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Entretien avec Yara El Khoury – Retour sur le cessez-le-feu entre Israël et le Liban

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Yara El Khoury
Publié le 28/11/2024 • modifié le 29/11/2024 • Durée de lecture : 9 minutes

Yara El Khoury

Un cessez-le-feu a été annoncé le mardi 26 novembre par le Premier ministre israélien Netanyahou. Par qui ce cessez-le-feu a-t-il été demandé ? Qui en sont les négociateurs tant régionaux qu’internationaux ?

Il est malaisé de déterminer qui, du Hezbollah ou Israël, a demandé un cessez-le-feu. Peut-être conviendrait-il de se demander plutôt à qui ce cessez-le-feu profite le plus, et, à mon sens, c’est le Hezbollah qui échappe à l’annihilation complète que lui promettait Benjamin Netanyahou. Un tournant s’est opéré à partir de l’opération spectaculaire menée le 17 septembre dernier par le Mossad israélien qui a fait exploser de manière concomitante des milliers de bipeurs portés par des éléments du Hezbollah, répétant le même tour de force le lendemain sur des talkies-walkies. Dans son allocution subséquente, qui devait être la dernière, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, avait ouvert la voie à un éventuel cessez-le-feu en y posant comme condition l’arrêt des opérations israéliennes dans la bande de Gaza. Ceci était cohérent avec la position qui était la sienne dès le départ de faire du Liban un front de soutien à Gaza. De son côté, le Premier ministre Netanyahou posait des conditions plus ambitieuses, à savoir éliminer totalement la force de frappe du Hezbollah afin que les citoyens du nord d’Israël puissent rentrer chez eux sans crainte.

Le 27 septembre 2024, le secrétaire général du Hezbollah était tué dans un raid aérien extrêmement puissant, à coup de bombes américaines de type BLU-109, dites « bunker-busters », capables de percer des cibles enterrées à des dizaines de mètres sous le sol, jusqu’à l’abri souterrain extrêmement protégé dans lequel il se trouvait, au cœur de son fief de la Banlieue-Sud de Beyrouth. Deux mois plus tard, nous nous trouvons aujourd’hui face à une trêve décrétée alors que les conditions respectives des adversaires n’ont pas été remplies. Aujourd’hui, au second jour du cessez-le-feu, Gaza est bien loin d’une trêve, le Hezbollah n’a pas rendu l’âme, et les citoyens du nord d’Israël ne semblent pas près de rentrer chez eux.

Le texte du cessez-le-feu, reproduit dans son intégralité dans certains médias comme The Times of Israel, est intitulé « Annonce d’une cessation des hostilités et d’engagements connexes concernant des arrangements de sécurité renforcés et la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies ». Il a pour parrains les États-Unis et la France ; les présidents Biden et Macron se sont exprimés pour annoncer la conclusion de la trêve. Cette dernière engage Israël et l’État libanais, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, vu que ce n’est pas l’État libanais, ni a fortiori sa petite armée, qui pilonnait le territoire israélien, mais le Hezbollah. C’est un État libanais sans président de la République, avec un gouvernement d’expédition des affaires courantes et un Parlement totalement ineffectif, qui est désormais tenu comptable de l’application du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. Les deux parties ont soixante jours pour appliquer les principales dispositions de la trêve ; c’est comme une période probatoire et la situation reste très précaire, une reprise des hostilités ne pouvant être totalement écartée.

Cette annonce d’un cessez-le-feu a été précédée par une intensification des bombardements sur Beyrouth. Quelles en sont les raisons ?

Alors que le cessez-le-feu devait incessamment être annoncé dans la soirée du 26 novembre, avant-hier, la ville de Beyrouth intra-muros a été ciblée par des raids aériens d’une ampleur inédite qui se sont abattus sur des quartiers que l’on n’associe généralement pas au Hezbollah. Ainsi la zone de Noueyri, à deux pas de l’ambassade de France, du Grand Lycée franco-libanais et de l’Université Saint-Joseph, a été violemment touchée au milieu de la journée, sans qu’aucune alerte n’ait été émise. Ceci a créé un mouvement de panique chez les parents, les élèves et étudiants, et tous les personnels des établissements éducatifs nombreux dans le quartier, car, quoique cela puisse être difficile à concevoir, les cours se poursuivent dans les régions qui ne sont pas directement touchées par les raids aériens. Un peu plus tard, le quartier de Zokak al-Blat était frappé à son tour, un petit joyau de patrimoine niché au cœur de Beyrouth, avec sa petite mosquée, ses cafés, les maisons patriciennes comme celle qui abrite le Goethe-Institut, et la maison natale de la diva du Liban, Feyrouz. Une alerte a été émise, ce qui a entraîné un exode des habitants, un scénario qui s’est répété un peu plus tard dans la rue Hamra et le quartier de Râs-Beyrouth qui jouxte le bord de mer. Des vidéos ont circulé qui montraient les riverains terrorisés affluant vers le vaste campus de l’Université américaine de Beyrouth afin d’y trouver refuge, sous le bruit assourdissant des avions de chasse et drones israéliens. Au même moment, la Banlieue-Sud, le Sud-Liban et la Békaa étaient pilonnés de manière intensive. De son côté, avec moins de moyens mais des effets néanmoins importants, le Hezbollah continuait d’envoyer des roquettes en direction d’Israël, visant diverses régions, notamment dans le centre et Tel Aviv. Cet exposé permet de juger de l’état d’esprit des Libanais, les Beyrouthins en particulier quand, à 20h heure locale est apparu sur les écrans de télévision le Premier ministre d’Israël qui annonçait en hébreu – avec une traduction simultanée en arabe quelque peu laborieuse – qu’il allait soumettre la proposition de cessez-le-feu à son Cabinet. L’annonce n’a pas mis fin tout de suite aux opérations militaires, et ce n’est que le lendemain à 4h du matin, après une nuit terrible, que la trêve est devenue effective.

Alors pourquoi cet acharnement à l’heure où le cessez-le-feu était pratiquement décidé du côté d’Israël, et alors que le Liban officiel avait confirmé l’accord du Hezbollah à l’émissaire américain Amos Hochstein une semaine plus tôt, lors d’une énième navette que ce dernier effectuait entre Beyrouth et Tel Aviv ? Il y a à l’évidence la volonté des belligérants de continuer à marquer des points, afin d’améliorer leur position dans une négociation qui avait déjà abouti. Et les points en question étaient emblématiques, car ils reflétaient une équation de la terreur jadis posée par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, entre Tel Aviv et Beyrouth. C’est une équation qui semble avoir été reprise à son compte par Israël : le Hezbollah ayant réussi à toucher des quartiers de Tel Aviv, ordre a été donné à l’aviation israélienne de toucher Beyrouth en plein cœur.

Pourquoi ce cessez-le-feu intervient-t-il maintenant pour les deux parties, Hezbollah et Israël ?

Dans son allocution télévisée, Benjamin Netanyahou a exposé trois raisons à cette trêve. Il y a d’abord la nécessité de concentrer l’effort de guerre sur l’Iran, un point sur lequel il a choisi de ne pas s’attarder. Ensuite, il a expliqué qu’il fallait laisser souffler les troupes israéliennes épuisées par des mois de combats incessants sur divers théâtres d’opérations. En effet, Israël se trouve dans la situation inédite de se battre sur sept fronts à la fois : Gaza et la Cisjordanie, l’Iran et le Liban, la Syrie, l’Irak et le Yémen. Dans une allusion à peine voilée à l’Administration Biden contre laquelle il nourrit bien des griefs, il a parlé de gros retards dans les livraisons d’armes, une situation qui allait s’arranger très vite selon lui. De fait, dans les heures qui ont suivi l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, on apprenait que Washington avait décidé une vente d’armes d’un montant de 680 millions de dollars à son allié. Enfin, Netanyahou juge que le moment est venu de finir de réduire le Hamas qui est désormais privé du soutien que lui apportait le Hezbollah.

On pourrait penser que le mandat d’arrêt émis à son encontre par la Cour Pénale Internationale a pu précipiter sa décision. Ceci est peu probable, vu le peu de cas qu’il semble faire de la justice internationale, et même la justice de son pays, et aussi parce que les États-Unis, par la voix du président Joe Biden, lui ont donné les preuves d’un soutien inaltérable, envers et contre tout. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que ce sont les États-Unis et le Premier ministre hongrois Viktor Orban qui ont assuré Netanyahou de leur amitié, alors que bien d’autres pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont manifesté leur volonté de se plier à leurs engagements à l’égard de la CPI et de procéder à l’arrestation de Netanyahou si jamais il foulait leur territoire.

De son côté, le Hezbollah est lui aussi épuisé, frappé plus durement qu’il ne l’a jamais été dans le passé, décapité par la mort de presque la totalité de ses cadres, et devant faire face à la détresse de la population chiite réfugiée en masse dans le nord et le centre du Liban. Un cessez-le-feu est à son avantage. Il me paraît important de souligner que cette trêve n’a été possible que parce que le Hezbollah – en plus d’Israël naturellement – y a consenti. Alors qu’on le dit moribond, le Hezbollah conserve visiblement la capacité de peser sur la guerre et, à défaut de la paix, une trêve. Pour l’heure, son nouveau secrétaire général Naïm Kassem – un éternel second qui est loin d’avoir le charisme de Nasrallah – ne s’est pas encore exprimé. Il n’en demeure pas moins que les combats ne se seraient pas arrêtés si le Hezbollah n’avait pas été d’accord.

Ce cessez-le-feu aura-t-il des répercussions sur le conflit à Gaza ?

Clairement, mais dans le sens d’une intensification des frappes israéliennes sur ce petit territoire qui a été quelque peu oublié lors des deux mois qui viennent de s’écouler, le Liban étant devenu le point d’attention des médias. Un cessez-le-feu au Liban remet Gaza sur le devant de la scène et ramène tout le monde à l’essentiel, notamment le Premier ministre Netanyahou qui doit encore relever deux défis titanesques : libérer les 101 otages qui demeurent à ce jour prisonniers à Gaza, vivants de préférence ; et venir à bout du Hamas, l’éradiquer, car tel est l’objectif qu’il s’était fixé au soir du 7 octobre 2023. Après, il va falloir qu’il explique aux Israéliens comment le 7 octobre 2023 a pu être possible. C’est un troisième défi qui risque de lui coûter sa carrière politique. Mais on n’en est pas encore là.

De larges portions du territoire libanais sont détruits et le Hezbollah tient encore. Gaza est un amas de ruines et le Hamas continue de tenir tête à Israël. Il est bien loin le temps où les Forces de Défense Israéliennes sortaient couronnées de gloire de batailles conventionnelles menées contre les armées régulières des États arabes. Depuis 1982, l’armée israélienne est embourbée de manière continue dans des combats sans fin contre des guérillas opérant au Liban-Sud, à Gaza et en Cisjordanie. Et la notion de victoire est somme toute relative. Pour le Hezbollah et le Hamas, le simple fait d’exister encore face à la machine de guerre la plus redoutable au monde est en soi un véritable exploit.

Si ce cessez-le-feu est rompu, quelles pourraient en être les conséquences ?

Terribles sur le Liban, sans aucun doute. Plus rien n’arrêtera Israël. J’espère que le Hezbollah est conscient de cela, et qu’il ne va plus oser s’aventurer dans des guerres aux conséquences aussi dévastatrices.

Depuis l’annonce du cessez-le-feu, les déplacés libanais reviennent dans leur lieu d’habitation d’origine. Combien de personnes ont été déplacées ? Quels territoires étaient concernés par ces déplacements ?

Dans un article publié ce matin, l’agence Reuters, citant l’Organisation internationale pour les migrations et le HCR, rapporte que plus de 886.000 personnes ont été contraintes à quitter leurs domiciles à l’intérieur du Liban (contre 60.000 en Israël). Les sources du HCR font état de plus de 540.000 personnes – des Libanais et des Syriens – qui ont trouvé refuge en Syrie. Les journaux libanais parlent de 1,2 millions de personnes réfugiées à l’intérieur du Liban. Il y aurait également près de 28.000 familles libanaises chiites qui ont été accueillies en Irak où des soins médicaux et des hébergements leur ont été offerts.

Ces réfugiés viennent principalement du Sud-Liban, de la Banlieue-Sud et des régions à forte population chiite de la plaine de la Békaa, notamment la ville de Baalbeck et les villages environnants. Le mercredi 27 novembre, avant l’aube, presque la totalité de ces déplacés internes se sont précipités pour rentrer chez eux, des images qui ont été abondamment relayées par les médias du monde entier. L’élan du retour a été spontané, et il a été encouragé par Nabih Berri, président du parlement libanais depuis plus de trente ans, personnalité chiite dont le parti, le Mouvement Amal, constitue avec le Hezbollah le « tandem chiite » qu’un très grand nombre de Libanais tiennent pour responsable de la situation actuelle. Adoubé « grand frère » par le Hezbollah depuis la disparition de Hassan Nasrallah, Berri a été le principal négociateur et interlocuteur d’Amos Hochstein tout au long du processus laborieux qui a conduit au cessez-le-feu. Dans un discours solennel adressé aux Libanais au premier matin de la trêve, il a appelé à l’apaisement et au retour de tous, surtout les chiites, dans le giron de l’État, vaste programme quand on sait que l’État libanais est phagocyté par les structures communautaristes dont il est lui-même le produit.

Publié le 28/11/2024


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante auprès de la Fondation Adyan, et consultante auprès d’ONG libanaises.


 


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