [5].

Il sera secondé par un sous-Secrétaire à la défense, Colin Kahl, ancien sous-secrétaire adjoint à la défense, qui longtemps conseilla Obama et Biden pour la sécurité nationale, et a suivi des dossiers iraniens et irakiens. Kathleen Hicks est proposée comme secrétaire adjoint à la défense, elle fut sous-secrétaire adjoint à la défense, et dirige l’équipe de Biden en charge de préparer la transition pour les questions de défense. En proposant comme Secrétaire d’Etat au Trésor Janet Yellen (ancienne présidente de la Réserve Fédérale), Biden privilégie la compétence et se détourne des choix idéologiques de ses prédécesseurs, dont S. Mnuchin (‘patron’ du Trésor) est un exemple caricatural. Adewale Adeyemo, est proposé comme Secrétaire d’Etat adjoint (le N°2) du Trésor, qu’il connaît bien, où il va passer en revue en concertation avec les autres agences de l’administration l’organisation des sanctions gérées par la TFI (Treasury Terrorism and Financial Intelligence Unit). Il a clairement indiqué le 1er décembre que la protection de la sécurité nationale « comprend l’utilisation de notre régime de sanctions pour rendre les mauvais acteurs responsables » (de leurs actes). Ceci est cohérent avec les intentions de Biden de ne pas renoncer à cet outil (les sanctions) mais il est probable que son emploi se fera avec plus de concertation avec les partenaires des Etats-Unis. En désignant Philip Gordon Conseiller adjoint pour la sécurité auprès de la vice-présidente Kamal Harris, Biden signale une rupture par rapport à Trump. En effet, Gordon a récemment publié un ouvrage dénonçant les vaines tentatives des politiques de ‘regime change’ au Moyen-Orient. La tendance ‘progressiste’ des démocrates s’emploie à promouvoir la candidature de plusieurs experts aux postes à pourvoir autour du président. On mesure l’importance de l’élection des deux sénateurs démocrates en Géorgie quand on sait que si Biden n’avait pas obtenu la majorité (en fait l’égalité, mais majorité avec la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris) au Sénat, les républicains auraient bloqué une bonne partie de ces nominations. Leur confirmation, même si elle n’est pas acquise d’avance, s’en trouve facilitée grâce à ces deux sièges [6]

De fait, si les milieux réformateurs iraniens, à l’écoute de la société civile, se réjouissent de la victoire de Biden et espèrent qu’il en résultera un apaisement, d’aucuns estiment qu’il poursuivra certains axes de son prédécesseur : pressions pour freiner le programme nucléaire, ’containment’ des postures ‘menaçantes, déstabilisantes’ de l’Iran… La veille du scrutin, un analyste (Mohammad Hossein Ziya au Middle East Institute) indique [7] que le président iranien aurait reçu l’autorisation du Guide d’entamer des négociations avec les Etats-Unis. Bien qu’invérifiable cet écho symptomatique reflète une réalité : Khamenei conserve souvent plusieurs fers au feu [8]. Le 9 novembre, le ministère iranien des Affaires étrangères a démenti tout contact avec l’entourage de Biden, et dit attendre la formation du nouveau gouvernement et surtout les mesures qu’il adoptera : « Ce sont les mesures qui comptent, non les mots, analyses, spéculations ». Peut-être une allusion aux ‘plans’, feuilles de route’, qui fleurissent dans divers think tanks. En coulisses, gageons que des spécialistes en diplomatie discrète (track 2 diplomacy) font passer des messages et sondent des interlocuteurs [9]

Téhéran : les conditions d’une négociation

Du côté de Téhéran, la position du Guide est inchangée : un refus de négocier basé sur une défiance totale à l’égard d’une Amérique qui ne « respecte aucun engagement » par son retrait unilatéral du JCPOA dont elle paralysait d’ailleurs l’application par maints obstacles et pressions. Il déclare le 3 novembre que la politique iranienne demeure, peu importe qui remporte les élections américaines. Cette posture n’est pas inédite. Elle n’a jamais empêché dialogue et concessions quand nécessité… fait loi. En 1988, l’ayatollah Khomeini consent au cessez-le-feu avec l’Irak, qu’il voit ‘comme l’amer poison du calice’. En 2013 Ali Khamenei fait preuve ‘d’héroïque flexibilité’ pour accepter d’initier les négociations du JCPOA dont il imposera en 2016 l’application aux plus ultras opposants du majlis (Parlement) dont le président Ali Larijani forcera la main. En fait, tout en jurant le contraire l’Iran est prêt à négocier sur maints sujets (nucléaire, missiles balistiques, Yémen, Syrie, Arabie Saoudite, la sécurité d’Israël…) à condition d’être en position de force (drones, missiles de croisière, résilience économique, survie du régime, alliances tactiques avec Moscou et Pékin) pour obtenir des concessions sur des enjeux vitaux : outre la levée urgente des obstructions sournoises à l’importation de denrées agricoles et alimentaires, mais surtout de médicaments, équipements médicaux notamment pour le Covid 19 (qui sont pourtant officiellement exemptés de sanctions américaines), l’Iran exige l’ouverture de canaux bancaires libérés de sanctions et de pressions (aussi redoutables), et la possibilité d’exporter pétrole, et plusieurs produits clés (tels que les condensats, la pétrochimie…).

Pour Téhéran, négocier avec Biden est concevable si ces verrous sont levés. La ligne rouge de toute négociation est là : l’Iran veut d’abord que Washington donne des garanties précises [10] qui se traduisent en actes pour donner à son tour des gages pour revenir au respect intégral du JCPOA. Avec une tentation de surenchères : le 8 novembre, Rohani déclare escompter que les nouveaux responsables américains « compensent pour leurs erreurs passées » [11]. C’est sans doute une posture maximaliste d’entrée en négociations (il est très peu probable que Biden accepte de verser d’emblée une quelconque ‘compensation’) mais derrière elle il y a en fait une hiérarchie de vraies priorités. Le 10, il indique que l’objectif iranien est la levée des sanctions (= une conformité de tous au JCPOA) et que si l’occasion s’en présente « nous ferons notre travail ». Peu après le Parlement mécontent du dernier rapport de l’AIEA menace de diminuer le niveau de coopération avec l’Agence. La seule annonce par Biden d’un retour américain à l’accord nucléaire est pour Téhéran sans grand intérêt en l’absence de concrétisation des garanties attendues. Jusqu’à présent, le futur locataire de la Maison-Blanche n’a pas été disert sur ce point précis. Parmi les ‘durs’ qui émaillent les appareils sécuritaires comme l’entourage du Guide, beaucoup n’accordent pas crédit aux démocrates mais auraient préféré Trump dans deux scénarios : soit un retrait de l’Iran du JCPOA, avec un retour des sanctions Onu et européennes isolant le pays mais favorisant les intérêts des Gardiens de la Révolution, soit ’un ‘big deal’ (encore brandi par Trump avant les élections) offrant à ceux-ci une ouverture économique contre un accès des entreprises américaines au marché iranien (calcul fort hasardeux reposant sur la levée des sanctions primaires américaines par le Congrès très rétif) alors que les pasdarans renforcent chaque jour leur emprise dans l’espoir de faire élire un de leurs proches comme chef de l’Etat en juin 2021, et de la désignation d’un successeur du Guide (Ebrahim Raïssi, chef du judiciaire et vice-président de l’Assemblée des Experts) à leur dévotion le moment venu. Du coup, selon M. Ziya, toute négociation américaine doit impliquer l’entourage du Guide, (par exemple son conseiller Ali Akbar Velayati) pour une fiabilité suffisante pour passer le cap des présidentielles qu’un conservateur dur pourrait remporter.

Biden : les grandes lignes d’une politique iranienne

Prudent, Joseph Biden ne divulgue pas de programme détaillé sur sa politique iranienne. Ses équipes sont en train de prendre connaissance des dossiers de l’administration Trump. Celle-ci ne facilite pas la transition. En particulier, J. Biden et Jake Sullivan ont dénoncé comme scandaleuse et dangereuse pour la sécurité nationale l’obstruction rencontrée au Pentagone de la part de plusieurs services refusant de communiquer des informations indispensables à l’organisation des activités, et repoussant des réunions urgentes. Cette dissimulation a fait craindre à certains que Trump voudrait lancer une attaque contre l’Iran avant son départ. Cette situation inédite a provoqué une condamnation indignée de l’Otan. Trump n’a pu s’opposer au vu des résultats certifiés à ce qu’Emily Murphy, administrateur des Services Généraux de l’Administration, notifie le 23 novembre au nouvel élu qu’il a accès aux ressources et financements nécessaires à la transition. Ce faisant, elle a donné le signal permettant aux équipes ‘sortantes’ et ‘arrivantes’ de travailler sur les dossiers en vue de l’entrée en fonctions de Biden. L’étape franchie le 14 décembre par le vote des 538 grands électeurs validant son élection a amélioré les conditions de ces échanges. La certification de la victoire de Biden le 7 janvier par le Congrès après avis favorable de Mike Pence, malgré d’ultimes manœuvres dilatoires et une occupation violente (quasi insurrectionnelle) par des partisans de Trump qui les avait déchaînés [12], lève les principaux obstacles. L’ancien président (tout en refusant de reconnaître son échec) a concédé qu’il y aurait une ‘transition ordonnée’.

Si les auditions officielles auprès du Congrès n’ont pas encore débuté, Jake Sullivan indique que « les consultations avec les dirigeants étrangers se poursuivent activement même si Biden ne peut entamer de négociations avec eux tant qu’il n’est pas officiellement président ». Celles avec les diplomates, dirigeants étrangers et organisations multilatérales (ONU, UE, etc) pas davantage. Seules émergent quelques intentions générales dont nous tirons quelques points saillants qui resteront à confirmer, compléter, clarifier. Le 2 avril, le candidat Biden [13] sommait Trump de lever tous les obstacles à la mise en œuvre des exemptions permettant l’exportation de biens ‘humanitaires’, ici les médicaments et dispositifs médicaux indispensables à l’Iran face à la pandémie du Covid 19. Il demandait l’émission de licences générales pour ces derniers, la création d’un canal dédié aux banques internationales, entreprises de transport, assureurs… pour permettre la livraison de ces besoins vitaux. Les acteurs de ces flux devraient se voir assurer de l’absence de pénalités ou sanctions dans le cadre de ces opérations. Les entités réalisant déjà des due diligences (vérifications) renforcées sur leurs interlocuteurs iraniens devraient recevoir des lettres de confort garantissant leur immunité (le Canal suisse SHTA basé sur la Banque genevoise de Commerce et de Participation et l’octroi d’un accord de l’Ofac après vérification, qui a été utilisé par le laboratoire Novartis, obéit déjà à ce principe).

L’administration devrait aussi s’assurer de ce que l’assistance à d’autres pays victimes du coronavirus soit aussi exempte de sanctions. On peut donc penser que dès son entrée en fonction, Biden pourrait afficher des mesures de confiance, comme le suggère l’experte Ellie Geranmayeh [14], complétant les dispositifs déjà mis en place : notamment apporter des clarifications à la Licence Générale 8 et supprimer les obstacles rencontrés à la fourniture de médicaments et d’équipements pour lutter contre le Covid 19 (on peut penser à la levée des pressions dissuadant des pays tels que la Corée du Sud détenant des fonds iraniens [15] de les transférer à Genève pour les livraisons de médicaments depuis la Suisse ou à des mesures permettant le financement d’unités de fabrication de médicaments en Iran). Elle propose aussi de dynamiser avec les Européens l’utilisation du mécanisme de compensation Instex pour les biens humanitaires et même de le reconnaître officiellement. Rappelant l’engagement de Biden de lever l’interdiction d’entrer sur le territoire aux ressortissants de certains pays (‘Muslim ban’), elle conseille d’élargir le bénéfice de cette mesure aux citoyens iraniens. Pareillement, elle préconise de supprimer les sanctions frappant des représentants officiels iraniens comme Zarif, et les restrictions de déplacement pesant sur les fonctionnaires visitant la mission iranienne à l’Onu.

Dans un article de Foreign Affairs (mars/avril 2020) [16], qui donne les grandes lignes de sa future politique étrangère, le candidat Biden énonce brièvement sa philosophie : il affirme qu’il n’a « aucune illusion sur le régime iranien », « qui pratique une attitude déstabilisante au Moyen-Orient, a réprimé brutalement des manifestants sur son territoire, et a injustement détenu des Américains ». Ainsi se dégage une vision à dominante négative sur l’Iran, qui comporte donc une certaine continuité par rapport à son prédécesseur. Biden estime aussi qu’il faut « contrer la menace que l’Iran pose à nos intérêts ». La République islamique est donc perçue comme une ‘menace’ et reste à savoir ce que le candidat entendait par ‘nos intérêts’. Ceci reflète-t-il une vision stratégique structurée ? La tonalité n’est pas celle d’Obama. Mais Biden crée une nette rupture par rapport à Trump : il veut ‘contenir’ l’Iran par une voie ‘correcte’ (smart way) : le recours à la diplomatie : « Téhéran doit revenir à une stricte conformité à l’accord. S’il le fait, je retournerai à l’accord et utiliserai notre engagement renouvelé à la diplomatie pour travailler avec nos alliés pour le renforcer et l’étendre, tout en luttant plus efficacement contre les autres activités déstabilisantes de l’Iran ». Cette ligne présente des éléments de continuité avec la ligne suivie par Trump (sans la brutalité, ni les menaces, pressions, sanctions unilatérales) pendant la période où le secrétaire d’Etat Tillerson poussait rudement les Européens aveugles à négocier avec Téhéran un impossible accord durcissant le JCPOA et élargissant son champ aux missiles balistiques et aux actions ‘menaçantes’ de l’Iran au Moyen-Orient. Une ligne qui s’est conclue par le prévisible retrait américain surprenant les 3 Européens qui ne l’avaient pas anticipé. Ici, rien de tel, l’heure est à la concertation et la coopération avec les alliés et partenaires [17]. Mais si la méthode ‘smart’ diffère de la coercition, l’objectif affiché officiellement est-il si différent (un changement d’attitude) ? Biden ne rêve pas de ‘changer un régime’ qu’il juge sévèrement, mais veut de sérieuses modifications de comportement.

Dans une courte interview à CNN le 13 septembre 2020 [18], le candidat Biden, prenant acte du double échec retentissant de Trump qui n’a pu obtenir du Conseil de Sécurité le prolongement de l’embargo sur les livraisons d’armes à l’Iran ni le déclenchement du mécanisme de rétablissement des sanctions de l’ONU (snap back), relève qu’à présent l’Iran stocke beaucoup plus d’uranium enrichi que quand Obama et lui étaient en fonctions. Le pire est qu’en se retirant de l’accord, Trump a poussé les alliés des Etats-Unis à s’opposer à leur politique au lieu d’y coopérer. Aussi Biden présente les 3 axes de sa politique iranienne. Le premier : « un engagement inébranlable d’empêcher l’Iran d’obtenir une arme atomique ». Le second : offrir à Téhéran un chemin crédible de retour à la diplomatie. « Si Téhéran revient à une stricte conformité à l’accord nucléaire, les Etats-Unis retourneront à l’accord comme point de départ à des négociations subséquentes ». Il poursuit en confirmant la poursuite de la lutte contre les « activités déstabilisantes »iraniennes, qui menacent la sécurité des partenaires de Washington dans la région. Biden réitère sa fidélité à l’accord d’assistance à la sécurité d’Israël à qui il promet une étroite coopération. Plus révélateur, il déclare qu’il poursuivra l’usage de « sanctions ciblées » [19] contre les violations iraniennes des droits de l’Homme, le soutien iranien au ‘terrorisme’ (ceci vise notamment les activités du Hezbollah), et son programme de missiles balistiques.

Le changement : la diplomatie, pas les objectifs. Questions sur une méthode

Ces orientations reflètent une continuité (à l’exception notable de l’absence du ‘regime change’) par rapport à la vision de Trump, même si la forme diffère. Au fond, Biden veut des profondes modifications dans l’attitude iranienne, surtout au niveau régional. La ‘voie correcte’ qu’il empruntera est plus que le simple recours à la diplomatie. En effet, poursuivre le recours aux ‘sanctions ciblées’ pour ‘punir’ les atteintes aux droits de l’Homme, l’appui au ‘terrorisme’, le programme balistique, ajoute un volet coercitif qui n’est en rien une novation. Pourquoi cette reprise ? Des doutes sérieux pèsent sur son efficacité au vu de la période écoulée. Le plus important est ailleurs. Le premier objectif (empêcher l’Iran d’obtenir la bombe atomique), est la priorité mais son contenu précis reste à préciser (quels renoncements existants ou supplémentaires exiger ?). Et surtout par quels moyens ? On devine que Biden entend obtenir des garanties absolues que l’Iran respectera scrupuleusement ses engagements du JCPOA. Seule l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) a qualité et légitimité pour se prononcer. Mais d’abord, il faut se demander si l’Iran a la volonté de rester dans l’Accord. Jusqu’ici, Rohani et la diplomatie iranienne ont répété que les ‘retraits’ et manquements volontaires n’étaient que partiels et qu’ils reviendraient si Washington respecte ses engagements. Dans des moments de tension, tel ou tel chez les ultras a brandi la menace de quitter le JCPOA, voire le Traité de Non Prolifération. Mais c’est le Guide Suprême qui a le dernier mot. Le 3 novembre, en termes sibyllins, il déclare : « Nous poursuivons une politique avisée, calculée, qui ne peut être affectée par les changements de personnes » [20]. Comme le souligne l’excellent expert Esfandyar Batmanghelidj, ceci veut dire que l’accord n’est ‘pas encore mort’, et que tout sera décidé en fonction de l’évaluation de la situation.

La véritable question que pose l’énonciation du second objectif est son séquençage.
En effet Biden prévoit son retour au JCPOA si Téhéran revient à une totale conformité à celui-ci. Si Biden a réellement l’intention de négocier avec l’Iran un retour des deux parties à l’accord, un tel séquençage est manifestement inacceptable pour les dirigeants iraniens. Si le nouveau président ne garantit pas qu’il prendra sans délai les premières mesures permettant l’ouverture de canaux bancaires prémunis contre non seulement les sanctions mais aussi les pressions (celles sur lesquelles il a autorité et/ou influence),Téhéran ne négociera pas ni ne ralentira ses manquements au JCPOA ; Biden peut débuter dès son installation en appliquant ses propositions de sécuriser, et même d’amplifier les dispositifs nécessaires aux exportations de biens ‘humanitaires’, surtout les médicaments et dispositifs médicaux. Bon signal mais ceci ne suffira pas, et il devra rapidement donner des gages précis (des actes) de libération (même progressive) des canaux bancaires et des flux d’exportations. Ceci passe par des executive orders en son pouvoir. Ce n’est que si la Maison-Blanche est convaincante sur ce point qu’une impasse pourra être évitée. Elle suppose que Biden modifie ce séquençage. C’est plus une question de méthode que d’objectifs. Les deux parties veulent un retour au JCPOA, mais à tout le JCPOA, que les Etats-Unis n’ont que très partiellement respecté sous Obama. On se rappelle la colère de Zarif interpellant son homologue John Kerry qui prétendait que l’Amérique avait ‘fait le job’. Il s’en était suivi une rencontre houleuse entre celui-ci et les banquiers européens qu’il traitait de ‘timides’ devant un marché iranien « libre d’accès ». Stuart Levey, ancien architecte des lourdes sanctions et pressions américaines à l’OFAC, devenu senior legal advisor de la Standard Chartered Bank, avait publié une tribune indignée [21] dénonçant ce double langage. A Téhéran, la leçon a été retenue.

Le retour de l’Iran à une pleine conformité, sous réserve que les conditions précitées soient remplies, est concevable, étape par étape. Il faudra définir dans quels cadres et quels lieux la négociation et la surveillance de ces étapes peuvent se dérouler. En effet, une partie de ces négociations s’effectuera en bilatéral, une autre dans le cadre de la commission de suivi 4+1 (les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’Onu moins l’Amérique plus l’Allemagne) du JCPOA qui pourrait redevenir 5+1 une fois que Washington aura rejoint l’Accord. Rappelons que celle-ci avait enclenché une procédure en manquement contre l’Iran à la suite de ses écarts successifs. Un signal fort donné pour pousser Téhéran à répondre aux demandes de l’Agence, en priorité la visite de deux sites ‘sensibles’. Téhéran y a consenti, marquant une amélioration du niveau de coopération avec elle. Mais n’oublions pas, inversement, que les Iraniens avaient déposé plainte contre les USA pour infractions graves à plusieurs dispositions de l’Accord, singulièrement celles relatives à la levée des sanctions et l’abstention d’actions hostiles. Le Conseil de Sécurité sera l’hôte normal des discussions portant sur le retour formalisé à l’accord. Ironie du sort : ceci restaurera la capacité juridique américaine à lancer licitement un éventuel snap back…

L’autre acteur indispensable : l’AIEA citée plus haut. Son récent rapport [22] qui met en lumière des manquements problématiques et des anomalies inexpliquées tout en soulignant la coopération réelle de l’Iran suscite une tension à Téhéran où les conservateurs poussent les pouvoirs publics à en restreindre les investigations. Soulignons un détail majeur peu connu. Jusqu’ici, l’Iran applique volontairement le Protocole Additionnel du Traité de Non-Prolifération (il n’y est pas tenu car ne l’a pas encore ratifié) qui permet des contrôles plus intensifs que le TNP et impose des déclarations plus contraignantes. Si un compromis n’est pas trouvé, les ‘durs’ du régime (au Parlement, mais aussi proches du Guide) pourraient imposer au gouvernement Rohani la suspension de ce volontariat. Or, on l’a compris, les débuts de la présidence Biden devraient être marqués par des mesures de confiance. Imposer un séquençage qui les exclut aboutira à une impasse qu’un successeur conservateur de Rohani pourrait exploiter.

Si le second objectif (retour des deux parties au JCPOA) est atteint, Biden prévoit de ‘travailler’ avec ses alliés « pour le renforcer et l’étendre ». Cette perspective n’est pas nouvelle. Avant le retrait américain le Secrétaire d’Etat Tillerson poussait les Européens à imposer un contenu plus contraignant au JCPOA. Il s’agit principalement de revenir sur les ‘sunset clauses’ qui prévoient la fin (janvier 2026, janvier 2031) de certaines obligations (respectivement sur le nombre de centrifugeuses dernière génération et le stock d’uranium enrichi) pour l’Iran, qui sont plus contraignantes que celles découlant normalement du Traité de Non Prolifération. Elles avaient été introduites car les négociateurs pensaient qu’avec le temps, un Iran réintégré dans la communauté internationale ne nécessiterait pas d’exigences extraordinaires. On peut y adjoindre la fin de l’embargo sur les ventes d’armes à l’Iran qui a expiré le 18 octobre. (Pour mémoire l’embargo européen sur les ventes d’armes prend fin en 2023). Ces clauses font l’objet de critiques passionnées chez les partisans de la dureté au Congrès et chez les lobbyistes néoconservateurs ou proches du Likoud. Ils estiment que leur terminaison amènera l’Iran à relancer des activités nucléaires illicites menant à la bombe atomique : menace existentielle ! Bien que dénuée de fondement, cette crainte demeure forte chez maints républicains et démocrates qui oublient (?) que l’ensemble du dispositif de surveillance de l’AIEA est amplement suffisant pour détecter toute dérive substantielle. Quant aux livraisons d’armes à l’Iran, maints experts s’attendent à ce que Moscou fasse preuve de prudence dans le choix comme les volumes de matériel. Téhéran fait pression pour obtenir des systèmes de missiles AS400 [23] (un des meilleurs du marché) mais la Russie n’est pas pressée d’y consentir (et en cas de fourniture, Moscou prend des précautions avec des limitations techniques, un contrôle sur certains codes, etc), craignant des sanctions américaines, mais aussi ne voulant pas bouleverser l’équilibre stratégique régional. En sus, les capacités financières réduites de Téhéran restreignent l’ampleur de ces achats. De même, malgré un volet militaire ambitieux, l’accord stratégique en cours de révision entre Pékin et l’Iran ne devrait pas conduire à des livraisons excessives de matériels sophistiqués. Ceci alourdirait un climat peu serein avec Washington.

Il est probable que les dirigeants iraniens adopteront au moins initialement une position ‘dure’ sur toute demande américaine de ‘compléter ou renforcer’ le JCPOA. La ligne classique « le JCPOA, rien que le JCPOA », s’y opposera. Au moins le temps de permettre de juger si un retour simultané des deux parties à l’Accord - ou des gestes concrets très substantiels de Washington en matière de libération des exportations iraniennes et de flux bancaires en vue de ce retour - donnent à l’Iran des assurances de pouvoir sortir de l’étranglement financier dans un cadre négocié. Il est concevable en ce cas que des conversations dans le cadre de l’AIEA offrent un cadre incontestable à des conversations exploratoires qui puissent déboucher à des négociations bilatérales et ensuite au sein des autres enceintes (Conseil de Sécurité, Commission de suivi des 5+1). Dans celles-ci l’Union européenne et le trio franco-germano-britannique (outre des échanges bilatéraux discrets avec Washington) joueraient leur rôle aux côtés de Moscou et Pékin. Par ailleurs, Biden consultera et informera certainement ses partenaires israéliens et saoudiens. De leur attitude dépendra aussi l’intensité de ces consultations. Ces interlocuteurs n’avaient pas tardé à manifester leurs inquiétudes à Biden : Netanyahu et Ron Dermer, représentant Israël à l’Onu, ont qualifié de « faute » une réintégration américaine dans le JCPOA. Le 22 novembre, le premier ministre israélien a martelé : « Il ne peut y avoir de retour à l’ancien accord nucléaire ». De même, le prince saoudien Turki al-Faisal a déclaré qu’un tel retour nuirait à la sécurité régionale et que des négociations d’ensemble doivent précéder un tel rétablissement. Il a mis en garde contre tout assouplissement des sanctions.

Le troisième objectif avancé par le futur président américain vise à satisfaire non seulement les conservateurs au sein des démocrates, mais aussi une part des républicains ‘raisonnables’. Il a des accents ‘trumpiens’ familiers. Il s’adresse surtout à Israël et à l’Arabie saoudite (sans doute aux Emirats et aux autres pays du Golfe). Il s’engage à lutter contre les « activités déstabilisantes » de l’Iran, qui ‘menacent’ la région, rassure Israël sur sa sécurité, et enfin, brandit la menace de sanctions ciblées pour punir l’Iran, son appui au terrorisme et son programme de missiles balistiques. Il n’est pas ici question de négociations. Cette déclaration est un message de continuité aux partenaires régionaux redoutant que Biden se distancie d’eux, les laisse exposés aux ‘menaces’ iraniennes. Ces propos par nature ne peuvent qu’entretenir de la suspicion à Téhéran. Les déclarations des autorités iraniennes prenant acte de la victoire de Biden sont néanmoins, comme on l’a relevé, très prudentes, souhaitant un nouveau tournant de la politique américaine, mais fort réservées quant à un tel changement. Le mot d’ordre : juger aux actes. Biden poursuivra-t-il une alliance et un alignement aveugles avec Netanyahu et le souverain saoudien ? S’il n’est guère envisageable de se détacher d’Israël, en revanche le nouveau président pourrait habilement tirer profit des accords d’Abraham entre Israël, les Emirats et Bahreïn dans l’attente d’autres, pour organiser avec eux une sorte de sous-traitance de leur propre sécurité, avec une aide américaine moins exposée. L’épouvantail iranien continuerait de jouer un rôle. A l’égard de l’Arabie saoudite, Biden, très choqué comme la majorité des Démocrates par le comportement du prince saoudien, notamment dans l’élimination de Kashoggi, et probablement sceptique sur l’enlisement saoudien dans le bourbier yéménite, encouragera la recherche d’une solution diplomatique. Il pourrait sans abandonner le royaume, prendre un peu de distance avec plus de retenue sur les flots d’armements et une vigilance sur les transferts de technologie nucléaire à Riyad qu’il encouragerait à plus de transparence vis-à-vis de l’AIEA. Rappelons qu’en février 2017, Zarif avait répondu à un journaliste américain que le Yémen ne présente aucun intérêt stratégique pour l’Iran… mais pour l’Arabie saoudite [24] ! Ce dossier est sans doute celui où la posture iranienne est négociable. Les Européens y ont songé.

Pousser à un accord entre Riyad et Israël aiderait Biden à sous-traiter une partie de leur sécurité. La normalisation semble affectée par la publicité donnée par Netanyahu à son ‘voyage secret’ à Neom où il a rencontré MBS en compagnie du directeur du Mossad Yossi Cohen. Cette révélation a vivement contrarié le royaume, moins pressé d’avancer en raison, notamment, du refus du monarque saoudien de ‘sacrifier’ les Palestiniens. Le 4 décembre, lors de la conférence Med2020, le ministre saoudien des Affaires étrangères a rappelé que la normalisation des relations avec Israël est conditionnée par « un accord de paix qui produise un état Palestinien avec une souveraineté effective que les Palestiniens puissent accepter ». Concrètement, un état viable et non pas totalement découpé en lanières et étouffé. Le retour aux frontières de 1967 serait le bon schéma [25]. Le 6 décembre, lors des rencontres de l’IISS à Manama, le prince Turki al-Faisal a lui aussi réclamé ce retour dans une diatribe d’une inhabituelle violence contre Israël dont il a dénoncé les pratiques à l’endroit des Palestiniens. Une telle vigueur exprimée en public atteste sans doute les vives divisions à ce sujet au sein du régime saoudien entre MBS et le roi et ses proches.
Certains à Riyad (encore très minoritaires) sentent le vent tourner et se demandent si, après un compromis nucléaire américain avec l’Iran, le royaume ne pourrait pas envisager lui aussi d’entamer des conversations avec ce redouté voisin sur le thème de la sécurité régionale. En dépit de la défiance viscérale de Mohammed Ben Salman (MBS) à l’égard de l’Iran, le contexte s’y prête, Moscou, Pékin, Téhéran (qui a son propre plan Hope), ayant présenté récemment à l’Onu leurs dernières versions de système régional de sécurité [26]. Il est clair que Biden pourrait tirer profit de la montée en puissance des Emirats arabes unis qui se montrent des ‘partenaires responsables’, plus prévisibles que MBS. A la différence du jeune prince, l’Emir M. Ben Zayed (MBZ) qui a une vraie stratégie régionale, s’est distancié de la coalition saoudienne au Yémen et a réussi une percée diplomatique avec les Etats-Unis. Tout en faisant partie du ‘containment’ il pourrait être encouragé par Biden à réfléchir au système de sécurité régionale et à dialoguer pour ce faire avec l’Iran. Les Emirats ne manqueront pas, avec l’appui de Washington, de demander à Téhéran de mettre fin au contentieux qui les oppose sur les îlots d’Abu Musa, de la Petite et la Grande Tomb, que les troupes iraniennes occupent au nom de ‘droits historiques’. Si l’Iran consent à déférer ce litige à la Cour internationale de Justice ou un tribunal arbitral (demandé depuis longtemps par les Emirats), un pas important vers le ‘calme régional’ serait accompli. Il s’y refuse encore aujourd’hui. Ce blocage apparemment sculpté dans le marbre (les Gardiens de la Révolution tiennent mordicus à ce point d’appui menaçant, et la souveraineté nationale ‘historique’ du territoire est sacrée pour les conservateurs et le Guide) pourrait-il évoluer si les dirigeants iraniens perçoivent qu’une décision arbitrale ou de la CIJ ne serait pas automatiquement en leur défaveur ? La Cour a déjà rendu deux décisions favorables à l’Iran sur la recevabilité de plaintes contre l’Amérique qui a violé le traité bilatéral d’amitié de 1955 encore en vigueur lors de leur introduction.

Au surplus, on ne peut exclure que le Qatar qui entretient de bonnes relations avec l’Iran se rapproche de l’Amérique et puisse avec Oman servir de médiateur avec Téhéran, avec l’aide du Koweït [27]. La signature de la Déclaration AlUla le 5 janvier [28] marque la fin du boycott infligé au Qatar par le quatuor Arabie saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Bahreïn. Hormis le retrait de ses plaintes par le Qatar, on ignore quels autres engagements ce dernier a conclu par rapport aux 13 demandes qu’en vain ses ‘bloqueurs’ ont tenté de faire satisfaire [29]. Cet accord a minima, selon les observateurs, ne devrait pas pour autant éteindre les profondes rivalités au sein du Conseil de Coopération du Golfe [30] qui ne deviendra pas un véritable pôle stratégique au-delà d’une certaine coopération économique [31] et d’un réel renforcement des échanges commerciaux. En matière de sécurité régionale, le CCG n’est pas prêt à aller très au-delà du renforcement de la coopération militaire technique et d’une meilleure coordination des forces armées, avec un souci permanent de la survie des régimes de ses membres. Si la Déclaration ne mentionne pas l’Iran, reflétant sans doute un compromis nécessaire à sa signature, célébrant l’unité (de façade) du CCG fraîchement retrouvée, en fait il apparaît que le dessein de l’Arabie saoudite est bien de constituer un ‘front’ contre l’Iran. Le discours prononcé par MBS le révèle au grand jour en invitant les signataires à l’unité pour « relever les défis qui nous entourent, en particulier les menaces posées par le programme nucléaire du régime iranien, son programme de missiles balistiques, ses projets de sabotage destructeurs ainsi que les activités terroristes et sectaires adoptées par l’Iran et ses alliés pour déstabiliser la sécurité et la stabilité de la région ». [32] Selon certains analystes, le fragile ciment des membres du CCG serait la perception d’une menace iranienne que Téhéran n’a certainement pas contribué à dissiper par ses actions (notamment incidents maritimes, intimidations, propos hostiles, etc). Ils ajoutent que l’arrivée de Biden au pouvoir renforce cette anxiété en raison des incertitudes [33] quant aux engagements du futur locataire de la Maison-Blanche quant à leur sécurité [34]. En décidant d’intégrer Israël dans le périmètre de responsabilités de l’US Central Command (Centcom) le Pentagone ajoute une autre pièce de dernière minute à l’héritage de Trump. Un des objectifs de cette mesure est de « convaincre les dirigeants arabes de laisser de côté leurs différences et de commencer à travailler à la coopération régionale en matière de sécurité ». [35]. Ceci a un rapport étroit avec leur rapprochement avec Israël : un responsable du Département d’Etat le dit clairement : « Un objectif clé des Accords d’Abraham est de permettre aux forces armées du Moyen-Orient de devenir ‘interopérables avec les Etats-Unis et également entre elles ». Le Qatar, soucieux de ne pas se laisser entraîner dans un tel ‘front’, a immédiatement pris ses distances par rapport à une telle visée en précisant que l’accord conclu ne changera pas ses rapports avec l’Iran (et sans doute la Turquie) [36]. D’aucuns estiment qu’un autre facteur a pesé sur la recherche de cette unité : la concurrence des Emirats arabes unis [37] qui ont précédé Riyad dans la signature d’un accord avec Israël, et la succession attendue à la tête du trône saoudien que MBS souhaite hâter. [38]. La vraie question qui se pose est de savoir si cet accord qui dit contribuer à une certaine détente régionale est de nature à faciliter un futur dialogue, de futures négociations. Il faudrait une nouvelle volonté politique en ce sens chez MBS, ce qui ne semble pas le cas à horizon visible, et, de plus, il n’est pas évident que Téhéran considère le CCG comme un interlocuteur et un cadre pertinents. Cette question sera un des défis posés à J. Biden qui pourrait trouver, d’après Giorgo Caffiero, spécialiste de la région, commode de recourir au Qatar pour des contacts avec l’Iran [39].

Le Qatar pourrait aussi offrir ses bons offices dans la défiance qui oppose Erdogan à l’Amérique, qui empire depuis la crise du Haut-Karabakh. S’agissant de la Syrie, où c’est en fait Moscou qui ‘tient’ le calendrier, y compris en concurrence avec l’Iran pour les profits de la ‘reconstruction’ (= se payer sur ‘la bête’ des coûts de l’assistance militaire), l’Iran n’est pas en position de force. Moscou pourrait encourager Téhéran à accepter des compromis en vue de la succession politique de Bachar el-Assad. Téhéran tient à la survie de l’Etat syrien, celle du président n’est pas un dogme absolu. Biden n’a guère d’influence sur les discussions en cours sur un projet de constitution syrienne sous l’égide de l’Onu mais pourrait presser les partenaires régionaux de l’Amérique de ne pas y faire obstacle. Il pourrait aussi faire savoir qu’il ne s’oppose pas à la solution diplomatique promue par Moscou si elle est soutenue par l’Onu, en échange d’un allègement progressif du dispositif militaire russe que la Russie peut envisager pour diminuer son coût considérable pour son économie à la peine. Israël y trouverait son compte. Téhéran n’aurait guère de possibilité de s’y opposer, les ressources iraniennes ne permettant pas un effort militaire coûteux. Biden va-t-il poursuivre les tentatives de Trump de pousser des grands groupes américains à mettre la main sur une partie des ressources pétrolières syriennes… et irakiennes ? En Irak, cette ambition associée aux énormes pressions sur Bagdad de couper ses échanges d’hydrocarbures avec l’Iran ralentit la conclusion du ‘grand accord stratégique’ [40] avec les autorités irakiennes. Téhéran a donné un signal de bonne-volonté suivant de discrets conseils britanniques : le Guide Khamenei a personnellement ordonné [41] aux milices chiites irakiennes sous influence iranienne (notamment Kataeb Hezbollah) de cesser d’attaquer les intérêts américains (sous peine de représailles vigoureuses et dans le contexte de menaces de Washington de fermer son ambassade [42]). Le retrait annoncé (malgré l’opposition de responsables militaires et la démission du secrétaire à la défense Mark Esper qui s’y opposait) d’une part du contingent américain d’Irak [43] (comme d’Afghanistan) répond, certes, à une promesse électorale de Trump, mais vise à alourdir encore plus l’héritage laissé à son successeur peu avant sa prise de fonctions. Ceci rendra encore plus inconfortable la tâche des dirigeants irakiens qui devraient chercher rapidement à se concerter avec le nouveau président.

De même, l’Iran affaibli ne pourra pas indéfiniment soutenir financièrement l’activité militaire d’un Hezbollah que les dramatiques explosions de Beyrouth ont défavorablement affecté. En affichant son appui au président Aoun pour négocier avec Israël une délimitation frontalière pour permettre l’exploitation de gisements de gaz dans la région, Hassan Nasrallah a compris qu’il fallait adopter un profil bas. Téhéran lui a sans doute donné des conseils de modération au moment où Mike Pompeo s’emploie à persuader Netanyahu de défier frontalement l’Iran pour léguer au successeur de Trump un héritage empoisonné.

Enfin, Biden a déclaré vouloir bloquer le programme de missiles balistiques iraniens en brandissant la menace de sanctions ‘ciblées’. Cette ligne très trumpienne est destinée à satisfaire les durs proches d’Israël et des Saoudiens chez les démocrates mais aussi les républicains qui y seront réceptifs. Netanyahu et MBS ne peuvent qu’applaudir. MBZ qui se sait à portée de frappes iraniennes n’y est pas insensible. Des responsables militaires émiratis ont déjà eu des échanges avec leurs homologues iraniens pour diminuer les risques de dérapages en cas de tension dans le Golfe. Pour autant, cette option qui a échoué peut-elle être remise en question ? Des conseillers et experts avertis pourront-ils convaincre le nouveau président qu’il fait fausse route s’il persiste ? Elle procède en effet d’une erreur de diagnostic et de tactique. Les Occidentaux se sont enlisés sans fin dans un débat sur la portée géographique des missiles balistiques iraniens et surtout sur leur nature. Sont-ils capables et/ou destinés à emporter des charges nucléaires ? Les batailles d’experts sur ce point crucial emplissent des masses de publications, blogs, supports de tous ordres. Les autorités iraniennes jurent que ces missiles n’ont pas vocation à être dotés de têtes nucléaires, d’autres propos ambigus laissent entendre que ce n’est pas impossible mais que l’intention n’est pas de les en doter, au moins immédiatement. Pour leur part, les spécialistes occidentaux estiment qu’on ne peut exclure la capacité d’emport de charges nucléaires. Mais l’objectif de ces missiles est-il d’en projeter ? C’est une toute autre question, de nature stratégique. Il semble que les Occidentaux se soient laissés abuser en se focalisant sur ce qui est un ‘chiffon rouge’ brandi par les Gardiens de la Révolution. Depuis plusieurs années, ceux-ci répètent alternativement que ces missiles ont une portée supérieure à 2000 km, capables d’atteindre des objectifs lointains (occidentaux), ou inversement, que (suivant l’avis du Guide !) cette portée est pour des raisons ‘stratégiques’ « volontairement » limitée à 2000 km (d’aucuns estiment qu’en réalité ces missiles d’origine nord-coréenne ‘améliorée’ [44] ne peuvent guère aller plus loin !), amplement suffisante pour frapper tout ennemi dans la région (Israël compris). Cette rhétorique confusante a pour but de terroriser, menacer, dissuader. Elle nourrit impeccablement le discours de Netanyahu (et mécaniquement des néo conservateurs américains, sans oublier Bolton, Pompeo, les groupes de pression comme United Against Nuclear Iran parmi de nombreux autres) sur la menace existentielle iranienne. Ceci même si en Israël comme en Amérique, de hauts responsables militaires et des services de renseignement ont de sérieux doutes sur cette vision. Les responsables saoudiens sont également convaincus (à de rarissimes exceptions près) que l’Iran est une menace existentielle pour le royaume. Les missiles sont un volet (pas le seul) de cette menace en raison des discours martiaux de généraux pasdarans avertissant que l’Arabie saoudite serait dévastée si elle agressait l’Iran.

Le vrai-faux problème des missiles

Où est l’erreur ? Pendant que fleurissent les spéculations sur les dangers des missiles balistiques iraniens qui attirent tous les regards, Téhéran a procédé à des percées technologiques majeures qui ont changé le rapport de forces régional. D’une part, les performances des drones ont été considérablement améliorées depuis que les Iraniens ont récupéré un drone américain dans leur espace aérien. Mais la surprise est venue avec les nouveaux missiles de croisière qui se sont avérés d’une précision et d’une puissance de feu redoutables. Le 20 juin 2019, un missile de croisière abat un drone américain Global Hawk au dessus du détroit d’Ormuz. Le choc est violent à Washington car c’était l’appareil le plus moderne et important (d’un coût d’environ 250 millions de dollars !) qui n’existait qu’à quelques exemplaires. Le 14 septembre, d’autres missiles de croisière associés à des drones frappent sévèrement des installations pétrolières saoudiennes. Riyad et Washington découvrent avec stupeur la vulnérabilité militaire saoudienne. Les Iraniens maîtrisent à la fois les tirs puissants et surtout précis des missiles de croisière, mais aussi le bombardement simultané par d’autres moyens (drones [45], etc). Cette combinaison change la donne : la simultanéité des effets puissance/précision et de l’effet saturation rend impossible l’interception de tous les tirs. Washington a fourni des batteries de missiles anti missiles Patriot plus récentes au Royaume et a prévu d’y déployer le système thaad de missiles anti missiles à haute altitude ciblant spécifiquement les missiles de croisière. Le problème est que même la combinaison Patriot/Thaad ne peut arrêter tous les composants d’une attaque mixant missiles de croisière et autres outils (drones, roquettes [46]). A cette occasion, Israël découvre sa propre vulnérabilité, notamment celle de son centre nucléaire de Dimona abritant non seulement ses installations mais sans doute sa force de frappe). Une preuve supplémentaire de cette percée sera apportée par les frappes de missiles de croisière sur la base américaine de Ain al Asad en Irak le 8 janvier 2020 après l’élimination du général Soleimani venu à Bagdad discuter d’une possible baisse de tension à l’égard de Riyad dans le cadre d’une médiation irakienne. La violence et la précision de ces salves qui ont causé de gros dégâts en évitant des cibles humaines sont un rude avertissement.

Par conséquent, il serait essentiel de prendre conscience de ce que ces percées ont déplacé le champ et la nature des risques. Ce sont les missiles de croisière et les drones qui en constituent une composante majeure mais, évidemment, pas unique [47]. Dès lors, quand Biden élève les missiles balistiques au rang de priorité justifiant le recours aux sanctions ciblées, il se trompe de sujet et de méthode. Sanctionner des responsables ou structures iraniens liés au programme de missiles balistiques est à la fois inutile et inefficace. Les rafales de sanctions émises par l’administration Trump en sont la preuve. Le même raisonnement vaut pour les atteintes aux droits de l’Homme et le soutien au ‘terrorisme’ (au Hezbollah et aux diverses milices). Le dossier ‘missiles balistiques’, de plus, a été inutilement pollué par la fausse querelle de la violation par l’Iran de leur ‘interdiction’.
La résolution 2231 du Conseil de Sécurité, qui confère une reconnaissance internationale au JCPOA contient une disposition invitant (call upon) l’Iran à s’abstenir de mettre en œuvre un programme de missiles balistiques. Le sens est clair : c’est une invitation, non une obligation juridique. On peut le cas échant critiquer la violation d’une telle prescription, elle ne peut être considérée comme une infraction au texte.
Cette question a interminablement soulevé querelle. L’administration Trump, les néoconservateurs américains, Israël et ses multiples relais, ont véhémentement dénoncé les tirs de missiles iraniens comme une grave atteinte au texte. Ils n’ont jamais été suivis au Conseil de Sécurité. Il est regrettable de rappeler que des voix supposées autorisées se sont jointes en France à un concert de dénonciations hâtives confondant jugement de valeur et réalité juridique. On se souvient même d’une protestation émise par une porte-parole française contre un tir… qui n’avait pas eu lieu, juste après que Trump ait dénoncé le missile iranien dont l’« exploit » (en fait un échec) avait été diffusé par une vidéo maquillée…

Trump et ses suiveurs n’ont eu de cesse de dénoncer le JCPOA, accord catastrophique nocif pour l’Amérique, mal négocié par des incapables. C’est pourquoi le candidat Trump avait prévu son anéantissement. Or le volet nucléaire (à l’inverse de celui portant sur les sanctions, les Iraniens ne maîtrisant sans doute pas suffisamment les arcanes juridiques américaines, et encore plus les doctrines et pratiques des organes et ‘bras séculiers’ de l’administration comme l’OFAC), avait été rigoureusement négocié avec le professionnalisme bien connu des ingénieurs. Le responsable américain, l’éminent et très respecté secrétaire d’Etat à l’énergie Ernest Moniz, ancien professeur au département nucléaire du MIT, a eu pour homologue Iranien Ali Akbar Salehi, chef de l’organisation atomique d’Iran (AEOI), qui fut étudiant… dans le même département du MIT. Les deux hommes et leurs équipes ont accompli un travail d’une précision horlogère. La rédaction retenue pour ’inviter’ l’Iran à ne pas avancer dans son programme de missiles balistiques avait pour but précis de ne pas inclure cette question dans le JCPOA autrement que de façon allusive, pour concentrer tous les efforts de négociation sur le programme nucléaire stricto sensu. Le dossier des missiles balistiques devait donc être traité ailleurs et dans un autre format. L’inclure dans le JCPOA, comme l’ont réclamé les critiques d’Obama, Israël, et ceux qui demandent une révision de l’Accord, aurait d’une part considérablement retardé la conclusion de l’accord, dont on sait qu’elle fut laborieuse. Bien plus, le problème des missiles balistiques concernant au premier chef les Etats voisins de l’Iran, et plus généralement, du Moyen-Orient, qui ne sont pas partie aux négociations relatives au programme nucléaire, il eût fallu qu’ils participent à celles des missiles, découpage incongru et irréaliste. La négociation sur les missiles est un sujet en soi, encore faut-il le traiter de façon adéquate. Elle obsède Trump et ceux qui le suivent. Une priorité absolue (au même titre que les sunset clauses) répétée encore le 9 novembre par Elliott Abrams, envoyé spécial de Trump pour l’Iran et le Venezuela, en visite en Israël, qui proclame sa foi dans la capitulation à venir de l’Iran grâce aux ‘pressions maximales’ qui se poursuivront par les piles de sanctions [48] qui seront prononcées contre la République islamique au cours des mois suivants… Il est persuadé que si Biden est confirmé comme président, tout retour au JCPOA sera très long et fort compliqué. Assurément, Trump va s’employer à alourdir la tâche…

Quelle attitude peut-on attendre de Biden sur cette question des missiles ? La ligne qu’il affiche est assez proche de celle de son prédécesseur : tabler sur les sanctions. Ceci mènera invariablement à une impasse. Surtout s’il n’y a pas… de négociations. Pour en sortir, le futur président doit changer de méthode. Il s’agit de « dégonfler » le problème ‘missiles balistiques’ [49]. Comment ? Cette menace étant régionale, il convient que ce point soit traité dans une discussion avec les pays de la région, en priorité l’Arabie saoudite, et en s’inspirant des mesures de confiance [50] prévues par les schémas de système de sécurité régionale qui ont été récemment présentés à l’Onu. Il serait astucieux de solliciter les bons-offices de Pékin [51] et la Russie qui ont émis des propositions assez cohérentes avec celles de Téhéran. Biden doit en sus se persuader de ce que la question des missiles balistiques est plus facile à négocier une fois qu’elle est dépassionnée. En revanche, Il devra interroger ses interlocuteurs iraniens quant à l’usage des missiles de croisière. La doctrine officielle de l’Iran est défensive selon le discours public. Les frappes de septembre contre les installations pétrolières saoudiennes ne reflètent guère un tel caractère.

Comment faire ?

Au terme des présentes réflexions où nous avons discuté les grands axes de la polique iranienne à venir esquissés par le futur président, au vu de l’expérience écoulée comme des réactions connues ou prévisibles de l’Iran, il nous faut aborder le point le plus délicat : par quoi Joseph Biden devrait-il commencer, quelles initiatives devrait-il prendre et dans quel ordre de priorité ? Jake Sullivan, dans une longue interview le 23 juin 2020, a présenté une véritable plateforme [52] de ce que devraient être les grandes orientations de la politique moyen-orientale de Biden. S’agissant de l’Iran, elles se caractérisent par deux traits : prudence et pragmatisme. Il commence par signaler l’importance de tenir compte du rapport de force entre les différents acteurs du pouvoir en Iran où existe une diversité d’opinions. Il estime que la question centrale qui se pose à eux est : si l’Iran se voit « offrir un choix entre la poursuite d’une pression économique substantielle et quelque voie de négociation avec d’autres acteurs de la région, il trouvera un moyen de se rendre à la table » de négociations. Sullivan penche pour l’intérêt de tenter des négociations et a bien compris que ceci suppose « de mettre beaucoup plus de gages sur la table pour tenter de générer le début de ce genre de conversation ». Il considère comme essentiel de « revenir à un accord nucléaire avec l’Iran si l’Iran revient à l’accord nucléaire et alors négocier un accord subséquent qui traite des autres problèmes ». Il a repris cette même position le 3 janvier dans une longue interview à Fareed Zakaria [53]

Sullivan y aborde la question délicate : « comment reliez-vous la diplomatie nucléaire, d’une part, à la diplomatie régionale de l’autre ? ». Il avance une piste subtile : « Je ne veux absolument pas plaider pour tenir la première en otage de la seconde, parce que, bien entendu, il est possible que la seconde n’aboutisse nulle part ». Il entrevoit une sorte de calendrier astucieux : revenir à un « ensemble d’arrangements sur le dossier nucléaire qui puissent être mis en œuvre et appliqués pendant les prochaines années ». A côté de cela il pense qu’il peut y avoir « un lien informel entre ces deux » (dossiers). Il est possible « d’obtenir des acquis rapides sur le programme nucléaire mais lier la levée à long terme des sanctions au progrès des deux dossiers ». Autrement dit, si on peut rapidement enregistrer des progrès de conformité sur le dossier nucléaire il sera envisageable de tracer la voie d’une négociation sur le programme nucléaire iranien dans une perspective de plus long terme. En même temps, il propose de mettre sur la table de négociations certains des problèmes régionaux actuellement entre les mains des acteurs régionaux, pas des Etats-Unis. Sullivan croit en une sorte de ‘linkage’ informel, préservant l’autonomie des deux grandes catégories de sujets. Au plan régional, selon lui, les Etats-Unis ne doivent pas assumer la responsabilité des négociations, mais jouer un rôle de facilitateur. Il énonce clairement que le format « P5+1 n’est pas le groupe adéquat pour résoudre le niveau et l’ampleur de l’activité, du comportement, de la présence, etc, de l’Iran dans la région ». En clair, « c’est aux acteur régionaux eux-mêmes de décider ». Dans cet esprit, Sullivan déconseille de constituer « un organisme régional formel avec des drapeaux et un bâtiment etc, pour conduire ce processus », car ceci conduira à une impasse inévitable autour de la question : « Israël doit-il en faire partie ou pas ? ». Pour éviter ce piège, il suggère une approche ‘beaucoup plus informelle’ en termes de « géométrie variable » où différents pays avanceraient leurs points de vue. Israël participerait à ces échanges. Ceci supposerait d’intenses consultations. D’après Sullivan, Israël et l’Iran pourraient ainsi « échanger des messages ». Il est conscient de ce que l’extrême tension qui règne entre les deux pays qui se soupçonnent mutuellement de vouloir s’anéantir n’est pas propice à un tel dialogue mais ceci doit être tenté. Pareillement il n’envisage pas d’assoir Saoudiens et Iraniens face à face mais les faire dialoguer à l’occasion d’une approche collective de désescalade a du sens. Selon Sullivan, ceci va requérir « un mélange de pression et d’incitations et une chorégraphie qui sera terriblement difficile ». Mais ceci mérite d’être tenté. Nous ne savons pas ce que le successeur de Trump retiendra de ces pistes qui ont le mérite de se distinguer de bien d’autres approches, mais il y a là au moins l’esquisse d’une vision.

Le séquençage que nous avons évoqué est aussi essentiel que délicat à énoncer [54]. Les réflexions produites sur ce sujet par divers experts et think tanks ne reflètent pas une incontestable unanimité. Ceci est dû à plusieurs facteurs. D’abord nous ignorons par nature dans quelle situation sera le nouveau locataire de la Maison-Blanche le jour de son entrée en fonctions. La phase de transition est ouverte, les équipes sortantes et les nouveaux arrivants se sont mis immédiatement au travail, pour traiter les dossiers urgents qui ont pris du retard. Certains ténors républicains l’ont déjà compris. Cela étant, l’intention affichée par Trump, confirmée par son envoyé Elliott Abrams, de multiplier les sanctions pour faire ‘plier l’Iran’, compliquera la tâche de Biden, de l’aveu même d’Abrams. Les conseillers de Biden, comme le rappelle Wendy Sherman, un pilier des équipes diplomatiques d’Obama, s’y attendent et se sont préparés en conséquence. De nombreux spécialistes sont venus prêter leur concours. Il reste que Biden aura sans doute beaucoup de textes et mesures à détricoter, la plupart relevant de sa compétence. Ce sera lourd mais faisable tout en produisant du retard à l’exécution.

Comme les démocrates ont récupéré les deux sièges qui leur manquent pour une majorité au Sénat (ils ont obtenu en réalité une parité), le nouveau chef de l’exécutif devrait en théorie disposer de plus de leviers, notamment pour les sanctions primaires qui sont de la compétence du Congrès, sinon il connaîtra de dures entraves [55]. Mais il suffira de la défection de tel ou tel élu démocrate pour mettre en échec le président.

Un autre facteur complique considérablement la définition d’un calendrier pour un plan d’action diplomatique : les élections présidentielles iraniennes. Prévues pour le 18 juin 2021, elles sont porteuses de maintes interrogations. Les législatives de 2017 ont marqué l’éclatement de la coalition des conservateurs pragmatiques menés par le président du parlement Ali Larijani/modérés suiveurs de Rohani/une pincée de réformateurs, et la victoire d’une majorité de conservateurs durs la plupart proches des Gardiens de la Révolution. Les pasdarans, avec l’appui du Guide, ne cessent de renforcer leur emprise sur le pays. Incidemment, cette situation regrettable est la conséquence directe des ‘pressions maximales’ de l’administration Trump qui a miné les modérés et grandement renforcé les Gardiens et autres ultras. Les lubies de ‘changement de régime’ aboutissent à un changement, mais pas celui espéré par leurs auteurs. Le scrutin de juin 2021 risque donc de donner la victoire à un conservateur. On ne peut exclure qu’il soit particulièrement à l’écoute des Gardiens. Du coup les experts hésitent : vaut-il mieux pour Biden d’adopter dès le premier jour un vaste train de mesures fortes, et de tenter de ficeler au plus vite un accord même préliminaire et imparfait avec Rohani et ses diplomates ? Ceci aurait l’avantage de donner aux Iraniens (population comme régime, Guide compris) un signal fort ; pour les modérés et réformateurs, ceci procurerait quelque confort en vue des présidentielles [56], avec des éléments de bilan positif. De plus, ceci figerait déjà des étapes pour l’avenir. Inversement, cette option présente un risque qu’on ne peut négliger. En cas de victoire d’un conservateur, surtout proche des Gardiens et des ultras, ce dernier pourrait être tenté de balayer ce qui aurait été ainsi construit avant lui. Dans ce cas certains experts estiment qu’il ne faut pas brûler les étapes et attendre l’élection du successeur de Rohani pour partir sur des bases moins incertaines. En sens inverse, d’aucuns pensent que même si le nouveau président iranien est un conservateur dur, voire un proche des Gardiens, il hésitera à braver l’impopularité d’une population qui ne comprendrait pas que l’on tire un trait sur des avantages durement acquis des négociations avec Washington, même imparfaites.

On comprend dans ces conditions pourquoi les experts sont perplexes dans l’éventail de leurs suggestions. Edoardo Saravalle [57] estime que le nouveau président doit afficher dans les 60 premiers jours sa détermination par des actes forts qui engagent l’avenir. Selon lui, dès l’entrée en fonctions Biden devrait annoncer que si l’Iran se conforme de nouveau à ses obligations, les Etats-Unis lèveront toutes les sanctions prononcées contre Téhéran depuis le retrait du 8 mai 2018. Le même analyste précise que « l’executive order devrait prévoir un délai, idéalement pas plus qu’un ou deux mois, dans lequel Washington doit lever les sanctions ». Il estime que « ce délai offrirait à l’Iran suffisamment de temps pour revenir sur les violations qu’il a commises depuis juillet 2019, en réduisant ses stocks d’uranium, les niveaux d’enrichissement, son activité de recherche et développement. Il devrait aussi autoriser l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique de vérifier sa conformité. Après cette vérification, la nouvelle administration mettrait un terme au retrait de l’accord ». Saravalle déconseille fortement l’option consistant à ne lever que les sanctions liées à la prolifération nucléaire en maintenant les autres liées aux actions régionales de l’Iran, les atteintes aux droits de l’Homme, les programmes de missiles. Ce reliquat laisserait pour l’avenir le passif d’un lourd chantier, compliqué, et risquant de traîner en longueur.

L’idée est de fixer l’essentiel, puis de passer rapidement aux autres chapitres des relations. Elle est séduisante dans son principe. Baliser l’avenir très vite est une façon d’engager les dirigeants iraniens quels qu’ils soient à poursuivre dans la voie d’un JCPOA remis en état. Mais ce scénario n’est pas réaliste pour ce qui est des délais d’application (2 mois) assignés aux deux parties. Prendre et publier la décision de revenir à l’accord est assez simple, émettre des executive orders qui auront été officieusement préparés pendant la période de transition est concevable. Mais la réalisation effective de tout le détricotage prendra du temps. En sus, l’ensemble des mesures annexes devant assurer cette exécution par les différentes administrations est un lourd chantier. Bien plus, notre auteur ne nous indique pas comment Biden fera en sorte que les pressions paralysant le JCPOA ne se reproduisent pas, et plus généralement comment veiller en pratique que l’Iran a véritablement accès aux canaux bancaires et peut exporter sans risque ses marchandises pétrolières ou pas. Nous avons signalé plus haut que ceci est une condition sine qua non. Saravalle ne nous le dit pas. On pourrait envisager que l’OFAC et/ou les autres administrations compétentes émettent des lettres de confort aux entités et responsables concernés. Le fonctionnement politique et bureaucratique des organes de décision iraniens, et le caractère technique des mesures que devrait prendre l’Iran, rendent peu probable la mise en œuvre complète de ses engagements en deux mois. C’est irréaliste. Ce délai devrait être réévalué de concert avec les inspecteurs de l’AIEA capables de juger ce chantier.

En outre, le même expert suggère au nouveau président d’adopter dès janvier 2021 des mesures de confiance pour éviter que les responsables iraniens ne doutent de la volonté réelle de Washington de renouer avec le JCPOA. Un test de crédibilité. En même temps, il considère indispensable de travailler au plus vite avec les partenaires régionaux des Etats-Unis pour négocier un accord complémentaire (follow-up agreement). C’est là où selon lui, l’Europe a un rôle à jouer pour aider l’administration Biden à obtenir une prolongation des clauses ‘sunset’, une extension des possibilités d’inspections, ou ouvrir des négociations sur les activités régionales de Téhéran, les activités liées aux missiles, ou les atteintes aux droits de l’Homme. La présentation de ce ‘menu’ n’est pas, selon nous, particulièrement novatrice. Nous ne revenons pas sur les missiles ; en revanche, nous estimons que c’est dans le cadre de l’AIEA qu’il convient d’entamer tous échanges sur la pertinence de réviser les ‘sunset’ clauses, d’augmenter et intensifier les inspections. Par ailleurs des consultations bilatérales entre experts américains (dont Ernest Moniz ?) et iraniens pourraient sans difficulté majeure définir quelles mesures supplémentaires l’Agence estime avoir besoin pour mener à bien sa mission dans des conditions plus satisfaisantes. Des discussions complémentaires pourraient le cas échéant se dérouler dans le cadre de la commission de suivi 5+1. Le dossier des actions régionales de l’Iran peut, certes, bénéficier de l’appui de l’Europe, mais doit fondamentalement être discuté dans l’enceinte d’un Forum régional proposé lors des récentes consultations de l’ONU et sous son patronage. Le thème des Droits de l’Homme aussi.

Saravalle souligne un détail fort important souvent négligé. Il rappelle que si l’Iran veut pouvoir se réinsérer dans le système financier mondial, il a besoin du concours des Etats-Unis. Ce concours ne pourra être accordé que si l’Iran met en vigueur les textes exigés par le Gafi (le gendarme de la finance internationale) en matière de lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme, que l’Iran n’avait pas adoptés en totalité malgré plusieurs délais de grâce accordés par le Gafi. Un frein aux investissements. La nouvelle majorité conservatrice au Parlement proche des pasdarans y est viscéralement hostile [58]. Le Conseil des Gardiens de la Constitution dont les rangs ont été rejoints par le vitupérant Ahmad Khatami l’est tout autant. Seul le Guide pourra imposer la décision politique de compléter cette législation. Pour Saravalle, il serait même concevable que le président facilite à l’Iran d’autres transactions bloquées par d’autres sanctions si Téhéran consent à d’autres concessions. Un objectif encore théorique. On regrettera que notre auteur n’ait pas traité plus avant le problème des sanctions primaires qui pèsent sur ces relations, mais sont de la compétence du Congrès, alors que la majorité démocrate au Sénat dépend du résultat du second tour de 2 sièges pour la Géorgie le 5 janvier.

Ilan Goldenberg et Eric Brewer [59] mettent en avant une méthode progressive. Ils ne recommandent pas, contrairement à d’autres, un retour pur et simple au JCPOA. Ils recommandent plutôt de tirer avantage du ‘stock de sanctions’ empilées comme levier pour entamer une négociation permettant d’aboutir à des points d’accord sur une vision commune de l’avenir du programme nucléaire iranien. L’idée est de tabler sur octobre 2023 (tenant compte des échéances des ‘sunset’ clauses) pour concrétiser dans un nouvel accord renégocié ce qui aura été discuté pendant ce laps de temps. A ce moment pourrait être prévue la ratification par l’Iran de son engagement pris d’appliquer le Protocole Additionnel du TNP qu’il respecte actuellement sur une base volontaire. Cette méthode s’apparente à celle qui avait été utilisée pour les négociations du JCPOA où l’Iran avait préparé, selon nos deux experts, un plan sur le développement de ses projets. Cette suggestion est séduisante dans son principe, mais se heurtera inévitablement à la ligne rouge iranienne : retour au JCPOA. En fait, elle est compatible avec cette exigence. On sait que même si l’Iran déclare revenir au respect de ses engagements il lui faudra du temps pour parvenir à les satisfaire intégralement. D’autant que certains chapitres ont été profondément affectés du seul fait du retrait américain. Parmi eux, la reconversion du réacteur au plutonium à eau lourde d’Arak en réacteur à eau légère entièrement tributaire de la coopération internationale dont les USA, la Chine (qui a maintenu sa contribution au chantier), la Russie et d’autres aux côtés des Iraniens. Il serait concevable plutôt que les deux parties déclarent leur retour, assorti d’un calendrier négocié dans le cadre de la commission de suivi 5+1 restaurée.

Dans un autre important travail [60], Goldenberg et plusieurs collègues décrivent en détail une feuille de route séquencée en 3 phases. Elle répond à 3 objectifs : « 1.Empêcher l’Iran d’obtenir des armes nucléaires ; 2.Contenir l’impact des politiques iraniennes qui portent préjudice aux intérêts américains ; 3.Une désescalade des tensions régionales qui perpétuent l’instabilité et la concurrence nourrie par les intermédiaires au Moyen-Orient ». On notera dans ce propos la rémanence des notions et termes classiques : empêcher l’Iran d’accéder à la bombe, la notion de ‘containment’, et celle d’intermédiaires (proxies), qui traduisent la non remise en cause des grands axes de la vision stratégique américaine sur ce dossier. Les novations se trouvent dans l’élaboration des phases de négociations. L’approche des auteurs prévoit d’aborder simultanément le chapitre des questions régionales et le chapitre nucléaire.

La phase 1 (Désescalade) doit débuter dès le début 2021. Selon cette étude, la nouvelle administration devrait adopter « immédiatement des mesures de confiance uni latérales modestes » telles que « la suspension de l’interdiction de venir d’Iran, la levée de sanctions symboliques sur des personnalités comme le ministre des Affaires étrangères Zarif, l’appui à un paquet post-COVID-19 du Fonds Monétaire International (FMI) » - une suggestion également retenue par Karen Young dans une tribune publiée le 2 décembre, l’Iran étant éligible aux droits de tirages spéciaux de $ 1,5mds et d’une ligne de crédit de $5mds, bloqués par Trump -, ainsi que des dispositions permettant d’éviter que les sanctions n’affectent les livraisons sanitaires liées à la pandémie. Dès l’entrée en fonction de l’exécutif, et jusqu’aux présidentielles iraniennes de juin 2021, celui-ci devrait se concentrer sur un « arrangement initial » qui conviendrait d’un principe « calm for calm » (= apaisement contre apaisement) dans la région et d’interrompre les avancées nucléaires iraniennes. Dans cet esprit, il faut qu’il « soit clair aux yeux de l’Iran que les attaques d’alliés locaux contre les forces américaines et les attaques contre les infrastructures pétrolières et critiques du Golfe doivent cesser ». Au niveau régional, d’un côté l’Iran devrait « diminuer ses actions provoquantes dans le Golfe, tandis que les Etats-Unis feraient preuve de retenue dans leurs échanges publics sur leurs déploiements militaires dans la région. Le volet nucléaire pourrait être structuré selon une des 3 démarches suivantes : « 1). un prompt retour des Etats-Unis et de l’Iran dans le Plan d’Action Commun (JCPOA) avec une abrogation des mesures prises en contravention des dispositions du JCPOA ; 2) quelques modestes allègements de sanctions américaines en échange d’un gel ou d’un retour en arrière raisonnable du programme nucléaire iranien, loin d’une reprise complète du JCPOA, similaire à ce que divers interlocuteurs - y compris les Français et les Japonais - avaient tenté de négocier avec l’administration Trump ; ou 3) un retour au JCPOA avec un simple amendement pour de plus longues expirations (sunset clauses) en échange de plus amples allègements de sanctions (bien que cette option paraisse moins plausible) ».
Les auteurs recommandent de donner mandat aux négociateurs de tester plusieurs options, tout en ayant en tête une préférence. Ils estiment que cette phase permettrait d’éviter une crise et de donner du temps à la nouvelle administration pour traiter ce dossier pendant un ou deux mandats. Autre avantage, elle éviterait un enlisement dans les détails d’un nouvel accord dont les deux parties ne sont pas prêtes à se lancer dans une laborieuse négociation.

La phase 2 (Consultation). Débutant dès janvier pour s’achever idéalement à l’été 2021 au moment de l’élection présidentielle iranienne, cette phase, selon le même document dont nous reprenons ici les grandes lignes, consiste à simultanément réexaminer en interne les objectifs et la stratégie à adopter pour le long terme sur les défis nucléaires et les dynamiques régionales de l’Iran et à lancer un processus de consultations avec le Congrès et les partenaires internationaux des Etats-Unis.
Dans l’esprit des auteurs, il s’agit de parvenir à définir « à quoi ressemblerait un accord ‘plus pour plus’ ». Ceci imposerait de déterminer les objectifs, contenus, compromis, mécanismes nécessaires à un tel arrangement. Ces consultations seraient étendues non seulement aux autres signataires du JCPOA mais aux pays du Moyen-Orient. Les mêmes experts sont conscients de ce que, malgré les efforts diplomatiques, l’élaboration d’un schéma régional sera beaucoup plus compliquée que le dossier nucléaire et rencontrera maints obstacles.

La phase 3 (Négociation à Deux Voies). Elle devrait, selon le même schéma, débuter après l’entrée en fonction du nouveau président iranien. La stratégie américaine comprendrait une démarche « centrée sur un accord ‘plus pour plus’ pour le programme nucléaire et l’autre sur une désescalade régionale ». Pour le nucléaire, elle impliquerait l’Iran et les 5+1, alors qu’un schéma régional « pourrait comprendre l’Iran, les acteurs régionaux clés, et les 5+1 (ou quelques autres représentants extérieurs à la région) ». Les concepteurs de cette feuille de route invitent à juste titre à veiller à ce que les progrès d’une démarche ne soient pas entravés, dépendants, d’un éventuel enlisement de l’autre. Ils pensent que se limiter à la seule approche nucléaire risquerait d’en affaiblir le cours et le résultat. Pour notre part, il nous semble encore plus précisément que dans la méthode de négociation il convient, pour conforter l’autonomie des deux démarches, d’éviter soigneusement que le contenu de l’une ne pollue l’autre. En clair, ne pas introduire des éléments de la négociation régionale dans la négociation nucléaire. La vision des auteurs sur le volet nous semble encore quelque peu réductrice. Résoudre les défis de la posture iranienne dans la région implique d’aller plus loin et de travailler à un système de sécurité régionale, comme évoqué plus haut.

Ellie Geranmayeh [61] envisage également une feuille de route en 3 phases, que nous examinons ci-après :
1) Accord provisoire de gel, vers mi-février 2021 ; 2) application intégrale du JCPOA par toutes les partie vers juin 2021 ; 3) Conversations ‘Plus pour Plus’, de fin 2021 à août 2023.

Phase 1. Elle suggère de débuter en réalité la première phase dès la période intérimaire, sans attendre la prise de fonctions. Par rapport aux feuilles de route proposées par d’autres experts, celle-ci se distingue par une remise de l’Europe au centre de l’approche diplomatique. Les Européens ne seraient plus simplement consultés ou, au mieux, associés, ils prennent des initiatives. Ici, les E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) entameraient un round diplomatique dès novembre pendant la période de transition. Il a pour but « d’examiner les paramètres d’un accord pour l’Iran pour geler ses activités nucléaires qui excèdent les limites du Plan d’Action Conjoint (JCPOA). L’objectif serait d’avoir cet accord intérimaire en place vers mi-février ». Précision importante, elle ajoute que « l’Iran, cependant, n’acceptera un accord de gel transitoire que si l’administration Biden accorde simultanément un soulagement économique et lance formellement un processus de retour dans le JCPOA ». Ce gel, selon ce schéma, impliquerait que l’Iran « arrête et renonce à l’enrichissement de l’uranium au-delà de 3,67%, comme précisé dans le JCPOA, suspende les activités d’enrichissement sur le site de Fordow, et cesse d’installer des centrifugeuses perfectionnées. L’Iran pourrait accepter de telles mesures s’il peut conserver son stock accru d’uranium faiblement enrichi, qui lui donnera quelque levier pour l’avenir ». Le tout sous le contrôle de l’AIEA.

E. Geranmayeh envisage que dès l’intronisation du nouveau président, les E3 commencent à coordonner leurs positions avec les Etats-Unis en sorte de parvenir « qu’à la fin de cette première phase, les Etats-Unis soumettent formellement une demande à la Commission Conjointe de suivi de l’Accord. La rencontre prévue en janvier avec les dirigeants de l’Union européenne semble correspondre à ce calendrier. A la fin de cette première phase, il faudrait que l’Iran puisse obtenir de Washington suffisamment de gestes économiques en échange de l’accord de gel transitoire ». Ce serait, d’après notre auteur, un signal du sérieux de l’intention américaine de rejoindre l’accord nucléaire. En plus des mesures de confiance citées plus haut, elle considère qu’il serait utile que Biden émette des executive orders suspendant les restrictions sur l’accès de l’Iran à ses avoirs financiers gelés dans des banques en Chine, Europe, Inde, Japon, Corée du Sud, et Irak pour les échanges sur des biens exemptés de sanctions. Pareillement, serait bienvenue l’émission de waivers autorisant certains pays à importer du pétrole iranien et de la sorte revenir à la situation d’avant mai 2019. La Chine, la Corée du Sud seraient les pays les plus critiques à prendre en considération. E. Geranmayeh pense d’ailleurs que même si un waiver était accordé à ceux des pays européens (Grèce, Italie), qui importait du brut iranien, il est peu probable que leurs opérateurs se risquent à en profiter.

Phase 2. Selon cette feuille de route, il faut faire en sorte de parvenir à ce qu’à la fin de la phase 2, les USA et l’Iran, par une série de mesures synchronisées, parviennent à la pleine conformité au JCPOA. D’après E. Geranmayeh, que l’Iran cesse ses activités dépassant les limites autorisées et que les USA mettent en place les mesures de suspension de sanctions est réalisable à l’horizon juillet 2021. Ceci suppose, rappelle-t-elle, que « Téhéran réduise son stock d’uranium faiblement enrichi, démantèle les centrifuges perfectionnées à Natanz, et cesse les activités de recherche et développement qui excèdent le JCPOA ». En même temps, il faudra continuer à amplifier les mesures de confiance, notamment pour ce qui est des ‘gesticulations’ militaires. On se souvient de ce que les responsables iraniens réclamaient des compensations pour les dommages subis par l’économie du pays du fait des sanctions. A juste titre, E. Geranmayeh dissipe toute illusion à cet égard. On voit mal Biden y consentir.

Pour autant, elle attire notre attention sur un champ assez vaste où des éléments de souplesse créeraient les conditions pour que non seulement les deux ‘parties’ se considèrent pleinement participantes à l’Accord du 14 juillet 2015, mais il importe que celui-ci soit appliqué dans sa lettre comme dans son esprit. Elle avance plusieurs pistes de nature à y contribuer : Washington « travaillerait avec ses partenaires européens pour élargir le champ des échanges dans le cadre du mécanisme INSTEX-STFI ». Ceci serait utilisable pour d’autres secteurs que ceux qui sont exemptés, notamment ceux autorisés dans le cadre du JCPOA qui serait rétabli. Le retrait des sanctions prononcées par Trump dans les secteurs miniers, des métaux, etc, ceux visés par les executive orders 13871 & 13902. De même, autoriser des groupes comme Boeing et Airbus à livrer des avions civils, des pièces de rechange, transférer de la technologie. Elle invite le gouvernement britannique à autoriser le transfert de £400 millions, somme due de longue date à l’Iran pour la vente de chars. Selon E. Geranmayeh, l’OFAC et le Département d’Etat devraient faciliter la tâche des banques et responsables commerciaux dans le cadre des allègements apportés aux sanctions. Ceci pourrait passer, dans ce même programme, par la désignation d’une ou deux banques européennes ‘saines’. Pour ce qui nous concerne, nous nous demandons si cette suggestion ne s’inspire pas du ‘Canal Suisse’ que nous avons évoqué. Si tel est le cas il faudrait exiger, à notre sens, de supprimer les exigences actuelles d’accord préalable de l’OFAC à toute transaction, conditionné par la révélation à cette administration de nombreuses données utilisables par la concurrence américaine (déloyale). De notre point de vue, le seul dispositif acceptable pour les opérateurs serait soit une lettre de confort à la banque garantissant à celle-ci qu’elle ne sera pas sanctionnée ni ne subira de pressions, ou bien une licence permanente (et non par opération).

Un grand pas vers plus de confiance serait que les participants au JCPOA s’accordent sur une modification du mécanisme du snap back sans possibilité de veto par l’exigence d’un vote à majorité simple au Conseil de Sécurité. E. Geranmayeh pense qu’il serait envisageable de ‘vendre’ cette proposition en échange de dispositions restreignant les possibilités d’importations de certains « armements sophistiqués » ouvertes à l’Iran du fait de la fin de l’embargo sur les armes en octobre 2020. Cette proposition est politiquement audacieuse et pertinente, comme on le perçoit immédiatement. En convaincre la totalité des membres du Conseil de Sécurité est un exercice délicat. Il est vraisemblable que cette idée sourirait aux E3 grandes victimes du snap back. Rappelons que celui-ci a été introduit dans l’Accord grâce à l’insistance du ministre français des Affaires étrangères, Mr Fabius, qui en a revendiqué la paternité [62].

Phase 3. Cette séquence « conversations nucléaires Plus-pour-Plus » s’étalerait de la fin 2021 à août 2023. Le JCPOA remis sur les rails, notre auteur envisage de bâtir sur cet acquis, une fois passées les présidentielles iraniennes de juin 2021. Sinon, le risque est grand qu’un successeur de Rohani ne bloque le processus engagé par lui. Des contacts exploratoires discrets pourraient cependant être engagés avec lui pendant la période finale de son mandat, afin de le sonder sur les chances et conditions d’un consentement du Guide à de futures négociations. E. Geranmayeh, qui connaît bien la scène politique iranienne, pense qu’il serait adroit de désigner à cet effet un « envoyé spécial », ayant « une bonne connaissance de l’Iran, et qui soit bien respecté parmi les membres du Congrès ». De même, profiter des rencontres internationales à l’Onu ou l’AIEA serait l’occasion de faciliter la diplomatie. Pour notre part, ainsi que nous l’avons déjà rappelé plus haut, il nous semble utile au succès de toute négociation que Khamenei soit approché à un moment ou un autre, par exemple via son principal conseiller diplomatique (Ali Velayati), si besoin d’autres canaux, pour faire en sorte qu’il ne s’oppose pas à toute démarche et que les termes d’une quelconque négociation recueillent au moins sa neutralité. Le Guide est le vrai décideur in fine.
Mais il reste, comme le souligne notre auteur, que Téhéran demandera probablement que les pourparlers nucléaires « Plus pour Plus » se déroulent dans le cadre multilatéral de la Commission conjointe 5+1. A notre sens, ceci est le seul moyen pour que d’une part la nouvelle diplomatie américaine tienne compte des Européens et des autres signataires de l’Accord, et que les engagements pris devant eux soient plus robustes face aux pressions soit internes aux Etats-Unis soit émanant de ceux qui sont hostiles au JCPOA (Israël et l’Arabie saoudite).

E. Geranmayeh est consciente de ce qu’un compromis sur des aménagements aux dispositions applicables après 2023 (Transition Date) sera plus difficile à atteindre du fait des acquis et développements du programme nucléaire iranien. Elle estime que les Américains et les Européens auront besoin de l’appui de la Chine et de la Russie qui, autrement, auront des capacités de nuisance. Pour ce qui nous concerne, nous pensons que si ces deux partenaires se voient offrir (les dispositions du JCPOA le permettent) la possibilité de coopérer plus amplement à l’important chantier de transformation du programme nucléaire militaire iranien (au-delà du réacteur d’Arak, et du site de Fordow), et au développement du programme nucléaire civil (production d’électricité), le tout sous contrôle de l’AIEA, ce serait une incitation significative à ce qu’ils pèsent favorablement dans la négociation. La même analyste reconnaît qu’il n’est pas assuré que l’Iran consente à entamer une négociation sur des engagements au-delà du JCPOA. La position traditionnelle de la République islamique est : l’Accord, rien que l’Accord, tout l’Accord. Il faudra donc que les partenaires de celui-ci soient particulièrement convaincants pour que Téhéran consente à étudier des dispositions complémentaires. Beaucoup dépendra, à nos yeux, de la façon dont le JCPOA est effectivement appliqué, et, très prosaïquement, de l’ampleur des bénéfices économiques que l’Iran en tire. Revenir à la situation connue sous Obama est inenvisageable. Bien entendu, ceci est tributaire de l’attitude du nouveau président iranien élu en juin 2021, doté d’une majorité conservatrice. Le Guide, dont on ignore l’espérance de vie, fera-t-il preuve encore une fois, de flexibilité ? Nul ne le sait, beaucoup dépendra de la situation de l’économie iranienne, et du contexte régional. Nous ne disposons pas encore de vision sur ce que Joseph Biden serait prêt à consentir, pareil horizon étant trop éloigné.
E. Geranmayeh évoque une série de mesures que ce dernier devrait prendre en considération s’il veut que Téhéran accepte d’acquiescer à des engagements nucléaires complémentaires :

a) donner à l’Iran quelque accès au dollar, en particulier « en émettant une licence générale pour des transactions U-Turn (abrogée en 2008) pour permettre aux banques internationales de procéder à des transactions portant sur des affaires avec l’Iran en dollars américains et les autoriser. Ceci inclut que les USA pourraient aussi offrir d’alléger les autres mesures restreignant le commerce en dollars avec l’Iran » ;

b) « alléger les sanctions primaires dans des secteurs spécifiques importants pour la réhabilitation économique de l’Iran, par exemple l’énergie et la construction ». D’après nous, ces deux pistes sont éminemment souhaitables et contribueraient au redémarrage de l’économie iranienne. Les executive orders sanctionnant le secteur de l’énergie et de la construction ayant été émis par Trump, son successeur peut les révoquer. Toutefois, nous rappelons encore une fois que les sanctions primaires sont de la compétence du Congrès et non du président. Peut-on imaginer que les élus consentent à un tel aménagement ? Chez les républicains, ceci n’est guère envisageable. Quant aux démocrates, ils sont loin d’être favorables à donner du confort à l’économie iranienne. Il y a parmi eux des ‘durs’ plus rudes que certains républicains. A cet égard, l’ancien négociateur nucléaire iranien Hossein Mousavian considère que « pour que l’Iran, les USA et les autres puissances mondiales respectent complètement les prescriptions et les conditions du JCPOA, les sanctions primaires américaines devraient être suspendues ». Une exigence de principe dont la satisfaction paraît inaccessible à horizon visible, et dont la faille principale est que l’Accord nucléaire ne vise que les sanctions secondaires. Il s’agit sans doute d’une posture maximaliste d’entrée de négociations.

c) donner à un accord ‘Plus-pour- Plus’ un statut officiel de traité, texte législatif, gouvernemental, éviterait, selon E. Geranmayeh, qu’un successeur de Biden n’efface ce que celui-ci aura convenu (une idée reprise par Bobby Gosh ; voir note supra). Obtenir une approbation du Congrès serait idéal, mais elle ne cache pas qu’il faut être prêt à envisager de ne pas y parvenir, et même la perspective qu’un futur Congrès défasse ce qu’il aura accepté « surtout si adopté avec une étroite majorité démocrate ». Nous répétons, pareillement, qu’un futur président pourrait délier ce qui a été fixé. N’oublions pas que Biden est réputé n’exercer qu’un seul mandat.
Nous voyons donc que cette phase 3 est éminemment aléatoire au vu des incertitudes qui planent déjà sur la phase 2. Son contenu présente néanmoins l’intérêt indiscutable de donner des orientations dès que l’on sort du court terme.

Deux autres experts, Ariane Tabatabai et Henry Rome, ont eux aussi exploré ce qui pourrait être une feuille de route iranienne pour le nouveau locataire de la Maison-Blanche [63]. Ils considèrent que la position de J. Biden (« Si l’Iran retourne au respect strict de l’accord nucléaire, les Etats-Unis reviendront à l’accord comme point de départ de négociations subséquentes ») est une erreur. Ils mettent en garde contre l’argument consistant à dire « qu’il y a une fenêtre de tir d’opportunité pour obtenir un accord avec l’Iran entre l’intronisation américaine en janvier et les élections présidentielles iraniennes en juin ». Comme il est probable que le successeur de Rohani sera conservateur, Biden, selon ce raisonnement, devrait rapidement agir pour conclure un accord tant que Rohani est au pouvoir. Pour autant, ces deux analystes recommandent de n’en rien faire car, ils considèrent comme illusoire de penser que ceci serait suffisamment fort pour fixer la politique iranienne, et ne redoutent pas la fermeture de cette ‘fenêtre d’opportunité’ : « La nouvelle administration ne devrait pas supposer que sans Rohani, la diplomatie perd toute chance ». Ils estiment que ce n’est pas Rohani qui a imposé par sa victoire en 2013 mais le régime qui avait décidé de négocier. C’est lui qui a en fait poussé la victoire de Rohani. Ils considèrent qu’il ne faut pas trop parier sur lui, d’autant que son crédit est épuisé et que ses adversaires feront obstruction pour discréditer la fin de son mandat.

Cette argumentation n’est pas pleinement convaincante. A notre sens, le Guide, qui, comme indiqué plus haut, n’est pas hostile aux négociations, est conscient de ce que le pays a besoin, en pleine pandémie, crise économique et sociale, d’une bouffée urgente d’oxygène. Quant au précédent de 2013, l’énorme travail de préparation électorale d’un programme économique, d’une stratégie de négociations nucléaires en vue d’une levée prioritaire des sanctions, accompli par Rohani, ses équipes, avec plusieurs centaines d’experts (un peu comme Biden) abrités discrètement dans le Center for Strategic Research, alors important think tank du Conseil du Discernement, atteste que c’est bien Rohani qui a élaboré l’option d’une stratégie de négociations pour laquelle il a reçu l’assentiment du Guide qui l’a imposé au régime. L’ambiguïté réside dans le fait qu’effectivement, c’est sous Ahmadinejad que des contacts exploratoires secrets avec les Américains se sont tenus à Oman. Mais ils n’ont pas débouché faute d’une stratégie complète et élaborée. Oui, le Guide était ouvert à négocier mais la perspective d’un accord digne de ce nom n’était pas à la portée du prédécesseur de Rohani. La thèse selon laquelle il ne faut pas commencer à négocier rapidement ne résiste pas davantage à l’analyse. Certes, le successeur de Rohani sera probablement un conservateur hostile à tout ce qui vient d’Amérique. Mais si l’actuel président parvient à engranger à court terme les prémices tangibles d’une ouverture des canaux bancaires et des exportations, il est douteux que le suivant les anéantira au motif qu’ils viennent du ‘grand Satan’. Ce qui est acquis est bon à prendre. Ce serait très mal vécu par une population déjà très mécontente. Ceci n’empêche pas une position très dure de ce futur président iranien le moment venu. Ce futur président sera-t-il un opposant à toute diplomatie ? A juste titre, A. Tabatabai et H. Rome voient dans la nouvelle génération de conservateurs (Mohammad-Javad Azari Jahommi, Ezzatollah Zarghami, Hossein Dehgan, Parviz Fattah), personnalités en vue, qui ont des attaches avec les Gardiens de la Révolution ou les services de renseignement une réserve de candidats possibles mais « ceci en dit plus sur le pouvoir politique croissant de l’appareil sécuritaire que sur la probabilité chez chacun de négocier avec Washington ». Au bout du compte, nos deux auteurs concluent très lucidement que « l’Iran n’aura pas d’autre choix que de négocier avec le président américain ».

Au vu des différentes pistes explorées se dégage l’urgence d’entamer une négociation même si les avis divergent sur le niveau d’aboutissement des premières démarches, et sur le séquençage des discussions au fur et à mesure que se figent les points d’accord. Pour notre part il nous semblerait que ne pas donner vite des gages concrets (allègements) à l’Iran risque d’hypothéquer durablement toute négociation et, plus loin, les relations des Occidentaux avec la République islamique. En second lieu, il est essentiel que toute stratégie de négociation repose d’abord sur une évaluation rigoureuse des objectifs, priorités, lignes rouges, et perceptions iraniennes. Nous l’avons dit, si Téhéran ne reçoit pas des garanties de ce que lui sera accordé une ouverture des canaux bancaires et financiers, et la possibilité d’exporter et d’être payé, il n’y aura pas de négociation. Ce signal doit être donné vite. Le retour intégral au JCPOA, proposé par Biden, mais une fois que Téhéran aura fait de même pose un évident problème de séquençage. L’Iran n’acceptera du donnant-donnant que simultané, pas que conditionnel. Là-dessus Biden devra revoir sa copie. La logique voudrait de prévoir une conformité progressive par étapes, significatives. Des mesures de principe peuvent être adoptées, mais la mise en œuvre de certaines prendra du temps. En un mot, sur certains points, il faudrait que la symétrie (engagements identiques) ne signifie pas automatiquement la simultanéité. Zarif utilise le même mode conditionnel que Biden. Dans une interview au quotidien Iran Daily le 18 novembre il déclare que Washington peut rétablir la conformité des USA simplement par 3 executive orders et que s’il veut respecter les engagements de l’Accord, « nous aussi nous pouvons immédiatement revenir à la pleine conformité … et les négociations sont possibles dans le cadre des P5+1 ». Le 4 décembre, dans son interview au quotidien Hamashari, il reprend le même message : « Si Les Etats-Unis remplissent leurs obligations en conformité avec la Résolution 2231, nous remplirons nos obligations avec le Conseil de Sécurité de l’Onu ». Zarif rappelle que l’Iran reste partie au JCPOA dont il ne s’est écarté que de quelques points. De même, prenant les occidentaux au mot, Zarif a déclaré le 3 décembre, au sujet des missiles et enjeux régionaux : « l’Iran n’acceptera aucun frein à son programme de missiles ou à l’appui de ses partenaires régionaux à moins que les pays occidentaux cessent leur ‘comportement nocif ‘ au Moyen-Orient » [64]. Notons la symétrie des griefs comme des exigences. Dans ce contexte, les mesures de confiance immédiates sont strictement indispensables car elles donneront des signaux clairs sur l’intérêt d’entamer des négociations.

On retiendra avec beaucoup d’intérêt la proposition d’Ellie Geranmayeh de faire des Européens des moteurs, voire pilotes de ces futures négociations. Ils ont une légitimité car ils sont les garants de la survie du JCPOA après le retrait américain. L’Europe, avec les ‘pilotes’ E3 doit impérativement être une force de proposition [65] vers le nouveau locataire de la Maison-Blanche. Pour ce faire, elle doit faire de ces négociations un outil lui permettant aussi de ne plus être indéfiniment victime, via les sanctions, l’extraterritorialité, les pressions, d’une véritable concurrence déloyale de la part d’une Amérique en conflit commercial avec l’Europe. Au moment où celle-ci parle de ‘souveraineté’, ‘autonomie stratégique’ (tous les partenaires européens de la France ne partagent pas ce point de vue), l’Union doit définir une stratégie de retour à la liberté d’accès au marché iranien dont elle a été privée par un alignement complaisant fruit d’une naïveté confondante et de la perméabilité à certaines influences ; en bref, si Biden veut vraiment aboutir à un accord avec Téhéran, il devra en payer un prix aussi à l’Europe. Cette dernière devrait pour ce faire considérablement renforcer ses positions en décidant d’introduire un chapitre Iran (accès au marché) dans la négociation transatlantique. La France s’y est refusée, une erreur considérable.
En bref, il va être intéressant de tester Joseph Biden sur ses intentions de se concerter avec ses ‘alliés’ européens sur le dossier iranien. Sera-ce une consultation seulement formelle et courtoise [66] ou acceptera-t-il de prendre en compte les intérêts européens ? C’est loin d’être certain.

Cette question doit être mise en relation avec une autre, plus générale : quelle est la vision de Biden sur l’Iran ? Dans le présent travail, nous avons décrit, à plusieurs reprises, que cette vision présente des éléments significatifs de continuité avec la politique de Trump, même si sur le plan formel, elle en diffère. Le ton est courtois, l’homme respectable, de grande expérience, donc prévisible, respectueux des usages, des engagements, etc. Tout ceci est bien connu. Mais reconnaissons qu’en parlant de ‘régime répressif’, ‘contenir l’Iran’, de ‘menaces’, d’activités nocives ‘déstabilisantes’, etc, bien des points communs relient le futur président à son prédécesseur. Nous avons montré que sa conception du séquençage des négociations, s’il la maintient, mène directement à une impasse. Au-delà de l’intention de rentrer dans le JCPOA, d’adopter certaines mesures, de chercher à obtenir des changements d’attitude de l’Iran en concertation avec les autres signataires, et pour la posture régionale de Téhéran, en coopération avec Israël et les monarchies du Golfe, on ne perçoit guère, au moins pour l’instant, de véritables réponses aux questions telles que : pour Biden, qu’est-ce que l’Iran comme pays, puissance régionale ? Quelle est la place de l’Iran dans la sécurité du Moyen-Orient et peut-on favoriser la reprise d’un dialogue entre Riyad et Téhéran ? Y-a-t-il une possibilité de construire malgré les divergences profondes une relation de coopération sur tel ou tel terrain/thème ? Est-il concevable et à quelles conditions ouvrir des relations diplomatiques ?

Dans une récente contribution, Trita Parsi (candidat aux fonctions de conseiller à la sécurité nationale), qui œuvre de longue date pour des relations pragmatiques avec les Occidentaux, propose lui aussi une feuille de route [67] qui prévoit notamment que dès son intronisation Biden s’adresse à l’Iran et annonce également un certain nombre de mesures de confiance mais aussi d’engagements, dont celui de revenir promptement à une conformité intégrale au JCPOA « à la fois dans sa lettre et dans son esprit » (précision essentielle) à condition que Téhéran en fasse de même. Ce qui veut dire que seraient non seulement levées les sanctions directement liées au JCPOA, mais les autres sanctions qui contribuent à tuer cet accord. Parsi lance un avertissement tactique solennel : Biden doit éviter de laisser entendre en quoi que ce soit qu’il utilisera les sanctions comme levier pour renégocier l’accord nucléaire. Ce rappel est utile car un tel recours anéantirait tout espoir de négociation et, selon Parsi, conforterait les ultras Iraniens dans l’idée que négocier avec l’Amérique (interlocuteur non fiable) est inutile et que Biden poursuit la politique de Trump. Or Biden, comme nous l’avons indiqué plus haut, a brandi la menace de ‘sanctions ciblées’ à propos des activités ‘terroristes’ et atteintes aux droits de l’Homme.

La feuille de route comporte plusieurs invitations à l’endroit de l’Iran : « Réitérer son engagement de ne jamais construire ni acquérir d’armes de destruction massive ». Cette proposition serait banale et sans novation (Le Guide et les autorités iraniennes l’ont déjà fait) s’il ne s’agissait que d’armes nucléaires mais la terminologie inclut potentiellement au moins les armes chimiques. Un autre engagement serait symétrique de celui requis des Etats-Unis (retour intégral au JCPOA, sachant que l’Amérique doit faire de même), ce qui suppose de réexpédier l’excédent d’uranium stocké par rapport au plafond autorisé. Une mesure de confiance iranienne bienvenue serait de relâcher des prisonniers, notamment binationaux. Pour notre part, nous rappelons que l’administration Trump a déjà négocié des échanges de prisonniers et nous pensons que ceci devrait être amplifié. (Pour mémoire, nous estimons que la France pourrait essayer de profiter de cette nouvelle situation pour essayer d’obtenir le retour en France de F. Adelkhah d’autant que l’Australie a pu organiser avec la Thaïlande un échange de prisonniers permettant l’élargissement de sa ressortissante Kylie Moore-Gilbert.). Parsi n’oublie pas la scène régionale et invite l’Iran à « s’engager à dialoguer avec ses voisins du Golfe et les Etats-Unis quant aux différends régionaux et pour la non-ingérence dans les affaires intérieures de ses voisins ». Cette formulation risque de ne recevoir qu’un intérêt poli. Encourager au dialogue pour éteindre les différends est une bonne idée, mais l’expérience de l’élimination de Soleimani qui se rendait à Bagdad dans le cadre d’une médiation irakienne pour tenter de baisser la tension entre Téhéran et Riyad n’a pas laissé de bons souvenirs. Téhéran a régulièrement répété au royaume qu’il était ouvert au dialogue et n’a reçu que des refus secs [68].

Il appartient à Washington de convaincre MBS et ses proches d’entamer un tel dialogue. Il serait préférable à notre sens d’encourager l’Iran à porter devant une juridiction ou un arbitre son litige avec les Emirats. Au vu des incertitudes croissantes que l’affichage d’une posture « terre brûlée » (dont la révélation que Trump aurait envisagé des frappes contre l’Iran [69] dont ses conseillers ont réussi, semble-t-il, à le dissuader - en tout cas provisoirement), les dirigeants des pays du Golfe sont probablement inquiets et Karen Young, experte avisée, recommande que Biden et ses équipes entament sans délai une concertation avec eux pour les informer des intentions du nouveau président sur l’Iran et les assurer de ce qu’ils seront consultés sur les options relatives à la sécurité régionale [70].

Plus intéressant, T. Parsi propose d’aller plus loin et de prendre de la hauteur. S’inspirant du message de Nowrooz d’Obama, il conseille à Biden de déclarer qu’il veut développer « une relation constructive avec l’Iran ». Parsi cite la plateforme du parti démocrate où après avoir insisté sur l’urgence de rétablir une conformité mutuelle à l’Accord, elle rappelle que « l’accord nucléaire a toujours été entendu être le début, non la fin, de notre diplomatie avec l’Iran… » Le même texte prend soin, souligne notre observateur de rappeler que « les Etats-Unis ne devraient pas imposer de changement de régime et rejeter ceci comme objectif de la politique des USA à l’égard de l’Iran ».

Lire la partie 2

Publié le 18/11/2020


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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