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Esprit, dossier révoltes arabes, « la corruption, la peur et la révolte », juin 2011

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 27/06/2011 • modifié le 30/01/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Antoine Garapon relate ses impressions sur la situation en Tunisie et dresse le bilan de la révolte. Selon l’auteur, la révolution a eu une conséquence immédiate : « La révolution tunisienne a eu pour premier effet de libérer la parole, une parole trop longtemps réprimée, interdite : d’où une frénésie de débats, une avidité à donner son avis sur tout et à exprimer des revendications ; à l’excès parfois, se plaignent nombre d’interlocuteurs tout en manifestant une grande indulgence pour cet inévitable emballement ». Par plusieurs exemples dont il a été témoin, l’auteur met en évidence la « vacance des institutions », notamment celle de la police tunisienne ; la question de l’engagement des femmes en politique, en particulier lors des élections de l’Assemblée constituante prévues pour l’automne 2011, avec les préoccupations que sont la formation intellectuelle des femmes et la place des femmes islamistes ; l’organisation du régime de transition, « supervisé par trois commissions » dont il évoque les fonctions mais également les défis auxquels elles sont confrontées. Antoine Garapon évoque ensuite la présidence de Ben Ali, et s’interroge : le mouvement en Tunisie est-il le « renversement d’un dictateur ou (une) révolution ? » Son analyse le conduit à penser que « le 14 janvier est un soulèvement mais qui se mue sous nos yeux en révolution. Ce n’est pas tant le renversement de Ben Ali le 14 janvier qui constitue à lui seul la révolution, que le désir confirmé et soutenu de faire rupture non seulement avec Ben Ali mais aussi, dans une certaine mesure, avec Bourguiba, et surtout de se reconnaître comme peuple agissant positivement ». Il estime également que la révolution n’est pas encore achevée. Dans ce contexte révolutionnaire, les islamistes sont rentrés en Tunisie. Un « jeu à trois » est ainsi en train de se jouer sur le plan politique, entre les partisans de la démocratie, ceux de l’ancien régime de Ben Ali et les islamistes. La notion de démocratie est alors analysée par l’auteur, ainsi que la place de la religion : « la Tunisie devra inventer non seulement son propre modèle démocratique, dans un contexte qui (…) n’est assimilable à aucun autre en raison de sa géopolitique, de son histoire et de sa culture, mais aussi inventer une distance avec le religieux acceptable par tous ».

Leïla Vignal, géographe à l’université de Rennes 2/Laboratoire Eso-Rennes, se penche pour sa part sur la révolte en Syrie, et plus particulièrement sur la situation à Damas : « Dans la majorité des contacts que j’ai eus, au cours des dernières semaines, avec mes amis damascènes, on me dit la même chose : ‘’tout est tranquille à Damas’’ ». L’auteur analyse ainsi la situation à Damas, ou du moins que qu’il est possible d’en apprendre, car, selon elle, « l’une des priorités du régime est d’empêcher la diffusion du mouvement dans ces quartiers (de Damas) qui abritent administrations, universités, sièges sociaux, poumons commerciaux, résidences des classes moyennes et supérieures ». Il n’en demeure pas moins que, selon les témoignages reçus par Leïla Vignal, des rassemblements s’organisent, en particulier le vendredi, à la suite de la prière, mais que les forces de sécurité empêchent toute mobilisation populaire. D’autre part, les informations venant de Syrie parlent de « troubles » dans les quartiers périphériques de Damas, alors que pour l’auteur, « aujourd’hui, Damas est une agglomération d’environ cinq millions d’habitants, qui englobe à la fois des quartiers centraux, des banlieues, et l’ensemble des noyaux villageois qui formaient autrefois le tissu rural de l’oasis agricole qui entourait la ville – et dont font partie ces épicentres de la révolte qu’égrène la presse ». En outre, si le régime opère une distinction entre le centre de Damas et les différentes couronnes, il n’en demeure pas moins que, pour l’auteur, les manifestations qui se déroulent dans les premières et les deuxièmes couronnes mettent en évidence la force des « revendications », notamment économiques, des Syriens, mais qui ne sont pas prises en compte par le pouvoir. Sur le plan politique également, la population syrienne demande plus de liberté et la démocratie. Au final, l’auteur estime que le régime syrien « joue aujourd’hui sa survie », car les signaux envoyés sont discordants, tant sur le plan de la gestion politique de la révolte que sur le plan militaire. En outre, sur le plan communautaire, le régime se pose comme le garant de la sécurité des minorités face à la majorité sunnite, or, l’auteur explique que le soulèvement n’a pas de dimension communautaire.

Hind Meddeb s’intéresse à la poursuite de la mobilisation au Caire. L’auteur relate l’histoire de Wael Omar Sayedalah, fondateur de la nouvelle radio égyptienne, Midane Tahrir, qui a été créée à la suite de la chute du régime de Hosni Moubarak. Hind Meddeb et le photographe Benjamin Loyseau interrogent Wael Omar Sayedalah sur son parcours (il a étudié aux Etats-Unis) et sur ce qui l’a amené à créer cette nouvelle radio, en compagnie d’autres Egyptiens, qui ont tous étudié à l’étranger. La radio émet sur Internet, en streaming, et donne la parole aux libéraux et aux laïques. L’auteur explique : « Pendant les semaines qui ont suivi la révolution, un vent de liberté a soufflé sur les médias égyptiens. Mais l’étau s’est vite resserré. (…) Alors que sur Nile TV ou dans le journal El Ahram, la censure règne, Radio Tahrir fait figure d’exception dans le paysage audiovisuel ». Hind Meddeb relate ensuite sa visite au studio de Radio Tahrir, et le déroulement d’une émission, en cours d’enregistrement : les deux invités, une enseignante dans une école américaine et un policier également chanteur de la très populaire chanson Tamam Effendim, racontent comment ils ont vécu les 18 jours de la révolte égyptienne. Hind Meddeb relate ensuite le déroulement d’une manifestation place Tahrir, à la suite du départ de Hosni Moubarak, à laquelle participe toute l’équipe de la radio.

Mohammed Hachemaoui, politologue et professeur invité à l’université Paris VIII, évoque dans son article « la corruption politique en Algérie : l’envers de l’autoritarisme ». L’auteur explique : « La thèse défendue dans ce texte ambitionne de construire un pont analytique et conceptuel entre deux régions du savoir maintenues à égale distance l’une et l’autre par la littérature savante consacrée à cette aire : la corruption et l’autoritarisme. L’argumentation déroulée ici s’emploie à démontrer le caractère indissociable des liens noués en Algérie – à l’instar de beaucoup d’autres pays arabes – entre régime autoritaire et corruption politique ». L’auteur analyse ainsi « le système de gouvernement au miroir de l’affaire Khalifa », Rafik Abdelmoumène Khalifa appartenant à la nomenklature algérienne et ayant fondé sa propre banque, El Khalifa Bank. Il étudie ensuite l’« installation et (le) fonctionnement du régime prétorien », c’est-à-dire l’institution qui détient le pouvoir en Algérie, dont l’auteur décrit le fonctionnement : indépendance de l’armée ; le pouvoir couvre les activités civiles, notamment la politique et l’économie ; la « dirty trick politics », c’est-à dire les interventions des services de sécurité. La « corruption politique » est ensuite analysée, articulée autour de plusieurs « rouages » : le pouvoir ne rend pas de compte ; les monopoles sont institutionnalisés ; les institutions de l’Etat s’affaiblissent.

Jean-Louis Schlegel s’intéresse à la sécularisation et à ses « avenirs incertains ». Dans le contexte actuel où les religions sont « devenues la grande menace », l’auteur évoque la place de l’islam, « déjà avant septembre 2001 », et au cours des mouvements de révolte récents dans la région du Moyen-Orient. Afin de comprendre les évolutions actuelles, « il n’est pas inutile, au contraire, de revenir sur les conditions et sur le sens de la sécularisation occidentale, qu’expose dans un livre remarquable le philosophe canadien Charles Taylor ». Au regard de cette œuvre, Jean-Louis Schlegel analyse ainsi ce qu’est « la sécularisation pour ceux qui la vivent », puis « le temps de la Réforme et les ruptures de l’imaginaire social », l’« ‘’effet supernova’’ de l’humanisme exclusif » et les « rumeurs sans fin de Dieu à l’âge séculier ».

Esprit, dossier révoltes arabes, « la corruption, la peur et la révolte », juin 2011

Publié le 27/06/2011


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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